NOTE III. ÉVOCATIONS; ENREGISTREMENT; DROIT DE REMONTRANCES.

Saint-Simon parle souvent, et notamment page 422 de ce volume, des évocations, du droit d'enregistrement et de remontrances. Il ne sera pas inutile de préciser pour le lecteur moderne le sens de ces expressions.

Les évocations étaient des actes de l'autorité supérieure qui enlevait la connaissance d'une affaire aux juges naturels pour l'attribuer à un autre tribunal. Tantôt c'était le souverain, tantôt c'étaient les tribunaux supérieurs qui évoquaient le jugement d'un procès. Les évocations étaient souvent un moyen de favoriser un personnage en le renvoyant devant un tribunal où il avait plus d'influence. Aussi la célèbre ordonnance de Moulins, rendue en 1566, déclare-t-elle qu'une évocation ne pourrait avoir lieu qu'en vertu d'une ordonnance du roi contresignée par les quatre secrétaires d'État. On autorisait les parlements à faire des remontrances pour s'opposer provisoirement à l'exécution de l'ordonnance d'évocation, et, provisoirement, la partie en faveur de laquelle avait été prononcée l'évocation devait se constituer prisonnière.

Le droit d'enregistrement est un exemple frappant des abus qui se glissent à la faveur d'un mot ou d'un usage, et qui peu à peu deviennent lois constitutives d'un État. De la coutume de transcrire sur des registres les actes royaux est venue la prétention du parlement d'exercer sur ces mêmes actes un contrôle qui se traduisait quelquefois par le refus de l'enregistrement. Il fallait alors que le roi vînt en personne au parlement pour forcer les magistrats de transcrire la loi sur leurs registres. Il est nécessaire de rappeler les origines et les vicissitudes de cette prétention des parlements.

Avant le règne de saint Louis, il n'est pas question de registres sur lesquels on inscrivît les ordonnances des rois ou les arrêts des tribunaux. On les écrivait sur des feuilles de parchemin que l'on roulait et que l'on déposait dans le trésor des chartes. Pour constater l'authenticité d'un acte, on ne disait pas qu'il avait été enregistré ou inscrit sur les registres du parlement, mais qu'il avait été placé dans le dépôt des actes publics (depositus inter acta publica). Étienne Boileau, prévôt de Paris sous le règne de saint Louis, fut le premier qui fit transcrire sur des registres les actes de sa juridiction. Le parlement de Paris fit faire, vers le même temps, un recueil de ses arrêts, connu sous le nom d'Ohm, et qui a été publié dans le recueil des Documents inédits relatifs à l'histoire de France. Au commencement du XIVe siècle, le même corps fit dresser un registre des ordonnances royales qui devaient servir de règle à ses jugements. L'ordonnance, après avoir été lue en présence de la cour, était transcrite sur les registres du parlement. Dès 1336, on trouve au bas d'une ordonnance de Philippe de Valois la formule suivante: « Lu par la chambre et enregistré par la cour de parlement dans le livre des ordonnances royales. » (Lecta per cameram, registrata per curiam parliamenti in libro ordinationum regiarum.)

De cet usage de la transcription sur ses registres, le parlement passa, au commencement du XVe siècle, au droit de soumettre à son contrôle et même de rejeter une ordonnance royale. Pendant les troubles du règne de Charles VI, le parlement, devenu permanent, prétendit qu'il avait le droit de refuser l'enregistrement d'une ordonnance royale; il la frappait ainsi de nullité et n'en tenait aucun compte dans ses arrêts. Même sous Louis XI, en 1462, le parlement de Paris refusa d'enregistrer un don fait par le roi au duc de Tancarville; il fallut un ordre exprès de Louis XI pour l'y contraindre. Dans la suite, toutes les fois que la royauté rencontra dans le parlement une résistance de cette nature, elle en triompha par une ordonnance spéciale, et alors, en mentionnant l'enregistrement, on ajoutait la formule: Du très exprès commandement du roi. Souvent même, pour vaincre l'opposition des parlements, les rois allèrent y tenir des lits de justice, où ils faisaient enregistrer les ordonnances en leur présence.

Le droit de remontrances était étroitement lié à celui d'enregistrement et datait du même temps. Avant de céder aux ordres du roi, le parlement lui adressait de très humbles remontrances, pour lui exposer les motifs qui l'avaient engagé à surseoir à l'enregistrement de tel ou tel édit. L'ordonnance de Moulins, tout en reconnaissant au parlement le droit de présenter des remontrances, déclara qu'elles ne pourraient surseoir à l'exécution des édits. Même réduit à ces limites, ce privilège des parlements parut encore redoutable à Louis XIV. Par sa déclaration du 24 février 1673, il régla la forme dans laquelle devaient être enregistrés les édits et lettres patentes émanés de l'autorité royale. Le parlement ne conservait le droit de remontrances que pour les actes qui concernaient les particuliers. Ainsi jusqu'à la fin du règne de Louis XIV, le droit de remontrances sur les matières politiques resta suspendu; mais la déclaration du 15 septembre 1715 la rendit aux parlements, et les lettres patentes du 26 août 1718 en réglèrent l'usage.

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