CHAPITRE XX.

1713

Siége de Landau. — La garnison et celle de Kayserslautern se rendent prisonnières. — Biron perd un bras à Landau et en a le gouvernement. — Villars, chevalier de la Toison d'or, passe le Rhin; investit Fribourg. — Cardinal de Bouillon s'achemine des Pays-Bas à Rome. — Électeur de Bavière voit le roi à Marly. — Voyage de Fontainebleau par Petit-Bourg. — L'électeur de Bavière y vient passer quinze jours et retourne à Compiègne. — Mariage du prince de Robecque et de la fille du comte de Solre. — Branche de Robecque de la maison de Montmorency. — Fortune du prince de Robecque en Espagne; sa mort, et son frère. — Branche de Solre de la maison de Croï. — Origine de cette maison. — MM. de Solre sortis de la branche de Chimay. — Évêque de Cambrai fait duc. — Chimère du fils aîné du dernier comte de Solre. — Branche d'Havré de la maison de Croï sortie de la branche de Solre. — Éclat près d'arriver entre le duc de La Rochefoucauld et moi, arrêté par le duc de Noailles. — Trois mille livres d'augmentation de pension à Saint Hérem. — Douze mille livres d'appointements à Bloin sur la Normandie pour le gouvernement de Coutances. — Comte de La Mothe, rappelé, voit le roi dans son cabinet. — Sage politique du roi sur les emplois dans les provinces. — Naissance de l'infant don Ferdinand.

Besons fit le siége de Landau, où Villars vint une fois ou deux se promener et faire le général. Il commandait l'armée qui couvrait le siége. La tranchée y fut ouverte la nuit du 24 au 25 juin. Pendant ce temps-là Dillon alla attaquer Kayserslautern. Six cents hommes et trente-sept officiers qui le défendaient sous un colonel, se rendirent prisonniers de guerre. Biron, lieutenant général, aujourd'hui duc et pair, et doyen des maréchaux de France, y perdit un bras à une grande sortie, et n'a pas servi depuis. Villars fit cependant force détachements au long et au large, et à son ordinaire ne s'oublia pas pour les contributions. Le 19 août on battit la chamade à Landau. On ne put convenir que le 20. Le prince Alexandre de Wurtemberg, gouverneur, se rendit avec sa garnison prisonnière de guerre. Il en sortit quatre mille huit cents hommes, qui furent distribués en la haute Alsace, et le prince de Wurtemberg eut un congé de trois mois. Il resta douze cents blessés dans la place, où il ne se trouva plus que vingt milliers de poudre et soixante pièces de canon, la plupart hors de service. Lutteau, frère de la maréchale de Besons, apporta la prise au roi, et Valory, frère de l'ingénieur qui avait conduit les travaux du siége, en apporta le détail et trente-neuf drapeaux.

Villars eut en même temps la Toison, sans qu'on ait jamais su par où, et sans avoir eu aucun rapport de guerre ni d'affaires avec l'Espagne. C'était un homme qui voulait tout, et le plus impudent qu'il fût possible à se vanter et à demander. La surprise de cette Toison fut universelle. Il passa le Rhin le 12 septembre, partie au Port-Louis, partie sur le pont de Strasbourg. Il prit fort aisément les retranchements que les ennemis avaient faits près de Fribourg, et incontinent après il investit cette place.

Le cardinal de Bouillon, méprisé au dernier point dans tous les Pays-Bas, depuis l'étrange mariage qu'il avait fait de sa nièce, et le procès perdu en conséquence contre la duchesse d'Aremberg, ne savait plus où se tenir dans ces provinces, après avoir essayé et changé de divers séjours. Il s'était encore fait moquer de lui par l'air important qu'il avait pris d'affecter de se tenir à portée d'Utrecht, comme si les affaires d'un aussi petit particulier que lui eussent pu y être traitées. Ce prétexte finit à sa confusion, il se retira chez l'évêque de Ruremonde, d'où, ne sachant plus que devenir, il s'achemina enfin à Rome par l'Allemagne et le Tyrol, à quatre ou cinq lieues par jour, et force séjours pour tuer le temps et allonger son voyage.

L'électeur de Bavière arriva de Compiègne en cette petite maison qu'il avait empruntée à Suresne dans le même temps que le roi apprit la prise de Landau qu'il lui manda par d'Antin. Il vint quelques jours après, sur le soir, à Marly, ayant passé la journée à voir jouer les eaux à Versailles. Il fut quelque temps seul avec le roi dans son cabinet, soupa chez d'Antin, joua au salon avant et après souper, avec M. [le duc] et Mme la duchesse de Berry, et s'en retourna à Suresne.

Le mercredi 30 août, le roi tint le conseil d'État à Marly, dîna à son petit couvert, puis alla tout droit coucher à Petit-Bourg, chez d'Antin, et le lendemain à Fontainebleau. Il avait dans son carrosse Mme la duchesse de Berry auprès de lui, Mme la Duchesse, sa nouvelle belle-fille, et Mlle de Charolais au devant; M. le duc de Berry et la nouvelle princesse de Conti aux portières; Madame, qui était un peu incommodée, aima mieux aller dans son carrosse. L'électeur de Bavière y arriva le samedi 9 septembre, dans le logement d'un concierge du jardin de Diane, qu'on lui avait meublé tout auprès de celui de d'Antin, qui lui avait fait accommoder une petite loge pour être incognito à la comédie, et y entrer et en sortir commodément quand il voudrait. D'Antin se chargea de lui donner à dîner et à souper, et de lui fournir force joueurs chez lui dès le matin, et toute la journée. Il fut à plusieurs chasses à cheval, et à plusieurs promenades du roi autour du canal, où d'Antin le mena toujours dans son carrosse. Il avait les soirs force dames à jouer chez lui, et allait toujours chez Mme la duchesse de Berry les jours qu'il y avait jeu chez elle. Il vit le roi un quart d'heure seul dans son cabinet le mardi 26 septembre, après son lever, y prit congé de lui, et partit pour aller passer un jour dans une maison qu'il venait d'acheter à Saint-Cloud, et de là retourner à Compiègne. Il ne vit le roi dans son cabinet que cette seule fois à Fontainebleau.

La comtesse de Solre vint avec sa fille à Fontainebleau prendre congé du roi pour mener sa fille en Espagne épouser le prince de Robecque et être dame du palais de la reine d'Espagne. Il ne sera pas inutile de s'arrêter un peu ici.

M. de Robecque était de la maison de Montmorency, d'une branche sortie du second fils de Louis de Montmorency, chef de la branche de Fosseux devenue depuis l'aînée de la maison de Montmorency, et de Marguerite de Wastines qui s'établit aux Pays-Bas. Ogier, ce puîné de Fossieux qui fit la branche de MM. de Robecque, ni son fils ne figurèrent point; son petit-fils figura fort peu, Louis, fils de ce dernier, encore moins; mais il eut par son mariage avec J. de Saint-Omer, les terres de Morbecque et de Robecque, et quelques autres, et par sa mère, dame d'honneur de la reine de Hongrie, gouvernante des Pays-Bas, fille d'Adrien III Villain, et de Marguerite Stavèle, dame d'Isenghien, la terre d'Esterres et quelques autres. Esterres fut érigé en comté en 1611. Jean, son fils, servit beaucoup en Hongrie, eut la Toison d'or et le gouvernement d'Aire; il fut créé par Philippe IV prince de Robecque, ce qui ne donne que la dénomination et nul rang ni privilége, et marquis de Morbecque. Il avait épousé Madeleine de Lens, et il mourut en 1631. Eugène, son fils, prince de Robecque, fut gendre du duc d'Arschot-Ligne-Aremberg, et beau-père du comte de Brouay-Spinola. Ce prince de Robecque eut la Toison d'or, et il commandait dans Saint-Omer lorsque le roi prit cette place en 1677. Il mourut en 1683. Son fils, Philippe-Marie, prince de Robecque, passa en 1678 au service de France, et mourut de maladie à Briançon en 1691, ayant un régiment. Il avait épousé une fille du comte de Solre, chevalier de la Toison d'or, père du chevalier de l'ordre du Saint-Esprit, et d'Isabelle Claire Villain, sœur du prince d'Isenghien, gendre du maréchal d'Humières, et père du maréchal d'Isenghien. L'autre sœur du prince d'Isenghien, gendre du maréchal d'Humières, fut mariée en Espagne au duc de Montellano. Elle fut choisie par la princesse des Ursins dans sa première disgrâce pour être camarera-mayor de la reine, en sa place, qu'elle reprit à son retour, et [celle-ci] l'aima et la protégea toujours depuis. Elle fut depuis camarera-mayor de la princesse des Asturies, fille de M. le duc d'Orléans, morte à Paris reine d'Espagne et veuve.

Ce prince de Robecque mort à Briançon laissa une fille religieuse et deux fils. L'aîné, à l'occasion duquel cette descendance est traitée, porta le nom, sans rang ni distinction nulle part, comme ses pères, de prince de Robecque; le cadet celui de comte d'Esterres. Tous deux servirent en France: l'aîné fut maréchal de camp. À la fin de 1709, il passa, avec l'agrément du roi, en Espagne, pour s'y attacher. La duchesse de Montellano était, comme on l'a vu, sœur de sa grand'mère, et le comte de Solre, chevalier du Saint-Esprit, lieutenant général au service de France, était frère de sa mère. Ce comte de Solre avait épousé une Bournonville, cousine germaine de la maréchale de Noailles, filles des deux frères, et fort liée avec elle. Le crédit de la maréchale de Noailles et celui de la duchesse de Montellano sur Mme des Ursins, qui avait fort connu et aimé aussi la comtesse de Solre dans les anciens temps qu'elle avait passés à Paris, firent la fortune du prince de Robecque en Espagne. Il fut fait lieutenant général en arrivant, fort approché du roi d'Espagne, gentilhomme de la chambre bientôt après, grand d'Espagne de la première classe en avril de cette année, pour épouser Mlle de Solre, sa cousine germaine, car le mariage en fut réglé dès lors, et on le verra en 1716 colonel du régiment des gardes wallones. Il eut aussi la Toison d'or, mais il mourut sans enfants, un mois après avoir eu les gardes wallones.

Son frère, le comte d'Esterres, eut le régiment de Normandie, et est devenu lieutenant général en France avec grande distinction. Le duc de Noailles l'envoya porter la nouvelle de la réduction de Girone, où il s'était signalé, au roi d'Espagne à Saragosse, en 1711, qui lui donna la Toison d'or. Il a depuis succédé aux biens et à la grandesse de son frère, mais sans quitter la France. Il n'est pas temps d'en dire davantage sur lui. Venons maintenant au comte de Solre, qui est une branche de la maison [de] Croï. On verra bientôt pourquoi je m'arrête à quelques remarques.

La plupart des grandes maisons ont des chimères, et ces chimères leur font plus de mal que de bien. Celle-ci a poussé la folie jusqu'à une généalogie qui la conduit depuis Adam jusqu'à André II, roi de Hongrie; et cette généalogie, bien écrite et bien enluminée, est étalée dans le château d'Havré. Les armes de Hongrie et les leurs sont les mêmes; de cela seul vient leur prétention de sortir des rois de Hongrie, sans pouvoir en montrer d'autres titres. Le maréchal de Besons portait celles de Suède. Les Bazin [51] sont encore trop nouveaux pour en rien conclure. S'ils s'élèvent, ils auront dans quelques siècles le même titre pour sortir des premiers rois de Suède que la maison de Croï pour venir de ceux de Hongrie. Les ducs de Sully et de Montausier portaient les mêmes armes; jamais les Béthune ni les Sainte-Maure n'ont imaginé sortir de la même souche. MM. de Hennin, comte de Bossu, et depuis prince de Chimay, et MM. de Noailles, portent aussi les mêmes armes, sans avoir imaginé d'être parents: les uns des Pays-Bas, les autres de Limousin; et toutes ces mêmes armes se portent par tous en plein et sans alliance. Ces exemples ne sont pas rares, et ne sont rien moins que concluants. De l'extrémité d'Adam et des rois de Hongrie, on a passé à celle de vouloir fixer au fameux Chièvres, gouverneur de Charles-Quint, l'époque de l'élévation de la maison de Croï, qui est une autre absurdité, puisque son grand-père paternel fut grand maître de France en 1462, chevalier de la Toison d'or en 1475, et gendre d'Antoine de Lorraine, comte de Vaudemont; et son grand-père maternel était Louis de Luxembourg, comte de Saint-Paul, de Brienne et de Ligny, connétable de France. En voilà assez pour montrer le ridicule de cette calomnie. Voyons maintenant quelle est la vérité sur cette maison.

La terre de Croüy ou Croï a donné l'origine, l'être et le nom à cette maison. Cette terre, qui se trouve nommée et écrite en ces deux façons, dont la dernière a prévalu, est située sous Pecquigny, près la rivière de Somme, et l'abbaye du Gard est bâtie dans les marais de Croï. Eustache, seigneur de Pecquigny ou Picquigny, car ce nom s'écrit aussi en ces deux manières, avait la terre de Croï en 1066, et la fondation du chapitre de Pecquigny le prouve. Il était aussi vidame d'Amiens. Son petit-fils Gérard, sire de Pecquiquy et vidame d'Amiens, possédait encore la terre de Croï et tous ses environs. Cela se prouve par la fondation qu'il fit de l'abbaye du Gard. Il la bâtit sur le terroir de Croï; lui donna la moitié de ce village et des fermes voisines, et cela est de 1115. Enfin Gilles, seigneur de Croï, qui est le premier de cette maison que l'on connaisse, est nommé homme lige d'Enguerrand, vidame d'Amiens, dans un titre de l'abbaye du Gard de 1215. Cela fait un gentilhomme le premier connu de sa race, et dans une antiquité fort ordinaire, qui a un très-médiocre fief dont il porte le nom, qui devient celui de sa postérité, et qui relève en plein d'un seigneur dont la grande seigneurie rend ce fief fort petit, ainsi que le gentilhomme dont il est tout l'avoir, sans qu'on sache par où il lui est venu. Mais il est vrai que la postérité de ce gentilhomme ne tarda pas à s'illustrer, et qu'elle eut le bonheur de s'élever en tous genres à pas de géant. Tout y est petit et obscur jusqu'à Jacques Ier, sire de Croï, qui vivait sans figure en 1287, qui épousa Marguerite d'Araisnes, dont le fils, qu'on ne voit pourtant point figurer, et qui fut Jacques II, sire de Croï et d'Araisnes, épousa en 1313 Marie de Pecquigny, fille du vidame d'Amiens. Cette alliance fut le premier grand pas. Guillaume 1cr, seigneur de Croï et d'Araisnes, épousa, en 1354, Isabeau, fille et héritière d'André, seigneur de Renti, et de Marie de Brimeu. Ce fut encore une autre illustration, jointe à une grande fortune de biens, qui fut estimée telle que toute la maison de Croï, qui en est sortie, a toujours constamment, et dans toutes ses branches jusqu'à aujourd'hui, écartelé ses armes, au deuxième et troisième de Renti. Jean, premier sire de Croï, de Renti, etc., fils de ce mariage, épousa Marguerite de Craon, et fut tué en 1415 à la bataille d'Azincourt. Ce fut lui qui commença la grandeur de sa maison. Il fut chambellan du roi et des deux derniers ducs de Bourgogne, et grand bouteiller de France. Ses sœurs furent bien mariées. Un de ses fils fit la branche de Chimay; et son fils aîné Antoine, dont il a été parlé d'avance, fut gendre d'Antoine de Lorraine, comte de Vaudemont. Il fut sire de Croï, de Renti, de Beaurain, de Rosay, de Bar-sur-Aube, comte de Beaumont, de Porcan et de Guines. Il fut grand maître de France en 1462, puis chevalier de la Toison, fut surnommé le Grand, et mourut en 1475. Arschot lui vint par sa femme avec d'autres terres. Son second fils fit la branche de Rœux. Son aîné ne fut pas si heureux que lui; il épousa la fille du connétable de Saint-Pol, comme on l'a déjà dit, et fut père de deux fils qui ne figurèrent point, et d'un troisième qui fut le célèbre seigneur de Chièvres, gouverneur de Charles-Quint. En voilà assez pour montrer quelle est la maison de Croï, qui a eu le bonheur d'être illustre en tout genre, en toutes ses branches. Il est temps de nous ramener à celle de Solre. Jean de Croï, second fils de Jean, sire de Croï, et de Marguerite de Craon, et frère du grand maître de France, figura fort dans les Pays-Bas, où il eut toute sa vie de grands emplois de guerre et de paix. Il fut chevalier de la Toison d'or. Charles, dernier duc de Bourgogne, érigea en sa faveur en comté la terre de Chimay, qu'il avait acquise du dernier seigneur de Morœil [52]. Il en porta le nom, qui devint celui de sa branche. Il épousa une héritière de Lalain; il eut beaucoup d'enfants; il n'y eut que les trois premiers qui figurèrent et beaucoup. L'aîné seul de tous continua la postérité. Le second fut évêque de Cambrai, et ce fut lui qui le premier fut évêque et duc de Cambrai, par lettres de l'empereur Maximilien Ier, de 1510, titre sans nul rang et de pure décoration, dès lors et toujours depuis. Philippe de Croï, comte de Chimay, l'aîné de tant d'enfants, figura grandement toute sa vie, maria de même ses filles et ses fils, qu'il eut de Walpurge de Meurs, et mourut en 1482. De ses trois fils le second n'eut point de postérité; le troisième fit la branche de Solre, où on va revenir. L'aîné, qui figura presque autant que son père, fit un très-grand mariage; il épousa en 1495 Louise d'Albret, vicomtesse de Limoges, dame d'Avesnes et de Landrecies; sœur de Jean d'Albret, roi de Navarre; fille d'Alain dit le Grand, sire d'Albret comte de Gavre, de Dreux, de Penthièvre et de Périgord, etde Françoise de Bretagne. Il mourut en 1527, et ne laissa que deux filles, dont l'aînée reporta ce grand héritage dans sa maison par son mariage avec Philippe II, sire de Croï, premier duc d'Arschot; et l'autre, qui ne laissa pas d'être fort riche, épousa Charles, comte de Lalain. Leur père avait été créé prince de Chimay en 1486, par l'empereur Maximilien Ier, titre d'honneur sans aucun rang.

Antoine de Croï, frère puîné de ce premier prince de Chimay, fit la branche de Solre. Il porta le nom de seigneur de Sempy, servit Maximilien Ier, eut la Toison d'or et le gouvernement du Quesnoy, et fut gendre de Jacques de Luxembourg, marquis de Richebourg. Jacques, son fils, ne figura point, quoique chevalier de la Toison d'or. Il épousa Yolande, fille aînée de Philippe de Lannoy, chevalier de la Toison d'or, dont il eut les terres de Molembais, et de Solre qui donna le nom à sa branche. Philippe son fils alla en Espagne, où il fut créé comte de Solre en 1591. Il fut aussi chevalier de la Toison d'or, capitaine de la garde du roi d'Espagne à Bruxelles, grand écuyer et conseiller d'État des archiducs, et grand bailli de Tournai; il mourut au commencement de 1612. Il fut marié trois fois: d'Anne de Beaufort en Artois, il eut J. de Croï, comte de Solre, son fils aîné qui continua la branche; d'Anne de Croï, dame de Renti, un fils qui fut chef des finances des Pays-Bas, gouverneur de Tournai, en faveur duquel Philippe IV érigea la terre d'Havré en duché en 1627, dont il avait épousé l'héritière qui était aussi Croï, mourut en 1640 et ne laissa que des filles. De l'héritière de Coucy, veuve d'un Mailly, que le premier comte de Solre épousa en troisièmes noces, il ne laissa qu'un fils qui fit la branche des ducs d'Havré.

J. de Croï, quatrième de cette branche, et second comte de Solre, oncle paternel du premier duc d'Havré qui n'eut point de suite, et frère aîné de celui qui fit la branche des ducs d'Havré, fut chevalier de la Toison d'or, capitaine de la garde espagnole, du conseil de Flandre, gentilhomme de la chambre du roi d'Espagne, et mourut à Madrid en 1640. J, de Lalain, sa femme, lui apporta Renti qu'elle eut de sa mère qui était Croï, et de son père la terre et ville de Condé, qui est devenue une des bonnes places du roi, mais dont la seigneurie est demeurée aux comtes de Solre. Son fils, troisième comte de Solre, fut chevalier de la Toison d'or comme son père, son grand-père, son aïeul, et son trisaïeul chef de cette branche, figura peu ou point, se tint aux Pays-Bas. C'est celui dont on a parlé par avance, qui épousa la Villain-Isenghien, dont il a eu le comte de Solre qui épousa la Bournonville, prit le service de France, fut chevalier du Saint-Esprit en 1688, le cinquante-neuvième de la promotion, c'est-à-dire après vingt-sept gentilshommes, et en ayant onze après lui. Il est mort à Paris en 1718, lieutenant général et gouverneur de Roye, Péronne et Montdidier, à soixante-dix-sept ans. C'est lui dont la femme vint prendre congé à Fontainebleau avec leur fille pour la mener épouser le prince de Robecque en Espagne, comme on l'a vu d'abord, à l'occasion de quoi cette digression a été faite. Mlle de Solre était cousine germaine du prince de Robecque, dont la mère était soeur du comte de Solre. Outre cette fille il eut deux fils: l'aîné porta le nom de comte de Croï; le cadet de comte de Beaufort, qui succéda au régiment du chevalier de Solre son frère, tué à la bataille de Malplaquet, et qui, lassé longtemps après de n'avancer pas assez dans le service de France, est passé en Espagne. Or voici pourquoi la digression.

Le comte de Croï, fils aîné du comte de Solre, chevalier du Saint-Esprit, était un homme fort singulier. Il voulut profiter de la simplicité et du peu d'esprit de son père pour devenir le maître dans la famille. Sa mère, qui était une femme d'esprit, et volontiers d'intrigue, ne s'accommoda pas de ce projet; ils luttèrent longtemps l'un contre l'autre, jusqu'à ce que le fils sut si bien gagner et gouverner son père qu'il le brouilla avec sa mère. Les éclats domestiques percèrent, les parents et les amis s'en mêlèrent et y échouèrent. La comtesse de Solre maltraitée au dernier point voulut se séparer; la conjoncture du mariage de sa fille se présenta. Elle n'était plus jeune, avait toujours été laide, elle avait perdu l'espérance de s'établir. Sa mère l'avait toujours aimée avec passion; et réciproquement. Elle saisit une occasion si naturelle de séparation sans éclat, et mena sa fille en Espagne, dans la résolution, qu'elle a tenue, d'y vivre avec elle et de n'en revenir jamais. Après son départ son fils demeura le maître absolu. Il fut lieutenant général en 1718, un mois avant la mort de son père, après laquelle il se fit appeler le prince de Croï; et il épousa une fille du comte de Milandon, du côté de Liége, vers l'Allemagne, qu'il infatua de sa nouvelle chimère.

On n'est prince que par être de maison actuellement souveraine. On vient de voir l'origine de la maison de Croï fort éloignée de cette extraction. Aucun de cette maison n'a prétendu l'être; et s'il y a eu un ou deux princes de l'empire, ce n'a pas été d'origine, ç'a été par érection des empereurs; ce n'a pas été même dans la branche de Solre; et ces princes des empereurs n'ont aucun rang en France, ni ailleurs que chez l'empereur, et encore fort court, et en Allemagne. J'ai vu sans cesse la comtesse de Solre et sa fille debout au souper, à la toilette et dans tous les lieux où les duchesses et les princesses sont assises. Le comte de Solre n'imagina pas de faire la moindre difficulté de prendre l'ordre parmi et fort au-dessous du milieu des gentilshommes, et de se trouver toute sa vie parmi eux à toutes les cérémonies de l'ordre du Saint-Esprit. Rien de tout cela ne put balancer la fantaisie de ce premier prince de sa race. Il se retira dans ses terres; sa femme avec ses nouvelles prétentions n'en sortit point. Ils s'y amusèrent à épargner et à plaider, à faire les princes dans leur maison sans y voir personne; et ce fondateur de princerie mourut chez lui à Condé à la fin de 1723, à quarante-sept ans, fort mal avec son frère qui voulait son bien, et point du tout être prince. La femme, avec un fils presque en nourrice, demeura veuve chez elle, fit appeler cet enfant le prince de Croï, et vint enfin avec lui à Paris quand il fut d'âge à l'établir. Elle ne mit pas en doute d'être assise; il est vrai aussi qu'on ne mit pas en doute que cela ne se devait pas. Elle jeta feu et flammes, elle intrigua, elle n'alla point à la cour, mais elle fit tant de bruit que le cardinal Fleury donna d'emblée un régiment à son fils. Elle l'a depuis marié à une fille du duc d'Harcourt, et leur tabouret est encore à venir; mais il viendra tôt ou tard, dans un pays de confusion, et où, comme que ce soit, il n'y a qu'à prétendre, être audacieux, impudent, et ne quitter point prise. Puisque j'en ai tant dit sur la maison de Croï, voyons la branche d'Havré qui vient d'achever de s'établir en France.

Philippe-François de Croï, qui a fait la branche des ducs d'Havré, fut fils unique du troisième mariage du premier comte de Solre avec la veuve de Louis de Mailly, seigneur de Rumesnil, fille aînée et héritière de Jacques II de Coucy, seigneur de Vervins. Il épousa Marie-Claire de Croï, unique héritière de la branche des marquis d'Havré qui était veuve de son frère, que Philippe IV, comme on l'a dit, fit duc d'Havré en 1627, et qui ne laissa que trois filles mariées, et un fils unique qui se fit carme, et mourut nommé à l'évêché de Gand. Philippe-François de Croï devint donc duc d'Havré par ce mariage, et fut chef de la branche des ducs d'Havré. Il fut fait grand d'Espagne, chevalier de la Toison d'or, gouverneur du duché de Luxembourg et comté de Chiny, et chef des finances des Pays-Bas. Il mourut à Bruxelles en 1650. Il ne laissa qu'un fils qui eut la Toison, et fut fait prince et maréchal de l'empire je ne sais par où, et mourut à Bruxelles en 1694. Il avait épousé en 1668 la fille et héritière d'Alexis d'Halluyn, seigneur de Wailly près d'Amiens, et de plusieurs autres terres. Elle a vécu fort vieille, et est demeurée seule et la dernière de la maison d'Halluyn. Je l'ai vue plusieurs fois à Paris venir voir ma mère. Elle n'allait point à la cour parce qu'elle n'avait point de rang; les princes de l'empire n'en ont aucun en France, et les grands d'Espagne n'y en avaient point encore. Elle n'eut que deux fils qui vécurent, et des filles. L'aîné des fils s'avança au service de Philippe V; il fut lieutenant général et colonel du régiment des gardes wallones, à la tête duquel il fut tué en héros à la bataille de Saragosse que les ennemis gagnèrent en septembre 1710; il n'était point marié. Son frère lui succéda au titre de duc d'Havré, à la grandesse, et au régiment des gardes wallones. La princesse des Ursins lui fit épouser la fille de sa sœur, la duchesse Lanti, qu'elle fît venir en Espagne, et qu'elle fit dame du palais. Quelque temps après la disgrâce de Mme des Ursins, on voulut faire quelques changements considérables dans les gardes wallones, fort désagréables à ce régiment; le duc d'Havré s'y opposa avec tant d'opiniâtreté que le régiment lui fut ôté, et donné au prince de Robecque, comme on a vu ci-devant. Comme il était adoré dans ce régiment, le marquis de Lavère, frère du prince de Chimay qui en était lieutenant-colonel, et lieutenant général dans les troupes d'Espagne, quitta avec toute la tête et dans le reste tout ce qu'il y avait de meilleur. Le duc d'Havré revint en France avec sa femme, qui perdit sa place de dame du palais. Ils se retirèrent dans leurs terres de Picardie, où le duc d'Havré mourut sans avoir paru à la cour ni dans le monde. Sa veuve s'appliqua fort à raccommoder les affaires de cette famille qui étaient fort délabrées. Elle est sœur du prince de Lanti que Mme des Ursins avait fait grand d'Espagne par un mariage à Madrid, et du cardinal Lanti qui vient d'être promu fort jeune, et qui vit à Rome. Elle a marié ses deux fils: l'aîné à une fille du maréchal de Montmorency; l'autre en Espagne à la fille unique de son frère, qui le fait grand d'Espagne, et où il s'est allé établir. Le duc d'Havré a un régiment, jouit ici de son rang de grand d'Espagne, et n'a jamais eu non plus que son père ni sa mère, les chimères de princerie de son cousin le prétendu prince de Croï.

Peu de temps après que le roi fut à Fontainebleau, j'appris qu'il paraissait sous le manteau un mémoire de M. de La Rochefoucauld sur sa prétention d'ancienneté contre moi, où l'avocat s'était, faute de meilleures raisons, laissé aller à quelques impertinences; et j'en fus assuré par une copie qui me tomba entre les mains. J'y fis sur-le-champ une réponse, où je ne ménageai rien de tout ce que jusqu'alors j'avais couvert avec tant de peine, et où d'ailleurs je n'épargnai pas qui m'attaquait. Le duc de Noailles, que je voyais fort familièrement alors, me surprit avec cette pièce entre les mains. Il fut effrayé de son tissu. Il me conjura de ne la pas répandre, et d'attendre qu'il eût parlé au duc de La Rocheguyon. Il revint promptement m'assurer que M. de La Rocheguyon désavouait la pièce dont j'avais lieu de me plaindre, qu'il retirerait tout ce qui en avait paru, et qu'il la supprimerait de façon qu'on ne la verrait jamais, pourvu que je voulusse bien aussi supprimer ma réponse. Je dis au duc de Noailles que je ne cherchais point querelle dans cette affaire, comme il n'y avait que trop paru dans toute ma conduite; mais qu'il ne fallait pas croire aussi que ce fût par manque de moyens, de hauteur et de courage; qu'il paraîtroit quelques copies de ma réponse, comme il en avait paru du mémoire auquel elle répondait; et que, si le mémoire disparaissait, comme il m'en portait parole, je ne répandrais pas davantage de réponses, et prendrais pour bons tous les compliments et les protestations dont il était chargé; sinon, que je ne m'entendais point aux subterfuges; et que, de bouche et par écrit, je ne ménagerais rien, et tâcherais, en procédés et en choses, de faire durement repentir qui m'attaquait lorsque j'avais le moins lieu de m'y attendre. En effet, je parlai, et je distribuai quelques exemplaires de ma réponse. Tout aussitôt le mémoire désavoué disparut à Paris et à la cour, où presque personne ne l'avait vu. Le duc de Noailles, et après lui le duc de Villeroy, et le duc de La Rocheguyon ensuite, m'accablèrent de civilités et de protestations, moi de réponses un peu froides, et il ne fut plus question d'écrits. Cela ne laissa pas de faire du bruit que le roi voulut ignorer, qui même ne songea pas alors à décider cette question de préséance jugée par l'édit de 1611, mais que les cris de M. de La Rochefoucauld l'avaient forcé à lui accorder de se la faire rapporter de nouveau, et à la juger comme si elle n'eût pas été décidée.

Le roi donna trois milles livres d'augmentation de pension à Saint-Herem, gouverneur et capitaine de Fontainebleau, qui en avait déjà une pareille, pour qu'il eût six mille livres de pension, comme avait son père. En même temps il chargea la province de Normandie de douze mille livres d'appointements pour le gouvernement de Coutances, en faveur de Bloin, un de ses premiers valets de chambre, à qui il avait donné le haras de Normandie qu'avait Monseigneur. Il est vrai que, pour un valet qui avait d'autres pensions, et avec elles la pécunieuse intendance de Versailles et de Marly, c'était peu que le double d'un seigneur fort mal dans ses affaires.

Le comte de La Mothe était demeuré exilé depuis sa reddition de Gand. Il fit tant agir auprès du roi qu'il eut permission de venir le saluer à Fontainebleau, et d'entrer même dans son cabinet, où il voulut entrer en quelque justification. Le roi lui dit assez froidement qu'il la tenait pour faite et qu'il était content de lui. Avec cela il sortit du cabinet, et son affaire fut finie. Il parut après à la cour et dans le monde en liberté, mais sans aucune marque de bienveillance tant que le roi vécut.

Je ferai mention ici d'une bagatelle pour montrer combien le roi, qui avait été élevé parmi les troubles, et qui y avait pris quelques bonnes maximes de gouvernement, s'en départait difficilement. Le petit gouvernement d'Alais, en Languedoc, vaqua; il le donna à Baudoin qu'il estimait, et qui avait été lieutenant-colonel du régiment de Vendôme. On peut juger que M. du Maine, gouverneur de Languedoc, y avait influé, et pour un officier qui avait été attaché à M. de Vendôme. Peu de temps après, je ne sais comment il arriva que le roi sut que Baudoin était de Languedoc; aussitôt il lui fit dire de rendre le brevet de ce petit gouvernement, avec promesse d'avoir soin de lui en donner un autre; et donna le gouvernement d'Alais à d'Iverny, brigadier d'infanterie, qui n'était point de ce pays-là.

La reine d'Espagne accoucha pour la dernière fois d'un quatrième prince. Il eut pour parrain et marraine le roi et la reine de Sicile, ses aïeuls maternels, et fut nommé Ferdinand. Il est devenu prince des Asturies par la mort de tous les princes ses aînés. Il a épousé la fille du roi de Portugal et de la sœur des empereurs Joseph et Charles, derniers de la maison d'Autriche, dont il n'a point d'enfants. Il naquit à Madrid le 23 septembre de cette année, et y fut proclamé et juré aux cortès de 1724 successeur de la monarchie des Espagnes.

Suite
[51]
Le manuscrit porte Bazin et non Besons, comme on l'a imprimé dans les précédentes éditions. Bazin, ou Basin, était le nom de famille des Besons.
[52]
Il y a Morœil dans le manuscrit et non Mareuil, comme on l'a imprimé dans les précédentes éditions.