NOTE II. BARTET, SON AVENTURE AVEC LE DUC DE CANDALE, SES LETTRES À MAZARIN.

Saint-Simon parle (p. 120 de ce volume) de l'aventure de Bartet avec le duc de Candale, mais sans entrer dans aucun détail. Comme ses assertions ne sont pas toutes exactes, il ne sera pas inutile de faire connaître Bartet et l'aventure à laquelle Saint-Simon fait allusion. Bartet était Béarnais, et fils d'un paysan. Son esprit, au-dessus de sa condition, fit sa fortune: il alla à Rome, s'attacha à Casimir Vasa, qui devint roi de Pologne, et se fit nommer son résident en France [39] . Plus tard il devint un des principaux agents de Mazarin. Pendant l'exil du cardinal, il lui portait les dépêches de la reine Anne d'Autriche et rapportait les réponses de Mazarin. La faveur dont Bartet jouit à la cour, lorsque le cardinal eut triomphé de ses ennemis et affermi sa puissance, lui inspira une vanité qui le rendit ridicule et odieux. Il ne craignit pas d'entrer en lutte avec de grands seigneurs, et entre autres avec le duc de Caudale, fils du duc d'Épernon.

Le duc de Candale était un des seigneurs de cette époque les plus renommés pour sa beauté, sa magnificence et l'éclat de ses aventures. Bartet, son rival en amour, dit devant plusieurs témoins que, si l'on ôtait au duc de Candale ses grands cheveux, ses grands canons [40] , ses grandes manchettes et ses grosses touffes de galants [41] , il serait moins que rien, et ne paraîtrait plus qu'un squelette et un atome [42] . Le duc de Candale, instruit de cette insolence, s'en vengea avec une audace qui peint l'époque, et montre combien les grands seigneurs se croyaient au-dessus des lois. Il envoya un de ses écuyers, à la tête de onze hommes, arrêter en plein jour la voiture de Bartet, dans la rue Saint-Thomas du Louvre. On ne lui donna pas la bastonnade, comme dit. Saint-Simon, mais pendant qu'une partie des gens du duc de Candale arrêtaient les chevaux de Bartet, et menaçaient son cocher de leurs pistolets, d'autres entrèrent dans le carrosse, et, armés de ciseaux, lui coupèrent la moitié des cheveux et de la moustache, et lui arrachèrent son rabat, ses canons et ses manchettes. Le jour même de cette aventure (28 juin 1655), Bartet envoya son frère à Mazarin avec la lettre suivante [43]  :

« Je dépêche mon frère à Votre Éminence pour lui rendre compte d'une malheureuse affaire qui m'est survenue à ce matin. Je sortais à dix heures de chez M. Ondedei [44] , à qui je n'avais point parlé, parce qu'il était avec M. l'évêque d'Amiens, et m'en allais dans mon carrosse avec deux petits laquais derrière. À l'entrée de la rue Saint-Thomas du Louvre, du côté du quai, j'ai vu venir à moi quatorze hommes à cheval, avec quelques valets à pied, tous armés d'épées, et de pistolets, et de poignards, qui ont crié à mon cocher qu'il arrêtât. J'ai titré la tête à la portière, et ai cru d'abord qu'ils me prenaient pour un autre, ne me sachant aucune méchante affaire; mais les ayant reconnus pour être des valets de chambre et des parents d'un conseiller de la province dont je suis [45] , avec qui j'ai une querelle de famille il y a plus de dix ou douze ans, je n'ai plus douté qu'ils ne fussent là pour m'assassiner. Je leur ai donc demandé, comme ils sont venus à moi le pistolet et le poignard à la main, s'ils voulaient me tuer, et leur ai dit même qu'ils me trouvaient en fort méchante condition; mais deux d'entre eux sont montés dans mon carrosse, et ayant tiré des ciseaux, m'ont coupé le côté droit de mes cheveux, et m'ont arraché un canon, et s'en sont allés sans ajouter aucune voie de fait à cet outrage.

« Comme mes laquais, mon cocher, un de mes amis familiers qui était dans mon carrosse, et moi, les avons reconnus pour être des gens de mon pays, amis, parents et serviteurs de celui avec qui j'ai cette vieille querelle dont je viens de parler à Votre Éminence, je me suis retiré chez moi, et d'abord me suis pourvu par les voies de la justice, comme plus propres à ma profession, et plus conformes même à mon naturel. Je supplie donc Votre Éminence, Monseigneur, que je demeure encore ici peut-être quinze jours, qu'il faudra que j'emploie à faire achever les informations, qui sont déjà commencées, et mettre ma poursuite en état qu'elle puisse aller son chemin par les formes de la justice en mon absence. Ainsi, je supplie encore Votre Éminence qu'il lui plaise d'ordonner à M. de Langlade qu'il serve ce commencement de mon quartier jusqu'à mon arrivée.

« Je demanderais à Votre Éminence la puissance de sa protection, si celle de la justice ordinaire ne suffisait pas, et si je ne croyais trouver au moins autant d'amis et de considération dans Paris qu'un homme de province qui est réduit à des assassins et à un assassinat. Il ne me reste donc qu'à demander en grâce à Votre Éminence qu'elle croie que je ne puis pas rien oublier au monde, de quelque nature que puissent être, des moyens honnêtes et légitimes pour la réparation de mon honneur, et pour venger un outrage dont l'impunité me rendrait méprisable dans le monde, et bien indigne de l'honneur que j'ai d'être au roi par la libéralité de la reine et celle de Votre Éminence qui l'a produite, de celui que j'ai encore d'être ministre du roi de Pologne, et d'être cru au point que je le suis serviteur de Votre Éminence, et sous votre protection particulière en cette qualité-là.

« Je ne suis pas si embarrassé de mon affaire que je ne pense encore rendre compte à Votre Éminence des siennes dont j'ai connaissance; mais je sais que M. Ondedei est à la source des choses et des personnes, et qu'il n'oublie rien pour les faire et les dire à Votre Éminence. Ainsi, Monseigneur, j'en demeurerai là présentement, et n'ajouterai plus rien à celte présente importunité que les protestations les plus fidèles du monde que je lui fais de vivre et de mourir,

« Monseigneur,

« De Votre Éminence,

« Le très humble, très obéissant, très fidèle

« et très obligé serviteur,

« Bartet »

Bartet ne tarda pas à connaître l'auteur véritable de cet attentat, comme le prouve la lettre qu'il écrivait à Mazarin le 1er juillet 1655 [46]  :

« Monseigneur,

« Il m'est arrivé un bien plus grand malheur que celui dont je rendis compte à Votre Éminence, avant-hier, par mon frère, puisque c'est M. de Candale qui dit avoir commandé l'assassinat que je croyais avoir été fait en moi par ce conseiller de ma province avec qui j'ai une querelle de famille. Il faut bien, Monseigneur, que mes ennemis l'aient emporté sur son esprit d'un artifice bien terrible, et qu'ils l'aient circonvenu bien cruellement pour moi, puisqu'ils lui ont persuadé divers discours qu'ils m'attribuent avec une si injuste précipitation, qu'ils ne lui ont pas seulement laissé le temps de les examiner, de les vérifier et de les tenir pour établis dans le monde. Ç'a donc été par ses propres domestiques et par d'autres gens de mon pays que je fus assassiné avant-hier, en la manière que j'ai pris la liberté de l'écrire à Votre Éminence.

« Dans la première interprétation de mes assassins et de mon assassinat, je ne demandais point à Votre Éminence une protection particulière, parce que la qualité de l'action même, celle de mon ennemi prétendu, et la justice ordinaire, m'en donnaient une assez puissante; mais aujourd'hui qu'un homme de la puissance, pour ainsi dire, et de la qualité de M. de Candale, se vante publiquement de m'avoir fait assassiner, je n'ai presque point de protection à espérer après celle des lois, si le roi ne m'en donne une particulière par la faveur de Votre Éminence, par laquelle Sa Majesté laisse faire la justice ordinaire de sou royaume, et comme son sujet, et comme ayant l'honneur d'être son domestique, et encore résident à sa cour d'un roi étranger, qui me couvre du droit des gens, si inviolable en toutes les cours du monde.

« M. de Caudale se plaint de trois choses présentement, dont il ne m'a jamais fait faire de plaintes par aucun homme du monde. La première, et qui est celle sur laquelle il a réglé l'assassinat commis par ses gens, est que j'ai dit, parlant de lui, que, si on lui ôtait ses canons, sa petite oie [47] et ses cheveux, il serait comme un autre homme. Je réponds à cela qu'il n'y a homme au monde qui me le puisse maintenir, parce que la vérité est, comme devant Dieu, que je ne l'ai jamais dit. J'ajoute encore que faire assassiner les gens sur un on dit qu'on n'établit point, et dont il ne pourra jamais donner de preuve, est une manière de se faire justice à soi-même qui n'est pratiquée en aucun lieu de la terre; et personne ne trouve que, quand la chose serait comme il l'a bien voulu croire, il en peut être si implacablement offensé que de se résoudre à me faire assassiner en plein jour, dans Paris, par des gens reconnus à lui, à la face des lois et des magistrats, dans les rues.

« Il se plaint encore que je lui ai parlé chez M. de Nouveau [48] , il y a un mois, avec irrévérence (c'est le mot dont il se sert). Cela est si vague et si général qu'il n'y a point d'irrévérence qu'on ne se puisse forger tous les jours: mais celui-là en fut un auquel, sur la définition d'un mot français, vingt personnes de la cour, et M. de Nouveau même, qui y étaient, savent qu'on ne peut pas parler avec plus de révérence que je fis [49] .

« Il ajoute que j'ai fait depuis quelque temps à Votre Éminence des discours fort désavantageux de lui; sur quoi je n'ai rien à alléguer pour ma justification que les témoignages propres de Votre Éminence, que je ne subornerai point en ma faveur.

« Voilà, Monseigneur, les trois sujets de mon assassinat dans la propre bouche de M. de Candale, qui hier, devant tout ce qu'il y a ici de gens de qualité, fit venir dans une maison un des assassins, et lui ayant fait conter l'assassinat, il dit: C'est moi qui l'ai ordonné; je le dis afin que tout le monde le sache, et si Bartet s'en prend à personne qu'à moi, je le ferai encore assassiner et tuer dans les rues, et s'il fait encore aucune poursuite, je le ferai assassiner et tuer.

« Votre Éminence, Monseigneur, qui sait si bien la science des rois, sait bien qu'ils ne parlent ni ne font comme M. de Candale; et les tyrans même, qui font un usage tyrannique de l'autorité qui est légitime aux rois, n'en font point un de la qualité de M. de Candale. Je me mets donc, Monseigneur, s'il vous plaît, sous la protection du roi, par celle de Votre Éminence, et je la conjure, par tous les endroits qui lui peuvent donner quelque sensible pour la disgrâce où je me trouve, de laisser faire la justice au parlement de Paris, et que, pour avoir l'honneur d'être au roi et au roi de Pologne, et au service de Votre Éminence par l'action et le mouvement continuels de ma vie, je ne me trouve pas dans une condition moins favorable que si j'étais un homme d'une condition privée.

« Si, avec cela, Monseigneur, Votre Éminence avait la bonté de faire considérer au roi comme le respect de sa personne est blessé en moi par l'honneur que j'ai d'être son domestique, et le respect de son autorité violé par l'assassinat commis en moi, et ensuite faire témoigner à M. de Candale qu'il faut que le cours de la justice du royaume soit libre pour moi, j'aurai l'obligation à Votre Éminence de me laisser un tribunal qui, jugeant mon honneur suivant la loi, me tirera de l'opprobre du monde, et me rétablira dans le même honneur dans lequel j'avais toujours vécu jusqu'à cette heure.

« C'est là, Monseigneur, la très humble supplication que je fais à Votre Éminence, avec une autre qui ne m'est guère moins nécessaire, qui est de boucher son esprit à l'industrie et à la malice de mes ennemis, qui, dans ce grand mouvement de ma mauvaise fortune, ne manqueront pas de faire une autre sorte d'assassinat, moins déshonorant pour moi, mais plus dangereux, pour varier les bonnes volontés de Votre Éminence en mon endroit.

« Ce sont ces bonnes volontés-là, Monseigneur, par lesquelles je puis parvenir à la protection de la justice que je suis sur le point de demander au parlement de Paris contre mes assassins, je dis les gens qui m'ont assassiné; et comme c'est l'endroit le plus capital de ma vie, et un passage de fortune qui doit être presque regardé comme unique, parce qu'il est presque toujours le dernier de celle d'un honnête homme, je la supplie aussi de considérer ce que je devrai à sa protection, et si, vous étant obligé du recouvrement de tout mon honneur, je ne dois pas me préparer toute ma vie à l'employer pour le service de Votre Éminence.

« Les personnes qui me compatissent sincèrement, et qui m'ont promis de me donner les secours de leurs amitiés, attendent, Monseigneur, quelque mouvement favorable de Votre Éminence en mon endroit, et par la bonté qu'ils croient que vous avez naturellement pour moi, et parce que l'action est si odieuse que l'autorité, dont vous avez la conduite, en est blessée.

« Mme de Chevreuse en a parle ce matin à M. l'abbé Ondedei, de qui j'ai reçu les dernières civilités. Je crois qu'elle lui en écrira même encore; et M. le premier président, qui condamne l'action par tous les endroits par lesquels elle est condamnable, m'a promis ce que peut promettre un homme qui est à sa place; de sorte, Monseigneur, que, si j'obtiens de Votre Éminence ce petit mouvement de laisser faire, sans vous déplaire, le parlement de Paris, la plus grande partie des juges, que j'ai déjà vus par précaution, voient en mon affaire une fin fort honorable. Je trouverai la mienne bien glorieuse, Monseigneur, si, après m'être rendu tout mon honneur qu'on m'a ôté, je suis assez heureux pour l'employer pour votre service, qui est, comme Dieu sait, la passion la plus forte que j'aie au monde. »

Mazarin parut compatir à l'affront qu'avait essuyé Bartet; il lui écrivit une lettre dans laquelle il lui promit d'en tirer vengeance. Mais soit qu'il ne voulût pas mécontenter la noblesse pour une cause de si peu d'importance, soit qu'il fût lui-même blessé de la vanité de Bartet, il laissa tomber l'affaire. Les contemporains ne firent que rire de l'avanie infligée à un favori insolent. Mme de Sévigné en parle en plaisantant à Bussy-Rabutin [50] , et trouve le tour très bien imaginé. D'autres firent sur l'aventure de Bartet une chanson dont voici un couplet:

Comme un autre homme

Vous étiez fait, monsieur Bartet;

Mais, quand vous iriez chez Prudhomme [51] .

De six mois vous ne seriez fait

Comme un autre homme.

Cependant Bartet n'en resta pas moins, après cette aventure tragicomique, un des confidents de Mazarin. C'est à tort que Saint-Simon dit (p. 121) que là commença son déclin, qui fut rapide et court. Quatre ans plus tard nous retrouvons encore Bartet à la cour rendant compte de toutes choses au cardinal qui négociait la paix des Pyrénées (1659). Les lettres fort nombreuses de Bartet forment une véritable gazette de la cour de Louis XIV. Je n'en citerai qu'une, pour ne pas allonger une note déjà trop étendue. Il écrivait à Mazarin, de Bordeaux, le 23 septembre 1659 [52] :

« J'ai déjà rendu mille grâces très humbles à Votre Éminence de l'honneur qu'elle m'a fait de nie choisir pour le voyage de Rome, et je les lui rends encore une fois avec tout le ressentiment que je dois. Je suis tout prêt, Monseigneur, pour le faire, et n'attends que les ordres de Votre Éminence pour cela.

« J'ai su tout le particulier de l'accommodement de M. le Prince, et je loue Dieu qu'il soit de manière que l'on puisse voir les confiances rétablies. Il semblait que je l'eusse pressenti dès Fontainebleau, et si Votre Éminence s'en souvient, je me donnai l'honneur de lui écrire, dès ce temps-là, la plupart des choses là-dessus qui se sont faites aujourd'hui. L'état de ces affaires-là n'est pourtant point encore su ici de beaucoup de gens avec toutes circonstances, mais quelques-uns le savent, avec la soumission qu'il a faite au roi en la personne de Votre Éminence par M. Gaillet, de mettre à ses pieds toutes les grâces que les Espagnols ont voulu lui faire ou lui procurer. Ce sera une grande consolation à Mme de Longueville d'apprendre ces nouvelles-là, elle, Monseigneur, qui a toujours conservé, depuis son rétablissement, ce véritable esprit de rentrer dans son devoir par une entière résignation aux volontés du roi, et par une confiance pareille à l'amitié de Votre Éminence.

« J'espère qu'une si favorable et si naturelle constitution d'affaires pourra engendrer d'autres choses aussi favorables qui l'affermiront, et qu'ainsi la paix s'assurera de tous les côtés.

« Tout le monde craint ici le voyage de Toulouse [53] , et encore un plus éloigné du même côté. Votre Éminence sait que, quand ces messieurs sont à leur aise en un lieu, ils n'aiment guère à en sortir que pour aller à Paris.

« Le roi témoigne assez d'impatience pour son mariage, et disait à la reine, il y a trois jours, qu'il serait fort ennuyé s'il le croyait différé encore longtemps. Il est certain que son esprit paraît fort libre et assez dégagé, et il semble qu'il s'affectionne bien plus qu'il ne faisait. Sa us doute que la cessation des commerces [54] à laquelle Votre Éminence a mis la main si utilement, l'a mis en cet état et l'y maintient, qui est assurément pour lui une situation d'un très grand repos; car sa santé était visiblement altérée, et se sentait des impressions de son esprit, comme je ne doute point que ceux qui en ont le soin ne vous en aient particulièrement informé.

« La cour grossit à cette heure si extraordinairement qu'il ne se peut rien voir de plus en un lieu si éloigné de Paris.

« M. le duc de Guise, MM. d'Harcourt, M. de Langres, MM. d'Albret et de Roquelaure, comtes de Béthune, d'Estrées, de Brancas et cinquante autres particuliers de qualité sont arrivés ici depuis peu, à trois ou quatre jours les uns des autres, et de la façon qu'ils parlent je crois que M. le commandeur de Jars se trouvera seul dans Paris de tous les gens qui vont au Louvre, tous ceux qui y sont demeurés se disposant à venir ici.

« M. le duc de Guise s'en va voir M. le duc de Lorraine à la conférence et ne demeurera ici que très peu de jours.

« Le roi va à cette heure à la comédie presque tous les soirs; il en fit représenter une le jour de la naissance de l'infante; il prit un habit magnifique, fit faire grand feu aux gardes françaises et suisses et à ses mousquetaires; tout le canon de la ville fut tiré. Il y eut grand bal où il dansa. L'on fit media hoche, et il dit à la reine n'y ayant que moi et deux personnes que c'était le moins qu'il pouvait faire, puisqu'il était le principal acteur de la comédie, pour s'expliquer dans les mêmes termes du roi d'Espagne.

« M. de Roquelaure perdit hier dix mille écus contre M. de Cauvisson au piquet. Celui-ci n'en gagna que deux mille, Mais M. de Brancas, qui pariait pour lui, en gagna six mille [55] . M. de Roquelaure n'a joué que deux fois contre M. de Cauvisson, et il a perdu quarante mille francs qu'il a pariés. Je vous écris avec cette certitude, parce que je les lui ai vu perdre. Sa chère n'en est pas moins grande, car il la fait très bonne.

« M. de Gourville est passé ici qui a dit qu'il allait quérir M. le surintendant [56] .

« M. de Langlade y est arrivé sans doute pour servir son quartier.

« M. de Vardes en est parti, il y a quatre jours, pour se rendre auprès de Votre Éminence et s'y tenir. Rien n'est égal à la manière dont il a parlé à tout le monde de ses intérêts, disant qu'il n'aurait jamais de volonté que celle de Votre Éminence, et qu'il y était si résigné qu'il prendrait le mal même pour bien, quand il lui viendrait de la main et du choix de Votre Éminence. Il a édifié tout le monde par sa tristesse et par sa modestie.

« M. de Bouillon est arrivé de la campagne, où il était allé pour chasser quinze jours.

« Il arriva ici avant-hier des comédiens français qui étaient en Hollande; ils ont passé à la Rochelle; on les appelle les comédiens de Mlle Marianne [57] , parce qu'elle les faisait jouer tous les jours. Ils vinrent hier chez la reine, comme elle entrait au cercle. Elle leur fit diverses questions à ce propos et les engagea à dire qu'il n'y avait jamais eu que Mlle Marianne qui les eût vus jouer, et que les demoiselles ses soeurs n'avaient jamais vu la comédie. Je regardai le roi, qui fit assurément là-dessus les mêmes réflexions que Votre Éminence fait dans ce moment.

« M. le duc de Noirmoutiers est ici préparé à donner l'estocade à Votre Éminence pour la survivance du Mont-Olympe. Il a envoyé M. son fils à Bayonne, pour faire le voyage de Madrid avec M. le maréchal de Grammont. Il est fort alerte sur la nature de l'accommodement de M. le Prince, un chacun étant appliqué à voir s'il est fait de manière qu'il puisse établir entre vous de la confiance et de l'amitié, et Votre Éminence sait que ces messieurs-là (j'entends ses amis) ont plus d'intérêt que les autres gens à ces affaires-là par la manière dont ils sont restés avec M. le Prince.

« Je l'ai étonné ce matin, au pied du lit du roi (car j'ai vu qu'il n'en savait rien), quand je lui ai dit que j'étais assuré que Caillet, par ordre de M. le Prince, avait été trouver Votre Éminence trois fois pour vous dire qu'il mettait aux pieds du roi toutes les grâces que les Espagnols lui voulaient faire, et qu'il n'en prétendait que de la bonté de Sa Majesté.

« Voilà, Monseigneur, l'état de ce parti. Le marquis de Villeroy a toujours la dysenterie avec un peu de fièvre; on n'en a point mauvaise opinion; mais M. Félix [58] m'a dit ce matin que ce qui ne serait point dangereux en un autre l'était dans ce corps-là. »

Suite
[39]
Voy. dans les Mémoires de Conrart l'article intitulé Bartet secrétaire du cabinet. Voy. aussi les Mémoires de Mademoiselle à l'année 1655.
[40]
Les canons étaient des ornements de toile ronds, fort larges, souvent ornés de dentelles, qu'on attachait au-dessous du genou et qui tombaient jusqu'à la moitié de la jambe. Molière s'est moquéDe ces larges canons, où comme en des entravesOn met tous les matins ses deux jambes esclaves.
[41]
Noeuds de rubans qui servaient à orner les vêtements. Voy. p. 453, la note sur le mot petite oie qui avait la même signification.
[42]
Mémoires de Conrart, article Bartet.
[43]
Archives des affaires étrangères, France, t. CLIV, pièce 95 autographe.
[44]
L'abbé Ondedei, parent de Mazarin, devint évêque de Fréjus.
[45]
Ce conseiller du parlement de Pau auquel Bartet imputa d'abord l'attentat contre sa personne se nommait Casaux. Voy. Mémoires de Conrart. art. Bartet.
[46]
Archiv. des aff. étrangères; France, t. CLIV, pièce 107 autographe.
[47]
On appelait ainsi les rubans, plumes, noeud de l'épée, garniture des bas, des souliers, etc. Dans les Précieuses ridicules le marquis de Mascarille dit aux Précieuses (scène X): « Que vous semble de ma petite oie? La trouvez-vous congruente à l'habit? »
[48]
M. de Nouveau était directeur des postes.
[49]
Conrart, à l'article cité, parle de cette aventure dans les termes suivants: [Bartet] dit que M. de Candale étant dans une chambre avec ***, et lui ayant rencontré Mme Cornuel dans une autre, elle était venue au-devant de lui et lui avait demandé s'il trouvait que ce fût bien parler que de dire un esprit fretté? A quoi il répondit qu'elle s'adressait bien mal de choisir un pauvre Gascon pour juge d'une phrase française; mais que, si elle voulait qu'il en dît son sentiment, il trouvait que cette façon de parler ne valait rien; qu'il fallait être sans jugement pour parler ainsi, et cent autres exagérations semblables, qui sont de son style ordinaire; qu'elle avait ajouté que M. de Candale disait pourtant que c'était lui qui s'en était servi; et que, sur cela, M. de Candale étant sorti de l'autre chambre, elle lui avait crié tout haut que M. Bartet soutenait qu'il n'avait jamais dit un esprit fretté; ce que Bartet lui-même confirma avec les mêmes amplifications dont il avait déjà usé. Ce qui fâcha, à ce qu'il dit, M. de Caudale, lequel ayant eu ensuite d'autres dégoûts que j'ai touchés, il lui avait fait jouer cette pièce à la vue de tout Paris. »
[50]
Lettre du 19 juillet 1655.
[51]
Baigneur célèbre de cette époque, chez lequel on trouvait tous les raffinements du luxe.
[52]
Archiv. des aff. étrang., France, t. CLXVIII, pièce 53 autographe.
[53]
La cour alla en effet à Toulouse vers la fin de l'année 1659.
[54]
Il s'agit des relations de Louis XIV avec Marie Mancini que le cardinal avait reléguée à Brouage.
[55]
Il faudrait huit mille pour faire le chiffre indiqué par Bartet.
[56]
Nicolas Fouquet.
[57]
Marie-Anne Mancini, dernière nièce du cardinal Mazarin; elle épousa plus tard le duc de Bouillon.
[58]
Premier chirurgien du roi.