Les lits de justice, dont il est souvent question dans l'histoire de l'ancienne monarchie, étaient des séances solennelles du parlement, où le roi siégeait en personne entouré des princes du sang et des grands officiers de la couronne. Les ducs et pairs y étaient convoqués et devaient y prendre séance en leur rang, d'après l'ordre de leur réception. Ces cérémonies tiraient leur nom de ce que le roi siégeait sur une espèce de lit formé de coussins. Il en est déjà question dans une ordonnance de Philippe de Valois en date du 11 mars 1344 (1345). L'article 14 dit que, dans ces cérémonies, « nul ne doit venir siéger auprès du lit du roi, les chambellans exceptés [69] . » C'est donc à tort que certains historiens ont regardé comme le premier lit de justice celui que tint Charles V en 1369 pour juger le prince de Galles, duc de Guyenne, qui était accusé de félonie.
Le cérémonial des lits de justice était rigoureusement déterminé. Dans le cas où le roi se rendait au parlement pour tenir un lit de justice, un maître des cérémonies avertissait l'assemblée dès que le roi était arrivé à la Sainte-Chapelle. Aussitôt quatre présidents à mortier avec six conseillers laïques et deux conseillers clercs allaient le recevoir et le saluer au nom du parlement. Ils le conduisaient ensuite à la grand'chambre, les présidents marchant aux côtés du roi, les conseillers derrière lui et le premier huissier entre les deux massiers du roi. Le roi s'avançait précédé des gardes dont les trompettes sonnaient et les tambours battaient jusque dans la grand'chambre. Le lit de justice du roi surmonté d'un dais était placé dans un des angles de la grand'chambre. Les grands officiers avaient leur place marquée: le grand chambellan aux pieds du roi; à droite, sur un tabouret, le grand écuyer portant suspendue au cou l'épée de parade du roi; à gauche, se tenaient debout les quatre capitaines des gardes et le capitaine des Cent-Suisses. Le chancelier siégeait au-dessous du roi dans le même angle; il avait une chaire à bras que recouvrait le tapis de velours violet semé de fleurs de lis d'or, qui servait de drap de pied au roi. Le grand maître des cérémonies et un maître ordinaire prenaient place sur des tabourets devant la chaire du chancelier. Le prévôt de Paris, un bâton blanc à la main, se tenait sur un petit degré par lequel on descendait dans le parquet. Dans le même parquet, deux huissiers du roi, leurs masses d'armes à la main, et six hérauts d'armes étaient placés en avant du lit de justice.
Les hauts sièges à la droite du roi étaient occupés par les princes du sang et les pairs laïques; à gauche, par les pairs ecclésiastiques et les maréchaux venus avec le roi. Le banc ordinaire des présidents à mortier était rempli par le premier président et les présidents à mortier revêtus de robes rouges et de leurs épitoges d'hermine. Sur les autres bancs siégeaient les conseillers d'honneur, les quatre maîtres des requêtes qui avaient séance au parlement, enfin les conseillers de la grand'chambre, des chambres des enquêtes et des requêtes, tous en robe rouge. Il y avait des bancs réservés pour les conseillers d'État et les maîtres des requêtes qui accompagnaient le chancelier et qui étaient revêtus de robes de satin noir, ainsi que pour les quatre secrétaires d'État, les chevaliers des ordres du roi, les gouverneurs et lieutenants généraux des provinces, les baillis d'épée, etc.
Lorsque le roi était assis et couvert et que toute l'assemblée avait pris place, le roi ôtant et remettant immédiatement son chapeau, donnait la parole au chancelier pour exposer l'objet de la séance. Le chancelier montait alors vers le roi, s'agenouillait devant lui, et, après avoir pris ses ordres, retournait à sa place, où assis et couvert il prononçait une harangue d'apparat. Son discours fini, le premier président et les présidents se levaient, mettaient un genou en terre devant le roi, et, après qu'ils s'étaient relevés, le premier président, debout et découvert, ainsi que tous les présidents, prononçait un discours en réponse à celui du chancelier. Il parlait au nom du parlement, tandis que le chancelier avait parlé au nom du roi.
Après ces harangues, le chancelier remontait vers le lit de justice du roi, et, un genou en terre, prenait de nouveau ses ordres; de retour à sa place, il disait que la volonté du roi était que l'on donnât lecture de ses édits. Sur son ordre, un greffier faisait cette lecture. Le chancelier appelait ensuite les gens du roi pour qu'ils donnassent leurs conclusions. Un des avocats généraux prononçait alors un réquisitoire, dont la conclusion était toujours que la cour devait ordonner l'enregistrement des édits. Il arriva cependant que plusieurs avocats généraux, parmi lesquels on remarque Omer Talon et Jérôme Bignon, profitèrent de ces circonstances solennelles pour adresser au souverain de sages remontrances.
Après le discours de l'avocat général, le chancelier recueillait les voix, mais seulement pour la forme. Il montait pour la troisième fois au lit de justice du roi et lui demandait son avis; il s'adressait ensuite aux princes, pairs laïques et ecclésiastiques, maréchaux de France, présidents du parlement, conseillers d'État, maîtres des requêtes, conseillers au parlement, qui tous opinaient à voix basse et pour la forme. Ce simulacre de vote terminé, le chancelier allait pour la quatrième fois demander les ordres du roi, et, de retour à sa place, il prononçait la formule d'enregistrement ainsi conçue: Le roi, séant en son lit de justice, a ordonné et ordonne que les présents édits seront enregistrés, publiés et adressés à tous les parlements et juges du royaume. La formule, dictée au greffier par le chancelier, au nom du roi, se terminait ainsi: Fait en parlement, le roi y séant en son lit de justice. Le roi sortait ensuite du parlement entouré de la même pompe et du même cortège qu'à son entrée.
Les lits de justice étaient considérés ordinairement comme des coups d'État. Le parlement se réunissait quelquefois le lendemain du lit de justice pour protester contre un enregistrement forcé, et de là naissaient des conflits et des troubles. Telle fut, en 1648, l'occasion de la Fronde.
La présence du roi au parlement ne suffisait pas pour qu'il y eût lit de Justice. Le Journal d'Olivier d'Ormesson en fournit la preuve: à la date du 2 décembre 1665, il mentionne la présence du roi au parlement, sans que cette séance royale fût un véritable lit de justice. « Le roi, dit-il, entra sans tambours, trompettes ni aucun bruit, à la différence des lits de justice. » Il signale, à l'occasion du même événement, une autre différence qui concerne le chancelier: « M. le chancelier, dit-il, y vint, et l'on députa deux conseillers de la grand'chambre à l'ordinaire pour le recevoir, sans qu'il eût des masses devant lui, comme aux lits de justice. » André d'Ormesson retrace dans ses Mémoires inédits une de ces séances royales qui n'étaient pas lits de justice. Il s'agissait du procès criminel intenté au prince de Condé. L'auteur, qui était conseiller d'État, entre dans tous les détails de la cérémonie, dont il fut témoin oculaire:
« Cette journée (19 janvier 1654), je me trouvai chez M. le chancelier [70] , sur les huit heures, en ayant été averti la veille par M. Sainctot, maître des cérémonies. M. le chancelier me fit mettre au fond, à côté de lui, pour donner place aux autres dans son carrosse. Étant auprès de lui, il me dit que le duc d'Anjou [71] ne s'y trouveroit point, n'étant pas en âge de juger, et que le roi n'en étoit capable que par la loi du royaume qui le déclaroit majeur à treize ans; que les capitaines des gardes ne seroient point auprès du roi, n'ayant point de voix ni de séance au parlement; que le prévôt de Paris n'y seroit point non plus, et que le duc de Joyeuse n'y entreroit que comme duc de Joyeuse et ne seroit point aux pieds du roi comme grand chambellan; que les gens du roi demeureroient présents pendant le procès, encore qu'ils aient accoutumé de se retirer, après avoir donné leurs conclusions par écrit; que les princes parents descendroient de leurs places et demanderoient d'être excusés d'assister au procès, et que le roi leur prononceroit qu'il trouvoit bon qu'ils y demeurassent.
« Étant arrivés en la Sainte-Chapelle et de là allant prendre nos places, MM. Chevalier et Champron, conseillers au parlement, vinrent au-devant de M. le chancelier. Il se mit au-dessus du premier président et n'en bougea pendant la séance. Le roi, ayant pris sa place, étoit accompagné, du côté des pairs laïques, à la main droite, des ducs de Guise, de Joyeuse son frère, d'Épernon, d'Elbœuf, de Sully, de Candale, et de quatre maréchaux de France, conseillers de la cour, qui prirent la séance entre eux, non du jour qu'ils étoient maréchaux de France, mais du jour qu'ils avoient été reçus conseillers de la cour au parlement, comme M. le chancelier le leur avoit prononcé sur la difficulté qu'ils lui en firent. Ainsi M. le maréchal de La Mothe-Houdancourt, le maréchal de Grammont, le maréchal de L'Hôpital et le maréchal de Villeroy prirent leurs places après les ducs et pairs. Du côté des pairs ecclésiastiques, à main gauche, étoient assis M. d'Aumale, archevêque de Reims, duc et pair de France, l'évêque de Beauvais (Chouart-Busenval), comte et pair, l'évêque de Châlons (Viallard), comte et pair, l'évêque de Noyon (Baradas), comte et pair. Au siège bas, au-dessous des ducs, le comte de Brienne (Loménie) [72] , Bullion, sieur de Bonnelles, Le Fèvre d'Ormesson [73] , Haligre et Morangis-Barrillon, conseillers d'État reçus au parlement [74] . Tous les présidents de la cour étoient présents, excepté le président de Maisons (Longueil), relégué à Conches en Normandie, pour avoir suivi le parti des princes avec son frère conseiller à la cour. Les présidents présents étoient MM. de Bellièvre, premier président, de Nesmond, de Novion (Potier), de Mesmes (d'Irval), Le Coigneux, Le Bailleul et Molé-Champlâtreux. Les maîtres des requêtes présents étoient MM. Mangot, Laffemas, Le Lièvre et d'Orgeval-Lhuillier.
« La compagnie assise, M. du Bignon [75] , avocat général, assisté de M. Fouquet, procureur général, et de M. Talon, aussi avocat général, proposa au roi le sujet de cette assemblée, et parla contre la désobéissance de M. le Prince [76] , et il sembloit à son discours qu'il excitoit le roi à lui pardonner et à oublier toutes ses actions passées, et à la fin donna ses conclusions à M. Doujat, rapporteur, par écrit. M. le chancelier dit aux gens du roi qu'ils demeurassent dans leurs places; dont la compagnie murmura, n'étant point de l'ordre qui s'observe en telles occasions, et M. le chancelier, au retour, comme j'étois encore près de lui, me dit qu'il ne le feroit plus. M. le chancelier demanda l'avis à M. Chevalier, doyen du parlement, un des rapporteurs, puis à M. Doujat, qui dit qu'il y avoit trois preuves contre M. le Prince: la première, la notoriété de fait, la seconde les lettres missives et les commissions signéesLouis De Bourbon, et puis les témoins qui avoient déposé contre lui des actes d'hostilité. On avoit lu, auparavant, les dépositions de cinq ou six témoins, quatre ou cinq lettres du prince et ses commissions. Après que M. Doujat eut parlé, toute la compagnie n'opina que du bonnet et fut d'avis des conclusions qui étoient, que ledit prince seroit ajourné de comparoir en personne, se mettre dans la Conciergerie et se représenter dans un mois; qu'il seroit ajourné dans la ville de Péronne, à cri public, au son de la trompette, et cependant que ses biens seroient saisis; décret de prise de corps contre le président Viole, Lenet, Marchin (Marsin), Persan et encore six ou sept autres seigneurs et capitaines; leurs biens saisis, etc. »