NOTE IV. NOTE DE M. LE MARQUIS DE SAUMERY, RELATIVE À JOHANNE DE LA CARRE DE SAUMERY, SON ANCÊTRE.

Arrière-petit-fils de M. de Saumery, attaqué par M. le duc de Saint-Simon, j'ai cru que mon honneur m'imposait la loi de rendre publique ma justification quand l'injure l'était.

J'ignore quels étaient les motifs de M. de Saint-Simon, mais la manière dont est tracé le portrait de Saumery fait assez voir combien il y a mis de partialité. Des traditions de famille, l'estime générale dont jouissait le marquis de Saumery, la confiance dont l'honora Mgr le duc de Bourgogne, son intimité avec les ducs de Chevreuse et de Beauvilliers, l'un son neveu, l'autre son cousin germain; enfin, l'amitié du vertueux Fénelon, suffisent pour faire apprécier à leur juste valeur toutes les assertions dont il est l'objet.

Les couleurs employées pour peindre Mme de Saumery [48] ne sont pas moins noires, et cependant cette femme si dissolue, selon M. de Saint-Simon, fut la meilleure des mères. Elle fut toujours l'amie de sa nièce, la vertueuse duchesse de Beauvilliers [49] , et l'affection que lui portait sa cousine de Navailles [50] , de toutes les femmes de la cour la plus universellement révérée, ne se démentit jamais. Enfin la pieuse reine Marie Leczinska la traita toujours avec une bienveillance particulière.

Quant à la naissance, possédant des preuves matérielles, il m'est facile de rétablir les faits. Ces preuves ne sont point fondées sur des généalogies, faites souvent avec peu de scrupule; elles sont établies sur des actes et sur les registres des églises de Chambord et de Huisseau-sur-Cosson, paroisse dans laquelle est situé le château de Saumery; tout le monde peut donc, sur les originaux mêmes, s'assurer de l'inexactitude des assertions de M. de Saint-Simon. Je parlerai peu de ma famille avant son établissement en France, mon intention n'étant point de faire ici une généalogie, mais seulement de prouver que le premier des Johanne qui se fixa dans le Blaisois n'a jamais été et n'a jamais pu être valet d'Henri IV. S'il fût effectivement né dans l'état de domesticité, je ne serais pas assez vil pour chercher à prouver le contraire. L'homme qui, de cette condition, se serait élevé aux emplois de premier président de la chambre des comptes de Blois et conseiller d'État, eût eu plus de mérite sans doute que celui qui ne les obtint peut-être que par sa naissance.

La maison de Johanne de La Carre de Saumery est originaire de Béarn; elle possédait de toute ancienneté dans la ville de Mauléon un hôtel noble, appelé de Johanne et de Mauléon, duquel dépendaient des fiefs, terres, etc. Les armoiries propres de Johanne sont de gueules au lion d'or. (Voir, pour vérifier les armes, l'Histoire des grands officiers de la couronne, tome IX, page 92, promotion des chevaliers de l'ordre du Saint-Esprit du 31 décembre 1585, au nom Giraud de Mauléon, et à celui de Johanne dans le Nobiliaire de France.)

Vers l'an 1566, Arnault de Johanne, seigneur de Johanne de Mauléon, ayant épousé Gartianne de La Carre, soeur de Ménault de La Carre, aumônier du roi, et nièce de Bernard de Ruthie, abbé de Pontlevoy, nommé grand aumônier de France le 1er juillet 1552, les armes de Johanne furent écartelées de celles de La Carre, qui sont partie au premier d'azur à trois faces d'or, au deuxième de sable à trois coquilles d'argent posées en pal.

Le seul des seigneurs de Johanne qui quitta le Béarn, pour se fixer en France, fut Arnault II [51] , bisaïeul de M. de Saumery. Il fut appelé en 1579, très jeune encore, par son oncle l'abbé de La Carre, résidant à se terre des Veaux, paroisse de Cour-Cheverny, non loin du château de Saumery, qu'il acquit d'Antoine de Laudières, gentilhomme de la maison du roi; ledit abbé de La Carre, ayant acquis la seigneurie de Saumery le 13 avril 1583, laissa cette terre à son neveu Arnault, lequel devint dès lors seigneur de Saumery, et ajouta à son nom celui de La Carre [52] . Il fut pourvu de la charge de premier président de la chambre des comptes de Blois à l'âge de vingt-six ans, sur la démission de Merry de Vic, qui fut garde des sceaux de France [53] . Nommé conseiller d'État le 27 avril 1616, il prêta le serment entre les mains du chancelier de Sillery, le 29 du même mois.

Arnault il épousa en 1592 Cyprienne de Rousseau de Villerussien, fille de Claude de Rousseau de Villerussien, écuyer du roi [54] ; il testa par acte du 25 mai 1631 [55] .

Son fils François de Johanne, chevalier, seigneur de Saumery, etc., capitaine des chasses du comte de Blois, conseiller d'État, gouverneur du château royal de Chambord, premier gentilhomme de la chambre de S. A. R. Gaston de France, duc d'Orléans, frère de Louis XIII, naquit au château de Saumery le 23 novembre 1593, et fut baptisé dans la chapelle le 24 du même mois [56] . Il épousa, en 1618, Charlotte de Martin de Villiers, fille de Daniel de Martin, écuyer, seigneur de Villiers [57] . De ce mariage est né Jacques de Johanne de La Carre, chevalier, marquis, seigneur de Saumery, écuyer de S. A. R. Gaston de France, duc d'Orléans, mestre de camp du régiment d'Orléans, gouverneur de Chambord, maréchal des camps et armées du roi, grand maître des eaux et forêts, gouverneur de Blois (première provision en date du 15 février 1650) et conseiller d'État. Il fut baptisé dans la chapelle du château de Saumery le 23 octobre 1623 [58] . Il épousa, le 6 février 1650, Catherine de Charron de Nozieux, fille de Jacques Charron de Nozieux et sœur de Mme de Colbert.

C'est de ce mariage qu'est issu Jacques-François de Johanne de La Carre, marquis de Saumery, sur la personne et sur l'extraction duquel le duc de Saint-Simon a répandu tant d'erreurs. La mère de M. de Saumery n'était point une petite bourgeoise de Blois; la maison de Charron était noble. Elle est alliée passivement à celles de Colbert, de La Poupelinière, du Gué de Bagnols, de Longueu, de Castellane, de Novejan, de Lastic; et de ces alliances sont descendus, de la maison de Charron, les Montmorency-Fosseux, les Talleyrand-Périgord, les Chabannes-Curton, les Duchillau, les d'Albert de Luynes, les Mortemart et la dernière duchesse de Gesvres, née du Guesclin.

Si, avant d'assurer un fait, M. de Saint-Simon avait bien voulu faire des recherches, il se serait facilement convaincu que non seulement le brevet de gouverneur de Chambord, mais encore ceux des autres maisons royales, portaient anciennement pour souscriptions: jardinier, concierge, capitaine, etc.

Vivant sans ambition, ce ne sont point des titres que je viens revendiquer, c'est la vérité seule que je veux et devais rétablir. Cette tâche, pénible pour un homme qui n'est et ne veut pas être en évidence, une fois remplie, je dois rendre hommage à la loyauté de M. le marquis de Saint-Simon, pair de France, etc., auquel j'ai adressé ma réclamation, et qui m'autorise à faire insérer cette note.

Suite
[48]
Marguerite-Charlotte de Montlezun de Besmeaux, était fille du marquis de Montlezun de Besmeaux, des seigneurs de Projan, comtes de Champagne, issus des seigneurs de Saint-Lary, puînés des comtes de Pardillac, sortis des comtes d'Astarac, cadets des ducs héréditaires de Gascogne; il descendait de mâle en mâle au vingt-deuxième degré de génération de Garcie Sanche, surnommé le Corbé, troisième duc héréditaire de Gascogne, qui unit à son duché le comté de Bordeaux en 904.
[49]
Henriette-Louise Colbert, duchesse de Beauvilliers.
[50]
Suzanne de Baudéan Parabère, duchesse de Navailles.
[51]
Il est qualifié noble écuyer seigneur dans vingt-deux actes de l'église de Huisseau, depuis le 3 avril 1580 jusqu'au 26 avril 1619, et, selon les mêmes registres, il était déjà en possession de la seigneurie de Saumery avant le 8 janvier 1590.
[52]
Le nom et les armes de La Carre furent ajoutés à ceux de Johanne, en conséquence d'un acte expédié par le lieutenant général du bailliage et gouvernement de La Carre en Soule, le 23 juillet 1613, par lequel Jean d'Arbède, chef de la maison de La Carre, autorisa son neveu, Arnault, à ajouter ses armes et son nom aux armes et nom de Johanne (inventorié en original au château de Saumery, par Bourreau, notaire de Blois, le 5 juin 1709 et jours suivants, coté 263).
[53]
Voy., preuves de l'antiquité de la chambre des comptes de Blois.
[54]
Voy. Bernier, Histoire de Blois, page 631.
[55]
Voy., la sentence arbitrale entre MM. de Colbert de Saumery et de Menars du 3 septembre 1671, déposée le même jour chez de Beauvais, notaire au Châtelet de Paris.
[56]
Voy., registres de l'église paroissiale de Huisseau.
[57]
Elle était arrière-petite-fille de Christophe de Martin, écuyer, seigneur de Villeneuve, et d'Anne Compaing de Fresnay. De cette maison était Marie Compaing, fille de Nicolas Compaing, seigneur de Fresnay, chancelier de Navarre, qui épousa, le 29 avril 1593. Leclères II, baron de Juigné, d'où sont descendus MM de Juigné, actuellement vivants.
[58]
Voy., registres de Huisseau.