Saint-Simon rappelle (p. 220 de ce volume) que la procession de sainte Geneviève se faisait dans les plus pressantes nécessités; mais il ne donne pas de détails sur cette solennité. Les Mémoires d'André d'Ormesson (fol. 327 r° et v°) contiennent le récit d'une de ces processions :
« L'ordre de la procession de madame sainte Geneviève, qui fut faite le jour Saint-Barnabé (13 juin 1652). »
« La France étant en si piteux état, et menacée d'une ruine entière par l'animosité des princes, qui demandaient l'éloignement du cardinal Mazarin de la cour, et la reine y résistant de toute sa force, croyant y aller de son honneur et de son autorité de le maintenir, lesdits princes, pour l'y forcer, firent entrer les Espagnols, les ennemis du roi, dans le royaume. Le duc de Nemours les alla quérir. Le duc de Lorraine y entra avec son armée, ruina et fourragea tous les lieux par où il passait, amena son armée dans la Brie, et, lui, entra et fut bien reçu à Paris des princes, et encore du peuple ennemi du cardinal. Les François se combattant ensemble dans le coeur du royaume, les Espagnols prirent Gravelines, qui ne put être secouru, et ils étaient en train de prendre encore Dunkerque. Le parlement donnait des arrêts contre Mazarin, lequel empêchait le roi de rentrer dans Paris.
« Dans ce désordre, auquel il était difficile de remédier, le prévôt des marchands demanda à messieurs de Notre-Dame, et ensuite aux religieux et abbé de Sainte-Geneviève, la descente de sa châsse, pour obtenir, par son intercession, la lin des ruines et misères de la guerre civile, [puis] se présenta au parlement, qui donna le jour de la cérémonie au 13 juin, fête de Saint-Barnabé. Voici l'ordre qui y fut tenu :
« Les religieux de Sainte-Geneviève, ayant jeûné trois jours et fait les prières ordonnées, descendirent la châsse ledit jour du mardi 13 juin, à une heure après minuit. Le lieutenant civil d'Aubray, le lieutenant criminel, le lieutenant particulier et le procureur du roi la prirent en leur garde. Les quatre mendiants [56] marchaient les premiers, savoir: les cordeliers, les jacobins, les augustins et les carmes, et puis les sept paroisses filles de Notre-Dame, avec leurs bannières; puis furent portées les châsses de saint Papan, saint Magloire, saint Médéric, saint Landry, sainte Avoie, sainte Opportune et autres reliquaires; puis la châsse de saint Marcel, évêque de Paris, qui fut portée parles orfèvres. Celle de sainte Geneviève fut portée par des bourgeois de Paris, auquel cet honneur appartient.
« A l'entour et à la suite d'icelle, étaient les officiers du Châtelet, qui l'avaient en garde. Le clergé de Notre-Dame marchait à gauche, et l'abbé de Sainte-Geneviève avait la droite, marchait les pieds nus, comme tous les religieux de Sainte-Geneviève. Ceux qui portaient la châsse de Sainte-Geneviève étaient aussi pieds nus. M. l'archevêque de Paris était assis dans une chaire à cause de son indisposition, avait à côté de lui ledit sieur abbé, et donnaient tous deux des bénédictions au peuple. Le parlement suivait après, où étaient les présidents Le Bailleul, de Nesmond, de Maisons, d'Irval et Le Coigneux. Le maréchal de L'Hôpital, gouverneur de Paris, marchait entre les deux premiers présidents; MM. de Vertamont, Villarceaux-Mangot, Laffemas et Montmort, maîtres des requêtes, et puis les conseillers de la cour en grand nombre; les gens du roi, MM. Talon, Fouquet et du Bignon, après eux; la chambre des comptes à côté du parlement, en sorte que deux présidents des comptes étaient à côté de deux présidents de la cour, et ensuite tous de même.
« Par après marchait la cour des aides, au côté droit, MM. Amelot et Dorieux présidents; le prévôt des marchands, M. Le Feron, conseiller de la cour, avec sa robe mi-partie, avec les échevins et conseil de ville, au côté gauche.
« L'on me dit que M. le duc d'Orléans [57] et M. le Prince [58] étaient ensemble vers le petit Châtelet. L'on ne vit jamais tant de peuple; les fenêtres remplies de gens d'honneur; et cette procession fut faite en grande dévotion et grand respect. La châsse de monsieur saint Marcel était très belle et très riche; celle de sainte Geneviève l'était encore plus, y ayant de grosses perles, rubis et émeraudes en grande quantité, qui avaient été donnés par la feue reine Marie de Médicis.
« Fait et écrit à Paris, l'après-dînée dudit jour Saint-Barnabé (13 juin 1652). »