Saint-Simon parle dans ses Mémoires de ce qu'il appelle la fournée des ducs et pairs de 1663. Il ne sera pas inutile d'en donner ici un récit, qui a d'autant plus d'intérêt qu'il vient d'un témoin oculaire et qu'il est inédit. On y trouve d'ailleurs des détails importants pour comprendre plusieurs passages des Mémoires de Saint-Simon, où il est si souvent question des ducs et pairs et de leurs prérogatives. Voici comment Olivier d'Ormesson retrace, dans son Journal, la réception des ducs et pairs en 1663 :
« Le samedi 15 décembre 1663, je fus au parlement pour voir ce qui s'y passerait sur la réception des nouveaux ducs: j'y entrai facilement, comme officier du parlement, et pris place avec des conseillers en la place où les gens du roi se mettent aux assemblées particulières. M. le chancelier [57] y était sur le banc des présidents, en robe ordinaire de velours noir, comme tout le parlement était aussi en robes noires, cette séance du roi n'étant point lit de justice, mais séance particulière où le roi se trouve. Les présidents qui s'y trouvèrent furent MM. le premier président [58] , de Nesmond, de Longueil, de Novion, de Mesmes, Le Coigneux, Champlâtreux. Dans le parquet, sur le banc des ducs, se mirent MM. de Bonnelles, de Bellièvre, d'Aligre, Morangis. Les maîtres des requêtes honoraires et titulaires, à l'ordinaire. La place des ducs était sur les bancs hauts de l'audience, mais ils ne s'y mirent que lorsque le roi arriva. Les présidents des enquêtes n'ayant point de places, il fut mis deux bancs dans le parquet à droite et à gauche, où ils se mirent avec quelques-uns de la grand'chambre.
« La nouvelle étant venue par M. de Sainctot [59] que le roi était à la Sainte-Chapelle, où il entendait la messe, M. de Nesmond et les trois présidents suivants, avec sic conseillers, furent au-devant, à l'ordinaire. Incontinent après le roi arriva, M. le Duc, M. le Prince et Monsieur marchant devant lui, sans le bruit des tambours ni des trompettes, ayant seulement un capitaine des gardes, qui était M. de Noailles, qui servait pour M. de Villequier malade. Le roi prit sa place ordinaire avec les ducs et les carreaux accoutumés, n'ayant aucun de ses officiers auprès de sa personne, ni capitaine des gardes, ni chambellan, ni autres. M. le duc d'Orléans, M. le Prince et M. le duc d'Enghien en leurs places à droite; au-dessous d'eux, MM. les ducs de Guise, d'Uzès, de Beaufort, de Luynes, de Lesdiguières, de Richelieu, de Retz. À la gauche étaient MM. les ducs de Laon et de Langres et comte de Noyon, pairs ecclésiastiques. Le roi était vêtu de noir avec des plumes sur son chapeau et garniture jaune, tous les autres seigneurs vêtus de noir.
Chacun étant assis et couvert, le roi dit qu'il était venu pour faire recevoir les nouveaux ducs. Après, M. le chancelier partit de sa place pour aller recevoir l'ordre du roi. Étant revenu non point dans celle de l'encoignure, comme lorsque c'est lit de justice, mais sur le banc des présidents, il lut, en son particulier, un papier où étaient écrits les noms des ducs à recevoir, selon l'ordre que le roi leur avait donné, dont personne n'avait connaissance. Il demanda qui avait les lettres de M. de Verneuil [60] . M. Perrot La Malmaison, qui en était rapporteur, prit la parole, et en fit la lecture nu-tête; tout le préambule en fut supprimé, et on lut le dispositif. Arès, M. le chancelier dit que le roi ordonnait le soit montré et le soit informé [61], sans prendre l'avis de personne.
« Perrot étant passé au greffe, M. le chancelier fit lire ensuite celles (les lettres) de M. le maréchal d'Estrées, puis de M. le maréchal de Grammont, et ainsi de plusieurs autres, jusques à ce que M. Perrot fût revenu. Alors lecture ayant été faite, par M. Perrot étant couvert, [des dépositions] du deux témoins et des conclusions, M. le chancelier lui demanda son avis. Il dit six lignes fort bien en faveur de M. de Verneuil, et fut d'avis des conclusions [62] . M. le chancelier demanda ensuite l'avis à tous les conseillers de la grand'chambre et des enquêtes, suivant l'ordre ordinaire, puis aux ducs laïques et aux pairs ecclésiastiques, sans ôter son bonnet [63] , puis au président, ôtant soit bonnet; ensuite il monta au roi, auprès duquel se joignirent M. le duc d'Enghien, M. le Prince et M. le duc d'Orléans, pour donner leur avis; et puis étant revenu dans sa place, et ayant dit qu'on fit entre M. de Verneuil, et lui s'étant présenté sans épée à la place des récipiendaires, il prononça: Le roi tenant son parlement a ordonné et ordonne que vous serez reçu en la charge et dignité de duc et pair de France, en prêtant par vous le serment en tel cas requis et accoutumé. Levez la main. Vous jurez et promettez de bien et fidèlement servir le roi, lui donner avis dans ses plus importantes affaires, et séant au parlement rendre la justice au pauvre comme au riche, tenir les délibérations de la cour closes et secrètes, et vous comporter comme un ligne, vertueux et magnanime duc et pair, officier de la couronne et conseiller en cour souveraine doit faire. Ainsi vous le jurez et le promettez.
« M. de Verneuil ayant répondu oui, M. le chancelier dit: Le roi vous ordonne de prendre votre épée. L'huissier, qui la portait auprès de lui, l'ayant remise dans le baudrier, M. de Verneuil alla prendre sa place sur le banc, et à la suite des anciens ducs.
« Cette même formalité fut observée pour chacun des autres ducs. Ils furent reçus suivant l'ordre qui suit: M. de Verneuil, le premier, duc de Verneuil; M. le maréchal d'Estrées, duc de Cœuvres; M. le maréchal de Grammont, duc de Grammont; M. de La Meilleraye, duc de La Meilleraye; M. de Mazarin, duc de Rethel (pairie mâle et femelle); M. de Villeroy, duc de Villeroy; M. de Mortemart, duc de Mortemart; M. de Créqui, duc de Poix; M. de Saint-Aignan, duc de Saint-Aignan; M. de Foix, duc de Randan (pairie mâle et femelle, à cause de Mmes de Senecey [64] et de Fleix); M. de Liancourt, duc de La Rocheguyon; M. de Tresmes, duc de Tresmes; M. de Noailles, duc d'Ayen; M. de Coislin, duc de Cambout.
« M. de Noailles faisait ce jour la charge de capitaine des gardes en place de M. de Villequier malade. Voyant que, pour prêter le serment, il était de l'ordre d'ôter l'épée, il fit demander au roi, par M. le chancelier, si lui, faisant fonction de capitaine des gardes du corps, il devait la quitter et son bâton [65] . Le roi répondit qu'il la devait ôter, et il l'ôta comme les autres.
« Au sortir, le roi parla quelque temps à M. le premier président, et, au sortir du parquet, il fit appeler à M. le procureur général [66] , auquel il parla. »