CHAPITRE IX.

Degrés rapides qui, du plus profond non-être, portent à la capacité de porter à la couronne, par droit de naissance, la postérité sortie du double adultère du roi et de Mme de Montespan. — Adresse de la réception de César, duc de Vendôme, au parlement. — Traversement du parquet par les princes du sang; son époque. — Réflexions. — Position de l'esprit du roi sur ses bâtards paraît bien peu égale.

1. Lettres de légitimation en faveur de Charles-Louis (le chevalier de Longueville), avec permission de porter le nom de bâtard d'Orléans, et déclaré capable de posséder toutes charges; vérifiées au parlement sans que le nom de la mère y fût exprimé; dont c'est le premier exemple, 7 septembre 1673.

Telle fut la planche pour légitimer les enfants du roi, leur faire porter le nom de Bourbon, leur pouvoir donner des charges, et sans nommer Mme de Montespan.

2. Lettres de légitimation en faveur de Louis-Auguste, né dernier mars 1670 (le duc du Maine); de Louis-César, né 1672 (le comte du Vexin); de Louise-Françoise, née en 1673 (Mlle de Nantes, depuis Mme la Duchesse); toutes de décembre 1673, vérifiées 20 des mêmes mois et an.

3. Noms de provinces imposés, qui ne se donnent qu'à des fils de France.

4. Avant le pouvoir, le duc du Maine pourvu en février 1674, c'est-à-dire avant l'âge de quatre ans, de la charge de colonel général des Suisses et Grisons.

Lettres de légitimation en faveur de Louise-Marie-Antoinette (Mlle de Tours), janvier 1676. Elle mourut 15 septembre 1681.

5 et 6. Lettres de décembre 1676, qui déclarent Louis-Auguste de Bourbon capable de posséder toutes charges et qu'il serait nommé duc du Maine. (Le comte de Toulouse n'a rien eu d'écrit pour porter ce nom.)

Ainsi cette déclaration donna la faculté que le fait avait précédé de deux ans, tant pour les charges que pour l'appellation de duc du Maine, et suppose en lui d'avance, comme on le va voir, le nom de Bourbon qu'il n'avait pas.

7. Le comte de Vexin, tout contrefait, nommé à l'abbaye de Saint-Germain des Prés et à celle de Saint-Denis; mort le 10 janvier 1683, à dix ans et demi, dans l'abbatial de Saint-Germain des Prés.

8 et 9. Lettres patentes portant que le duc du Maine, le comte de Vexin, Mlle de Nantes et Mlle de Tours, porteront le surnom de Bourbon, et se succéderont les uns aux autres tant pour les biens qu'ils ont reçus de notre libéralité, que pour ceux qu'ils pourront acquérir d'ailleurs, comme aussi que leurs enfants se succéderont selon l'ordre des successions légitimes. Données au mois de janvier 1680, registrées en parlement le 11 janvier même année, et en la chambre des comptes le lendemain.

Ainsi les voilà égalés aux autres hommes, élevés du néant à la condition commune, enrichis de tous les droits des légitimes dans la société, en même temps décorés du surnom de la maison régnante, et de noms de provinces que les princes du sang même ne portent pas.

10. Don fait (c'est-à-dire arraché pour tirer de Pignerol M. de Lauzun) au duc du Maine de la principauté de Dombes, etc., par Mademoiselle, 2 février 1681.

Lettres de légitimation en faveur de Françoise-Marie, née en mai 1677 (Mlle de Blois, depuis duchesse d'Orléans), et de Louis-Alexandre, né le 6 juin 1678 (le comte de Toulouse), avec permission de porter le nom de Bourbon; et la faculté tant à eux qu'à Louis-Auguste, Louis-César, Louise-Françoise, de se succéder les uns aux autres, etc. Ces lettres données en novembre 1681, registrées le 22 du même mois et an.

11. Le duc du Maine pourvu du gouvernement de Languedoc en juin 1682, à douze ans.

12. Le comte de Toulouse pourvu de l'office d'amiral de France en novembre 1683, à cinq ans.

Cet office, si nuisible par ses droits pécuniaires, et si embarrassant par son autorité, avait été supprimé avec grande raison. Le roi l'avait rétabli en faveur du comte de Vermandois, enfant qu'il avait eu de Mme de La Vallière, à la mort duquel il le donna au comte de Toulouse.

On remarquera que, le parlement et le monde une fois accoutumés aux bâtards de double-adultère, le roi fit par une seule et même déclaration, pour les deux derniers, ce qu'il n'avait osé présenter qu'en plusieurs pour les premiers.

13. Louise-Françoise de Bourbon, mariée, 24 juillet 1685, à Louis III, duc de Bourbon.

Outre sa dot, ses pierreries et ses pensions, M. son mari eut les survivances de l'office de grand maître de France et du gouvernement de Bourgogne, une forte pension, et toutes les entrées, même celles d'après le souper. M. son père, qui, comme lui, n'en avait aucunes, eut les premières entrées, qui ne sont pas même celles des premiers gentilshommes de la chambre. Avant que le roi eût, à l'occasion d'une longue goutte, l'année de la mort du premier duc de Bretagne, supprimé son coucher aux courtisans, on voyait M. le Prince, qu'il était lors, sur un tabouret dans le coin de la porte du cabinet du roi, en dehors, dans la pièce où tout le monde attendait le coucher, et dormant là tandis que M. son fils était avec le roi, et ce qu'il appelait sa famille. Quand la porte s'ouvrait pour le coucher, M. le Prince se réveillait et voyait sortir M. son fils, M. le duc d'Orléans, Monseigneur, et le roi ensuite, au coucher duquel il demeurait comme les courtisans, et au petit coucher après avec les entrées, et qui était fort court. Le reste de la famille sortait par les derrières.

14. Le duc du Maine, à seize ans chevalier de l'ordre, à la Pentecôte 1686.

Je n'ose dire qu'à douze ans que je n'avais pas encore, j'étais fort en peine et je m'informais souvent de l'état du duc de Luynes qui avait la goutte; je mourais de peur qu'elle ne le quittât, parce qu'il aurait été parrain de M. le prince de Conti avec-le duc de Chaulnes, et M. du Maine eût échu à mon père. La goutte persévéra, et mon père présenta le prince de Conti avec le duc de Chaulnes. L'ordre à un âge inouï, rare aux fils de France, et en quatrième avec M. le duc de Chartres, à qui cette considération le fit avancer alors, [avec] M. le duc de Bourbon (car le grand prince de Condé ne mourut qu'à la fin de l'automne), et [avec] M. le prince de Conti, parut une distinction bien extraordinaire. Monseigneur et Monsieur furent les parrains de M. le duc de Chartres, M. le Prince et M. le Duc de M. le duc de Bourbon; feu M. le prince de Conti, gendre naturel du roi, était mort sans avoir été chevalier de l'ordre, et celui-ci ne l'eût pas été sans le cri général, que le roi craignit, de faire M. du Maine en laissant le prince de Conti. Il était lors exilé à Chantilly, et ne coucha qu'une nuit à Versailles pour la cérémonie. C'était la suite de son voyage en Hongrie. Il ne fut rappelé qu'à l'instante prière de M. le Prince mourant, mais jamais pardonné, comme on l'a pu voir ci-dessus en plus d'un endroit.

15. Le duc du Maine pourvu de la charge des galères, en 1688, à la mort du duc de Mortemart.

16. Le comte de Toulouse gouverneur de Guyenne, en janvier 1689, à onze ans.

17. Le duc du Maine commande la cavalerie en Flandre en 1689.

Jusqu'alors les princes du sang faisaient une ou deux campagnes à la tête d'un de leurs régiments. M. du Maine, à dix-huit ans, et dès sa première campagne, a la distinction que les princes du sang n'obtenaient pas de si bonne heure, qui leur était nouvelle, et qui même en eux blessait fort les trois généraux nés de la cavalerie par leurs charges.

18. Marie-Françoise, mariée, 18 février 1692, à Philippe d'Orléans, duc de Chartres, petit-fils de France.

Ce prodige fut le chef-d'œuvre du double adultère et de la sodomie, l'un et l'autre publics et bien récompensés. La violence ouverte avec laquelle ce mariage du propre neveu du roi, fils unique de son frère, fut fait, eut toute la cour pour témoin, et ce qui s'y passa est détaillé à l'entrée de ces Mémoires. Comparer ce mariage avec ceux de toutes les bâtardes reconnues et légitimées de nos rois et de simple adultère jusqu'à Henri IV inclusivement, la chute est à perte d'haleine.

19. Le duc du Maine épouse, 19 mars 1692, une fille de M. le Prince; encore eut-il le choix des trois.

Le roi donna des espèces de fêtes et se para lui-même aux mariages de ses filles, à celui-ci, et y donna un festin royal, à la totale différence du mariage du prince de Conti avec la fille aînée de M. le Prince, à la célébration duquel il assista et n'y donna ni repas ni fête.

Le duc du Maine lieutenant général, 3 avril 1692.

Il ne fut pas longtemps à acquérir un grade dont il ne fit pas un bon usage, mais par lequel le roi comptait le mener rapidement loin. Ce sont choses qui se sont vues ici en leur lieu.

20. Le comte de Toulouse fait chevalier de l'ordre, et seul, 2 février 1693, avant quinze ans.

21 et 22. Déclaration du roi en faveur des duc du Maine et comte de Toulouse, du 5 mai 1694, registrée le 8 du même mois et an, par laquelle le roi veut qu'eux et leurs enfants qui naîtront en légitime mariage aient le premier rang, immédiatement après les princes du sang, et qu'ils précèdent en tous lieux, actes et cérémonies.... même en la cour de parlement de Paris et ailleurs, en tous actes de pairie quand ils en auront, tous les princes des maisons qui ont des souverainetés hors de notre royaume, et tous autres seigneurs de quelque qualité et dignité qu'ils puissent être, nonobstant toutes lettres, si aucunes y avait à ce contraires, et quand même les pairies desdits princes et seigneurs se trouveraient plus anciennes que celles desdits enfants naturels.

C'est ce qui s'appela le rang intermédiaire, et on va voir que les deux bâtards n'étaient pas encore pairs alors. On a vu plus haut que leur légitimation et ceci fut l'ouvrage de Harlay, procureur général au premier [de ces actes], premier président à l'autre, et qu'à tous les deux il eut parole des sceaux, qu'il n'eut point, et dont il creva enfin de rage.

23. Lettres de continuation de la pairie d'Eu, en faveur du duc du Maine, données en mai 1694, registrées le 8 du même mois et an, pour lui, ses hoirs et ayants cause mâles et femelles, sous le titre ancien du comté et pairie d'Eu, pour en jouir aux rangs, droits et honneurs, etc., ainsi que les anciens comtes d'Eu avaient fait depuis la première érection de 1458.

Le 6 mai 1694 le premier président dit au parlement que le roi l'avait mandé pour lui expliquer ses intentions au sujet des honneurs qu'il voulait être rendus au duc du Maine et au comte de Toulouse, lorsqu'ils iraient au parlement;

Que le roi lui dit qu'il voulait qu'il y eût toujours de la différence entre les princes du sang et les duc du Maine et comte de Toulouse, et d'eux aux ducs et pairs.

Tout ceci fut encore de l'invention du premier président. On verra enfin que cette différence d'avec les princes du sang fut bien solennellement et bien totalement bannie.

24. Qu'il savait (le roi) que le duc de Vendôme avait été reçu très jeune et sans information, Henri IV l'ayant ainsi souhaité. Il croyait que son témoignage pouvait bien servir d'information, et que M. du Maine en pouvait être dispensé.

Ce fut une hardiesse et une supercherie. M. de Sully se faisait recevoir au parlement. On peut juger qu'un favori, surintendant des finances et grand maître de l'artillerie, y alla bien accompagné. Le duc de Vendôme y parût tout à coup sans que personne s'y attendît, et prit subitement sa place. Le parlement se trouva si surpris et en même temps si étonné qu'il n'osa dire mot, et la chose demeura faite. Pour l'âge, on a vu que le duc de Luynes, sans aucune faveur ni distinction, fut reçu sans difficulté, 24 novembre 1639, à dix-neuf ans, et par quel art et quelles raisons Louis XIV a le premier conduit à la fixation de l'âge.

Qu'il savait aussi qu'il n'y avait que les enfants de France qui traversassent le parquet de la grand'chambre; cependant les princes du sang étant en possession de le faire, il ne fallait pas donner atteinte à cette possession, puisque lorsque le duc du Maine prendrait place au parlement il passerait par le barreau;

C'était pour apaiser et flatter les princes du sang, en confirmant pour la première fois une usurpation qui ne l'avait jamais été et qui n'était que tolérée. Le prince de Condé, qu'Henri IV fit venir de Saint-Jean d'Angély pour l'élever à sa cour, se trouvait le plus prochain à succéder à la couronne. Il traversa le parquet, et comme les honneurs ne se perdent point, il le traversa toute sa vie, et prétendit que c'était un droit du premier prince du sang. Traversant un jour le parquet, dans la minorité de Louis XIII [18] , M. son fils, qui le suivait et qui était fier de ses victoires, se mit aussi à le traverser. M. le Prince se tourna pour l'en empêcher. « Allez, allez, monsieur, votre train et laissez-moi faire, lui répondit le fameux duc d'Enghien, nous verrons qui osera m'en empêcher. » Personne n'osa en effet, et depuis cette époque tous les princes du sang l'ont toujours traversé.

25. Qu'il voulait que le premier président se découvrit en demandant l'avis à M. du Maine, et qu'il lui fît une inclination moindre que celle qu'il fait aux princes du sang, en le nommant par le nom de sa pairie;

Il ne nomme point les princes du sang; et les pairs ecclésiastiques il les nomme par leur nom de pairie, et jamais évêque, mais M. le duc de Reims, M. le comte de Beauvais, etc.; pour le bonnet il en sera bientôt mention: ainsi on n'en dit rien ici.

26. Et enfin que les princes du sang à leur sortie de la cour étant précédés par deux huissiers jusqu'à la Sainte-Chapelle, le duc du Maine ne le serait que par un seul.

Les pairs sortant ensemble, ou un seul s'il n'y en avait qu'un en séance, ont aussi un huissier devant eux jusque par delà la grande salle, et quelque chose de plus loin.

27. Que l'enregistrement des lettres de la continuation de la comté d'Eu en pairie se ferait la grand'chambre et tournelle assemblées.

Non toutes les chambres du parlement.

28. Arrêt d'enregistrement et réception du 8 mai 1694, de M. le duc du Maine, en qualité de comte d'Eu et de pair de France au parlement [qui], après le serment par lui fait, sans différence aucune des pairs à cet égard, a pris place au-dessous de M. le prince de Conti.

Les princes du sang ne prêtent point de serment.

29. Arrêt de réception du 8 juin 1694, de Louis-Joseph, duc de Vendôme, en la dignité de pair de France, pour avoir rang et séance, conformément aux lettres patentes du roi Henri IV, du 15 avril 1610 (qui depuis la mort d'Henri IV étaient demeurées ensevelies), en prêtant par lui le serment accoutumé, lequel fait a repris son épée, et a passé sur le banc au-dessus de M. l'archevêque-duc de Reims.

30. Le premier président avait dit auparavant au parlement, par ordre du roi, que l'intention de Sa Majesté était qu'on en usât à la réception de M. de Vendôme, et lorsqu'il viendrait en la cour, ainsi qu'on avait fait à M. du Maine.

31 Lettres d'érection et de rétablissement de la terre et seigneurie d'Aumale en titre et dignité de duché-pairie de France, en faveur du duc du Maine et de ses enfants mâles et femelles, ses héritiers, successeurs et ayants cause, pour en jouir et user aux mêmes titres, droits et honneurs que les autres ducs et pairs, etc. Ces lettres données au mois de juin 1695, registrées 1er juillet même année.

32. Lettres de nouvelle érection de la terre et seigneurie de Penthièvre, en titre et dignité de duché et pairie de France, en faveur du comte de Toulouse, ses hoirs et successeurs et ayants cause, tant mâles que femelles, préférant l'aîné et plus capable d'iceux, etc. Ces lettres données au mois d'avril 1697, registrées en parlement le 15 décembre 1698.

33. Le comte de Toulouse, gouverneur de Bretagne en mars 1698.

On a vu la violence avec laquelle l'échange des gouvernements de Bretagne et de Guyenne fut fait, que le duc de Chaulnes ne s'en cacha pas, et qu'il en mourut tôt après de douleur. On a vu aussi à quel point Monsieur en fut outré, et combien il éclata sur le manquement de parole du roi à lui, pour le premier gouvernement de province vacant, qu'au mariage de M. de Chartres, il s'était engagé de lui donner, et qu'il éludait par là, et sur la puissance dont il revêtait ses bâtards.

34. Le comte de Toulouse, lieutenant général en 1703, et commande la cavalerie sur la Meuse; va plusieurs fois à la mer.

35. Lettres de nouvelle érection des terres d'Arc et de Châteauvillain, unies et incorporées ensemble avec leurs dépendances, en duché pairie sous le nom de Châteauvillain, en faveur du comte de Toulouse, pour en jouir par lui, ses enfants tant mâles que femelles qui naîtront de lui en loyal mariage, etc., données en mai 1703, registrées au parlement 29 août même année.

Il avait d'abord, et avant Penthièvre, eu l'érection en sa faveur de la terre de Damville en duché-pairie, et c'est sous ce nom qu'il fut reçu au parlement. On ne la tire point ici en ligne, parce qu'il vendit depuis cette terre à Mme de Parabère, ce qui a éteint le duché-pairie. Elle est tombée depuis en d'autres mains.

36. Le comte de Toulouse, chevalier de la Toison d'or en 1704, revenant de commander l'armée navale.

37. Dès qu'ils commencèrent à pointer à la cour, le roi leur fit usurper peu à peu toutes les manières, l'extérieur et les distinctions des princes du sang, sans autre chose marquée que le simple usage qui fut bientôt établi chez eux et partout, sans que le roi s'en expliquât que par le fait.

C'est ce qui fit que la duchesse du Maine n'eut point en se mariant le brevet ordinaire aux filles des princes du sang, qui n'épousent pas des princes du sang, de conservation du rang et honneurs de princesse du sang, et qu'elle fut obligée de le prendre lors du règlement de préséance que le roi fit entre les femmes et les filles des princes du sang.

38. Brevet qui conserve à Mme la duchesse du Maine son rang de princesse du sang, du 13 mars 1710.

39. Règlement fait par le roi, le 17 mars 1710, en faveur du prince de Dombes, né 4 mars 1700, et du comte d'Eu, né 15 octobre 1701, enfants du duc du Maine légitimé de France, portant qu'ils auront, comme petits-fils de Sa Majesté, le même rang, les mêmes honneurs et les mêmes traitements dont a joui jusqu'à présent ledit duc du Maine.

C'est-à-dire les rang, honneurs, traitement et l'extérieur en plein des princes du sang sans différence. Cela se glisse ainsi parce que M. du Maine et M. le comte de Toulouse s'en étaient mis d'abord en possession par la volonté du roi tacite, sans ordre public, ni par écrit ni verbal. Ce règlement fut seulement mis en note sur le registre du secrétaire d'État de la maison du roi. On a vu en son lieu ce qui se passa de curieux en cette occasion.

40 et 41. Démission de la charge de général des galères faite par le duc du Maine, 1er septembre 1694, en faveur du duc de Vendôme.

Le duc du Maine pourvu le 10 septembre 1694 de l'office de grand maître de l'artillerie, vacant par la mort du maréchal-duc d'Humières.

42. Le prince de Dombes pourvu en survivance de la charge de colonel général des Suisses et Grisons.

43. Le comte d'Eu pourvu en survivance de l'office de grand maître de l'artillerie, tous deux 16 mai 1710.

44 et 45. Le roi ôte à tous les régiments de cavalerie la compagnie de carabiniers de chaque régiment, sans les dispenser d'en fournir les cavaliers, en fait un corps à part divisé en cinq brigades, avec chacune leur colonel et état-major, en donne le commandement général, détail et toute nomination des cinq colonels et tous les autres officiers au duc du Maine.

Outre ce corps, celui des Suisses et Grisons, et celui de l'artillerie, le duc du Maine avait en particulier, et le comte de Toulouse aussi, chacun un régiment d'infanterie et un de cavalerie.

46, 47, 48 et 49. L'article 2 de l'édit du mois de mai 1711, portant règlement général pour les duchés-pairies, registré le 21 des mêmes mois et an, porte ces mots: « Nos enfants légitimés et leurs enfants et descendants mâles qui posséderont des pairies, représenteront pareillement les anciens pairs au sacre des rois; après et au défaut des princes du sang, et auront droit d'entrée et voix délibérative en nos cours de parlement, tant aux audiences qu'au conseil à l'âge de vingt ans, en prêtant le serment ordinaire des pairs, avec séance immédiatement après les princes du sang, conformément à notre déclaration du 5 mai 1694; et ils y précéderont tous les ducs et pairs, quand même leurs duchés-pairies seront moins anciennes que celles desdits ducs et pairs. Et en ce cas qu'ils aient plusieurs pairies et plusieurs enfants mâles, leur permettons, en se réservant une pairie pour eux, d'en donner une à chacun de leurs dits enfants si bon leur semble, pour en jouir par eux aux mêmes honneurs, rangs, préséances et dignité que dessus, du vivant même de leur père. »

50. Brevets du 20 mai 1711, par lesquels le roi veut et entend que MM. le duc du Maine et le comte de Toulouse continuent à jouir leur vie durant à la cour, dans la famille royale, dans toutes les cérémonies publiques et particulières, aux audiences des ambassadeurs des princes étrangers, aux logements, et généralement en toutes rencontres et occasions, des mêmes honneurs qui sont et pourront être rendus aux princes du sang, et immédiatement après eux, le tout sans préjudice de l'édit du présent mois, que Sa Majesté veut être exécuté dans toute son étendue.

51. Brevet du 21 mai 1711 par lequel Sa Majesté, ayant égard aux très humbles supplications à lui faites par le duc du Maine, a déclaré et déclare, veut et entend que les princes et princesses, fils et filles de M. le duc du Maine et petits-fils de Sa Majesté, jouissent à l'avenir, ainsi qu'ils ont déjà fait, de tous tels et semblables honneurs et autres avantages dont ledit duc du Maine a ci-devant joui, et est en droit de jouir aux termes du brevet du 20 du présent mois, le tout sans préjudice de l'édit du présent mois que Sa Majesté veut être exécuté dans toute son étendue.

Voilà l'usurpation de tout l'extérieur de prince du sang faite par le père, puis par les enfants, de la tacite volonté du roi, non jamais même verbalement exprimée, passée en titre bien clair et bien libellé par écrit. Voilà sans doute un brave et succulent mois de mai. Monseigneur était mort à Meudon le 24 avril précédent.

52. Lettres d'érection du marquisat de Rambouillet, auquel sont unies les terres, seigneuries et forêt de Saint-Léger en duché-pairie en faveur du comte de Toulouse et de ses enfants tant mâles que femelles, etc., données en mai 1711, registrées le 29 juillet même année.

53. Le prince de Dombes pourvu en survivance du gouvernement de Languedoc en mai 1712.

54. Le comte d'Eu pourvu du gouvernement de Guyenne en janvier 1713 vacant par la mort du duc de Chevreuse.

Le Dauphin et la Dauphine étaient morts en février 1712, et M. le duc de Berry en mai 1714. On se hâta d'en profiter.

55. Édit du mois de juillet 1714, registré au parlement le 2 août même année, qui appelle à la succession à la couronne M. le duc du Maine, et M. le comte de Toulouse, et leurs descendants mâles au défaut de tous les princes du sang royal, et ordonne qu'ils jouiront des mêmes rangs, honneurs et préséances que lesdits princes du sang, après tous lesdits princes.

56. Prince de Dombes prend séance au parlement précisément en la manière des princes du sang à l'occasion de la réception du duc de Tallard au parlement le 2 avril 1715.

57. Déclaration du roi, 23 mai 1715, registrée au parlement le 24 des mêmes mois et an, portant que M. le duc du Maine et M. le comte de Toulouse, et leurs descendants en légitime mariage, prendront la qualité de princes du sang royal.

On s'arrête ici, parce que ce que le roi fit dans la suite pour bien assurer cette effrénée grandeur appartient à son testament, dont il ne s'agit pas encore, et parce que, encore qu'il le fit en même temps, les dispositions n'en furent sues qu'à l'ouverture de son testament et de son codicille après sa mort. On ne sut même que quinze jours après qu'il en avait un, comme on le verra incontinent, sans que personne se fût douté qu'il y travaillât.

Pour peu qu'on examine ce groupe immense qui, du profond non-être des doubles adultérins, les porte à la couronne, on sera moins frappé de l'imagination des poètes qui ont fait entasser des montagnes les unes sur les autres, à force de bras, par les Titans pour escalader les cieux. En même temps, l'exemple que ces poètes offrent d'un Encelade et d'un Briarée se présente aussi bien naturellement a l'esprit, comme le los le plus juste de pareilles entreprises.

Que les rois soient les maîtres de donner, d'augmenter, de diminuer; d'intervertir les rangs, de prostituer à leur gré les plus grands honneurs, comme à la fin ils se sont approprié le droit d'envahir les biens de leurs sujets de toutes conditions et d'attenter à leur liberté d'un trait de plume à leur volonté, plus souvent à celle de leurs ministres et de leurs favoris, c'est le malheur auquel la licence effrénée des sujets a ouvert la carrière, et que le règne de Louis XIV a su courir sans obstacle jusqu'au dernier bout, devant l'autorité duquel le seul nom de loi, de droit, de privilège, était devenu un crime. Ce renversement général, qui rend tout esclave, et qui, par le long usage de n'être arrêté par rien, de pouvoir tout ce qu'on veut sans nul obstacle, et de ne recevoir que des adorations à l'envi du fond des gémissements les plus amers et les plus universels, et de la douleur la plus sanglante de tous les ordres d'un État opprimé, accoutume bientôt à vouloir tout ce qu'on peut. Un prince, arrivé et vieilli dans ce comble extrême de puissance, oublie que sa couronne est un fidéicommis qui ne lui appartient pas en propre, et dont il ne peut disposer; qu'il l'a reçue de main en main de ses pères à titre de substitution, et non pas de libre héritage (je laisse à part les conditions abrogées par la violence et le souverain pouvoir devenu totalement despotique); conséquemment qu'il ne peut toucher à cette substitution; que, venant à finir par l'extinction de la race légitime, dont tous les mâles y sont respectivement appelés par le même droit qui l'en a revêtu lui-même, ce n'est ni à lui ni à aucun d'eux à disposer de la succession qu'ils ne verront jamais vacante; que le droit en retourne à la nation de qui eux-mêmes l'ont reçue solidairement avec tous les mâles de leur race, pendant qu'il y en aura de vivants; que les trois races ne l'ont pas transmise par un simple édit, et par volonté absolue de l'une à l'autre; que, si ce pouvoir était en eux, ils le pourraient exercer en faveur de gui bon leur semblerait; que dès lors, il y a moins loin d'en priver les mâles de leur race appelés solidairement avec eux à la même substitution, pour en revêtir d'autres à leur gré, que d'usurper le pouvoir de la disposition même, puisque, si ce pouvoir était en effet en eux, rien ne pourrait les empêcher d'en user dans toute étendue, et avec la même injustice, à l'égard des appelés à la substitution avec eux, qu'ils en usent sans cesse avec tous leurs sujets pour les rangs, les honneurs et les biens; que dès lors chaque roi serait maître de laisser la couronne à qui bon lui semblerait; et que l'exemple de Charles VI, qui n'est pas l'unique, quoique le plus solennel et le seul accompli au moins pour le reste de son règne, fait voir qu'il ne serait pas impossible de voir des rois frustrer de la couronne tous ceux qui y sont appelés par la substitution perpétuelle, en faveur d'un étranger, mais jusqu'à leurs propres enfants. On laisse moins à juger quelles pourraient être les suites de l'exercice de cette usurpation, qui sautent aux yeux d'elles-mêmes, qu'à considérer que, le premier pas franchi par cet édit pour la première fois depuis tant de siècles que la monarchie existe sous trois races, il ne sera pas impossible, pour en parler avec adoucissement, d'en porter l'abus jusque-là, surtout si on considère avec soin de quelles infractions légères est sorti l'abattement entier de tous droits, lois, serments, engagements, promesses, qui forme cette confusion générale et ce désordre universel dans tous les biens et les conditions et états du royaume.

Que penser donc d'une créole, publique, veuve à l'aumône de ce poète cul-de-jatte, et de ce premier de tous les fruits de double adultère rendu à la condition des autres hommes, qui abusent de ce grand roi au point qu'on le voit, et qui ne peuvent se satisfaire d'un groupe de biens, d'honneurs, de grandeurs si monstrueux, et si attaquant de front l'honnêteté publique, toutes les lois et la religion, s'ils n'attentent encore à la couronne même ? et se peut-on croire obligé d'éloigner comme jugement téméraire la pensée que le prodige de ces édits, qui les appellent à la couronne après le dernier prince du sang, et qui leur en donnent le nom, le titre, et tout ce dont les princes du sang jouissent et pourront jouir, n'aient pas été dans leur projet un dernier échelon, comme tous les précédents n'avaient été que la préparation à ceux-ci, un dernier échelon, dis-je, pour les porter-à la couronne, à l'exclusion de tous autres que le Dauphin et sa postérité? Sans doute il y a plus loin de tirer du non-être par état, et de porter après ces ténébreux enfants au degré de puissance qu'on voit ici par leurs établissements, et à l'état de rang entier des princes du sang, avec la même habileté de succéder à la couronne; sans doute, il y a plus loin du néant à cette grandeur, que de cette grandeur à la couronne. Le total est à la vérité un tissu exact et continuel d'abus de puissance, de violence, d'injustice, mais une fois prince du sang en tout et partout, il n'y a plus qu'un pas à faire; et il est moins difficile de donner la préférence à un prince du sang sur les autres pour une succession dont on se prétend maître de disposer, puisqu'on se le croit, de faire des princes du sang par édit, qu'il ne l'est de fabriquer de ces princes avec de l'encre et de la cire, et de les rendre ainsi tels sans la plus légère contradiction.

On a coté exprès le nombre des degrés qui ont porté les bâtards à ce comble, pour n'être pas noyé dans leur nombre. Qu'on examine le trente-neuvième et le cinquantième, on y trouvera les avantages qui y sont accordés aux enfants du duc du Maine fondés, libellés, établis, et causés, comme petits-fils du roi ; le mot de naturel y est omis. Ce n'est pas que cela se pût ignorer, mais enfin il ne s'y trouve point. Voilà donc le fondement du droit qui leur est accordé en tant de choses et de façons par ces articles! Ce fondement ainsi déclaré et réitéré est le même qui très explicitement se suppose où il n'est pas exprimé, pour tout ce qui leur est donné de nouveau; ainsi c'est comme descendants du roi que les descendants de ses deux bâtards sont avec eux appelés à la couronne après le dernier prince du sang. Mais nul autre qu'eux, excepté l'unique Dauphin et la branche d'Espagne, ne descendait du roi. Le Dauphin était unique et dans la première enfance; sans père ni mère, morts empoisonnés; la branche d'Espagne avait renoncé à la succession française; M. le duc d'Orléans, rendu odieux et suspect avec grand art, n'avait qu'un fils et ne sortait que du frère du roi; tous les autres princes du sang d'un éloignement extrême, sortis du frère du père d'Henri IV, et remontaient jusqu'à saint Louis pour trouver un aïeul du roi de France. Quelle comparaison de proximité avec les petits-fils du roi, et combien de raisons, dès que droit et possibilité s'en trouvent dans leur grand-père, de leur donner la préférence et à leurs pères qui sont ses fils? Et voilà l'aveuglement où conduit l'abandon aux femmes de mauvaise vie que Salomon décrit si divinement. Il est vrai que la vie du roi ne fut pas assez longue pour leur donner le loisir d'arriver à ce grand point.

Mais sans même comprendre cette vue dans le tissu de tant d'effrayantes grandeurs, laissant à part l'amas d'une puissance si dangereuse dans un État, et la subversion des premiers, des plus anciens, et des plus grands rangs du royaume, se renfermant dans l'unique concession du nom, titre, etc., de prince du sang, et de l'habileté après eux à la couronne, quel nom donner devant Dieu à une telle récompense d'une naissance tellement impure, que jusqu'à ces bâtards les hommes en pas un pays n'ont voulu la connaître ni l'admettre à rien de ce qui a trait au nom, à l'état, et à la société des hommes, sans s'être jamais relâchés sur ce point, dans les pays même où l'indulgence est la plus grande à l'égard des autres bâtards? et devant les hommes, y peut-on dissimuler l'attentat direct à la couronne, le mépris de la nation entière dont le droit est foulé aux pieds, l'insulte au premier chef à tous les princes du sang, enfin le crime de lèse-majesté dans sa plus vaste et sa plus criminelle étendue?

Quelque vénérable que Dieu ait rendu aux hommes la majesté de leurs rois et leurs sacrées personnes, qui sont ses oints, quelque exécrable que soit le crime d'attenter à leur vie qui est connu sous le nom de lèse-majesté au premier chef, quelque terribles et uniques que soient les supplices justement inventés pour le punir et pour éloigner par leur horreur les plus scélérats de l'infernale résolution de le commettre, on ne peut s'empêcher de trouver dans celui dont il s'agit une plénitude qui n'est pas dans l'autre, quelque abominable qu'il soit, si on veut substituer le raisonnement sur celui-ci au trouble et au soulèvement des sens qui est un effet naturel de l'impression de l'autre. Cet autre, qui ne peut être trop exagéré (et que Dieu confonde quiconque oserait le vouloir exténuer le moins du monde), doit néanmoins, sans tomber dans cette folie, être examiné tel qu'il est pour en faire une juste comparaison avec celui dont l'invention est due à la perversité et au désordre de nos temps, en l'examinant de même. Dans l'un il s'agit de la vie de l'oint du Seigneur; mais quelque horrible que soit ce crime, il n'attente que sur la vie d'un seul. L'autre joint à la fois la subversion des lois les plus saintes, et qui subsistent depuis tant de siècles que dure la monarchie, et en particulier la race heureusement régnante, sans que l'ambition la plus effrénée ait osé y attenter; à l'extinction radicale du droit le plus saint, le plus important, le plus inhérent à la nation entière; et de cette nation si libre que, jusque dans son asservissement nouveau, elle en porte encore le nom, et des restes très évidents de marques, ce crime en fait une nation d'esclaves, et la réduit au même état de succession purement, souverainement et despotiquement arbitraire, fort au delà de ce que le czar Pierre Ier a osé entreprendre en Russie, le premier de tous ses souverains, et qui a été imité après lui, fort au delà, on le répète, puisqu'il n'y avait point de maison nombreuse appelée à la couronne comme nos princes du sang, et encore moins de loi salique, qui est la règle consacrée par tant de siècles du droit unique à la succession à la couronne de France. Et qu'on n'oppose point ici les funestes fruits de la guerre des Anglais, qui, après s'être soumis au jugement rendu en faveur de la loi salique, ne fondèrent leurs prétentions qu'en impugnant de nouveau cette loi fondamentale. Qu'on n'allègue point non plus les infâmes desseins de la Ligue; quand on n'aurait pas horreur de s'en protéger, au moins les ligueurs couverts du manteau de l'hypocrisie, et voulant exclure Henri IV comme hérétique relaps, respectèrent encore les droits de la nation, et, supposant qu'il n'y avait plus de princes de la race d'Hugues Capet en état de régner, après avoir échoué à usurper la couronne comme prétendus descendants mâles et légitimes de la seconde race, ils voulurent au moins une figure d'élection, et la tenir de la nation même.

Ici elle n'est comptée que pour une vile esclave, à qui, sans qu'on songe à elle, on donne des rois possibles et une nouvelle suite de rois, par une création de princes du sang habiles à succéder à la couronne, qui ne coûte à établir que la volonté, et une patente à expédier et à faire enregistrer. Dès lors, comme on l'a dit, une telle puissance, établie et reconnue, disposera de la couronne non seulement dans un lointain qui peut ne jamais arriver, mais d'une manière prompte, subite, active, au préjudice des lois de tous les temps, de la nation entière, de la totalité de la maison appelée à la couronne, des fils de France même. Et que penser des désordres si nécessairement causés par un crime de cette nature, de la vie des princes en obstacle, de celle du roi même, duquel, de quelque façon que ce soit, douce ou violente, on aurait arraché cette disposition ?

Voilà donc un crime de lèse-majesté contre l'État qui entraîne très naturellement celui qui est connu sous le nom du premier chef, qui égale les princes du sang, et dans la partie le plus éminemment sensible, à la condition de tous les autres sujets qui leur peuvent être préférés par un roi pour lui succéder, et qui ne va pas à moins par une suite nécessaire qu'à les écraser et à se défaire d'eux. Pendant la violence de tels mouvements que devient un royaume, et que ne font pas ses voisins pour achever de l'abattre et pour en profiter ?

Ces considérations, qui sont parfaitement naturelles, et on ne peut s'empêcher qu'elles ne sautent aux yeux, ne prouvent-elles pas avec surabondance, ce qui fait peur à penser, mais qui n'en est pas moins une vérité frappante, que le crime de se faire prince du sang et habile à succéder à la couronne avec une patente qui s'enregistre tout de suite, sans que qui que ce soit ose même en soupirer trop haut, est un crime plus noir, plus vaste, plus terrible, que celui de lèse-majesté au premier chef, et qui, outre tous ceux qui à divers degrés portent le nom de lèse-majesté qu'il renferme, en présente sans nombre qui en aggravent l'espèce énorme, et qui n'avaient jamais été imaginés.

Rapprochons d'autres temps à celui-ci, quelques-uns même qui n'en sont pas fort éloignés, et qu'une courte mention en soit permise sans sortir de ce qui s'en trouve épars dans ces Mémoires. Cette tendresse d'un roi puissant pour les enfants de son amour, cultivée sans cesse par la dépositaire funeste de son cœur qui avait été leur gouvernante, et qui aimait M. du Maine comme son propre fils depuis le sacrifice entier qu'il lui avait fait de sa propre mère; cette jalouse et superbe préférence de sentiment des enfants de la personne, et qui n'étaient rien que par elle, sur les enfants du roi, grands par cet être indépendant de lui qui fut toujours un si puissant ressort dans l'âme de Louis XIV, avaient bien pu l'engager en leur faveur aux premiers excès sur l'extérieur des princes du sang tacitement usurpé, et à leur prodiguer les charges et les biens, même à marier leurs sœurs dans les nues. Mais on a vu qu'il résista longtemps au mariage des frères, et qu'il ne feignit pas de dire et de répéter que ces espèces-là ne devaient jamais se marier.

En effet ce fut à toutes peines et à la fin sous le seul prétexte de la conscience, que M. du Maine arracha la permission de se marier. On a vu que Longepierre fut honteusement chassé de chez le comte de Toulouse et de la cour pour avoir parlé de son mariage avec Mlle d'Armagnac dont il était amoureux, toute neuve encore, d'une naissance plus que très sortable, et fille de l'homme de son temps à qui le roi a témoigné l'amitié, la distinction, la considération la plus constante et la plus marquée toute sa vie. On a vu que le comte de Toulouse, en tout si heureusement différent de son frère, n'a osé songer à se marier tant que le roi a vécu. On a vu par quels longs et artificieux détours le duc de Vendôme parvint au commandement des armées, avec quelle sécheresse il fut refusé d'y rouler d'égal avec les maréchaux de France, c'est-à-dire de commander à ceux qui étaient ses cadets lieutenants généraux, en obéissant aux autres plus anciens lieutenants généraux que lui. On a vu encore en quels termes le roi répondit au maréchal de Tessé, qui allant en Italie, y rencontrerait le duc de Vendôme, commandant les armées, car il y en avait deux corps, et qui demandait les ordres sur sa conduite avec lui, et de quel ton le roi lui dit qu'il ne devait ni éviter ni balancer de prendre le commandement sur le duc de Vendôme, et de quel air il ajouta qu'il ne fallait pas accoutumer ces petits messieurs-là, ce fut son expression que Tessé m'a rendue à moi et à bien d'autres, à ces sortes de ménagements. Enfin on ne peut avoir oublié la curieuse scène du soir du cabinet du roi, lorsqu'il y déclara le rang qu'il donnait aux enfants de M. du Maine, à combien peu il tint qu'il ne fût révoqué deux jours après, la réduction ridicule de s'être appuyé de mon compliment aussi simple que forcé, et de l'éclaircissement que Mme la duchesse de Bourgogne m'en fit demander: que de distance en peu d'espace de temps de façons de penser et de faire!

Mais le roi ne pensait pas autrement en se laissant tout arracher. Après ce grand acte de succession à la couronne déclare, et avant l'enregistrement de l'édit qui suivit de si près, le roi, accablé de ce qu'il venait de faire, ne sut se contenter, tout maître de lui-même qu'il était, de dire en soupirant à M. du Maine, en présence de ce peu de courtisans intimes, et de ce nombre de valets principaux qui se trouvaient dans son cabinet à Marly, qu'il avait fait pour eux, entendant aussi son frère et ses fils, tout ce qu'il avait pu; mais que plus il avait fait, plus avaient-ils à craindre et à travailler à s'en rendre dignes, pour se pouvoir soutenir après lui dans l'état où il les avait mis, ce qu'ils ne pouvaient attendre que d'eux-mêmes, par leur propre mérite. C'était bien laisser échapper ce qu'il sentait et qu'il ne disait pas, et cela fut incontinent su de tout le monde. Il n'est pas temps encore de développer par quels moyens le roi fut amené à ce dernier période, car il peut être confondu avec son testament, qui se fabriquait en même temps. Nous y arrivons incessamment, puisque entre les deux déclarations il n'y eut qu'une quinzaine. Délassons-nous quelques moments par le récit de ce qui se passa entre-deux.

Suite
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Le manuscrit porte minorité de Louis XIII; mais il faut lire évidemment Minorité de Louis XIV, puisque le duc d'Enghien, dont il est ici question, n'était pas né à l'époque où cessa la minorité de Louis XIII.