NOTE II. MADEMOISELLE DE LA MOTHE-H0UDANCOURT.

Mlle de La Mothe-Houdancourt [43], dont Saint-Simon parle (p. 329 de ce volume), avait vivement excité l'attention de la cour en 1661, et avait été regardée comme une rivale dangereuse pour Mlle de La Vallière. Les Mémoires du temps sont remplis de ces détails. Mme de Motteville raconte que le roi, qui était alors à Saint-Germain, avait pris l'habitude d'aller à l'appartement des filles de la reine. « Comme l'entrée de leur chambre, ajoute-t-elle, lui étoit interdite par la sévérité de la dame d'honneur [44], il entretenoit souvent Mlle de La Mothe-Houdancourt par un trou qui étoit à une cloison d'ais de sapin, qui pouvoit lui en donner le moyen. »

Bussy-Rabutin parle aussi de Mlle de La Mothe dans son Histoire amoureuse des Gaules. Après avoir raconté une scène de jalousie entre Louis XIV et Mlle de La Vallière, il ajoute: « Le roi vit, le jour suivant, Mlle de La Mothe, qui est une beauté enjouée, fort agréable et qui a beaucoup d'esprit. Il lui dit beaucoup de choses fort obligeantes; il fut toujours auprès d'elle, soupira souvent, et en fit assez pour faire dire dans le monde qu'il en étoit amoureux, et pour le persuader à Mme sa mère, qui grondoit sa fille de ne pas répondre à la passion d'un si grand monarque. Toutes les amies de la maréchale s'assemblèrent pour en conférer, et après être convenues que nous n'étions plus dans la sotte simplicité de nos pères, elles querellèrent à outrance cette aimable fille. Mais elle avoit dans le coeur une secrète attache pour le marquis de Richelieu; ce qui faisoit qu'elle voyoit sans plaisir l'amour que le roi lui témoignoit. »

Le jeune Brienne donne, dans ses Mémoires[45], des détails sur cette passion de Mlle de La Mothe pour le marquis de Richelieu, mais sans en indiquer les suites. Nous les apprenons par des lettres anonymes de cette époque: elles sont adressées par une femme de la cour à Pellisson, qui accompagnait Fouquet en Bretagne.

« Il ne s'est rien passé de considérable en cette cour depuis que vous en êtes parti, que le congé donné à Mlle de La Mothe par la reine mère [46]. Ce fut M. de Guitri qui eut ordre de le lui dire la veille du départ du roi [47]. La reine mère souhaitoit que la chose se fît sans éclat, et que La Mothe se retirât sous prétexte de maladie ou quelque autre raison. Mais elle fut chez Mme la Comtesse [48] le lendemain bon matin, et après avoir appelé Mme de Lyonne au conseil, il fut résolu qu'on engagerait la reine [49] à prier la reine mère en sa faveur. Cette résolution prise, on chercha les moyens d'engager la reine à faire cette prière. On crut que la voie de Molina [50] étoit la meilleure; on la prit, et l'abbé de Gordes fut dépêché vers elle. Molina promit de s'employer de tout son pouvoir et de faire agir la reine.

« En effet, comme la reine mère revenoit de la promenade, elle fut priée de la part de la reine d'entrer dans son appartement seule, et, y étant, la reine la pria avec des termes pressants de pardonner à La Mothe. Elle lui dit qu'elle savoit bien qu'elle n'aimoit pas la galanterie; que si, après ce pardon, La Mothe ne vivoit pas avec la dernière régularité, et ne servoit pas d'exemple aux filles de la reine mère et aux siennes, elle seroit la première à prier la reine mère de la chasser. Voyant que toute cette éloquence étoit inutile, elle fit sortir La Mothe tout en pleurs de son cabinet, où elle avoit été enfermée toute l'après-dînée, qui vint se jeter aux pieds de la reine mère, qui, craignant de s'attendrir, ou, comme elle a dit depuis, ne voulant pas lui reprocher sa mauvaise conduite, passa dans le grand cabinet de la reine, et fut entendre une très-mauvaise comédie espagnole.

« Depuis, La Mothe a fait prier la reine mère par la reine de souffrir qu'elle se retirât au Val-de-Grâce; ce qui lui a été refusé par la reine mère, parce qu'elle a dit qu'il y alloit trop de monde. On la mit à Chaillot.

« Le sujet de sa disgrâce est conté diversement. Les uns disent qu'elle a écrit une lettre où elle traite le marquis de Richelieu de traître et de perfide, pour l'avoir abandonnée, et que cette lettre a été interceptée; les autres, que le marquis a voulu se rengager dans ce même commerce avec elle, et qu'on l'a appréhendé; qu'il lui a écrit une lettre plus tendre que toutes celles qu'il lui avoit écrites autrefois, et qu'on a su qu'il l'avoit écrite. On fait d'étranges contes d'elle, et c'est ce qui fait qu'elle veut entrer dans un couvent que la reine mère lui choisira, parce qu'autrement elle ne pourroit se justifier. »

Le 7 septembre, la même personne revenait encore, dans une lettre adressée à Pellisson, sur la disgrâce de Mlle de La Mothe: « On a fait quatre vilains vers pour l'aventure de Mlle de La Mothe, que Mme de Beauvais [52] a fait chasser. C'est le bon M. de La Mothe [53] qui me les a dits. Il y a une vilaine parole; mais n'importe; ce n'est pas moi qui l'y ai mise:

« Ami, sais-tu quelque nouvelle

De ce ce qui se passe à la cour?

On y dit que la maq.......

A chassé la fille d'amour. »

« Tout le monde blâme M. le marquis de Richelieu [54]. »

Suite
[43]
Elle se nommait Charlotte-Éléonore-Madeleine de La Mothe-Houdancourt; elle épousa, en 1671, Louis-Charles de Lévi, duc de Ventadour.
[44]
La dame d'honneur était alors la duchesse de Navailles.
[45]
Mémoires de Louis-Henri de Loménie, comte de Brienne, t. II, p. 173, 174 (édit. de 1828).
[46]
Anne d'Autriche.
[47]
Le roi partit pour Nantes le 1er septembre 1661.
[48]
Olympe Mancini, comtesse de Soissons. On prétendait que cette nièce de Mazarin avait voulu donner Mlle de La Mothe pour maîtresse au roi à la place de Mlle de La Vallière.
[49]
Marie-Thérèse.
[50]
La Molina était une des femmes attachées au service de Marie-Thérèse. Mme de Motteville en parle dans ses Mémoires.
[52]
Mme de Beauvais, fort connue par ses aventures galantes, était première femme de chambre de la reine Anne d'Autriche.
[53]
Il s'agit ici de La Mothe Le Vayer, dont on parle plusieurs fois dans cette lettre, ainsi que de Ménage, de Boisrobert, de Nublé.
[54]
Ces deux lettres furent saisies avec les papiers de Pellisson que le roi fit arrêter en même temps que Fouquet. Elles sont conservées à la Bibliothèque impériale, dans les manuscrits de Baluze.