CHAPITRE XVIII.

1711

Charost capitaine des gardes du corps par le Dauphin. — Domingue; quel, et son propos sur Charost à la Dauphine. — Cause de la charge de Charost. — Fortune des trois Charost. — Cause curieuse du mariage du vieux Charost. — Cause du tabouret de grâce de la princesse d'Espinoy. — Prince d'Espinoy chevalier de l'ordre parmi les gentilshommes en 1661. — Pont d'or fait aux Charost pour leur ôter la charge de capitaine des gardes, et sa cause. — Habileté importante du vieux Charost. — Malice de Lauzun sur le duc de Charost, et sa cause. — Raison qui fit renouveler des ducs vérifiés sans pairie. — Repentir de Louis XIII de l'érection de Paris en archevêché. — Cause qui fit Charost duc et pair. — Raison qui priva Harlay, archevêque de Paris, du cardinalat, et qui le fit duc et pair. — Importance des entrées. — Ruses d'Harlay, archevêque de Paris, démontées par Charost. — Dessein du duc de Beauvilliers et du Dauphin de me faire gouverneur de Mgr le duc de Bretagne. — Fortune de Charost du tout complète. — Campagne d'Allemagne. — Campagne de Savoie. — Campagne de Flandre. — Témérité du prince Eugène et de Marlborough. — Fautes énormes de Villars. — Impudence de Villars, qui donne faussement un démenti net et public au maréchal de Montesquiou, qui l'avale. — Course de Contade à la cour; son caractère. — Siège de Bouchain; Ravignan dedans; sa situation personnelle; son caractère. — Bouchain rendu; la garnison prisonnière; générosité des ennemis à l'égard de Ravignan. — Fin de la campagne en Flandre. — Villars assez bien reçu à la cour, et pourquoi.

La charge vacante eut plusieurs prétendants. Je hasardai de m'en mettre par une lettre que je présentai au roi. Il me revint aussitôt qu'elle lui avait plu assez pour me donner de l'espérance; mais M. de Beauvilliers, sans qui je ne faisais rien d'important, et qui m'y avait exhorté à tout hasard, me la diminua bientôt. Le maréchal était mort le 22 août. Le vendredi matin, 4 septembre, le roi travailla à l'ordinaire avec le P. Tellier, puis envoya chercher le Dauphin. Il lui dit qu'en l'âge où il était, ce n'était plus pour soi qu'il devait faire des choix de gens qui ne le serviraient guère, mais qui serviraient le Dauphin toute leur vie; qu'ainsi il voulait lui donner un capitaine des gardes à son gré, et qu'il ordonnait de lui dire franchement à qui des prétendants il donnait la préférence. Le Dauphin, après lui avoir fait les réponses convenables, lui nomma le duc de Charost comme celui qui lui était le plus agréable, et dans l'instant il l'obtint. Le roi passa ensuite chez Mme de Maintenon; il y fit appeler Charost, lui donna la charge avec cinq cent mille livres de brevet de retenue pour en payer autant qu'en avait le maréchal de Boufflers, lui dit qu'il devait cette préférence au Dauphin, à qui il avait laissé le choix, et lui ordonna d'envoyer sur-le-champ cette nouvelle à son père, à qui elle ferait grand plaisir.

Charost était lieutenant général, mais ne servait plus depuis longtemps. Il n'était pas même sur un pied avec le roi a se faire craindre aux prétendants de la charge; ce fut donc un étonnement extrême et un bourdonnement étrange, et en même temps un événement qui imprima à toute la cour un grand respect pour le Dauphin et une persuasion parfaite de tout ce qu'il pouvait. Un nommé Domingue, portemanteau de la Dauphine et fort familier avec elle, courut lui dire la nouvelle. Il osa ajouter qu'il l'en félicitait avec toute la joie possible, parce qu'au moins M. de Charost, fait capitaine des gardes, ne serait pas gouverneur de Mgr le duc de Bretagne. On verra qu'il ne fut pas prophète; mais la Dauphine en rit et y applaudit, et ce qui se trouva là de ses familières, par qui je le sus. Ce Domingue était un garçon d'esprit et orné, fort au-dessus de son état, et bien traité et avec distinction de tout le monde. Il était venu tout enfant d'Espagne, avec son père, à la suite de la reine, à qui il était, et lui aussi quand il fut plus grand, puis à la dauphine de Bavière, enfin à celle-ci à son mariage. Elle avait de la bonté pour lui, qui allait à une vraie confiance. Il lui parlait pourtant en honnête homme, et très-franchement tête à tête, et ne laissait pas de lui faire souvent impression. Il s'attacha tellement à elle qu'il ne voulut point se marier pour ne se point partager, et elle lui en savait gré; enfin, il fut tellement touché de sa mort qu'il ne put se consoler. Il tomba dans des infirmités qui en moins d'un an le conduisirent au tombeau sans être sorti presque de sa chambre, ni avoir voulu voir personne que pour sa conscience.

N'ayant pas la charge, je fus ravi de la voir à un de mes plus intimes amis. Lui et moi nous l'étions réciproquement souhaitée. Je ne vis jamais homme si aise, et de la chose et de la manière. Le Dauphin, à travers toute sa modeste retenue, parut extrêmement content, et la Dauphine aussi, mais par concomitance: on a vu quel rang tenait la duchesse de Béthune dans le petit troupeau de M. de Cambrai et parmi les disciples de Mme Guyon, et quelle considération il en revenait au duc de Charost, son fils, auprès du Dauphin par celle de M. de Cambrai, et par les ducs de Chevreuse et de Beauvilliers, ce qui lui valut la charge. Quoique cette fortune fût fort peu apparente, et aussi peu espérée, on lui en verra faire une plus haute et encore moins attendue de lui ni de personne. C'est ce qui m'engage à un peu de digression sur la singulière et curieuse fortune de ces MM. de Charost.

Le comte de Charost, grand-père de celui-ci, était quatrième fils, mais tenant lieu de second fils du frère du premier duc de Sully, ministre favori d'Henri IV. Ce frère, qui était catholique, fut célèbre par ses nombreuses et importantes ambassades, par les succès qu'il y eut et par ses emplois considérables dans les armées; chevalier du Saint-Esprit en 1609, et mort à quatre-vingt-quatre ans, en 1649. Charost, son cadet, ne pouvait pas espérer grand bien de lui. Le fameux procès que le comte de Soissons intenta au prince de Condé, duquel M. de Sully avait pris la défense auprès d'Henri IV, qui le rendit partial, et dont le comte de Soissons ne pardonna jamais le succès au favori, avait lié une amitié intime entre ce dernier et L'Escalopier, qu'il avait fait nommer rapporteur du procès, et qu'il en fit récompenser d'une charge de président à mortier au parlement de Paris. L'Escalopier avait une fille fort riche, dont M. de Sully, qui ne mourut qu'à la fin de décembre 1641, fit le mariage avec le comte de Charost, son neveu, en février 1639. Ce comte de Charost se trouva un homme de mérite qui se distingua fort dans toutes les guerres de son temps, et qui y eut toujours des emplois considérables. Il s'attacha au cardinal de Richelieu, jusqu'à s'en faire créature; cette protection lui valut la charge de capitaine des gardes du corps, dont se défit, en 1634, le comte de Charlus, bisaïeul du duc de Lévi, et deux ans après, Calais.

Le cardinal Mazarin, qui se piqua d'aimer et d'avancer tout ce qui avait particulièrement été attaché au cardinal de Richelieu, rechercha l'amitié du comte de Charost, et le mit en grande considération auprès de la reine mère, et ensuite auprès du roi, qui le regardèrent toujours comme un homme de tête et de valeur, et d'une fidélité à toute épreuve. Il se fit un principe de demeurer uni avec tout ce qui avait tenu au cardinal de Richelieu, qu'il appelait toujours son maître, et dont il avait force portraits, quoique sa mémoire ne fût pas agréable à la reine mère. Il avait beaucoup dépensé, il aimait la faveur quoique fort homme d'honneur. Il maria donc son fils, au commencement de 1657, à la fille unique du premier lit de M. Fouquet qui était lors dans l'apogée du ministère et de la faveur. La sienne à lui obtint un tabouret de grâce en 1662, qui fit le mariage de sa fille avec le prince d'Espinoy qui n'y songeait pas, et qui avait été avec lui de la promotion de l'ordre de 1661, sans aucune prétention parmi les gentilshommes, et qui n'en a jamais eu jusqu'à sa mort. Celle du cardinal Mazarin, qui suivit de près le mariage que Charost avait fait de son fils, la fut de bien plus près de la disgrâce, ou plutôt de la perte de Fouquet que ce premier ministre mourant avait conseillée.

Colbert, son intendant, qu'il avait recommandé comme un homme très-capable, s'éleva bientôt sur les ruines du surintendant. Le Tellier et lui, qui bien qu'ennemis étaient très-unis pour la perte de Fouquet qu'ils avaient hâtée et approfondie, le furent toujours à la sceller de toutes parts. Dans la frayeur de son retour, ils ne voyaient qu'avec la dernière inquiétude le vif sentiment avec lequel le vieux Charost et son fils avaient pris les malheurs de Fouquet, combien ils s'étaient peu embarrassés de garder les moindres mesures dans leurs discours et dans leurs mouvements en sa faveur. Le fils était capitaine des gardes en survivance de son père, ils n'en avaient rien perdu de leur familiarité, ni de leur considération auprès du roi et auprès de la reine, et l'un et l'autre aimaient, estimaient et distinguaient le père comme un ancien serviteur de toute épreuve, ce qui influait aussi sur le fils. Les deux ministres ne purent se croire en sûreté à l'égard de Fouquet, ni sur eux-mêmes, tant que ces deux hommes conserveraient une charge qui leur donnait un accès si libre et si continuel. Le roi et la reine sa mère, tiraillés de part et d'autre, se seraient trouvés soulagés de voir leur charge en d'autres mains; mais trop sûrs de leur fidélité, et trop accoutumés à une sorte de déférence pour le père, ils ne purent se résoudre à les en dépouiller; Ce fut donc aux deux ministres à recourir à la voie de la négociation, et ils eurent permission de leur faire un pont d'or.

Charost, vieux routier de cour, sentit qu'à la longue il ne leur résisterait pas, deviendrait à la fin à charge au roi et serait forcé de faire avec dégoût, et pour ce qu'on voudrait bien lui donner, une chose qu'il pouvait faire alors avec agrément en imposant la loi, et en conservant et augmentant même sa considération et sa familiarité. Le traité fut donc que M. de Duras lui rendrait le prix de sa charge, et qu'il en serait pouvu; que M. de Charost aurait pour rien la lieutenance générale unique de Picardie, Boulonais et pays reconquis, avec le commandement en chef dans la province; que son fils, qui quitterait sa survivance en faveur de M. de Duras, aurait celle de ladite lieutenance générale, avec celle du gouvernement de Calais, et que le père et le fils seraient en même temps faits ducs à brevet l'un et l'autre; mais ce ne fut pas tout; le père voulut deux choses du roi, auquel il s'adressa directement, et les obtint toutes les deux. L'une fut un billet entièrement écrit et signé de la propre main du roi, portant parole et promesse expresse de ne point faire de pair de France pour quelque cause que ce pût être, sans faire Charost père ou fils, et sans le faire avant tout autre, en sorte qu'il aurait le rang d'ancienneté sur celui ou ceux que le roi voudrait faire. L'autre chose fut un brevet d'affaires au père et un au fils, c'est-à-dire de moindres entrées que celles des premiers gentilshommes de la chambre, et beaucoup plus grandes que toutes les autres. Cette voie si rare et si précieuse d'un accès continuel et familier n'était pas le compte des deux ministres qui l'auraient bien empêché s'ils l'avaient pu, mais Charost brusqua ce dernier point du roi à lui, comme le vin du marché, sans lequel il ne pouvait le conclure de bon cœur, ni quitter une charge qui l'approchait si fort de lui, et sans s'assurer pour soi et pour son fils de s'en approcher encore davantage. Le billet fut un point capital et un effort extrême de considération. C'est l'unique promesse que le roi ait jamais donnée par écrit d'aucune grâce. On verra bientôt de quelle importance furent les entrées et les promesses, et combien ce trait fut celui d'un habile homme. Il mourut en 1681, à soixante-dix-sept ans, et toujours en grande considération.

Il ne faut pas omettre que Calais et la lieutenance générale de Picardie fut et est encore un morceau de quatre-vingt mille livres de rente, outre le grand établissement. Charost son fils servit avec distinction, et se maintint dans la familiarité du roi: ce ne fut pas sans une légère éclipse. Il était à Calais lorsque la reine d'Angleterre y arriva avec le prince de Galles. M. de Lauzun, qui les avait sauvés d'Angleterre et conduits, s'était pris à Pignerol d'une aversion extrême contre le malheureux Fouquet, qu'il y avait trouvé et laissé. Cette haine s'étendit à sa famille, et il n'en est jamais revenu. Tout occupé qu'il devait être de son retour à la faveur d'une fortune si unique et si inimaginable, il ne le fut pas moins de nuire à Charost. Il rendit au roi un compte si désavantageux en tout de Charost, de sa réception de la reine d'Angleterre, de l'état de Calais et de la garde de la place, que Charost eut le dégoût d'y voir arriver Laubanie en qualité de commandant, le même qui s'acquit longtemps depuis tant de gloire à la défense de Landau. Charost revint, et lui et Lauzun demeurèrent des années sans se parler et longtemps sans se saluer.

Laubanie se conduisit en très-galant homme qu'il était à l'égard de Charost, avec toutes sortes d'égards et de respects, et se fit un point d'honneur de lui rendre justice, et de détruire les mauvaises impressions que le roi avait prises. Il y réussit, et Charost revint auprès du roi comme auparavant. Il avait vu faire en divers temps plusieurs ducs vérifiés, M. de La Feuillade, M. de Chevreuse, M. de La Rocheguyon, M. de Duras, le maréchal d'Humières: il s'en était plaint. Le roi, qui ne les faisait point pairs pour éviter de faire Charost, lui répondait toujours froidement qu'il avait tort de se plaindre, qu'il ne faisait point de pairs, et Charost en effet n'avait point à répliquer, mais il voyait que le roi se moquait de lui. À la fin la faveur d'Harlay, archevêque de Paris, prévalut. Il était duc à brevet depuis le mois d'avril 1674, et il petillait d'attacher la pairie à son siége. Ce n'est pas d'aujourd'hui que les rois se laissent entraîner en des fautes, même en les voyant. Le cardinal Gondi avait arraché le consentement de Louis XIII à l'érection de son évêché de Paris en archevêché. Rome, à son ordinaire, avait longtemps balancé, pour mieux faire acheter une grâce qui lui coûtait si peu. Cependant on ouvrit les yeux là-dessus à Louis XIII: il comprit qu'il n'avait pas intérêt à augmenter l'autorité du siége de sa capitale, ni de ceux qui le rempliraient, et il en fut si persuadé, qu'il fit dépêcher un courrier à Rome pour rompre cette affaire: le courrier arriva le lendemain du consistoire où l'érection avait passé; le cardinal Gondi fut archevêque de Paris, d'évêque qu'il en était auparavant, et on se garda bien de laisser découvrir que, vingt-quatre heures plus tard, Paris n'eût jamais été métropole.

C'était ici le même inconvénient dans le genre séculier, et plus grand encore en tant que ce siége avait déjà tout dans le genre ecclésiastique. Son prélat, que le roi aimait, était duc à brevet; c'était des honneurs pour sa personne, dont il se devait d'autant mieux contenter, que ses successeurs ne lui étaient rien, et que leur dignité ne décorait point sa famille. Le roi pouvait aussi se contenter de cette distinction unique dans le clergé et personnelle qu'il lui avait donnée, sans se soucier de ses successeurs, et craindre d'en augmenter l'autorité, que le cardinal de Retz lui avait assez fait sentir, et de rendre une septième pairie éternelle; néanmoins la faveur l'emporta, et le roi résolut d'élever le siége de Paris à la pairie; en même temps il ne voulait point faire Charost; il recommanda donc fort le secret à l'archevêque de Paris, dans le dessein qu'il fût enregistré et reçu en même moment, et que la grâce ne se sût que par là, quitte après de se défaire comme il pourrait des clameurs de Charost.

L'archevêque eut beau mener son affaire le plus sourdement qu'il fut possible, et le premier président et le procureur général l'y aider par ordre du roi, les érections sont sujettes à quantité de formes; Charost était au guet, il eut le vent de ce qu'il se préparait, il en parla au roi qui biaisa, et se hâta de se défaire de lui. Charost par là encore, plus certain de la chose, et qu'on lui voulait faire passer la plume par le bec, ne se rebuta point; il attaqua le roi à la fin du petit coucher, où le peu de ceux qui jouissaient de ces entrées avaient toujours la considération réciproque de sortir tous, dès que l'un d'eux se présentait à parler au roi comme il donnait le bonsoir, afin de le laisser seul en liberté avec lui. Là le roi, prêt à se mettre au lit, ne pouvait prétexter des affaires ni passer dans une autre pièce; il fallait bien qu'il écoutât jusqu'au bout des gens en très-petit nombre, la plupart en grande dignité, et distingués tous par leurs privances et presque tous par leurs charges. Le roi, pris ainsi au trébuchet, se mit à se promener par sa chambre avec Charost, qui, son billet à la main, le somma de sa parole comme le plus honnête homme qui fût dans son royaume. Le roi ne put disconvenir de l'engagement, mais il se tourna à exagérer les services de l'archevêque dont la nature demandait d'autant plus une récompense éclatante et immédiate de sa main, qu'ils étaient obstacles invincibles à celle qu'il lui avait voulu donner par Rome, où les propositions de l'assemblée du clergé de 1682 où il présidait étaient si odieuses, que le pape, qui ne pouvait ne pas remplir la nomination qu'il lui avait donnée pour la promotion des couronnes, s'opiniâtrait depuis tant d'années à la différer toujours, et aimait mieux ne faire plus de promotions de son pontificat, que de donner un chapeau à l'archevêque. Charost trouva ces raisons fort bonnes, mais il ajouta qu'elles ne concluaient en quoi que ce fût pour son exclusion, et pour que le roi oubliât les services de son père et les siens, et manquât pour l'unique fois de sa vie à une promesse solennelle, qu'il lui représentait de sa propre main, et que lui-même avouait telle.

Le roi prétendit que l'archevêque devait passer seul par les considérations qu'il venait d'expliquer, mais avec assurance qu'il ne ferait plus aucun pair sans tenir la parole qu'il avait donnée. Charost insista et se retira au bout d'une demi-heure, fort mal satisfait du succès d'une si longue dispute. Il en eut encore trois fort près à près, toutes à la même heure, toutes autant ou plus longues, toutes en se promenant. À la dernière il emporta le prix de sa persévérance. Le roi lui dit qu'il lui aurait fait grand plaisir d'entrer dans ses raisons, et de se fier à lui pour une autre fois, mais enfin, puisqu'il ne se voulait point relâcher de sa parole qu'il avait, il la lui voulait tenir, et qu'il pouvait avertir de sa part le premier président et le procureur général de prendre ses ordres là-dessus, et qu'il pouvait aussi prendre ses mesures pour ce qu'il avait à faire de sa part. On peut juger qu'il n'y perdit pas de temps; lui-même m'a conté ce détail et celui qui va suivre, et m'a dit que sans ses entrées et la facilité de forcer le roi de l'écouter seul à la fin de son petit coucher tant qu'il voulait, il n'aurait jamais emporté sa pairie.

L'archevêque de Paris, qui avait compté sur la distinction d'être seul, voulut au moins être le premier des deux, et prit secrètement toutes ses mesures. Charost n'y fut pas moins attentif, ni moins bien servi qu'il l'avait été sur l'érection même. Il retourna au roi toujours au petit coucher, toujours son billet en main; il se plaignit du dessein avantageux de l'archevêque, et montra au roi que sa parole n'était pas moins engagée à ce qu'il fût le premier de ceux qu'il ferait, qu'à n'en faire aucun sans lui. Le principal était accordé, l'accessoire ne tint pas. Le roi avait bien tacitement consenti à la surprise que l'archevêque lui voulait faire, mais une fois éventée et portée en plainte, elle ne tint pas. Le roi promit à Charost d'arrêter l'archevêque qui, en effet, ne fut enregistré et reçu au parlement que huit jours après lui. Mais ce fut encore une autre ruse où Charost le poursuivit jusqu'au bout. L'archevêque, outré de n'avoir pu faire que Charost ne fût point fait pair en même temps que lui, plus piqué encore de n'avoir pu réussir à faire passer sa pairie la première, eut la petitesse d'en vouloir éviter au moins la préséance actuelle, et pour cela voulut, ce qui ne se fait jamais, être reçu à la dérobée sans assistance d'aucun pair. Il eut encore l'infortune d'être découvert et forcé dans ce dernier retranchement. Charost, toujours aux écoutes, fut encore averti. Il sut le jour que le secret complot se devait exécuter; en vingt-quatre heures il s'assura du plus grand nombre de pairs qu'il put, qui arrivèrent avec lui à la grand'chambre à sept heures du matin comme on allait commencer l'affaire de l'archevêque. Ils l'y trouvèrent lui-même qui attendait à l'ordinaire des pairs qui vont être reçus, et ils lui firent des compliments dont il se serait bien passé. Sa surprise et son dépit ne purent se cacher. Ces pairs prirent aussitôt leurs places, et l'archevêque fut obligé de prendre la sienne au-dessous du duc de Charost.

Cette aventure fut fort ridicule pour l'archevêque, et Charost eut complète satisfaction. Il avait été duc à brevet avec son père en 1672, et il fut pair avec l'archevêque de Paris en 1690. Il était chevalier de l'ordre de 1688. La teinture que M. de Lauzun lui avait donnée auprès du roi, et qui n'était pas encore effacée, comme elle la fut depuis, eut grande part à tout ce qu'il eut à surmonter dans cette occasion pour lui si capitale. Il maria son fils, cause de cette digression, en 1680, à sa cousine germaine, fille du prince d'Espinoy et de sa première femme qui mourut trois ans après, et lui laissa deux fils. Il se remaria huit ans après à une Lamet, fille unique de Baule, gouverneur de Dourlens, dont il eut après le gouvernement. Il avait déjà les survivances de son père de Calais et de Picardie, etc. Il fut lieutenant général des armées du roi en 1702, et n'a presque pas servi depuis. Son père se démit de son duché en sa faveur en 1697. Il aimait à aller au parlement, et y entraînait souvent son cousin le duc d'Estrées. Le cardinal d'Estrées disait plaisamment qu'il y avait là du Lescalopier. Démis, il continua à y aller plus d'un an, parce que son fils ne s'y faisait point recevoir. Le roi à la fin le trouva mauvais, et le duc de Charost fut reçu au parlement, et son père cessa d'y pouvoir aller, qui, lors de sa démission avait pris le nom de duc de Béthune. Nous verrons dans la suite la continuation de cette fortune. M. de Beauvilliers qui ne jugeait le duc de Charost propre qu'aux choses du dehors, qui en effet ne lui communiquait jamais rien, et qui l'avait extrêmement approché du Dauphin sur ce même pied-là de tout temps, le voulut placer de même auprès de lui, récompenser ainsi la liaison si intime de sa mère, favoriser tout le petit troupeau, et avoir un homme à eux et à lui dans cette charge principale, et qui par la singularité de la grâce fit montre du crédit du Dauphin.

Il avait sur moi d'autres vues qu'il ne tarda pas à m'expliquer, et où je fus bientôt après confirmé par le Dauphin même. C'était de me faire gouverneur de Mgr le duc de Bretagne, né le 8 janvier 1707, lorsqu'il serait en âge de sortir des mains des femmes, place dont il y avait d'autant plus d'apparence que le roi en laisserait la disposition au Dauphin, qu'il venait de lui donner celle d'une autre principale, et qui ne lui était ni si directe ni si intime. Dieu qui souffle sur les projets des hommes n'a pas permis l'accomplissement de celui-là. On verra bientôt enterrer ce jeune prince avec toute l'espérance et le bonheur de la nation, avec toutes les grâces, les charmes et les plaisirs de la cour. Ainsi Charost, par des événements uniques, eut le pont d'or que la compagnie des gardes valut à sa famille pour s'en démettre, rattrapa en sus cette même compagnie, et on verra qu'outre qu'il la fît passer à fils et à petit-fils, avec les charges qui en avaient été la récompense et la dignité de duc et pair où elle l'avait porté, il eut encore la place qui m'avait été destinée, et dont la vue fit préférer Charost pour la charge de capitaine des gardes du corps.

Les armées du Rhin et des Alpes passèrent de part et d'autre la campagne à s'observer, et à subsister. Besons, qui soulageait fort d'Harcourt, vivait aux dépens de l'ennemi au delà du Rhin, tandis qu'Harcourt était demeuré dans nos lignes de Wessembourg, avec le gros de l'armée, que Besons rejoignit après avoir consommé tout ce qu'il avait pu de fourrages. Le reste de la campagne s'y passa dans cette tranquillité jusqu'à la mi-octobre, qu'Harcourt, ne voyant plus rien à craindre, la laissa en quartiers de fourrages sous Besons, et s'en alla prendre des eaux à Bourbonne.

Berwick, toujours sur une assez faible défensive, faute de troupes et de moyens à pouvoir mieux, ne fut que mollement inquiété; M. de Savoie, qui commandait son armée, aurait pu l'attaquer plus d'une fois avec beaucoup d'avantage, mais il fut retenu par ses soupçons et plus encore par son mécontentement. Il prit ombrage du trop grand affaiblissement de la France, qui faisait trop pencher la balance, et il ne pouvait obtenir du nouveau gouvernement de Vienne de lui tenir les paroles qu'il avait tirées du précédent, sur des cessions en Lombardie, ni en tirer les payements de ce qui lui était dû de subsides.

En Flandre, le prince Eugène et le duc de Marlborough, dans leur union accoutumée, se contentèrent longtemps de vivre aux dépens des pays du roi et de resserrer son armée dans des lignes. À ce qui s'y était passé les années précédentes, c'était pour celle-ci en être quitte à bon marché, quoique fort honteux. Néanmoins ces avantages des alliés, quoique très-réels, ne leur parurent pas dignes de leurs campagnes ordinaires. Marlborough, au faîte de la gloire et de la plus haute fortune où un capitaine de sa nation pût parvenir, se trouvait menacé d'un funeste revers qu'il avait un pressant intérêt de parer par quelque grand coup qui ranimât son parti, et qui pût ébranler celui qui lui était contraire. Le prince Eugène, personnellement mal avec l'archiduc successeur de son frère, et fort en brassière avec le nouveau gouvernement de Vienne, avait le même intérêt que Marlborough. Il leur était particulier à chacun, et en commun ils avaient celui de la continuation de la guerre qui maintenait toute leur autorité, leur puissance et leurs établissements, et qui augmentait journellement leurs immenses richesses, de Marlborough surtout également avare et avide. De si pressantes raisons les jetèrent à une entreprise en apparence insensée, que leur bonheur, leur témérité, et l'incompréhensible conduite du maréchal de Villars fit réussir. Ce dernier couvrait Bouchain. Outre le peu de places qui nous restaient de cette frontière si malmenée, celle-là est un passage fort important, tient la tête des rivières, ouvre ou ferme un grand pays. Pour en faire le siége il fallait tourner toute notre armée, et la place par un long détour, et s'exposer à tout au passage inévitable de l'Escaut. C'est ce que les deux généraux ennemis osèrent entreprendre au hasard d'une bataille, demi-passés ou incontinent après. Villars, qui tirait gros de partout où il pouvait, mais qui payait peu et mal les espions, fut tard averti. Il voulut les suivre. S'il se fût pressé, il les eût combattus à l'Escaut. Il montra désir de réparer cette faute qui ne se pouvait dissimuler, et arriva de fort bonne heure dans une belle plaine, où il voulut camper. Plusieurs officiers généraux et le maréchal de Montesquiou même lui rapportèrent des nouvelles des ennemis si proches et en si mauvais ordre, que personne ne douta qu'elles ne le déterminassent à les aller attaquer, et à réparer sur-le-champ l'occasion qu'il venait de manquer. Son froid, ses difficultés, ses lenteurs, surprirent infiniment l'armée, où les nouvelles des ennemis s'étaient répandues, et avaient inspiré une ardeur qui éclata par des cris, et qui fit souvenir avec joie de l'ancien courage français. Les remontrances furent redoublées, pressées, poussées au delà de la bienséance. Villars fut inflexible; pour toutes raisons il vanta son courage avec audace, on n'en doutait pas, et fit des rodomontades pour le lendemain. L'armée, en fureur contre lui, coucha en bataille, et ne s'ébranla qu'assez avant dans la matinée suivante par les mêmes lenteurs. Elle eut beau marcher, les ennemis avaient pris les devants, qui furent redevables de leur salut à la rare retenue du maréchal de Villars, dont le motif n'a pu être pénétré, puisque en l'état ou les ennemis se trouvèrent, ils ne pouvaient, de l'aveu des deux armées, éviter d'être battus.

Villars avait annoncé la bataille par un courrier à la cour, qui fut quatre jours dans la plus vive attente. Enfin un courrier arriva à Fontainebleau, que Voysin amena au roi, qui venait de donner le bonsoir; le Dauphin, qui se déshabillait, se rhabilla, et tout courut en un moment chez le roi, pour apprendre le succès de la bataille, et savoir les morts et les blessés; l'antichambre était pleine, qui croyait que Voysin en lisait le détail au roi, qui attendait qu'il sortît avec la dernière impatience, et qui sut enfin de lui qu'il n'y avait point eu d'action. Pour revenir à l'armée, Villars voyant les ennemis échappés, il se mit à éclater en reproches. Les officiers généraux, surpris tout ce qu'on peu l'être, se regardèrent les uns les autres; Albergotti et quelque autre avec lui, prirent la parole pour le faire souvenir qu'il n'avait pas tenu à leurs représentations les plus vives qu'il n'eût vivement poursuivi sa marche. Montesquiou, qui se crut plus offensé et plus à l'abri que les autres par son bâton de maréchal de France, lui répondit plus vertement qu'eux; un prompt démenti net et sec, sans détour ni enveloppe, fut le salaire de cette vérité; Montesquiou frémit, tourna le dos de sa main sur la garde de son épée et sortit. Villars, fier de ce triomphe, l'unique de sa campagne, après en avoir coup sur coup manqué deux si beaux, si sûrs, si nécessaires, se mit à braver de plus belle, d'autant mieux qu'après cet étrange essai, il ne craignait plus d'être contredit en face; mais la vérité était contre lui, elle demeurait entière, elle était connue de toute l'armée, et quoique Montesquiou n'en fût pas aimé, il fut visité de toute l'armée en foule. Villars enfin, un peu revenu à soi, fut fort embarrassé; il fit des pas pour se raccommoder avec Montesquiou. Les armées, non plus que les cours, ne manquent pas de gens qui aiment à se faire de fête et à s'empresser; il s'en trouva qui volontiers s'entremirent entre les deux maréchaux. Le second, bien fâché d'avoir à repousser contre son supérieur une injure si atroce et si publique, ne fut pas fâché d'en sortir par l'apparente porte de l'amour du bien public dans des conjonctures fâcheuses, soutenu par une réputation plus que faite sur la valeur, et par la consolation d'avoir toute l'armée pour témoin de la vérité qu'il avait soutenue. Pour couper court à une si étrange affaire, il ne fut pas question d'éclaircissement qui n'eût pas été possible, ni d'excuse qui n'eût fait qu'aggraver; on crut qu'un air d'oubli ou de chose non avenue était l'unique voie à prendre. Dès le lendemain Montesquiou parut un moment chez Villars, et peu à peu ils se revirent à l'ordinaire. Pour achever tout de suite ce qui regarde cette aventure, elle revint à Paris et à la cour par toutes les lettres de l'armée. Le roi aimait Montesquiou qu'il voyait depuis longtemps quelquefois par les derrières, et qui était ami de tous les valets principaux, mais son démenti le peinait bien moins que la cause et que les suites qu'il en voyait par le siége de Bouchain, que les ennemis avaient formé; il ordonna donc à Villars de lui envoyer un officier général bien instruit pour lui rendre compte des mouvements qui avaient précédé ce siége. Villars, en bon courtisan, choisit Contade, major du régiment des gardes, fort connu du roi et fort dans le grand et le meilleur monde, qui était major général de son armée. Contade savait aller et parler, et se tourner à propos, et fort bien à qui il avait affaire; il s'était fort attaché à Villars, il était fort ami de la maréchale et plus qu'ami de longtemps de Mme de Maisons, sœur de la maréchale. Contade arriva le 20 août à Fontainebleau; il fut le lendemain matin vendredi conduit après la messe du roi chez Mme de Maintenon, où ils demeurèrent deux heures avec lui. Ils y retournèrent encore l'après-dînée où Contade prit congé; il fut après assez longtemps seul avec le Dauphin dans son cabinet, et repartit le 22 pour retourner à l'armée. On peut juger du compte que rendit Contade, disposé comme il l'était, choisi et instruit par Villars, en présence de Mme de Maintenon, qui lui fut toujours si favorable, et d'un ministre moins ministre du roi et d'État que ministre de cette dame.

Marlborough, qui n'avait jamais tenté un si dangereux hasard, se félicita publiquement d'y être échappé, et ne songea plus qu'à former le siége de Bouchain, qui était l'objet qui l'avait engagé à s'y exposer, ce qu'il exécuta incontinent après. Villars espéra d'abord de sauver la place en s'y entretenant une communication libre par les marécages. La garnison y était bonne, forte et bien munie et approvisionnée, et Ravignan y commandait. Il vint concerter avec les maréchaux; sa personne fit un embarras. Il avait été fait prisonnier avec la garnison de Tournai et renvoyé sur parole. La difficulté des échanges l'empêcha de servir. Il exposa le malheur de cette situation au duc de Marlborough, qui eut la générosité, par sa réponse, de lui permettre de servir, en l'avertissant toutefois qu'il ne lui répondait en cela que des Anglais, et nullement des Impériaux ni des Hollandais. Cette restriction n'arrêta point Ravignan. Il avait beaucoup d'ambition, il ne pouvait la satisfaire que par la guerre. Il l'aimait et il était fort bon officier, et de même nom que le président de Mesmes, qui prenait grande part à lui. Il était fort connu du roi, dont il avait été page, et qui avait ri quelquefois de ses tours de page, et de ce que la passion de la chasse lui avait fait faire. Il ne balança donc pas à servir d'inspecteur qu'il était et partout où il put, mais sans être mis comme officier général sur les états des armées, parce que la permission seule des Anglais ne suffisait pas pour cela. Il fallait quelqu'un d'intelligent pour commander l'été dans Bouchain, et on l'y mit parce qu'on ne crut pas que la place dût craindre d'être assiégée. Le cas arrivé, il fut question de savoir si Ravignan y demeurerait. C'était contrevenir très-directement à sa parole à l'égard des Impériaux et des Hollandais. Il est même si différent de servir en ligne parmi la foule, ou de se charger de la défense d'une place attaquée, que Marlborough avait droit de trouver que c'était abuser de la générosité de sa permission. Les lois de la guerre n'allaient à rien moins qu'à excepter Ravignan de toute capitulation si la place était prise, et de le faire pendre haut et court, ce que Marlborough, quelque bonne volonté qu'il pût lui conserver, n'était pas en état d'empêcher. Cette matière amplement délibérée au camp, tandis que Ravignan s'y trouvait, il fut résolu que son honneur ni la bonne foi de la guerre ne devaient pas être exposés, et on songeait déjà à envoyer dès le soir même un autre commandant dans Bouchain; mais Ravignan mit moins son honneur à garder sa parole, qu'à sortir d'une place, où il commandait, à la vue des ennemis qui allaient former le siége. Il pressa Villars de l'y laisser retourner, et il fit des instances si fortes que Villars, outré d'un siége formé par ses fautes, et dont les suites étaient si terribles pour les campagnes suivantes, ne fut peut-être pas fâché d'en laisser la défense à un officier aussi entendu, et dont l'opiniâtreté serait assistée de la perspective d'une potence.

Ainsi, contre l'avis universel, Villars prit sur soi d'y renvoyer Ravignan, qui ne se le fit pas dire deux fois et y retourna aussitôt.

La communication avec la place, entreprise avec de grands travaux, ne put se soutenir. Albergotti qui la gardait en fut chassé, et l'événement fut regardé comme décisif pour le siége. Il produisit des accusations réciproques entre Albergotti et Villars, qui furent fort poussées. Tout à la fin du siége, l'adroit Italien n'oublia aucune souplesse pour se raccommoder avec son général. À l'extérieur il ne parut plus rien; personne n'en fut la dupe, et à leur retour, ils se portèrent l'un à l'autre tous les coups qu'ils purent, mais avec une égale impuissance. Villars fit toutes les démonstrations de vouloir combattre et secourir la place. On est encore à savoir s'il en eut effectivement le dessein. La fanfaronnade fut courte, il s'éloigna pour subsister. Cependant, après une défense de moins d'un mois, Bouchain battit la chamade le 13 septembre, et la garnison, prisonnière de guerre, fut conduite à Tournai. Les généraux ennemis ne voulurent pas s'apercevoir de Ravignan avec toute la générosité possible, et demeurèrent un mois à réparer la place. Il était lors la mi-octobre.

Marlborough était pressé de passer la mer pour soutenir son parti fort abandonné, et une fortune chancelante. Le prince Eugène, si inséparablement uni à lui par les mêmes intérêts, n'était pas lui-même sans inquiétudes, comme on l'a vu. Il avait à soutenir à la Haye la bonne volonté d'Heinsius et de leur cabale, à y tout concerter en l'absence de Marlborough, et la perspective d'un voyage en Allemagne vers un nouveau maître et une cour nouvelle avec qui il était mal. De si fortes raisons, et dans une saison si avancée, leur persuadèrent de finir la campagne. Notre armée, harassée à l'excès et sans utilité, profita aussitôt de l'exemple; chacun de part et d'autre tourna aux quartiers d'hiver. Villars fut assez bien reçu, parce qu'on n'avait personne à lui substituer pour la campagne suivante; Montesquiou passa l'hiver sur la frontière comme les précédents, et, par la raison qui vient d'être expliquée, fut assez peu content d'une course qu'il vint faire à la cour.

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