CHAPITRE XIX.

1704

Siège de Verue par le duc de Vendôme. — Retour de Fontainebleau par Sceaux. — Rouillé sans caractère près l'électeur de Bavière; son caractère et ses emplois. — Progrès des mécontents. — Ragotzi élu prince de Transylvanie. — Des Alleurs. — Subsides. — La Bavière en proie à l'empereur. — Trèves et Traarbach perdus. — Marlborough en diverses cours d'Allemagne. — Landau rendu au roi des Romains; Laubanie, aveuglé dedans, récompensé. — Séparation des armées. — Coigny, colonel général des dragons. — Abbé de Pomponne ambassadeur à Venise. — Puysieux; sa famille, son caractère. — Son adresse le fait chevalier de l'ordre. — Comte de Toulouse, de retour, résolu de perdre Pontchartrain, est arrêté par sa femme. — Caractère de Pontchartrain. — Suites funestes à l'État. — Mort de Caylus; caractère de sa femme. — Cercles. — Berwick de retour d'Espagne. — Mariage du marquis de Charost et de Mlle Brûlart, depuis duchesse de Luynes et dame d'honneur de la reine. — Mort de Mme de Gamaches. — Mort duc de Gesvres. — Mort du président Payen. — Bouligneux et Wartigny tués devant Verue. — Singularité arrivée à des masques de cire. — Mort de la duchesse d'Aiguillon; son caractère. — Marquis de Richelieu; explication de sa prétention de succéder à la dignité d'Aiguillon, rejetée par le roi. — Denonville obtient permission de venir se justifier. — Marlborough passe en Angleterre avec Tallard et les principaux prisonniers. — Villars rappelé de Languedoc, où Berwick va commander.

M. de Vendôme s'opiniâtra à vouloir assiéger Verue; il dépêcha, à son ordinaire, un courrier pour mander qu'en y arrivant, le 14 octobre, il avait emporté trois hauteurs que les ennemis avaient négligé de retrancher, d'où il les avait chassés à la vue de M. de Savoie et de toute sa cour, qui avaient été obligés de se retirer à toutes jambes. Avec ces fanfaronnades il repaissait le roi à l'appui de Mme de Maintenon par M. du Maine. Jamais siège si follement entrepris, peu qui aient tant coûté de temps, d'hommes et d'argent. Il influa encore sur la campagne suivante, qu'on ne put ouvrir à temps par le délabrement de l'armée. Le terrain était extrêmement mauvais, même dans la belle saison, et on allait se trouver dans la mauvaise; et tandis que la place était attaquée d'un côté, elle était soutenue de l'autre par un camp retranché de l'autre côté de l'eau, qui rafraîchissait la place tout à son aise de troupes et de tout, et inquiétait continuellement notre armée. L'opiniâtreté et l'autorité que M. de Vendôme s'était acquise par son crédit l'emportèrent sur toute raison de guerre et sur le sentiment de toute son armée, qui à peine osa-t-elle témoigner ce qu'elle en pensait, tant le peu d'officiers généraux, de ceux qui étaient le mieux avec le duc de Vendôme, furent mal reçus dans leurs courtes et modestes représentations. Outre ces difficultés, la subsistance de la cavalerie y était d'une difficulté extrême, tellement qu'il fallut, dès les premiers commencements, renvoyer presque tous les équipages de l'armée du côté d'Alexandrie, où M. de Vaudemont leur fit donner des quartiers et du fourrage, mais pour de l'argent, à un prix modique. On comprend ce que ce peut être pour tous les officiers généraux et particuliers qui font un grand siège sans investiture, vis-à-vis un camp ennemi séparé d'eux par la rivière, dans un très mauvais terrain, sans équipages, et qui sont avec cela obligés de les nourrir hors de leur portée à leurs dépens. Ce fut avec cette bonne nouvelle que le roi partit de Fontainebleau, le 23 octobre, pour retourner à Versailles par Sceaux, où il séjourna un jour. Incontinent après, il envoya Rouillé sans caractère résider à. Bruxelles auprès de l'électeur de Bavière, avec vingt-quatre mille livres d'appointements. Il était président en la cour des aides, frère de Rouillé, qui avait été directeur des finances et qui était conseiller d'État, et il était revenu, il y avait deux ans, de Lisbonne, où il avait été ambassadeur avec satisfaction. C'était un homme d'esprit, appliqué, capable, un peu timide, et que les ducs de Chevreuse et de Beauvilliers protégeaient fort. Il figurera dans la suite, et on le verra employé aux affaires les plus importantes et les plus secrètes, où il se conduisit toujours très bien: il est donc bon dès ici de le connaître.

Les mécontents de Hongrie ne se laissèrent point abattre par le grand et inespéré succès de la bataille d'Hochstedt. Loin d'écouter les propositions que l'empereur leur fit faire, ils prirent Neutra, et Ragotzi fut élu prince de Transylvanie. Il en envoya donner part au Grand Seigneur, et lui offrir pour sa protection le même tribut que payaient à la Porte son bisaïeul et son grand-père en la même qualité. Ils se rendirent depuis maîtres d'Eperiez et de Cassovie, et de cent quarante pièces de canon qu'ils y trouvèrent; il y avait déjà du temps que des Alleurs était secrètement, de la part du roi, auprès de Ragotzi, à qui il donnait trois mille pistoles par mois. Il envoya en ce temps-ci un officier de confiance à l'électeur de Bavière à Bruxelles, qui le renvoya au roi. Ragotzi voulait quelque augmentation et moins de secret dans la protection du roi pour se donner plus de crédit et à son armée plus de confiance. La vérité était que personne ne doutait en Europe qu'il ne fait soutenu par la France, quelque obscurément qu'elle le fît. Ils prirent bientôt après Neuhausel, et obligèrent ensuite le général Heister de se hâter de se retirer devant eux.

L'empereur cependant fit à l'électrice de Bavière des propositions si étranges qu'elle ne les voulut pas écouter. Les Impériaux trouvant plus de difficultés qu'ils ne pensaient à leur conquête, la cour de Vienne changea de ton sans changer de volonté, et conclut un accommodement par lequel il fut convenu que l'électrice retirerait toutes ses troupes des places du Danube, et qu'elle demeurerait dans la paisible possession de la Bavière, qui ne payerait aucune contribution; mais elle ne fut obéie qu'à Passau; les gouverneurs d'Ingolstadt, Brunau et Kufstein s'excusèrent sur leur serment à l'électeur, sans un ordre duquel, signé de sa main, ils ne sortiraient pas de leurs places; et la cavalerie bavaroise, qu'on voulait séparer, en répondit autant. Le prince Eugène remarcha en Bavière, prit les places, et mit le pays et la famille électorale en étrange état.

Marlborough, d'autre part, suivit de près son frère, qu'il avait envoyé sur la Moselle avec un gros détachement; ils s'emparèrent de Trèves, et tôt après firent le siège de Traarbach, et le prirent, pendant que le duc de Marlborough s'alla promener en Allemagne, et voir les électeurs de Brandebourg et d'Hanovre, le landgrave de Hesse et quelques autres princes. Chacun après quitta les armées en Flandre, qui se séparèrent incontinent pour les quartiers d'hiver. Il n'y eut que celle d'Alsace qui, sous Marsin, attendait impatiemment la prise de Landau, pour s'aller reposer de même. Cette place capitula enfin le 23 décembre. Laubanie y avait fait merveille, même après y avoir perdu les deux yeux. Le roi des Romains le traita avec toute la distinction que sa valeur méritait, lui surtout et sa garnison, dont il ne sortit que la moitié de ce qu'elle était au commencement du siège. Le roi donna à Laubanie trente-six mille livres de pension, outre de petites qu'il avait déjà, et sa grand'croix de Saint-Louis de six mille livres. C'était un excellent officier et un très galant homme d'ailleurs, aveuglé dans Landau, et qui avait très bien servi toute sa vie.

Coigny, fils de celui que nous venons de voir mourir sur la Moselle, eut, par la protection de Chamillart, l'agrément d'acheter du duc de Guiche la charge de colonel général des dragons, qui fut le commencement et le fondement de la grande fortune où on le voit aujourd'hui.

Depuis le retour de Charmont de Venise, le roi, mécontent de cette république sur plusieurs griefs, n'y avait envoyé personne, et refusé même d'admettre son ambassadeur à son audience. Par force souplesses et propos de respect peu solides, [les Vénitiens] se raccommodèrent avec le roi. L'abbé de Pomponne vieillissait dans la charge d'aumônier de quartier. Le roi s'était expliqué avantageusement sur lui, mais que son nom d'Arnauld lui répugnait trop dans l'épiscopat pour l'y faire jamais monter. Il fallut donc se tourner ailleurs. Il était beau-frère de Torcy. Pomponne, son père, lui avait fait mettre le nez dans ses papiers avec l'agrément du roi, et il continuait de même avec Torcy; il avait déjà été à Rome et en diverses cours d'Italie. Tout cela ensemble le fit choisir pour l'ambassade de Venise, et il remit sa place d'aumônier.

Puysieux, revenu depuis peu par congé de son ambassade de Suisse, où il faisait fort bien, avait obtenu, ainsi que l'année précédente, la singulière faveur de rendre compte directement au roi des affaires de ce pays-là, et dans son cabinet tête à tête. Il était petit-fils de Puysieux, secrétaire d'État, fils du chancelier de Sillery, enveloppé dans sa disgrâce qui lui fit perdre sa charge, et de sa seconde femme qui était Étampes, sieur de M. de Valencey, chevalier de l'ordre en 1619, gouverneur de Montpellier, puis de Calais, et grand maréchal des logis de la maison du roi, de l'archevêque-duc de Reims, du cardinal de Valencey, de la seconde maréchale de La Châtre, tante paternelle de la maréchale d'Hocquincourt, et du grand prieur de France et ambassadeur à Rome. Elle avait un autre frère qui s'était avisé de se faire de robe, et qui, après avoir été ambassadeur aux Grisons et en Hollande, était devenu conseiller d'État, et beau-père du comte de Béthune, chevalier d'honneur de la reine et chevalier du Saint-Esprit, en son temps un personnage. Mme de Puysieux, veuve dès 1640, ne mourut qu'en 1677, à quatre-vingts ans, avec toute sa tête et sa santé. C'était une femme souverainement glorieuse, que la disgrâce n'avait pu abattre, et qui n'appelait jamais son frère le conseiller d'État que « mon frère le bâtard. » On ne pouvait avoir plus d'esprit qu'elle en avait, et quoique impérieux, plus tourné à l'intrigue. Elle haïssait mortellement le cardinal de Richelieu pour la disgrâce de son beau-père et de son mari, et elle était dans l'intime confiance de la reine. Revenue de Sillery dès 1640, cette amitié se resserra de plus en plus par les besoins et par les intrigues, en sorte que, lorsque la reine fut régente, chacun compta avec Mme de Puysieux, et y a compté tant qu'elle a vécu. Le roi et Monsieur, dans leur enfance, ne bougeaient de chez elle; dans leur jeunesse ils continuèrent à y aller, et tant qu'elle a été au monde, le roi l'a toujours singulièrement distinguée et considérée. Elle était magnifique et ruina elle et ses enfants.

On portait en ces temps-là force points de Gênes qui étaient extrêmement chers: c'était la grande parure et la parure de tout âge; elle en mangea pour cent mille écus en une année à ronger entre ses dents celle qu'elle avait autour de sa tête et de ses bras. Elle eut des fils comblés d'abbayes, une fille abbesse, une autre mariée au fils du maréchal d'Étampes, et son fils aîné, M. de Sillery, qui épousa une fille de M. de La Rochefoucauld, si connu par son esprit, et par la figure qu'il fit dans la minorité de Louis XIV. Sillery ruiné servit peu; il était fort aimable, et fort du grand monde. M. de La Rochefoucauld, son beau-frère, les retira chez lui à Liancourt où ils sont morts. Ils laissèrent plusieurs enfants, dont Puysieux, duquel je parle ici, fut l'aîné.

C'était un petit homme, fort gros et entassé, plein d'esprit, de traits et d'agréments, tout à fait joyeux, doux, poli et respectueux, et le meilleur homme du monde. Il savait beaucoup, avec goût et avec une grande modestie; il était d'excellente compagnie, et un répertoire de mille faits curieux; tout le monde l'aimait. Il servit tant qu'il put; mais M. de Louvois le prit en aversion, et l'arrêta tout court. Il était maréchal de camp, et déjà gouverneur d'Huningue, fort bien avec le roi, qui se souvenait toujours de sa grand'mère avec amitié, et d'avoir passé sa première jeunesse à jouer chez elle avec ses enfants. Après la mort de Louvois, il fut employé en haute Alsace, et fait enfin lieutenant général. Il trouva l'ambassade de Suisse tout auprès de lui et à sa bienséance. M. de La Rochefoucauld la lui obtint, et il y servit à merveille. Ses anciennes privances et M. de La Rochefoucauld lui obtinrent ces audiences du roi tête à tête à ses retours, pour lui rendre un compte direct de son ambassade, ce qui ne fut jamais accordé à nul autre. Torcy était le seul ministre que M. de La Rochefoucauld vît sur un pied d'amitié et de familiarité. Il fallait tout ce préambule pour comprendre ce qui va suivre.

Puysieux, arrivant de Suisse par congé, après le retour de Fontainebleau cette année, fut fort bien traité du roi dans l'audience qu'il en eut. Comme il avait beaucoup d'esprit et de connaissance du roi, il s'avisa tout à coup de tirer hardiment sur le temps, et comme le roi lui témoignait de l'amitié et de la satisfaction de sa gestion en Suisse, il lui demanda s'il était bien vrai qu'il fût content de lui, si ce n'était point discours, et s'il y pouvait compter. Sur ce que le roi l'en assura, il prit un air gaillard et assuré et lui répondit que pour lui il n'était pas de même, et qu'il n'était pas content de Sa Majesté. « Et pourquoi donc, Puysieux? lui dit le roi. — Pourquoi, sire? parce qu'étant le plus honnête homme de votre royaume, vous ne laissez pas pourtant de me manquer de parole depuis plus de cinquante ans. — Comment, Puysieux, reprit le roi, et comment cela? — Comment cela, sire? dit Puysieux, vous avez bonne mémoire et vous ne l'aurez pas oublié. Votre Majesté ne se souvient-elle pas qu'ayant l'honneur de jouer avec vous à colin-maillard, chez ma grand'mère, vous me mîtes votre cordon bleu sur le dos pour vous mieux cacher au colin-maillard, et que lorsque après le jeu je vous le rendis, vous me promîtes de m'en donner un quand vous seriez le maître; il y a pourtant longtemps que vous l'êtes, et bien assurément, et toutefois ce cordon bleu est encore à venir. » Le roi s'en souvint parfaitement, se mit à rire, et lui dit qu'il avait raison; qu'il lui voulait tenir parole et qu'il tiendrait un chapitre exprès avant le premier jour de l'an pour le recevoir ce jour-là. En effet, le jour même il en indiqua un pour le chapitre et dit que c'était pour Puysieux. Ce fait n'est pas important, mais il est plaisant. Il est tout à fait singulier avec un prince aussi sérieux et aussi imposant que Louis XIV; et ce sont de ces petites anecdotes de cour qui ont leur curiosité.

En voici une plus importante et de laquelle l'État se sent encore. Pontchartrain, secrétaire d'État de la marine, en était le fléau, comme de tous ceux qui étaient sous sa cruelle dépendance. C'était un homme qui avait de l'esprit, du travail, de l'adresse; mais gauche à tout, désagréable et pédant à l'excès, volontiers le précepteur grossier de tout le monde; suprêmement noir, et aimant le mal précisément pour le mal; jaloux jusque de son père, qui s'en plaignait amèrement à ses plus intimes amis; tyran cruel jusque de sa femme qui, avec beaucoup d'esprit, était l'agrément, la douceur, la complaisance, la vertu même et l'idole de la cour; barbare jusqu'avec sa mère; un monstre, en un mot, qui ne tenait au roi que par l'horreur de ses délations de son détail de Paris, et une malignité telle qu'elle avait presque rendu d'Argenson bon. Un amiral était sa bête, et un amiral bâtard du roi son bourreau. Il n'y avait rien qu'il n'eût fait contre sa charge et pour l'empêcher de la faire; point d'obstacles qu'il n'eût semés sur son chemin; rien qu'il n'eût employé pour l'empêcher de commander la flotte, et, après, pour rendre cette flotte inutile, comme il y avait réussi l'année précédente de celle-ci. Il lui disputa tous ses honneurs, toutes ses distinctions, ses pouvoirs encore davantage, et lui en fit retrancher des uns et des autres qui, par leur nature et par leur exemple, ne pouvaient être et n'avaient pas été contestés.

Cela fut hardi contre un fils de la personne bien plus que si c'eût été contre un fils de France; mais il sut prendre le roi par son faible, balancer le père naturel par le maître, s'identifier avec le roi, et lui persuader qu'il ne s'agissait de l'autorité qu'entre le roi et l'amiral. Ainsi le fils de l'amour disparut aux yeux d'un maître, toujours maître de préférence infinie à tout autre sentiment. Sous ce voile, le secrétaire d'État le fut entièrement, et nourrit le comte de Toulouse de contretemps pour le faire échouer, et de dégoûts à le mettre au désespoir, sans qu'il pût que très légèrement se défendre. Ce fut un spectacle public à la mer, et dans les ports où la flotte toucha, qui indigna toute la marine, où Pontchartrain était abhorré, et le comte adoré par son accès facile, sa douceur, sa libéralité, son application, sa singulière équité. Le maréchal de Cœuvres, M. d'O et tous les autres chefs de degré ou de confiance ne furent pas mieux traités, tellement qu'ils excitèrent tous le comte à ce qu'ils s'étaient déjà proposé, qui était de perdre Pontchartrain en arrivant, pour montrer au net les contretemps et leurs suites, et le secrétaire d'État comme l'auteur de malices méditées, et de là, par effort de crédit auprès du roi. Il fallait l'audace de Pontchartrain pour s'être mis en ce danger, prévu et déploré souvent et inutilement par son sage père, par sa mère et par sa femme. L'ivresse dura jusqu'au retour du comte de Toulouse que la famille fut avertie de toutes parts de l'orage, et Pontchartrain lui-même par l'accueil qu'il reçut de l'amiral et des principaux de la flotte. Aussi abject dans le danger qu'audacieux dans la bonace, il tenta tout à la fois pour prévenir sa chute, et n'en remporta que des dédains.

Enfin, le jour venu où le comte devait travailler seul à fond avec le roi pour lui rendre un compte détaillé de son voyage, et de tout faire pour perdre Pontchartrain, sa femme prit sur sa modestie et sur sa timidité naturelle de l'aller trouver chez Mme la duchesse d'Orléans, et le forcer à entrer seul avec elle dans un, cabinet. Là, fondue en larmes, reconnaissant tous les torts de son mari, exposant quelle serait sa condition à elle s'il était perdu selon ses mérites, elle désarma l'amiral et en tira parole de tout oublier, pourvu qu'à l'avenir le secrétaire d'État ne lui donnât pas lieu de rappeler l'ancien avec le nouveau. Il avoua qu'il n'avait jamais pu résister à la douceur et à la douleur de Mme de Pontchartrain, et que, quelque résolution qu'il eût faite, les armes lui étaient tombées des mains, en considérant quel serait le malheur de cette pauvre femme entre les mains d'un cyclope furieux de sa chute, qui n'aurait plus rien à faire dans son délaissement que de la tourmenter. Ce fut ainsi que Pontchartrain fut sauvé, mais il en coûta cher à l'État. La peur qu'il eut de succomber sous la gloire ou sous la vengeance d'un amiral fils du roi le détermina à perdre lui-même la marine, pour la mettre hors d'état de revoir l'amiral à la mer. Il se le promit et se tint exactement parole; cela ne fut que trop bien vérifié depuis par les faits, et que les débris de la marine ne l'appauvrirent pas. Le comte de Toulouse ne revit plus ni ports ni vaisseaux, et il ne sortit depuis que de très faibles escadres, et le plus rarement qu'il se put. Pontchartrain eut l'impudence de s'en applaudir devant moi.

Au commencement de novembre, mourut, sur la frontière de Flandre, un homme qui fit plaisir à tous les siens: ce fut Caylus, frère de celui d'Espagne et de l'évêque d'Auxerre, cousin germain d'Harcourt, qui avait épousé la fille de Villette, lieutenant général des armées navales, cousin germain de Mme de Maintenon qui avait toujours pris soin d'elle comme de sa propre nièce. Jamais un visage si spirituel, si touchant, si parlant, jamais une fraîcheur pareille, jamais tant de grâces ni plus d'esprit, jamais tant de gaieté et d'amusement, jamais de créature plus séduisante. Mme de Maintenon l'aimait à ne se pouvoir passer d'elle, au point de fermer les yeux sur une conduite que Mme de Montchevreuil avait autrefois trop éclairée, et qui, n'étant pas devenue meilleure dans le fond, avait encore des saillies trop publiques. Son, mari, blasé, hébété depuis plusieurs années de vin et d'eau-de-vie, était tenu à servir, hiver et été, sur la frontière pour qu'il n'approchât ni de sa femme ni de la cour. Lui aussi ne demandait pas mieux, pourvu qu'il fût toujours ivre. Sa mort fut donc une délivrance dont sa femme et ses plus proches ne se contraignirent pas de la trouver telle. Mme de Maintenon se tint toujours dans la chambre de cette belle à son mariage à recevoir les visites; et la princesse d'Harcourt, servante à tout faire, chargée des honneurs à tout ce qui y venait. Mme de Caylus s'échappait tant qu'elle pouvait chez Mme la Duchesse, où elle trouvait à se divertir. Elle aimait le jeu sans avoir de quoi le soutenir, encore mieux la table, où elle était charmante; elle excellait dans l'art de contrefaire, et surpassait les plus fameuses actrices à jouer des comédies; elle s'y surpassa à celles d'Esther et d'Athalie devant le roi. Il ne la goûta pourtant jamais et fut toujours réservé, même sévère avec elle; cela surprenait et affligeait Mme de Maintenon. Je me suis étendu sur Mme de Caylus, qui, après de longs revers, fit enfin une sorte de personnage. Ce revers était arrivé; plusieurs imprudences en furent cause. Il y avait trois ou quatre ans qu'elle était chassée de la cour et réduite à demeurer à Paris.

Le feu roi, qui n'aimait la dignité que pour lui et qui aimait la majesté de sa cour, regrettait toujours celle des cercles de la reine sa mère, parmi lesquels il avait été nourri et dont la splendeur finit avec elle. Il essaya de les soutenir chez la reine sa femme, dont la bêtise et l'étrange langage les éteignirent bientôt. Le roi, qui ne s'en pouvait départir, les releva du temps de Mme la Dauphine, après la mort de la reine. Elle avait l'esprit, la grâce, la dignité et la conversation très propres à cette sorte de cour. Mais les incommodités de ses fréquentes grossesses, celles des longues suites de ses couches, la longue maladie qui dura depuis la dernière jusqu'à sa mort, les interrompirent bientôt. L'excessive jeunesse, pour ne pas dire l'enfance, de Mme la duchesse de Bourgogne, ne permit pas d'y penser depuis son arrivée jusqu'en ce temps-ci que le roi, toujours touché des cercles, la crut assez formée pour les tenir. Il voulut donc que tous les mardis, qui est le jour que tous les ministres étrangers sont à Versailles, Mme la duchesse de Bourgogne dînât seule, servie par ses gentilshommes servants; qu'il y eût, à son dîner, force dames assises et debout; et qu'ensuite elle tint un cercle où Mme la duchesse d'Orléans, les princesses du sang et toutes les dames assises et debout se trouvassent avec tous les seigneurs de la cour. Cet ordre commença à s'exécuter de la sorte à la mi-novembre de cette année, et se continua quelque temps; mais la représentation sérieuse, et l'art d'entretenir et de faire entretenir un si grand monde, n'était pas le fait d'une princesse vive, timide en public, et encore bien jeune. Peu à peu elle en brûla et à la fin ils cessèrent sans qu'ils aient été rétablis depuis.

Le duc de Berwick avait appris son rappel étant à la tête de son armée en présence des ennemis; il avait continué à donner ses ordres sans la moindre émotion. Ils trouvèrent moyen de se retirer en lieu où ils ne purent être attaqués; alors Berwick rendit publique la nouvelle qui le regardait, comme s'il n'eût pas été question de lui. Outre qu'il était froid et naturellement silencieux, fort maître de soi et grand courtisan, peut-être que, content d'avoir dépassé les lieutenants généraux par le commandement en chef d'une armée, il regretta peu un pays où il avait trouvé tant de mécomptes et une cour si passionnée, où il n'y avait de salut ni de résolution que par la reine, et par l'esprit absent de la princesse des Ursins. Tessé et lui se rencontrèrent arrivant à Madrid chacun de son côté. Ils conférèrent, et Berwick prit aussitôt congé et salua le roi à Versailles, le 3 décembre.

Le marquis de Charost et les ducs, ses père et grand-père, vinrent dîner dans ma chambre à Marly, où il y avait longtemps que je retournais, venant faire signer au roi le contrat de mariage du marquis de Charost et de la fille, devenue héritière, de la duchesse de Choiseul, soeur de l'ancien évêque de Troyes Bouthillier retiré, de la maréchale de Clérembault, etc., et de son premier mari Brûlart, mort premier président du parlement de Dijon. C'est elle que nous voyons remariée au duc de Luynes et dame d'honneur de la reine, lorsque la maréchale de Boufflers, qui l'avait été malgré elle, remit cette place et se retira à Paris.

La bonne femme Gamaches, veuve du chevalier de l'ordre, mère de Cayeux, qui alors prit le nom de Gamaches, mourut à plus de quatre-vingts ans. Elle était fille et sœur des deux Brienne-Loménie, secrétaires d'État, et tante paternelle de sa belle-fille. C'était une femme aimable, de beaucoup d'esprit toute sa vie, fort du grand monde, et qui conserva sa tête, sa santé et des amis jusqu'à la fin. Elle avait été amie intime de Mme de Longueville, depuis son dernier retour, et dans la plus étroite confiance de la princesse de Conti Martinozzi. J'ai ouï conter à mon père que toutes les semaines, à jour pris, elles venaient toutes les deux dîner chez sa première femme, la meilleure amie qu'eut la princesse de Conti, que mon père allait ce jour-là dîner chez ses amis, et qu'elles dînaient toutes trois la clochette sur la table et passaient ensemble le reste du jour. Toutes deux alors étaient fort belles, J'en ai trouvé, à la Ferté, deux petits portraits en pied de ce temps-là en pendants d'oreilles les plus agréables du monde que j'ai conservés avec soin.

Enfin le vieux duc de Gesvres mourut aussi et délivra sa famille d'un cruel fléau. Il n'avait songé qu'à ruiner ses enfants et y avait parfaitement réussi. J'ai assez parlé de cette espèce de monstre pour n'avoir rien à y ajouter. Le duc de Tresmes avait, depuis longtemps, la survivance de sa charge et de la capitainerie de Monceaux; il eut le lendemain de cette mort le gouvernement de Paris.

Le président Payen, homme d'esprit, de bonne compagnie, et qui était assez parmi le grand monde et les gens de la cour, était en ce temps-ci chez Armenonville à Rambouillet, qu'il vendit depuis au comte de Toulouse, sortit un moment avant souper hors la cour, apparemment pour quelque nécessité; et comme il avait de gros yeux sortants qui voyaient fort peu, il tomba dans le fossé, où on le trouva mort, la tête cassée sur la glace; il fut fort regretté. Le roi l'avait chargé de gouverner les abbayes du grand prieur, et lui donnait deux mille livres de pension. Il était vieux et point marié.

Bouligneux, lieutenant général, et Wartigny, maréchal de camp, furent tués devant Verue; deux hommes d'une grande valeur, mais tout à fait singuliers. On avait fait l'hiver précédent plusieurs masques de cire de personnes de la cour, au naturel, qui les portaient sous d'autres masques, en sorte qu'en se démasquant on y était trompé en prenant le second masque pour le visage, et c'en était un véritable tout différent dessous; on s'amusa fort à cette badinerie. Cet hiver-ci on voulut encore s'en divertir. La surprise fut grande lorsqu'on trouva tous ces masques naturels, frais et tels qu'on les avait serrés après le carnaval, excepté ceux de Bouligneux et de Wartigny, qui, en conservant leur parfaite ressemblance, avaient la pâleur et le tiré de personnes qui viennent de mourir. Ils parurent de la sorte à un bal, et firent tant d'horreur qu'on essaya de les raccommoder avec du rouge, mais le rouge s'effaçait dans l'instant, et le tiré ne se put rajuster. Cela m'a paru si extraordinaire que je l'ai cru digne d'être rapporté; mais je m'en serais bien gardé aussi, si toute la cour n'avait pas été comme moi témoin, et surprise extrêmement et plusieurs fois, de cette étrange singularité. À la fin on jeta ces deux masques.

Le 18 octobre mourut à Paris la duchesse d'Aiguillon, soeur du duc de Richelieu, qui ne fut jamais mariée. C'était une des plus extraordinaires personnes du monde, avec beaucoup d'esprit. Elle fut un mélange de vanité et d'humilité, de grand monde et de retraite, qui dura presque toute sa vie; elle se mit si mal dans ses affaires, qu'elle raccommoda depuis, qu'elle cessa d'avoir un carrosse et des chevaux. Elle aurait pu, quand elle voulait sortir, se faire mener par quelqu'un ou se faire porter en chaise. Point du tout, elle allait dans ces chaises à roue qu'on loue, qu'un homme traîne et qu'un petit garçon pousse par derrière, qu'elle prenait au coin de la rue. En cet équipage, elle s'en alla voir Monsieur, qui était au Palais-Royal, et dit à son traîneur d'entrer. Les gardes de la porte le repoussèrent; il eut beau dire ce qu'il voulut, il ne put les persuader. Mme d'Aiguillon laissait disputer en silence. Comme elle se vit éconduite, elle dit tranquillement à son pousseur de la mener dans la rue Saint-Honoré; elle y arrêta chez le premier marchand de drap, et se fit ajuster à sa porte une housse rouge sur sa vinaigrette, et tout de suite retourna au Palais-Royal. Les gardes de la porte, bien étonnés de voir cet ornement sur une pareille voiture, demandèrent ce que cela voulait dire. Alors Mme d'Aiguillon se nomma, et avec autorité ordonna à son pousseur d'entrer. Les gardes ne firent plus de difficultés, et elle alla mettre pied à terre au grand degré. Tout le Palais-Royal s'y assembla; et Monsieur, à qui on le conta, se mit à la fenêtre, et toute sa cour, pour voir cette belle voiture houssée. Mme d'Aiguillon la trouva si à son gré qu'elle y laissa sa housse, et s'en servit plusieurs années, ainsi houssée, jusqu'à ce qu'elle pût remettre son carrosse sur pied. Elle prit et quitta plusieurs fois le voile blanc aux filles du Saint-Sacrement de la rue Cassette, à qui elle fit de grands biens, et dont elle faisait fort la supérieure, sans avoir pu se résoudre à y faire profession; et elle le portait depuis plusieurs années, lorsqu'elle mourut dans ce monastère à près de soixante-dix ans. Elle avait encore beaucoup de bien et ne se remaria jamais.

Le marquis de Richelieu, fils de son frère, et cadet du duc de Richelieu, était un homme obscur, ruiné, débauché, qui avait été longtemps hors du royaume pour avoir enlevé des filles Sainte-Marie de Chaillot, une fille du duc Mazarin, qui s'est depuis rendue fameuse par les désordres et les courses de sa vie errante, belle comme le jour. C'était un homme enterré dans la crapule et la plus vile compagnie, quoique avec beaucoup d'esprit, et qu'on ne voyait ni ne rencontrait jamais nulle part. On l'annonça à Marly à Pontchartrain, comme nous allions nous mettre à table chez lui pour souper. Toute la compagnie en fut extrêmement surprise; on jugea qu'il lui était survenu quelque affaire bien pressante, pour laquelle il était permis à tout le monde de venir à Marly, par les derrières, chez le ministre à qui on avait à parler, en s'en allant après tout de suite et ne se montrant point. Tandis que Pontchartrain était allé lui parler, j'imaginai que Mme d'Aiguillon était morte, qu'il venait pour faire parler au roi sur le duché, conséquemment qu'il n'y avait ou point de droit, ou un droit litigieux; parce qu'un fils de duc, ou un héritier nécessaire, dont le droit est certain est duc d'abord, ne demande aucune permission pour en prendre le nom et le rang, et vient seulement, comme tout autre homme de qualité, faire sa révérence au roi, etc., en manteau long, s'il ne demande la permission de se dispenser de cette cérémonie, comme fait maintenant presque tout le monde, depuis la prostitution des manteaux longs à toutes sortes de gens. En effet, Pontchartrain, de retour, nous dit que la duchesse d'Aiguillon était morte, qu'elle avait fait le marquis de Richelieu son héritier, et qu'il venait le prier d'obtenir du roi la permission d'être duc et pair.

Le roi, à qui il en rendit compte le lendemain, lui ordonna de mander au marquis de Richelieu d'instruire le chancelier de sa prétention, avec lequel Sa Majesté l'examinerait à son retour à Versailles, qui fut peu de jours après. Le fait est que le cardinal de Richelieu avait obtenu, en 1638, une érection nouvelle d'Aiguillon en duché-pairie mâle et femelle, pour sa chère nièce de Combalet et ses enfants, etc., si elle se remariait, car elle était veuve sans enfants d'un Beauvoir du Roure, avec la clause inouïe, devant et depuis cette érection; en cas qu'elle n'eût point d'enfants, de choisir qui bon lui semblerait pour lui faire don du duché d'Aiguillon, en vertu duquel dont la personne choisie serait duc ou duchesse d'Aiguillon et pair de France, dont la dignité et la terre passerait à la postérité. Mme de Combalet, dès lors duchesse d'Aiguillon, et en portant le nom, mourut en 1675 sans s'être remariée, et fit un testament, par lequel elle exerça le pouvoir que lui donnait cette clause en faveur de sa nièce, fille de son frère, non mariée, qui en conséquence fut sans difficulté duchesse d'Aiguillon, pair de France, et en porta le nom. Mme de Combalet, que je continue d'appeler ainsi pour la distinguer de sa nièce, fit une longue substitution par son testament du duché d'Aiguillon et de tous ses biens, par laquelle elle ne fait aucune mention de sa dignité qu'en faveur de sa nièce, n'en dit pas un mot sur aucun autre appelé après elle, si elle meurt sans enfants, à la terre et duché d'Aiguillon, d'où je conclus, dans le mémoire que je fis pour le chancelier : 1° Que les lois qui sont exceptions ou extensions du droit commun se prennent à la rigueur, et précisément à la lettre; que la clause extraordinaire et inouïe de choix en faveur de Mme de Combalet n'en porte qu'un et non davantage, encore moins l'étend-elle à la personne par elle choisie pour avoir droit comme elle de faire un nouveau choix à faute d'enfants; 2° ce choix a été fait et consommé par Mme de Combalet en faveur de Mme d'Aiguillon sa nièce, et il a eu tout son effet; 3° que Mme d'Aiguillon, à faute d'enfants, n'a aucun droit de choix, ni de laisser à personne sa dignité, éteinte en elle faute de postérité; 4° que Mme de Combalet, pour qui la clause de choix a été faite, a tellement senti qu'elle n'était que pour elle, et que son choix à elle ne se pouvait répéter par la personne choisie par elle, ni par elle-même Mme de Combalet après le premier, que dans toute l'étendue de sa substitution elle n'a énoncé sa dignité avec le duché d'Aiguillon qu'en faveur de sa nièce; et toutes les fois qu'elle a appelé après elle d'autres substitués au duché d'Aiguillon elle n'a jamais fait la moindre mention de la dignité, mais uniquement de la possession de la terre; 5° que le choix est consommé dans la personne de Mme d'Aiguillon; qu'elle n'a aucun titre pour en faire un autre; que la clause insolite a sorti son effet et n'a plus d'existence; que Mme d'Aiguillon, morte fille, par conséquent sans postérité, peut disposer de la terre et duché d'Aiguillon comme de ses autres biens, mais non de sa dignité qui est éteinte par le droit commun qui reprend toute sa force sitôt qu'il n'y a plus de loi expresse qui en excepte; 6° que le marquis de Richelieu peut être seigneur et possesseur du duché d'Aiguillon, soit comme appelé à cette substitution par Mme de Combalet sa grand'tante, soit comme héritier testamentaire de Mme d'Aiguillon sa tante, mais qu'il ne peut jamais recueillir d'elle la dignité de duc et pair d'Aiguillon.

Les ducs de La Trémoille, La Rochefoucauld et autres en parlèrent au chancelier, comme s'opposant aux prétentions du marquis de Richelieu. Je fis mon mémoire en peu d'heures, je le lus au chancelier et le lui laissai. Il avait les pièces du marquis de Richelieu, et l'avait amplement entretenu. Il rapporta au roi cette affaire qui tint une partie de la matinée du lendemain, sans tiers entre le roi et lui, et il en reçut l'ordre de rendre au marquis de Richelieu ses papiers, de lui défendre de sa part de prendre le nom et les marques de duc, d'en prendre aucun rang ni honneurs, ni d'en faire aucunes poursuites dans quelque tribunal que ce pût être. La chose en demeura là jusqu'en 1711 qu'elle n'eut pas un meilleur succès. Il sera temps alors de dire ce qu'elle est devenue depuis.

Denonville, qui avait été sous-gouverneur de Mgr le duc de Bourgogne, et qui avait marié son malheureux fils à la fille de Lavienne, premier valet de chambre du roi, qu'il n'a pas rendue heureuse, fit tant auprès du roi qu'il permit qu'il vînt tâcher de se justifier de sa belle harangue de Bleinheim. Le duc de Marlborough lui donna aussitôt un congé de quelques mois. Il était revenu de ses voyages d'Allemagne en Hollande, où il avait fait venir le maréchal de Tallard et tous les prisonniers considérables. Il les fit embarquer avec lui pour orner le triomphe de son retour en Angleterre.

Villars, qui avait à peu près vu finir l'affaire des fanatiques, tenait par commission les états de Languedoc. Il eut ordre de revenir à Paris, et le duc de Berwick d'aller commander dans cette province après la fin des États et le retour du maréchal de Villars. Ce fut par où finit cette année. On ne voulut pas laisser Berwick sans un emploi principal en chef, après la conduite qu'il avait eue en Espagne, et la façon dont il en était revenu.

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