CHAPITRE XIV.

1717

Différence diamétrale du but des assemblées de plusieurs seigneurs et gentilshommes en 1649, de celles de cette année. — Copie du traité original d'union et association de plusieurs de la noblesse en 1649, et des signatures. — Éclaircissement sur les signatures. — Requête des pairs au roi à même fin que l'association de plusieurs de la noblesse en 1649. — Comparaison de la noblesse de 1649 avec celle de 1717. — Succès et fin des assemblées de 1649. — Ma conduite avec le régent sur l'affaire des princes du sang et des bâtards, et sur les mouvements de la prétendue noblesse. — Les bâtards ne prétendent reconnaître d'autres juges que le roi majeur ou les états généraux du royaume, et s'attirent par là un jugement préparatoire. — Excès de la prétendue noblesse trompée par confiance en ses appuis. — Conduite et parfaite tranquillité des ducs. — Arrêt du conseil de régence portant défense à tous nobles de s'assembler, etc., sous peine de désobéissance. — Ma conduite dans ce conseil suivie par les ducs, puis par les princes du sang et bâtards. — Succès de l'arrêt. — Gouvernement de Saint-Malo à Coetquen, et six mille livres de pension à Laval. — Mensonge impudent de ce dernier prouvé, et qui lui demeure utile, quoique sans nulle parenté avec la maison royale. — Maison de Laval-Montfort très différente des Laval-Montmorency, expliquée. — Autre imposture du même M. de Laval sur la préséance sur le chancelier. — Premier exemple de mariage de fille de qualité avec un secrétaire d'État.

On ne répétera pas ce qui se trouve répandu en plusieurs endroits de ces Mémoires à mesure que l'occasion naturelle s'est présentée d'expliquer comment le rang de prince étranger s'est formé à l'appui de la Ligue, puis [a été] accordé par degrés à d'autres maisons que les souveraines; on se contentera de rapporter ici le traité d'union de ceux qui, comme cette noblesse dont on parle, en prirent de même le nom sans aveu ni mission, mais pour chose réelle et non imaginaire, et chose si radicalement contraire aux lois et usages de ce royaume, à ce qui est établi dans tous les États, et qui offense si personnellement tout le second ordre du royaume en général et en particulier. Ces assemblées de noblesse, et ce traité entre elle, se firent à Paris en 1649 après le rang accordé à MM. de Bouillon, et le tabouret à la princesse de Guéméné qui enfanta depuis par longs degrés le même rang, et deux autres tabourets à la marquise de Senecey et à la comtesse de Fleix mère et fille, toutes deux veuves, et toutes deux dames d'honneur, l'une en titre et l'autre en survivance, de la reine mère pour les intérêts de laquelle elles avaient été longtemps exilées à Randan en Auvergne, et Mme de Brassac mise dame d'honneur en la place de Mme de Senecey qui fut rappelée à la mort de Louis XIII, Mme de Brassac renvoyée, et Mme de Senecey rétablie avec sa fille en survivance. On verra dans ce traité ce que la noblesse d'alors pensait si différemment de celle d'aujourd'hui; mais elle était encore instruite dans ces temps-là, connaissait son intérêt et ne se laissait pas mener par le nez à ce qui y est le plus directement contraire. J'ai eu entre les mains l'original signé de ce traité, et j'en donne ici la copie que j'en ai faite. Il est étonnant en quelles mains tombent par la suite des temps les pièces originales souvent les plus curieuses et les plus importantes, et les titres les plus précieux; il n'est pas rare d'en trouver chez des beurrières, et entre de pareilles mains. La pièce dont il s'agit, qui n'est pas de cet ordre, mais qui a sa curiosité, était tombée entre celles d'un vieux médecin de Chartres, qui était excellent médecin, encore plus philosophe, savant en belles-lettres, curieux et très instruit de l'histoire, qui, content de peu, n'avait jamais voulu quitter sa patrie, ni chercher à paraître et à s'enrichir à Paris. Il s'appelait Bouvard; il avait infiniment d'esprit et une mémoire prodigieuse. Le malheureux état de mon fils aîné me fit appeler ce médecin à la Ferté sur le témoignage de M. de Chartres (Mérinville) [22] et d'autres encore. Il demeura quelque temps avec nous à plusieurs reprises, et je trouvai fort à m'amuser, et même à m'instruire dans sa conversation qui d'ailleurs avait encore l'agrément de la gaieté. Nous tombâmes sur des matières qui l'engagèrent à me parler de ce traité de la noblesse. Il me dit qu'il l'avait original, et, en effet, il me l'apporta quand il revint. Je le copiai avec les signatures dans le même ordre que je les y trouvai, et, j'eus toutes les peines du monde à le lui faire reprendre. Il voulait absolument me le donner; il me le rapporta même une seconde fois dans le même dessein, mais je ne crus pas devoir profiter de son honnêteté et priver un curieux savant et un fort honnête homme d'une pièce [23] originale. La voici :

TRAITÉ D'UNION ET ASSOCIATION FAITE PAR LES SEIGNEURS DE LA PLUS HAUTE NOBLESSE DU ROYAUME, TENUE À PARIS EN L'ANNÉE 1649.

Nous, soussignés, pour obvier aux divisions et désordres qui pourraient naître de la marque d'honneur extraordinaire qu'on témoigne vouloir accorder à quelques gentilshommes et maisons particulières au préjudice de toute la noblesse de ce royaume et notamment de plusieurs des plus signalés de cet ordre, lequel, pour être le vrai et plus ferme appui de cette monarchie, doit être par tous moyens conservé dans une parfaite union sans qu'on laisse établir aucune différence de maisons, avons déclaré par cet écrit, juré et promis unanimement sur notre foi et honneur, qu'après avoir fait nos très humbles remontrances à Sa Majesté, à Son Altesse royale et à Mgrs les princes du sang, et au cas qu'elles ne soient suivies de l'effet que nous espérons de leur justice, nous tâcherons par toutes sortes de voies et de ressentiments justes, honnêtes et généreux, et qui n'iront point contre le service du roi et de la reine, que semblables distinctions n'aient lieu, consentant que celui de nous qui s'éloignera de la présente union soit réputé homme sans foi et sans honneur, et ne soit point tenu pour gentilhomme parmi nous. Seront suppliés de notre part tous les gentilshommes du royaume absents de s'unir avec nous par députés, pour maintenir l'intérêt général de toute la noblesse, et joindre leurs très humbles supplications aux, nôtres. Le présent écrit a été signé sans distinction ni différences de rang et de maisons, afin que personne n'y puisse trouver à redire. De plus, nous promettons que si quelqu'un des soussignés et intéressés est troublé et attaqué en quelque sorte que ce soit dans la suite de cette affaire, nous prendrons ses intérêts comme communs, et tous en général et en particulier, sans nous en pouvoir séparer par aucune considération; et sera déclaré infâme et sans honneur celui qui en userait autrement. En expliquant ce dernier article, s'il arrive sur le sujet de l'affaire dont il s'agit, et pour lequel nous sommes assemblés, qu'aucun de ceux qui se seront unis, soit par mauvais offices ou autrement, tombe dans le malheur d'être attaqué en sa personne, sa liberté et ses biens, tous les autres s'obligent sous peine d'une honte publique et perte de leur réputation, de faire toutes les choses nécessaires pour le tirer de l'état auquel il se serait mis pour l'intérêt de leur cause commune, jusqu'à périr. Plutôt qu'il restât opprimé.

S'engagent non seulement, sous les mêmes conditions de leur honneur, de s'opposer dans l'occasion présente pour empêcher que nul obtienne les privilèges des princes qui n'aura pas cet avantage par sa naissance, mais promettent de former pour l'avenir les mêmes oppositions, afin qu'aucun, de quelque qualité et sous quelque prétexte que ce puisse être, n'étant pas né prince, ne parvienne à une semblable prérogative, qui serait une distinction injurieuse à la noblesse, principalement entre personnes dont les conditions ont toujours été égales, et de qui les prédécesseurs ont tenu le même rang et vécu sans se déférer les uns aux autres, ni dans la cour ni dans les provinces.

Promettent et s'engagent sur leurs mêmes paroles et sur leur honneur de ne point se retirer de la foi qu'ils se sont donnée les uns aux autres, de n'alléguer aucunes excuses, prétextes ni raisons qui les puissent directement ni indirectement séparer de l'association générale et particulière que porte cet écrit qu'ils ont signé pour le maintenir inviolablement dans tous les articles qu'il contient, et courir tous la même fortune.

Promettent pareillement de ne se point désister de la poursuite qu'ils ont entreprise, qu'ils n'aient reçu la satisfaction qu'ils doivent légitimement espérer de la bonté et de la justice de Leurs Majestés ou que le parlement n'y ait apporté les règlements nécessaires suivant les lois, les exemples et les constitutions du royaume, ne s'excluant point de se pourvoir où ils jugeront bon être, et par les moyens que l'assemblée trouvera justes et raisonnables.

Et pour expliquer nettement l'intention de tous, les intéressés en cette affaire sont demeuré d'accord de former leur opposition conformément à ce que porte cet écrit sur ce qui a été concédé et prétendu de cette nature, depuis l'année 1643. Saint-Symon Vermandois, Halluyes-Schomberg [24] , L'Hospital, le commandeur de Rochechouart, d'Aumont de Chappes, Vassé, Orval, Leuville, Frontenac, Saujon de Campet, Vardes, Brancas, Montrésor, Clermont-Tonnerre, comte de Vence, Charles-Léon de Fiesque, Louis de Mornay-Villarceaux, Sévigné, Montesson, Argenteuil, Boubet, Mallet, Moreuil-Caumesnil, Mauléon, de Clermont-Monglat, Congis, Canaples, H. de Béthune, Roussillon, Savignac, Fr. Gard, le chevalier de Caderousse, Montmorency, Sigoyer, Leiden, Rouville, Bourdonné, Humières, d'Aydie, Beauxoncles, Ligny, [25] , Cormes-Spinchal, Houdancourt, Villeroy, L'Hospital-Sainte-Mesmes, Longueval, Hautefort, Gasnières, Chasteauvieux, de Vienne, Montrésor, d'Auteuil, de Crevant, G. Rouxel de Médavy, Maugiron, du Hamel, d'Alemonis, le chevalier de La Vieuville, de L'Hospital, Bar, de Lanion, Nantouillet, Froullay, Laigue, Gouffier, Maulevrier, Matha, Saint-Germain, du Perron, Montiniac d'Hautefort, le comte de La Chapelle, le comte de Saint-Georges, Thiboust de Boyvy, de Castres, Fr. de Montmorency, de Beringhen, Bruslart, Guenes, du Houvray, Damigny de Meindrac, Lostellemans, Cl. Mohunt, du Monteil, Cl. Dendre de La Massardière, de Guervon de Dreux, Felleton-Lamechan, Roger de Longueval, Trésiguidy, Arcy, La Bourlie de Guiscard, de Grailly, Carnavalet, Saint-Abre, du Mont, Saint-Hilaire, Pascheray, le chevalier de Carnavalet, Jos, chevalier d'Ornano, J. de Lambert, le vicomte de Melun, Beaumont, de Lessins, Valernod, Termes, d'Amboise-Aubijoux, Lussan, Savignac de Gondrin, La Baulme de Vallon, de Voisins-Dusseau, d'Estourmel, Cressay, Le Plessis d'Andigny, Chouppes, de Torson-Fors, Chaisenisse, Villiers, Verderonne, Crissé, de La Roque, La Rousselière, Guitaud, Pradel, Lurmont, Bussy-Rabutin, La Salle, Grammont de Vacher, le chevalier de Grammont, d'O, Grenan, Maseroles, de Besançon, de Rémond, Le Plessis-Besançon, Boyer, Montégu, le chevalier de Roquelaure, Barthélemy Quelen du Broutay, Chollet, chevalier Dailly, Saint-Remy, Annery, de Boyer, de Cominges de Guitaud, Thomas de Saint-André, de Melville, Guadagne, La Guerche, Saint-Georges, Pirraud, de Harlay-Chanvallon, de Monthas, Sabran, Droüe, Fontaine-Martel, Cussant de Veronil, Fr. de Rousselet de Châteaurenault, Henescors, Fontenailles, Saint-Étienne, Achy, Mayac, Morainvillier.

De ces cent soixante-sept noms, il y en a peu de grands, plusieurs moindres, force petits, assez d'inconnus, beaucoup pour faire nombre; quelques-uns de surprenants; et presque aucun qui joigne à la grandeur ou même à la bonté du nom, la distinction personnelle. Cela ne peut être autrement, quand on veut du nombre, et qu'il n'y a point de barrière pour s'arrêter. Les deux premières signatures demandent explication. Mon oncle, frère aîné de mon père, signait toujours Saint-Symon, et par un y, mon père par un i, et n'a jamais signé nulle part que le duc de Saint-Simon, depuis qu'il l'a été. Cette première signature est constamment de mon oncle, peu endurant sur les faux princes, encore moins par son alliance, qui de plus le liait à la maison de Condé, avec qui il était fort bien, et laquelle cherchait à embarrasser la cour. La seconde paraît d'une autre main, et n'est pas en ligne, mais au-dessous de la dernière. Je ne connais personne de ma maison qui ait jamais signé Vermandois seul ou joint au nom de Saint-Simon, et cela me ferait croire que cette signature serait du héraut d'armes Vermandois au lieu de notaire. Il faut remarquer que la plupart de ces signatures sont très difficiles à déchiffrer. J'en ai laissé une en blanc qui paraît Villeroy. La même se retrouve trois signatures après. Il n'y en pouvait avoir deux, car il n'y a pas eu deux branches. M. d'Alincourt, qui de plus n'a jamais porté le nom de la terre de Villeroy, était mort en 1634; il était fils unique du secrétaire d'État, et il n'a eu que quatre fils le premier maréchal de Villeroy, un comte de Bury, mort sans enfants en 1628, l'archevêque de Lyon et l'évêque de Chartres, ecclésiastiques dès leur première jeunesse, et un chevalier de Malte, mort devant Turin, en 1629. Le premier maréchal de Villeroy fut, en mars 1646, gouverneur de la personne du feu roi, en octobre même année maréchal de France, duc à brevet en 1651. Il est difficile de croire qu'un gouverneur du roi entièrement dévoué à la reine mère et au cardinal Mazarin, ait signé une pièce aussi contraire à leurs volontés; il ne l'est pas moins de penser qu'ils la lui avaient fait signer pour avoir un homme à eux de ce poids parmi cette noblesse pour déconcerter ses projets et ses démarches et en être instruits à temps. Premièrement le gouverneur du roi, surtout en ces temps de trouble, ne quittait point le roi, ou si peu que sa présence aurait été trop rare parmi cette noblesse pour en faire l'usage qui vient d'être dit; secondement cette noblesse, qui n'ignorait ni l'attachement ni les allures du maréchal de Villeroy, ne se serait pas fiée à lui. Son fils aîné était mort jeune dès 1645, et le second maréchal de Villeroy, resté unique, était né en avril 1644. Il y a donc sûrement erreur dans ce nom. Celui de Schomberg est aisé à expliquer. Ce ne peut être le duc d'Halluyn qui était aussi le maréchal de Schomberg, fils d'autre maréchal de Schomberg, mort en 1632 à Bordeaux. Ce duc d'Halluyn-Schomberg prit Tortose d'assaut en juillet 1648; il était vice-roi de Catalogne, et y demeura longtemps depuis de suite. La pierre le contraignit enfin au retour, dont il mourut à Paris en juin 1656. Il n'avait ni frère ni enfants. Ce ne peut donc être que le comte de Schomberg, Allemand comme les précédents, mais sans aucune parenté entre eux, qui lors de cette affaire de la noblesse commençait à s'avancer, et qui pouvait déjà être capitaine-lieutenant des gens d'armes écossais, le même qui après la paix des Pyrénées alla en Portugal commander contre les Espagnols, qui fut maréchal de France en 1675, qui étant huguenot se retira en Brandebourg, après la révocation de l'édit de Nantes, puis en Hollande où il entra dans toute la confidence du prince d'Orange pour l'affaire d'Angleterre, y passa avec lui, puis avec lui encore en Irlande, où il fut tué à la bataille de la Boyne, que le prince d'Orange gagna complète contre le roi, son beau-père.

Il se trouve plusieurs signatures L'Hospital; elles ne peuvent être d'aucun des deux frères tous deux maréchaux de France. L'aîné des deux mourut en 1641, l'autre était, lors de ces assemblées, gouverneur de Paris et ministre d'État. Il est donc sans apparence qu'avec ces qualités qui marquaient l'entière confiance en lui de la reine et du cardinal Mazarin en ces temps de troubles, où même il pensa être assommé à l'hôtel de ville, cette signature puisse être de lui. Il ne laissa point d'enfants. Ce ne peut-être aussi le fils aîné du maréchal son frère, qui fut duc à brevet de Vitry en juin 1650, et qui s'appelait auparavant, et lors de ces assemblées, le marquis de Vitry, et qui aurait signé Vitry, quand ce n'aurait été que pour éviter la confusion des autres signatures L'Hospital dont il y avait lors deux autres branches. C'est, pour le dire en passant, ce même duc de Vitry, employé jeune en diverses ambassades, qui fut fait conseiller d'État d'épée, et qui comme duc à brevet, et non vérifié, ne laissa pas de précéder le doyen des conseillers d'État au conseil, et d'y être salué du chapeau par le chancelier en prenant son avis. Sur les autres signatures, il y a peu de choses à remarquer. On y voit seulement que la reine et le cardinal Mazarin d'une part, Monsieur et M. le Prince d'autre, qui étaient liés on ce temps-là, avaient eu soin de fourrer dans cette assemblée des personnes entièrement à eux, et quelques noms encore d'entre les importants de la Fronde. Il s'y trouve entre ces derniers deux signatures Montrésor. Il n'y avait alors qu'un Bourdeille, qui portât ce nom, qui fut un des plus avant dans la direction de la Fronde avec le coadjuteur et la duchesse de Chevreuse, et qui est mort très vieux à l'hôtel de Guise, chez Mlle de Guise, qui l'avait épousé secrètement. Ainsi il y a faute nécessairement on l'une de ces deux signatures.

Mon père signa aussi avec plusieurs autres ducs et pairs, sans autres, une requête au roi tendante à empêcher ces concessions dont j'ai la copie que je ne donne pas, parce qu'il ne s'agit pas ici de dissertation sur les rangs, mais simplement des événements de mon temps, à propos desquels j'ai cru devoir faire mention de ces mouvements de 1649, et de cette association ou traité qui demande quelques réflexions avant que d'achever de raconter en deux mots ce qu'elle devint et quel en fut le succès.

Ces messieurs de 1649 ne se proposent point d'attaquer ce qui est établi, non seulement de tous les temps et en tous les pays du monde comme en France, mais ce qui l'est depuis plusieurs règnes, et qui, bien ou mal fondé, l'est sur la naissance à laquelle le nom de prince est affecté, c'est-à-dire des personnes issues, de mâle en mâle, d'un véritable souverain, et dont le chef de la maison l'est actuellement, et reconnu pour tel dans toute l'Europe. On ne voit nulle part, dans l'association que ces messieurs approuvent, rien de ce qui a été toléré, puis accordé aux véritables princes étrangers. L'écrit se contente de passer à côté et ne va qu'au but qui l'a fait faire, qui est de s'opposer à des concessions de rangs et d'honneurs à des seigneurs et à des maisons jusqu'alors semblables d'origine à eux, qui n'ont jamais rien eu ni prétendu de différence, et auxquelles aussi nulle autre n'a déféré nulle part distinction humiliante et outrageante que l'écrit sait expliquer dans toute sa force, mais avec dignité. Il allègue donc les plus pressantes et les plus invincibles raisons, les plus solides et les plus évidentes, qu'a la noblesse à s'y opposer. Rien n'est plus éloigné de battre l'air, et de ne savoir que répondre sur le but qu'on se propose. Cet écrit est respectueux pour le roi et pour toute la maison régnante, plein de protestation de fidélité, qui est toujours la première exception pour n'y manquer jamais. Il n'est pas moins rempli d'égards et de ménagements sur les personnes qu'il attaque. Pas un mot, pas une expression qui les puisse le plus légèrement blesser, et la discrétion y est portée jusqu'à éviter avec soin d'y nommer aucun nom. En même temps, il s'exprime avec une dignité infinie, et sans s'échapper, il se contente d'employer les armes naturelles de la noblesse, l'honneur et la réputation, et s'il descend jusqu'à montrer un recours au parlement, il faut se souvenir que cette compagnie s'était alors rendue le fléau et le fouet du cardinal Mazarin, qui en mourait de peur. Du reste, parmi ces messieurs point d'aboiement, point de rumeur populaire, rien d'indécent, tout mesuré avec sagesse et dignité, comme personnes qui se sentent, qui se respectent, et qui sont incapables de rien d'approchant du tumulte populaire ni des mouvements des halles. Enfin, pour dernière différence parfaite, toute contradictoire de ces messieurs de 1649 d'avec ceux de 1717, c'est qu'ils n'usurpent point un faux titre, et ne donnent point droit sur eux de demander qui ils sont et par quelle autorité ils agissent. Ils ne prétendent point être la noblesse, mais seulement être de ce corps. Ils ne se donnent ni pour le second ordre de l'État, ni pour représenter ce second ordre; ils se reconnaissent des membres et des particuliers de ce second ordre, qui, pour un intérêt commun, effectif, palpable, pressant, s'associent. On ne peut donc leur demander, comme à ceux de 1717, qui ils sont, ce qu'ils veulent, par quelle autorité ils agissent. On voit clairement quels ils sont, et ils ne se donnent pas pour autres. On sent pleinement ce qu'ils veulent, et ce qu'ils ont raison de vouloir. Enfin l'autorité qui les fait agir n'est ni fausse ni chimérique. C'est le plus évident et le plus commun intérêt qui, sans mission et sans autorité de personne, donne droit d'agir, de se défendre, de demander à quiconque en a raison et nécessité effective, et qui le font, entièrement dégagés des misérables inconvénients de la foule aveugle et du tourbillon. Quelle disparité de 1649 à 1717! elle va jusqu'au prodige.

Néanmoins on ne saurait nier qu'avec tant de contraste il ne s'y trouve quelques conformités. Le mélange des noms inévitable, comme on l'a dit, quand on a besoin de nombre, et qu'il n'y a point de barrière, et le but secret du très petit nombre de conducteurs. En 1649, M. le Prince voulait embarrasser le cardinal Mazarin pour le rendre souple à ses volontés; il avait entraîné la faiblesse de Monsieur par ceux qui le gouvernaient, à ne pas s'opposer à ce dessein, qui n'allait alors à rien de criminel. C'est ce qui donna lieu à ces assemblées, et ce qui les fit durer. Mais, dès que la peur qu'en eut le cardinal Mazarin l'eut humilié au gré de M. le Prince, il ne voulut pas aller plus loin, dont Monsieur fut fort aise. Ils agirent donc en conséquence par ceux qu'ils avaient dans leur dépendance en ces assemblées, mais ils ne voulurent pas tromper l'association dans son but. Toutes les histoires et les mémoires de ces temps-là racontent comment elle fut rompue. Tous ceux qui en étaient furent mandés et conduits honorablement chez le roi, où ils furent reçus avec beaucoup de distinction et d'accueil, la reine mère, Monsieur, M. le Prince, le conseil, toute la cour présente. Monsieur les présenta; la reine leur témoigna satisfaction de les voir, et opinion de leur fidélité. Un secrétaire d'État leur lut tout haut la révocation du rang et des honneurs accordés à MM. de Bouillon, et des tabourets de la princesse de Guéméné, et de Mmes de Senecey et de Fleix, et la montra aux principaux et à qui la voulut voir, pour que leurs yeux les assurassent qu'il ne manquait rien à la forme de l'expédition. La reine ensuite leur dit gracieusement que puisqu'ils obtenaient ce qu'ils demandaient, il n'y avait plus de lieu à association ni à assemblées, que le roi déclarait l'association finie, et défendait les assemblées à l'avenir. La reine ensuite leur fit des honnêtetés et le Mazarin des bassesses, et chacun se retira. Telle fut la fin de cette affaire, bien différente aussi de celle de 1717. Cette révocation subsista tant que les troubles firent craindre, après quoi elle tomba. La reine remit MM. de Bouillon et les tabourets supprimés. On a vu ailleurs comment celui de la princesse de Guéméné enfanta par différents degrés les mêmes avantages à MM. de Rohan que MM. de Bouillon avaient obtenus, et que celui de Mmes de Senecey et de Fleix les fit enfin duchesses, et en même temps M. de Foix, leur fils et petit-fils, duc et pair [26] . Après cette digression nécessaire, revenons en 1717.

Je me tenais avec M. le duc d'Orléans sur ces mouvements de la prétendue noblesse et sur l'affaire des bâtards, qui lui était si connexe dans la même conduite que je gardais avec lui sur le parlement; je m'étais contenté de lui démontrer les intimes rapports de ces deux affaires et leurs communs ressorts; quel était son plus puissant intérêt sur la dernière, et qu'à l'égard de l'autre il éprouverait bientôt que le prétexte frivole des ducs ne durerait que jusqu'à ce que le parti de M. et de Mme du Maine fût assez bien formé et fortifié pour aller à lui directement et à son gouvernement. Après cette remontrance, je laissais aller le cours des choses, persuadé que ce que je lui dirais ne ferait qu'augmenter ses soupçons que je ne lui parlais que par intérêt et par passion, et que le duc de Noailles, Effiat, Besons, Canillac et d'autres qui l'obsédaient rendraient inutiles les plus évidentes raisons. À la fin pourtant il s'aperçut qu'il avait laissé aller trop loin ces deux affaires, et du danger qui le menaçait. Malgré mon silence avec lui là-dessus, il ne put s'empêcher de m'en dire quelque chose. Je répondis avec un air d'indifférence que je lui avais dit ce que je pensais là-dessus, que je n'avais rien à y ajouter, que c'était à lui à juger de ce qu'il lui convenait de faire, et je changeai aussitôt de discours. Il me parut qu'il le sentit, et il ne m'en dit pas davantage. Cependant les princes du sang ne cessaient de le presser de juger leur différend avec les bâtards, et à la fin il dit à M. le Duc qu'il les jugerait incessamment; mais qu'il voulait prendre avis de beaucoup de personnes, dont il choisirait plusieurs dans les différents conseils. Cela fut su, et la duchesse du Maine alla se plaindre au régent qu'il voulait faire juger cette affaire par des gens qui ne savaient point assez les lois du royaume.

On ne peut qu'admirer que des doubles adultérins osent invoquer des lois pour se maintenir dans une disposition sans exemple, faite directement contre toutes les lois divines et humaines, contre l'honneur des familles, contre le repos et la sûreté de la maison régnante, et de toute société. Cette remontrance ne réussit pas, encore moins la résolution prise par M. et Mme du Maine de ne reconnaître d'autres juges que le roi majeur, ou les états généraux du royaume; ils avaient bien leurs raisons pour cela. L'éloignement de la majorité donnait du temps à leurs complots; et, avec ce parti qui se formait et s'organisait de jour en jour, ils espéraient tout d'une assemblée qu'ils comptaient bien parvenir à faire ressembler à celle que la mort du duc et du cardinal de Guise déconcerta et dissipa. Mais M. du Maine n'était en rien un Guise, sinon par l'excès de l'ambition. M. le duc d'Orléans, poussé par les princes du sang, sentit enfin quelle atteinte donnerait à son autorité de régent la résolution du duc du Maine, si elle était soufferte, et quel exemple ce serait s'il différait ce jugement. M. et Mme du Maine, qui, par d'Effiat et par d'autres, savaient jour par jour ce que M. le duc d'Orléans pensait sur leur affaire, comptèrent tellement sur son irrésolution, sa facilité, sa faiblesse, qu'ils ne doutèrent pas de hasarder une résolution si hardie, et qui comme leur affaire même était si opposée à toute règle et à toute loi. Ils s'y méprirent, et ce fut ce qui précipita leur jugement. Deux jours après la visite de Mme la duchesse du Maine au Palais-Royal, il fut rendu un arrêt au conseil de régence, où aucuns princes du sang, bâtards ni ducs ne furent présents, qui ordonna aux princes du sang et aux bâtards de remettre entre les mains des gens du roi les mémoires respectifs faits et à faire sur leur affaire, et Armenonville, secrétaire d'État, fut chargé de le leur aller communiquer: c'était bien s'engager à juger incessamment et le leur déclarer d'une manière juridique.

Ces deux affaires marchaient ensemble, avec l'embarras pour le régent du czar dans Paris. Cette prétendue noblesse faisait plus de bruit que jamais avant sa députation. Elle comptait sur toute la protection du régent qui la laissait dire et faire, et qui souffrait que M. de Châtillon et beaucoup d'autres du Palais-Royal fussent à découvert ou secrètement d'avec eux. Ils étaient poussés et soutenus par d'Effiat et Canillac; et le duc de Noailles qui y avait à la mort du roi donné le premier branle, se voulait faire élever par eux sur les pavais. Avec de tels appuis auprès du régent, le parlement en croupe, M. et Mme du Maine à leur tête, elle leur tourna entièrement jusque-là qu'il y eut de leurs femmes qui se vantèrent qu'elles allaient prendre des housses et des dais; mais il est vrai qu'aucune n'osa le faire. Les ducs les laissaient s'exhaler et tirer leurs estocades en l'air sans rien dire ni faire, et sans inquiétude, parce que de tels glapissements n'en pouvaient donner. Ce fut dans ce tourbillon d'emportement et de confiance que les huit seigneurs dont on a parlé allèrent au Palais-Royal présenter leur mémoire, et qu'ils le rapportèrent de la façon que je l'ai raconté. Le régent avait enfin ouvert les yeux, et les ouvrit à plusieurs de ces messieurs par une réception qu'ils en avaient si peu attendue. Le trouble se mit parmi eux; la division, les reproches; plusieurs se plaignirent qu'on les avait trompés, et dirent au régent, et à qui voulut l'entendre, qu'ils ne s'étaient engagés que sur les assurances qui leur avaient été données que tout se faisait du consentement et même pan les ordres secrets du régent. Un grand nombre se détacha, lui fit des excuses; beaucoup témoignèrent leur regret aux ducs de leur connaissance. Mais si les sages prirent ce parti, ils ne furent pas le plus grand nombre. Les conducteurs et le très peu de partisans du vrai secret redoublèrent d'efforts et d'artifice pour retenir et rallier leur monde, et pour l'irriter du mauvais succès de leur députation. Les huit députés surtout s'y signalèrent, mais ils n'eurent plus le verbe si haut. Ils firent parler au régent, mais comme à la fin il avait vu clair, il ne les marchanda pas longtemps, avec toutefois ses adoucissements accoutumés dont nulle expérience ne le pouvait défaire, et qu'il ne put refuser à ceux qui l'obsédaient, et qui n'oubliaient rien pour lui faire peur; il en eut en effet, et c'est ce qui précipita la fin du bruit de ces belles prétentions.

Il fut rendu un arrêt l'après-dînée du samedi 14 mai, au conseil de régence, qui est en ces termes: « Sa Majesté, étant en son conseil de l'avis de M. le duc d'Orléans, régent, a fait très expresses inhibitions et défenses à tous les nobles de son royaume, de quelque naissance, rang et dignité qu'ils soient, de signer la prétendue requête, à peine de désobéissance, jusqu'à ce qu'autrement en ait été ordonné par Sa Majesté, suivant les formes observées dans le royaume, sans néanmoins que le présent arrêt puisse nuire ni préjudicier aux droits, prérogatives et privilèges légitimes de la noblesse, auxquels Sa Majesté n'entend donner aucune atteinte, et qu'elle maintiendra toujours à l'exemple des rois ses prédécesseurs, suivant les règles de la justice. » Cet arrêt, tout emmiellé qu'il fût, sapait par le fondement le chimérique objet qui avait ramassé cette prétendue noblesse. La défense de signer la requête, qui était le mémoire porté au Palais-Royal, tourné en requête toute prête, la mention d'observer les formes du royaume, celle de l'exemple des rois prédécesseurs et des règles de la justice, proscrivait d'une part une assemblée informe, tumultueuse, sans nom qu'usurpé et faux, sans mission, sans autorité, sans pouvoirs, et maintenait ce qui était des formes et de tout temps, sous les rois prédécesseurs, tels que la dignité des ducs, dans toutes leurs distinctions, rangs et prérogatives; aussi fut-ce un coup de foudre sur cette prétendue noblesse. On parla de quelque autre affaire courte au commencement de ce conseil, après laquelle celle-ci fut mise sur le tapis par M. le duc d'Orléans. À l'instant, je regardai les ducs du conseil, puis me tournant au régent, je lui dis que, puisqu'il s'allait traiter de l'affaire de ces messieurs de la noblesse, je n'oubliais point que nous étions tous du second des trois ordres du royaume, et que je le priais de me permettre de n'être pas juge, et de sortir du conseil. Je me levai en même temps, et quoique moi ni les autres ducs n'y eussions été préparés en aucune sorte, regardant la table quand j'eus fait quelques pas, je vis tous les ducs du conseil qui me suivirent. Quittant ma place, le duc de Toulouse me dit tout bas: « Et nous, que ferons-nous? — Tout ce qu'il vous plaira, lui dis-je; pour nous autres ducs, je crois que nous nous devons de sortir. » Nous nous mîmes ensemble dans la pièce d'avant celle du conseil pour y rentrer après l'affaire. Presque aussitôt nous vîmes les princes du sang et les bâtards sortir. Cela fit un grand mouvement dans ces dehors, où il y avait quelques personnes de cette noblesse qui se tenaient éloignées dans des coins, qui avaient en apparemment quelque vent qu'il serait question d'eux au conseil. Les ducs sortis avec moi me remercièrent d'avoir pensé à ce à quoi ils ne songeaient pas, et de leur avoir donné un exemple qu'ils avaient suivi aussitôt, et dont, comme leur ancien à tous, j'étais plus en droit de faire. L'affaire dura assez, après quoi M. le duc d'Orléans sortit, sans en entamer d'autres, et nous sûmes aussitôt l'arrêt qui venait d'être rendu.

Dans tout le cours de ce long vacarme (car il ne se peut rendre que par ce nom), les ducs, avec raison fort tranquilles sur leur dignité, ne s'assemblèrent pas une seule fois, ni tous, ni quelques-uns, ne firent aucun écrit, et ne députèrent pas une seule fois au régent. Par même raison ils demeurèrent dans la même inaction sur cet arrêt, qui étourdit étrangement cette prétendue noblesse à qui le régent fit en même temps défendre de s'assembler désormais. Tout se débanda, la plupart en effet et commença à ouvrir les yeux, et à avouer sa folie presque tous en apparence. Ce fut à qui courrait au Palais-Royal s'excuser, où tous furent reçus honnêtement, mais sèchement, ce qui diminua encore le nombre, avec l'opinion que ces mouvements fussent du goût du régent, qui donna place à la crainte de lui déplaire, au désespoir de réussir, et au dépit d'avoir été trompés et menés par le nez. Mais les plus entêtés se laissèrent persuader par les confidents de l'intrigue, à qui il importait si fort de ne pas laisser démancher le parti, et qui n'oublièrent rien pour en arrêter la totale dissipation, où pourtant il ne se fit plus rien que dans les ténèbres.

M. de Noailles, pour le rassurer un peu, profita de la mort de Lannion, lieutenant général, pour faire donner le gouvernement de Saint-Malo qu'il avait à Coetquen, son beau-frère, son agent, et des plus avant parmi cette noblesse, dont les fauteurs qui obsédaient le régent lui persuadèrent dans la même vue d'en retirer M. de Laval par une pension de six mille livres, grâce bien forte à un homme qui avait quitté le service, et qui ne pouvait l'avoir méritée que par ses séditieuses clameurs. Aussi verrons-nous combien le régent y fut trompé.

Ce M. de Laval si totalement enrôlé par M. et Mme du Maine, et qui était avec M. de Rieux depuis longtemps dans le secret de leurs vues et de leurs complots, était un homme à qui il ne coûtait rien de tout prétendre et de tout hasarder. Dès la mort du roi, profitant de la débandade de la draperie, il avait demandé et obtenu du régent la permission de draper, à titre de parenté, sur ce que les Laval avaient eu une duchesse d'Anjou, reine de Naples et de Sicile, qu'il faisait extrêmement valoir. Il savait assez, et de plus il comptait assez sur l'ignorance publique, pour ne craindre pas d'être démenti. Cette effronterie en effet en avait besoin. Il est vrai que Jeanne de Laval, fille de Guy XIII, épousa en septembre 1454, le bon René, duc d'Anjou et comte de Provence, roi titulaire de Naples, Sicile, Jérusalem, Aragon, etc., qui mourut à Aix en Provence, en juillet 1474 [27] , et Jeanne de Laval, sa femme, mourut au château de Beaufort en 1498. Mais malheureusement pour cette grande alliance, il y a quelques remarques à faire, c'est premièrement qu'il n'y eut point d'enfant de ce mariage; ainsi nulle parenté entre ces princes et la maison de Jeanne de Laval.

Le bon roi René avait épousé en premières noces, en octobre 1420, Isabelle, héritière de Lorraine, d'où s'ourdirent les guerres entre lui et le comte de Vaudemont, qui se prétendit préférable comme mâle, qui prit et retint longues années René prisonnier, ce qui lui coûta les royaumes de Naples et de Sicile, qu'il ne put aller défendre contre les Aragonnais. Isabelle mourut à Angers en 1452, et laissa Jean d'Anjou, duc de Calabre et de Lorraine, qui fit la guerre en Italie et en Catalogne, et qui mourut en 1471 [28] à Barcelone, avant le roi René son père, laissant de Marie, fille aînée du duc Jean Ier de Bourbon, Nicolas, successeur de ses États et prétentions, qui mourut à Nancy, sans alliance, en 1473, laissant héritier de ses États et prétentions, Charles IV son cousin germain, fils de Charles d'Anjou, comte du Maine, etc., frère puîné du roi René, lequel fit le même Charles son héritier, qui lui succéda, à qui il ne survécut pas six mois; car il mourut à Marseille le 11 décembre 1480 [29] , sans enfants de Jeanne de Lorraine, fille du comte de Vaudemont, morte en janvier précédent. Elle l'avait institué héritier de tous ses biens, et lui, institua le roi Louis XI héritier de tous les siens, États et prétentions. Marie d'Anjou, soeur de son père et du bon roi René, était mère du roi Louis XI. En ce prince finit la branche seconde d'Anjou-Sicile. On voit ainsi par toutes [sortes] d'endroits qu'il n'y avait aucune parenté avec nos rois Bourbons ni même Valois, à titre de mariage du bon roi René, duc d'Anjou, roi de Naples et de Sicile, avec Jeanne de Laval-Montfort, de laquelle même il n'y a point eu d'enfants. Secondement, et voici où l'effronterie est plus étrange, c'est que M. de Laval, bien sûr de l'ignorance publique, n'a pas craint le mensonge le plus net en se jouant du nom et des armes de Laval, dont voici le fait et la preuve:

Matthieu II, seigneur de Montmorency, épousa en premières noces Gertrude de Nesle, duquel mariage descend toute la maison de Montmorency jusqu'à aujourd'hui. Le même Matthieu, connétable de France, épousa en secondes noces Emme de Laval, héritière de cette ancienne maison, dont les armes sont de gueules à un léopard passant d'or. Il n'en eut qu'un fils et une fille. Ce fils fut Guy de Montmorency qui, succédant aux grands biens de sa mère, quitta le nom de Montmorency, et prit pour soi et pour toute sa postérité le seul nom de Laval; mais il retint les armes de Montmorency, qu'il chargea pour brisures de cinq coquilles d'argent sur la croix. De lui est descendue toute la branche de Montmorency qui, depuis lui jusqu'à présent, n'a plus porté que le seul nom de Laval dans toutes ses branches, avec les armes de Montmorency brisées des cinq coquilles, qui font ce qu'on a appelé, depuis qu'elles ont été prises, les armes de Laval. Ce Guy de Montmorency, dernier fils du connétable Matthieu II, fils unique de sa seconde femme Emme, héritière de Laval-Vitré, etc., prit non seulement le nom de Laval en héritant de sa mère, mais le nom de baptême de Guy, que les pères de sa mère avaient affecté. Ainsi il s'appela Guy VII de Laval, et fit passer d'aîné en aîné cette même affectation du nom de Guy. Il eut cinq descendants d'aîné en aîné, qui tous se nommèrent Guy VIII, Guy IX, Guy X, Guy XI et Guy XII, seigneurs de Laval et de Vitré. Tous ceux-là, outre leurs cadets qui firent des branches dont il y en a qui subsistent aujourd'hui, étaient tous de la maison de Montmorency, mais ne portant tous, aînés et cadets, que le seul nom de Laval, avec les armes de Montmorency, brisées des cinq coquilles d'argent sur la croix. Guy XII était frère de Guy XI, qui n'eut point d'enfants, et fut ainsi la quatrième génération du dernier fils du connétable Matthieu II de Montmorency, et sa seconde femme Emme, héritière de l'ancienne maison de Laval.

Ce Guy XII n'ayant point d'enfants de Louise de Châteaubriant, morte en novembre 1383, il se remaria six mois après à la veuve du fameux connétable du Guesclin, qui était Laval comme lui, fille de J. de Laval seigneur de Châtillon en Vendelais, fils d'André de Laval, oncle du père de Guy XII. Il n'eut qu'un fils et une fille, Guy et Anne. Guy jouant à la paume tomba dans un puits découvert, et en mourut huit jours après, en mars 1403, tout jeune, et seulement fiancé à Catherine, fille de Pierre, comte d'Alençon. Guy XII n'espérant plus d'enfants, quoiqu'il ne soit mort qu'en 1412 et sa femme en 1433, choisit pour épouser Anne sa fille et son unique héritière Jean de Montfort, seigneur de Kergorlay, fils aîné de Raoul VIII, sire de Montfort en Bretagne, de Gaël, Loheac, et La Roche-Bernard, et de Jeanne, dame de Kergorlay. Cette maison de Montfort a été jusque-là assez peu connue. Le mariage se fit avec les conditions et toutes les sûretés nécessaires que J. de Montfort quitterait entièrement son nom, ses armes, etc., lui et toute sa postérité, pour ne plus porter que le nom seul de Laval et les armes seules de sa femme, qui étaient comme, on l'a vu, celles de Montmorency brisées de cinq coquilles sur la croix. Cela a été si religieusement exécuté que ces Montfort devenus Laval ont tous pris, quant aux aînés seulement, le nom de baptême de Guy; en sorte que J. de Montfort, mari de l'héritière Anne de Laval s'appela Guy XIII, seigneur de Laval, Vitré, etc. Leurs enfants furent Guy XIV, André, seigneur de Loheac, amiral et maréchal de France, et Louis seigneur de Châtillon, grand maître des eaux et forêts, qui eut de grands gouvernements. Lui et le maréchal son frère moururent sans enfants. Je laisse les soeurs. Guy XIV fit ériger Laval en comté par le roi Charles VIII, en juillet 1429, et mourut en 1486. D'Isabelle fille de Jean IV, duc de Bretagne, il eut Guy XV, J. seigneur de Laroche-Bernard, Pierre, archevêque-duc de Reims, cinq filles bien mariées dont Jeanne la seconde fut la seconde femme du roi René de Naples et de Sicile, duc d'Anjou, comte de Provence, dont elle n'eut point d'enfants, et qui a donné lieu à cette explication. De Françoise de Dinan, sa seconde femme, Guy XV eut trois fils dont l'aîné et le dernier n'eurent point d'enfants. Le second, François, seigneur de Châteaubriant, eut de la fille unique de Jean de Rieux, maréchal de Bretagne, deux fils dont le cadet n'eut point d'enfants. Jean l'aîné seigneur de Châteaubriant fut gouverneur de Bretagne après son cousin Guy XVI, comte de Laval. Il épousa Françoise, fille d'Odet de Grailly dit de Foix, vicomte de Lautrec, maréchal de France, soeur de la femme du comte Guy XVII de Laval, fils de son cousin germain, et qui toutes d'eux n'eurent point d'enfants. C'est de cette dame de Châteaubriant dont on a fait cette fable touchante. Elle mourut en 1537, et son mari en 1542. Se voyant très riche et sans enfants, il dissipa une partie de son bien et donna l'autre à ses amis. Il fit présent de Châteaubriant, Condé, Chanseaux, Derval, Vioreau, Nosay, Issé, Rougé et d'autres terres au connétable Anne de Montmorency, qui fut fort accusé de ne les avoir pas eues pour rien.

Revenons maintenant à Guy XV, comte de Laval-Montfort, etc., frère de la seconde femme du bon roi René, et d'une autre qui mourut jeune, fiancée au comte de Genève, frère du duc de Savoie. Louis XI lui fit épouser à Tours, en 1461, Catherine, fille de Jean II, comte d'Alençon, et Charles VIII le fit grand maître de France. Se voyant sans enfants, il fit le fils de Jean, seigneur de la Roche-Bernard, son frère de père et de mère, son héritier, parce que ce frère était mort longtemps devant lui. Ce frère avait eu de Jeanne Duperrier, comtesse de Quintin, un fils unique qui, héritant en 1500 de son oncle Guy XV, quitta son nom de baptême qui était Nicolas, et s'appela Guy XVI, comte de Laval-Montfort, etc. Il fut fait par François Ier gouverneur et amiral de Bretagne, et mourut en mai 1531. Il avait épousé: 1° Charlotte, fille de Frédéric d'Aragon, roi de Naples; 2° une soeur du connétable Anne de Montmorency; 3° Anne, fille de Jean de Daillon, seigneur et baron du Lude, sénéchal de Poitou; de la première, il eut trois fils qu'il perdit jeunes, sans alliances, dont un tué au combat de la Bicoque, et deux filles, Catherine, mariée en 1518 à Claude, sire de Rieux, comte d'Harcourt, etc., et Anne qui épousa François, seigneur de La Trémoille, vicomte de Thouars. La dame de Rieux, comtesse d'Harcourt, devint héritière de Laval-Vitré; etc. Elle n'eut que deux filles, Renée, qui épousa en 1540 Louis de Précigny, dit de Sainte-Maure, maison dont était le duc de Montausier. Elle mourut sans enfants. Cl., sa soeur et son héritière, épousa le célèbre François de Coligny, seigneur d'Andelot, colonel général de l'infanterie, frère du fameux amiral Gaspard, seigneur de Châtillon-sur-Loing. De ce mariage, vint Paul de Coligny qui, héritant de sa tante, se nomma Guy XVIII, comte de Laval, etc.; son fils, Guy XIX fut tué en Hongrie en 1605, à la fleur de son âge, sans postérité, par quoi ce grand héritage vint à celle de François de La Trémoille, et d'Anne de Laval-Montfort susdits. Or voici comment cet héritage tomba en ces héritières.

On vient de voir la postérité de Guy XVI et de Charlotte d'Aragon sa première femme; il n'en eut point de la Montmorency sa seconde femme; mais de la troisième, Anne de Daillon, il eut trois filles bien mariées, dont la dernière le fut à l'amiral de Coligny, ou de Châtillon dont on vient de parler, et un fils Guy XVII, comte de Laval, etc., mort en 1547, sans enfants de Charlotte, soeur de la dame de Châteaubriant dont il a été parlé ci-dessus. En lui finit cette maison de Montfort qui avait pris le nom et les armes de Laval en quittant les siennes, et qui laissa cette grande succession aux héritières dont on vient de parler. Il ne faut rien oublier: Jean de Montfort, qui épousa l'héritière de Montmorency-Laval, eut aussi deux filles. La cadette épousa Guy de Chauvigny, seigneur de Châteauroux, et l'aînée, en 1489, Louis de Bourbon, comte de Vendôme, dont le fils Jean II de Bourbon, comte de Vendôme, épousa l'héritière de Beauvau de qui sort toute la maison ou branche de Bourbon aujourd'hui régnante. On a vu qu'à la mort de Monseigneur, Voysin obtint du feu roi qu'il fût permis à M. de Châtillon, son gendre, longtemps depuis fait duc et pair, de draper à cause des alliances fréquentes et directes de la maison de Châtillon avec la maison royale, et que, sur cet exemple, Mme la princesse de Conti, qui s'honorait fort avec raison de l'alliance des La Vallière avec la maison de Beauvau, obtint pour M. de Beauvau la même permission sur ce que toute la famille régnante descend d'Isabelle de Beauvau, et qu'il n'y a plus personne de vivant de la maison de qui elle descend immédiatement. C'eût bien été le cas où par même raison MM. de Laval n'eussent pu être refusés de la même distinction, si une fille de leur maison eût été la mère de Jean II de Bourbon, comte de Vendôme, qui épousa cette héritière de Beauvau; mais ce n'était pas le temps de hasarder d'en faire accroire au feu roi et de prendre tout le monde pour dupe; mais à sa mort, lorsque M. le duc d'Orléans prostitua la draperie jusqu'au premier président, M. de Laval saisit la conjoncture, et donna les Laval-Montfort pour les Laval-Montmorency avec d'autant plus de facilité qu'on était lors occupé de trop de choses pour en éplucher la généalogie. C'était le même nom et les mêmes armes de Laval-Montmorency; les nom et armes des Montfort étaient éclipsés dès le mariage de Montfort avec l'héritière de Laval-Montmorency, et le dernier de Laval-Montfort avait éteint cette race dès 1547. M. de Laval ne balança donc pas depuis la mort du roi de revêtir sa branche de toutes les grandeurs qui avaient illustré les Laval-Montfort.

Depuis que l'héritière de la branche aînée de Laval-Montmorency était entrée dans les Montfort, et y avait porté ses grands biens avec son nom et ses armes, les branches cadettes de Laval-Montmorency étaient, pour ainsi dire, demeurées à sec jusqu'à nos jours; et en cent quarante-deux ans qu'a duré la maison de Montfort, depuis le mariage de l'héritière de Laval-Montmorency, c'est-à-dire depuis 1405 jusqu'en 1547, cette heureuse maison a presque atteint toutes les grandeurs de la maison Montmorency, en charges, emplois, distinctions, alliances et grandes terres, sans avoir presque rien eu de médiocre, même dans les cadets et dans les filles. Ce n'est pas qu'on puisse ignorer l'essentielle et foncière différence qui est entre ces deux maisons, dont l'une, peu connue auparavant, ne s'est élevée à ce point que par l'alliance et l'héritage de l'aînée de la dernière branche de l'autre; mais cette vérité n'empêche pas que ce que j'avance ici ne soit vrai de l'extrême illustration en tous genres de cette maison de Montfort depuis qu'elle est devenue. Laval jusqu'à son extinction, et de l'obscurcissement en tous genres aussi où est tombée la branche de Laval-Montmorency depuis le mariage de son héritière aînée dans la maison de Montfort jusqu'à aujourd'hui. On n'y trouve que des alliances communes, peu de fort bonnes, quantité de basses, peu de biens, point de terres étendues, point de charges, d'emplois; nulles distinctions, si on en excepte Gilles de Laval, seigneur de Raiz, etc., maréchal de France en 1437, pendu et brûlé juridiquement à Nantes, pour abominations, 25 décembre 1440, et Urbain de Laval, seigneur de Boisdauphin, etc., maréchal de France en 1599, dont le fils n'a point laissé d'enfants, et le maréchal de Raiz une fille unique, mariée au maréchal de Loheac-Laval-Montfort, morts tous deux sans enfants. On voit ainsi que rien n'est si essentiellement différent, ni plus étranger l'un à l'autre, quoique avec le même nom et les mêmes armes que ces deux maisons de Laval, l'une cadette de Montmorency, l'autre du nom de Montfort en Bretagne, qui quitta son nom et ses armes pour porter uniquement le nom de Laval et les armes de Montmorency brisées de cinq coquilles d'argent sur la croix, en épousant la riche et unique héritière de la branche aînée de Laval-Montmorency, et la facilité qu'a eue la hardiesse de M. de Laval de revêtir les branches de Laval-Montmorency des plumes d'autrui, et de s'attribuer toutes les grandeurs, alliances et distinctions des Laval-Montfort éteints depuis si longtemps. Il drapa donc à la mort du roi, et tous les Laval ont toujours depuis drapé sur ce fondement si évidemment démontré faux par ce qui vient d'en être mis au net.

Mais cette mensongère usurpation n'est pas la seule imposture dont le même M. de Laval ait voulu s'avantager, et que son audace ait alors persuadée à l'ignorance du monde, et à son incurie et à sa paresse d'examiner. Il publia que sa maison avait eu la préséance sur le chancelier de France, et sur sa périlleuse parole, on eut la bonté de n'en pas douter. La vérité est qu'il se contenta d'avancer cette fausseté ainsi en général, et qu'il se garda bien de s'enferrer dans aucune particularité d'occasion ou de date. Le célèbre André du Chêne, qui a donné une histoire fort étendue de la maison de Montmorency, où il n'oublie rien pour la relever; et qu'il dédia à M. le Prince, fils d'une fille du dernier connétable de cette maison, n'en dit pas un mot, et il n'est pas croyable que ses recherches lui eussent laissé ignorer un fait aussi singulier, ou qu'il eût voulu l'omettre. Ni les Laval-Montfort n'ont eu cette préséance dans toute la durée de leur grandeur; ni les cadets Laval-Montmorency de cette héritière de leur branche aînée, dont le mariage avec le Montfort lui apporta et à sa postérité tant de splendeur, et à ces mêmes cadets Laval-Montmorency un obscurcissement qui, de degré en degré, les a fait tomber dans un état où, même dans les temps les plus voisins du mariage de leur héritière aînée avec le Montfort, ils ne se sont jamais trouvés en situation de rien prétendre au delà de tous les gens de qualité ordinaire. Je n'allongerai point cette digression, déjà trop longue, d'une dissertation sur le rang, les prétentions et leurs divers degrés de l'office de chancelier. Je me contenterai de dire que je ne vois qu'un seul exemple de cette préséance dans la maison de Montmorency, non de Laval-Montmorency. Personne n'ignore la violence extrême faite par Henri II et par le connétable Anne de Montmorency au maréchal de Montmorency son fils aîné, pour lui faire épouser sa bâtarde légitimée, veuve d'Horace Farnèse, duc de Castro, sans enfants.

Le maréchal de Montmorency était amoureux de Mlle de Piennes, Jeanne d'Halluyn, soeur de Charles d'Halluyn, seigneur de Piennes, marquis de Maignelets, gendre de l'amiral Chabot, tous deux enfants d'une Gouffier, fille de l'amiral de Bonnivet, lequel Charles d'Halluyn, Henri III fit duc et pair en 1587. Le maréchal de Montmorency avait donné une promesse de mariage à Mlle de Piennes, qui, comme on voit, était de naissance très sortable à l'épouser. Le connétable, très absolu dans sa famille, voulait disposer de ses enfants, encore plus s'il se peut de cet aîné. Il attendait l'occasion de quelque grand mariage, et son fils celle de lui parler de celui qu'il voulait faire, et de l'y faire consentir. Dans l'intervalle, la duchesse de Castro perdit son mari, et Henri II, qui aimait fort sa fille, et auprès duquel le connétable était alors dans la plus grande faveur, lui demanda son fils aîné pour sa fille, et le connétable ébloui, non de l'alliance bâtarde légitimée, mais de la faveur et de la fortune qui en serait la longue dot, conclut à l'instant avec beaucoup de joie. Elle fut bien troublée quand il parla à son fils. L'histoire des regrets des deux amants et de leur résistance est touchante, et la violence qu'ils éprouvèrent ne fait pas honneur à ceux qui l'employèrent. Je n'ai pas dessein de la copier ici. Je dirai seulement qu'ils n'eurent de défense contre l'autorité royale et paternelle tout entière déployée contre eux, ni d'autres armes pour se défendre que leur conscience et leur honneur. Mlle de Piennes fut mise et resserrée dans un couvent, et le maréchal de Montmorency forcé d'aller à Rome solliciter en personne la dispense de sa promesse, qu'il y sollicita en homme qui ne la voulait pas obtenir. En même temps Henri II fit l'édit célèbre contre les mariages clandestins, avec clause rétroactive expressément mise pour l'affaire du maréchal de Montmorency, lequel fut la seule cause de l'édit. Finalement il fallut obéir. Il épousa la duchesse de Castro. Ce fut pour le consoler, et en considération de ce mariage qu'Henri II lui donna, dans son conseil, la préséance sur le chancelier, n'étant encore que maréchal de France, mais avec de grands emplois. On voit combien ce fait personnel et singulier est étranger à la branche de Montmorency-Laval, et combien M. de Laval fut prodigue de mensonges pour s'en avantager. J'ajouterai pour la simple curiosité que Mlle de Piennes fut longtemps dans la douleur et dans la solitude.

Bien des années après, les Guise, méditant la Ligue et ce qu'ils furent si près d'exécuter, s'attachèrent le marquis de Maignelets; ce furent eux qui le firent faire duc et pair dans la suite. Ils s'attachèrent tant qu'ils purent les ministres, et Mlle de Piennes se trouvant très difficile à marier après une aventure si éclatante, où son honneur pourtant n'était point intéressé, mais par la délicatesse de ces temps-là sur les mariages, les Guise, pour flatter les ministres, et qui avaient les Robertet tout à fait à eux, firent le mariage de Mlle de Piennes avec Florimond Robertet, seigneur d'Alluye, secrétaire d'État, et ministre alors important, qui avait le gouvernement d'Orléans. Mlle de Piennes, devenue Mme d'Alluye, belle encore et pleine d'esprit et d'intrigues, figura fort dans celles de la cour, et même de l'État, depuis ce mariage qui est le premier exemple d'un pareil avec un secrétaire d'État, qui après assez de lacune n'a que trop été imité.

Suite
[22]
L'évêque de Chartres était de la famille de Mérinville. On a fait, dans les précédentes éditions, deux personnages distincts de l'évêque de Chartres et de Mérinville.
[23]
Il a déjà été question de cette querelle des tabourets, t. V, p. 438. Voy. la note III à la fin du volume.
[24]
Voy. les notes à la fin du volume.
[25]
Nom en blanc dans le manuscrit.
[26]
Voy., sur la promotion de ducs et pairs où fut compris M. de Foix. t. Ier, p. 449. Gaston de Foix, qui prit le titre de duc de Randan, était fils de la comtesse de Fleix et petit-fils de la marquise de Senecey. La pairie de Randan fut déclarée mâle et femelle. Les précédents éditeurs ont changé le teste de Saint-Simon en mettant MM. de Foix, leurs fils et petits-fils.
[27]
René d'Anjou mourut à Aix le 10 juillet 1480.
[28]
Jean d'Anjou, duc de Calabre, mourut à Barcelone le 10 décembre 1471.
[29]
D'après l'Art de vérifier les dates, Charles de Maine ne mourut que le 10 décembre 1481. Il avait donc survécu près de seize mois à René d'Anjou.