NOTE II. DES SECRÉTAIRES D'ÉTAT; DE LEUR ORIGINE ET DE LEURS DÉPARTEMENTS DANS L'ANCIENNE MONARCHIE.

Saint-Simon revient souvent sur les ministres secrétaires d'État, sur leur puissance récente et faible dans l'origine, sur les accroissements qu'elle prit successivement, et sur les départements attribués à chacun d'eux. Il ne sera pas inutile de résumer rapidement pour le lecteur moderne les renseignements propres à éclaircir ces passages de Saint-Simon.

La ténuité de l'origine des secrétaires d'État, comme dit Saint-Simon (p. 365), ne saurait être contestée. On les appelait primitivement clercs du secret, parce que, depuis la fin du xiiie siècle, ils étaient chargés de rédiger les délibérations du conseil secret du roi. Ce fut seulement au xvie siècle qu'ils sortirent de cette humble condition. Florimond Robertet, qui était secrétaire d'État sous le règne de Louis XII, fut le premier qui contre-signa les ordonnances des rois de France. En 1547, Henri II, qui venait de monter sur le trône, fixa à quatre le nombre des secrétaires d'État, et augmenta leurs honoraires. La division de leurs attributions était, à cette époque, purement géographique: ainsi Bochetel avait dans son département la Normandie, la Picardie, l'Angleterre et l'Écosse; Clausse, la Provence, le Languedoc, la Guyenne, la Bretagne, l'Espagne et le Portugal; de L'Aubespine, la Champagne, la Bourgogne, la Bresse, la Savoie, la Suisse et l'Allemagne; du Thier, le Dauphiné, le Piémont, Rome, Venise et l'Orient. Une pareille division supposait à chaque ministre une capacité universelle, ou le réduisait au rôle d'un simple secrétaire de correspondance. Telle était, en effet, la position des ministres secrétaires d'État, même au xvie siècle. Henri III voulut vainement déterminer leurs fonctions avec plus de netteté, par des ordonnances rendues à Blois, aux mois de mai et de septembre 1588; les troubles qui suivirent paralysèrent toutes les réformes de ce prince.

Ce fut seulement au xviie siècle que les ministres commencèrent à se partager les départements de la maison du roi, de la guerre, de la marine, des affaires étrangères. Déjà, sous Henri IV, nous voyons un des secrétaires d'État chargé du département de la maison du roi et des affaires ecclésiastiques. En 1619, un des secrétaires d'État eut la correspondance avec tous les généraux, et devint un véritable ministre de la guerre. Le Tellier et son fils Louvois donnèrent à ce département la plus haute importance. En 1626, toutes les affaires extérieures, qui jusqu'alors étaient divisées entre les quatre secrétaires d'État, furent réunies entre les mains d'un seul; le ministère des affaires étrangères fut créé. Richelieu et Mazarin, qui dirigeaient toute la politique extérieure, n'y mirent que des commis; mais après la mort de Mazarin, de Lyonne donna à ce ministère une importance qui ne fit que s'accroître sous ses successeurs. La marine ne forma un département particulier qu'à l'époque où Colbert en fut chargé. Elle resta, jusqu'en 1669, réunie au département des affaires étrangères. Quant aux finances et à la justice, ils ne dépendaient pas des secrétaires d'État. Les surintendants des finances, et, après leur suppression en 1661, les contrôleurs généraux étaient chargés de l'administration du trésor public. La justice était placée sous la direction du chancelier. Le commerce, les travaux publics, les postes, les colonies, l'instruction publique, ne formaient pas des départements ministériels, et ne dépendaient pas spécialement d'un des secrétaires d'État. Le roi en disposait comme bon lui semblait. Ainsi les travaux publics, ou direction générale des bâtiments, qui avaient appartenu à Colbert, à la fois contrôleur général des finances et secrétaire d'État de la marine, furent donnés, après sa mort, au ministre de la guerre, Louvois.

Il n'y avait point, dans l'ancienne monarchie, de ministre de l'intérieur. Les généralités, qui formaient, sous Louis XIV, les principales circonscriptions administratives de la France, étaient partagées entre les quatre secrétaires d'État, et on retrouvait dans cette organisation une partie des divisions géographiques que nous avons signalées plus haut. Ainsi, du secrétaire d'État des affaires étrangères dépendaient la haute et basse Guyenne, les intendances de Bayonne, Auch et Bordeaux, la Normandie, la Champagne, la principauté de Dombes, le Berry, et la partie de la Brie qui était rattachée à la généralité de Châlons-sur-Marne. Le ministre secrétaire d'État de la maison du roi avait dans son département la ville et généralité de Paris, le Languedoc, la Provence, la Bourgogne, la Bresse, la Bretagne, le comté de Foix, la Navarre, l'Auvergne, le Nivernais, le Bourbonnais, le Limousin, l'Angoumois, la Marche, le Poitou, la Saintonge, l'Aunis, la Touraine, la Picardie, le Boulonaîs, etc. Telles étaient les provinces de La Vrillière, dont Saint-Simon parle dans ce volume (p. 282). Les ports de mer et les colonies dépendaient du ministre de la marine. Le secrétaire d'État de la guerre avait l'Alsace, la Franche-Comté, la Lorraine, le Dauphiné, l'Artois, la Flandre, le Roussillon, etc.

Les divisions géographiques que je viens de rappeler ont subi de fréquentes variations; mais cette organisation administrative a existé, sauf quelques modifications, jusqu'à l'époque de la révolution française. Pour remédier aux inconvénients d'une administration sans unité, on tenait tous les quinze jours, en présence du roi, le conseil des dépêches, où l'on réglait tous les détails de l'administration intérieure du royaume. Les secrétaires d'État expédiaient dans les provinces qui leur étaient attribuées les règlements et ordonnances arrêtés dans ce conseil.

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