CHAPITRE IX.

1719

Conduite étrange de Mme la duchesse de Berry, de Rion et de la Mouchy. — Conduite de Mme de Saint-Simon. — Scandaleuse maladie de Mme la duchesse de Berry, à [au] Luxembourg. — Rion, conduit par le duc de Lauzun, son grand-oncle, épouse secrètement Mme la duchesse de Berry. — Mme la duchesse de Berry rouvre le jardin de Luxembourg; se voue au blanc pour six mois; change de capitaine des gardes. — Canillac et le marquis de Brancas entrent au conseil des parties. — Prince Clément de Bavière est [élu] évêque de Munster et de Paderborn. — Le cardinal Albano est fait camerlingue. — Le duc d'Albret épouse de nouveau la fille de feu Barbezieux. — Mort de Mme de Maintenon. — Sa vie et sa conduite à Saint-Cyr. — Mort d'Aubigny, archevêque de Rouen. — Besons, archevêque de Bordeaux, lui succède; et le frère du garde des sceaux, à Besons. — Érection de grands officiers de l'ordre de Saint-Louis à l'instar de ceux de l'ordre du Saint-Esprit. — Nouveaux règlements sur l'ordre de Saint-Louis, et leurs inconvénients. — Extraction, caractère, fortune de Monti. — Laval, dit la Mentonnière, mis, à la Bastille. — Cellamare, duc de Giovenazzo, arrive en Espagne; est aussitôt fait vice-roi de Navarre. — Rare baptême de Marton. — L'abbesse de Chelles, soeur du maréchal de Villars, se démet et se retire dans un couvent à Paris avec une pension de douze mille livres du roi. — Mme d'Orléans lui succède, se démet, se retire à la Madeleine. — Leur caractère. — Diminution d'espèces. — Élargissement du quai du Louvre. — Guichet, place et fontaine du Palais-Royal. — Efforts peu heureux sur l'Écosse. — Tyrannie maritime des Anglais. — Cilly prend le port du Passage et y brûle toute la marine renaissante de l'Espagne. — Les plus confidents du duc et de la duchesse du Maine sortent de la Bastille et sont mis en pleine liberté. — Merveilles du Mississipi. — Law et le régent me pressent d'en recevoir. — Je le refuse, mais je reçois le payement d'anciens billets de l'épargne. — Blamont, rappelé à sa charge, devient l'espion du régent, et le mépris et l'horreur du parlement. — Mort de Pécoil père, digne d'un avare, mais affreuse. — Digne refus, belle et sainte retraite, curieuse, mais inintelligible déclaration, de l'abbé Vittement, sur le règne sans bornes et sans épines du cardinal Fleury. — Douze mille livres d'augmentation d'appointements et de gouvernement à Castries.

Mme la duchesse de Berry vivait à son ordinaire dans le mélange de la plus altière grandeur, et de la bassesse et de la servitude la plus honteuse; des retraites les plus austères, fréquentes, mais courtes aux Carmélites du faubourg Saint-Germain, et des soupers les plus profanés par la vile compagnie, et la saleté et l'impiété des propos; de la débauche la plus effrontée, et de la plus horrible frayeur du diable et de la mort, lorsqu'elle tomba malade à Luxembourg. Il faut tout dire, puisque cela sert à l'histoire, d'autant plus qu'on ne trouvera dans ces Mémoires aucunes autres galanteries répandues, que celles qui tiennent nécessairement à l'intelligence nécessaire de ce qu'il s'est passé d'important ou d'intéressant dans le cours des années qu'ils renferment. Mme la duchesse de Berry ne voulait se contraindre sur rien; elle était indignée que le monde osât parler de ce qu'elle-même ne prenait pas la peine de lui cacher, et toutefois elle était désolée de ce que sa conduite était connue. Elle était grosse de Rion, elle s'en cachait tant qu'elle pouvait. Mme de Mouchy était leur commode, quoique les choses à cet égard se passassent tambour battant. Rion et la Mouchy étaient amoureux l'un de l'autre, et vivaient avec toute sorte de privances et de facilité pour les avoir. Ils se moquaient ensemble de la princesse qui était leur dupe, et de qui ils tiraient de concert tout ce qu'ils pouvaient. En un mot, ils étaient les maîtres d'elle et de sa maison, et l'étaient avec insolence, jusque-là que M. [le duc] et Mme la duchesse d'Orléans qui les connaissaient et les haïssaient, les craignaient et les ménageaient. Mme de Saint-Simon, fort à l'abri de tout cela, extrêmement aimée et respectée de foute la maison, et respectée même de ce couple qui se faisait tant redouter et compter, ne voyait Mme la duchesse de Berry que pour les moments de représentation qu'elle arrivait à Luxembourg, dont elle revenait dès qu'elle était finie, et ignorait parfaitement tout ce qu'il s'y passait, quoiqu'elle en fût parfaitement instruite.

La grossesse vint à terme, et ce terme mal préparé par les soupers continuels fort arrosés de vins et de liqueurs les plus fortes devint orageux et promptement dangereux. Mme de Saint-Simon ne put éviter de s'y rendre assidue dès que le péril parut, mais jamais elle ne céda aux instances de M. [le duc] et de Mme la duchesse d'Orléans et de toute la maison, ni pour y coucher dans l'appartement qu'on lui avait toujours réservé, et où elle ne mit jamais le pied, ni même pour y passer les journées, sous prétexte de venir se reposer chez elle. Elle trouva Mme la duchesse de Berry retranchée dans une petite chambre de son appartement, qui avait des dégagements commodes et hors de portée, et qui que ce fût dans cette chambre que la Mouchy et Rion et une femme ou deux de garde-robe affidées. Le nécessaire au secours avait les dégagements libres. M. [le duc] et Mme la duchesse d'Orléans, Madame même n'entraient pas quand ils voulaient, à plus forte raison la dame d'honneur ni les autres dames, la première femme de chambre ni les médecins. Tout cela entrait de fois à autre, mais des instants. Un grand mal de tête ou le besoin de sommeil les faisait souvent prier de vouloir bien ne point entrer, et quand ils entraient de s'en aller après quelques instants. Eux-mêmes, qui ne voyaient que trop de quoi il s'agissait, ne se présentaient pas le plus souvent pour entrer, se contentaient de savoir des nouvelles par Mme de Mouchy qui entre-bâillait à peine la porte, et ce manége ridicule qui se passait devant la foule du Luxembourg, du Palais-Royal, et de beaucoup d'autres gens qui, par bienséance ou par curiosité venaient savoir des nouvelles, devint la conversation de tout le monde.

Le danger redoublant, Languet, célèbre curé de Saint-Sulpice, qui déjà s'était rendu assidu, parla des sacrements à M. le duc d'Orléans. La difficulté fut qu'il pût entrer pour les proposer à Mme la duchesse de Berry. Mais il s'en trouva bientôt une plus grande. C'est que le curé, en homme instruit de ses devoirs, déclara qu'il ne les administrerait point, ni ne souffrirait qu'ils lui fussent administrés, tant que Rion et Mme de Mouchy seraient non seulement dans sa chambre, mais dans le Luxembourg. Il le fit tout haut, et devant tout le monde, exprès à M. le duc d'Orléans qui en fut moins choqué qu'embarrassé. Il prit le curé à part, et le tint longtemps à tâcher de lui faire goûter quelques tempéraments. Le voyant inflexible, il lui proposa à la fin de s'en rapporter au cardinal de Noailles. Le curé l'accepta sur-le-champ, et promit de déférer à ses ordres comme étant son évêque, pourvu qu'il eût la liberté de lui expliquer ses raisons. L'affaire pressait, et Mme la duchesse de Berry se confessait pendant cette dispute à un cordelier son confesseur. M. le duc d'Orléans se flatta sans doute de trouver le diocésain plus flexible que le curé avec lequel il était très opposé de sentiment sur la constitution, et qui pour la même affaire était si fort entre les mains du régent; s'il l'espéra, il se trompa.

Le cardinal de Noailles arriva; M. le duc d'Orléans le prit à l'écart avec le curé, et la conversation dura plus d'une demi-heure. Comme la déclaration du curé avait été publique, le cardinal-archevêque de Paris jugea à propos que la sienne la fût aussi. En se rapprochant tous les trois du monde et de la porte de la chambre, le cardinal de Noailles dit tout haut au curé qu'il avait fait très dignement son devoir, qu'il n'en attendait pas moins d'un homme de bien, éclairé comme il l'était, et de son expérience; qu'il le louait de ce qu'il exigeait, avant d'administrer ou de laisser administrer les sacrements à Mme la duchesse de Berry; qu'il l'exhortait à ne s'en pas départir et à ne se laisser pas tromper sur une chose aussi importante; que, s'il avait besoin de quelque chose de plus pour être autorisé, il lui défendait, comme son évêque diocésain et son supérieur, de laisser administrer ou d'administrer lui-même les sacrements à Mme la duchesse de Berry, tant que M. de Rion et Mme de Mouchy seraient dans la chambre, même dans le Luxembourg, et n'en seraient pas congédiés. On peut juger de l'éclat d'un si indispensable scandale, de l'effet qu'il fit dans cette pièce si remplie, de l'embarras de M. le duc d'Orléans, du bruit que cela fit incontinent partout. Qui que ce soit, pas même les chefs de la constitution, les plus violents ennemis du cardinal de Noailles, les évêques du plus bel air, les femmes du plus grand monde, les libertins même, pas un seul ne blâma ni le curé ni son archevêque, les uns par savoir les règles ou par n'oser les impugner, le gros et le plus nombreux par l'horreur de la conduite de Mme la duchesse de Berry, et par la haine que son orgueil lui attirait.

Question après entre le régent, le cardinal et le curé, tous trois dans le coin de la porte, qui d'eux porterait cette résolution à Mme la duchesse de Berry, qui ne s'attendait à rien moins, et qui toute confessée, comptait à tous moments de voir entrer le saint sacrement et le recevoir. Après un court colloque, que l'état de la malade pressa, le cardinal et le curé s'éloignèrent un peu tandis que M. le duc d'Orléans se fit entr'ouvrir la porte et appeler Mme de Mouchy. Là, toujours la porte entr'ouverte, elle dedans, lui dehors, il lui déclara de quoi il était question. La Mouchy, bien étonnée, encore plus indignée, le prit sur le haut ton, dit ce qu'il lui plut sur son mérite et sur l'affront que des cagots entreprenaient de lui faire et à Mme la duchesse de Berry, qui ne le souffrirait et n'y consentirait jamais, et qui la ferait mourir dans l'état où elle était, si on avait l'imprudence et la cruauté de le lui dire. La conclusion pourtant fut que la Mouchy se chargea d'aller dire à Mme la duchesse de Berry ce qui était résolu sur les sacrements; on peut juger ce qu'elle y sut ajouter du sien. La réponse négative ne tarda pas à être rendue par la même à M. le duc d'Orléans, en entre-bâillant la porte. Avec une telle commissionnaire, il devait bien s'attendre à la réponse qu'il en reçut. Aussitôt après, il fut la rendre au cardinal et au curé; le curé ayant là son archevêque, et de même avis que lui, se contenta de hausser les épaules. Mais le cardinal dit à M. le duc d'Orléans que Mme de Mouchy, l'une des deux personnes indispensables à renvoyer et sans retour, n'était guère propre à faire entendre règle et raison à Mme la duchesse de Berry; que c'était à lui, son père, à lui porter cette parole et à la porter à faire le devoir d'une chrétienne, si près de paraître devant Dieu, et le pressa d'aller lui parler. On n'aura pas peine à croire que son éloquence n'y gagna rien. Ce prince craignait trop sa fille et aurait été un faible apôtre avec elle.

Le refus réitéré fit prendre sur-le-champ au cardinal le parti de parler lui-même à Mme la duchesse de Berry, accompagné du curé; et comme il voulait s'y acheminer tout de suite, M. le duc d'Orléans, qui n'osa l'en empêcher, mais qui eut peur de quelque révolution subite et dangereuse dans Mme sa fille, à l'aspect et au discours des deux pasteurs, le conjura d'attendre qu'on l'eût disposée à les voir. Il alla donc faire un autre colloque dans cette porte qu'il se fit entre-bâiller, dont le succès fut pareil au précédent. Mme la duchesse de Berry se mit en furie, répondit des emportements contre ces cafards qui abusaient de son état et de leur caractère pour la déshonorer par un éclat inouï, et n'épargna pas M. son père de sa sottise et de sa faiblesse de le souffrir. Qui l'aurait crue, on aurait fait sauter les degrés au cardinal et au curé. M. le duc d'Orléans revint à eux fort petit et fort en peine, et qui ne savait que faire entre sa fille et eux. Il leur dit qu'elle était si faible et si souffrante qu'il fallait qu'ils différassent, et les entretint comme il put. L'attention et la curiosité de tout ce grand monde qui remplissait cette pièce était extrême, qui sut enfin ce détail par-ci par-là, et tout de suite après dans la journée. Mme de Saint-Simon, avec quelques dames de Mme la duchesse de Berry, et quelques autres qui étaient venues savoir des nouvelles, était assise dans une embrasure de fenêtre, un peu au loin, qui voyait tout ce manége, et qui de temps en temps était instruite de ce qui se passait.

Le cardinal de Noailles demeura plus de deux heures avec M. le duc d'Orléans, desquels à la fin le monde principal se rapprocha. Le cardinal voyant enfin qu'il ne pouvait entrer dans la chambre, sans une sorte de violence et fort contraire à la persuasion, trouva indécent d'attendre inutilement davantage. En s'en allant il réitéra ses ordres au curé, et lui recommanda de veiller à n'être point trompé sur les sacrements qu'on tenterait peut-être d'administrer clandestinement. Il s'approcha ensuite de Mme de Saint-Simon, la prit en particulier, lui conta ce qui s'était passé, s'en affligea avec elle et de tout l'éclat qu'il n'avait pu éviter. M. le duc d'Orléans se hâta d'annoncer à Mme sa fille le départ du cardinal, dont lui-même se trouva fort soulagé. Mais en sortant de la chambre, il fut étonné de trouver le curé collé tout près de la porte, et encore plus de la déclaration qu'il lui fit que c'était là le poste qu'il avait pris et dont rien ne le ferait sortir, parce qu'il ne voulait pas être trompé sur les sacrements. En effet, il y demeura ferme quatre jours, et les nuits de même, excepté de courts intervalles pour la nourriture et quelque repos qu'il allait prendre chez lui, fort près de Luxembourg, et laissait en son poste deux prêtres jusqu'à son retour; enfin, le danger passé, il leva le siège.

Mme la duchesse de Berry, bien accouchée d'une fille, n'eut plus qu'à se rétablir, mais dans un emportement égal contre le curé et contre le cardinal de Noailles auxquels elle ne l'a jamais pardonné, et fut de plus en plus ensorcelée des deux amants qui se moquaient d'elle, et qui ne lui étaient attachés que pour leur fortune et leur intérêt, qui restèrent encore du temps enfermés avec elle sans voir M. [le duc] et Mme la duchesse d'Orléans qu'à peine et des moments, Madame de même, mais qui, excepté les premiers jours, n'y allait presque point [22] .

Mme la duchesse de Berry ne se voulait pas montrer à qui que ce fût en couche, ni se contraindre là-dessus pour personne. Personne aussi, à commencer par Mme de Saint-Simon, n'eut d'empressement à la voir, parce que personne n'ignorait ce qui tenait la porte close. Mme de Saint-Simon la vit pourtant des instants, mais c'était toujours Mme la duchesse de Berry qui lui mandait d'entrer, sans que Mme de Saint-Simon lui en eût fait rien dire, ni qu'elle s'y fût présentée; elle y demeurait des moments, prenait pour bon ce que Mme la duchesse de Berry lui disait de sa santé, et se retirait au plus vite.

Rion, comme on l'a dit, cadet de Gascogne qui n'avait rien, quoique de bonne maison, était petit-fils d'une soeur du duc de Lauzun, dont les aventures avec Mademoiselle, qui voulut l'épouser, ne sont ignorées de personne. Cette parité de son neveu et de lui leur mit en tête le même mariage. Cette pensée délectait l'oncle qui se croyait revivre en la personne de son neveu, et qui le conduisait dans cette trame. L'empire absolu qu'il avait usurpé sur cette impérieuse princesse, à qui, de propos délibéré, il faisait chaque jour essuyer des caprices qui lui ôtaient jusqu'à la moindre liberté, et des humeurs brutales qui la faisaient pleurer tous les jours et plus d'une fois, le danger qu'elle avait couru dans sa couche, l'horreur de l'éclat où elle s'était vue entre les derniers sacrements, et la rupture entière avec ce dont elle était affolée, la peur du diable qui la mettait hors d'elle-même au moindre coup de tonnerre, qu'elle n'avait jamais craint jusqu'alors, enhardirent l'oncle et le neveu. C'était l'oncle qui avait conseillé à son neveu de traiter sa princesse comme il avait lui-même traité Mademoiselle. Sa maxime était que les Bourbons voulaient être rudoyés et menés le bâton haut, sans quoi on ne pouvait se conserver sur eux aucun empire. Rion, maître du coeur de la Mouchy, qui l'était de l'esprit de leur princesse, lui fut d'un merveilleux usage à son dessein. Tous deux y trouvaient leur compte. Ils avaient tremblé de l'éclat qui venait d'arriver sur eux, dont l'occasion pouvait revenir encore et les perdre. La peur du diable et des réflexions pouvaient à la fin produire le même effet, au lieu que Rion n'avait plus rien à craindre et n'avait [qu'à] jouir de la plus incompréhensible fortune en réussissant à épouser, et la Mouchy à se tout promettre d'une union où elle aurait tant de part et tous deux sûrs de se posséder l'un l'autre, sans appréhender rien pour leurs secrets plaisirs. Je m'en tiens ici à cette préparation de scène, qui commença au plus tard à l'époque de cette maladie et de l'éclat dont on vient de parler. Il n'est pas temps encore d'en dire davantage.

Mme la duchesse de Berry, infiniment peinée de la façon dont tout le monde, jusqu'au peuple, avait pris sa maladie et ce qu'il s'y était passé, crut regagner quelque chose en faisant rouvrir au public les portes du jardin de Luxembourg, qu'elle avait fait fermer il y avait longtemps. On en fut bien aise: on en profita; mais ce fut tout. Elle se voua au blanc pour six mois. Ce voeu fit un peu rire le monde. Il survint quelques piques avec le marquis de La Rochefoucauld, qui remit sa place de capitaine des gardes, que Mme la duchesse de Berry donna au comte d'Uzès, car, pourvu qu'elle eût des noms, elle n'en cherchait pas davantage.

Canillac et le marquis de Brancas, qui avaient des expectatives de conseiller d'État, obtinrent, en attendant les places, d'en faire les fonctions avec les appointements.

Le prince Clément fut élu évêque de Munster, au lieu de son frère, mort à Rome, et aussitôt après, de Paderborn. Le pape donna au cardinal Albano, son neveu, la charge de camerlingue [23] , [vacante] par la mort du cardinal Spinola.

Le duc d'Albret, qui avait épousé une fille de feu M. et Mme de Barbezieux, malgré toute la famille, et plaidé fortement là-dessus au parlement, puis au conseil de régence, refit son mariage, suivant l'arrêt de ce conseil. Il épousa donc une seconde fois sa femme chez Caumartin, conseiller d'État, dont le frère, évêque de Vannes, leur donna à minuit la bénédiction nuptiale dans la chapelle de la maison. Si on savait et si on se souciait en l'autre monde de ce qui se passe en celui-ci, je pense que M. de Turenne et M. de Louvois seraient tous deux bien étonnés.

Le samedi au soir 15 avril, veille de la Quasimodo, mourut à Saint-Cyr la célèbre et fatale Mme de Maintenon. Quel bruit cet événement en Europe, s'il fût arrivé quelques années plus tôt! On l'ignora peut-être à Versailles, qui en est si proche; à peine en parla-t-on à Paris. On s'est tant étendu sur cette femme trop et si malheureusement fameuse, à l'occasion de la mort du roi, qu'il ne reste rien à en dire que depuis cette époque. Elle a tant, si puissamment et si funestement figuré pendant trente-cinq années, sans la moindre lacune, que tout, jusqu'à ses dernières années de retraite, en est curieux.

Elle se retira à Saint-Cyr au moment même de la mort du roi, et eut le bon sens de s'y réputer morte au monde, et de n'avoir jamais mis le pied hors de la clôture de cette maison. Elle ne voulut y voir personne du dehors sans exception, que du très petit nombre dont on va parler, rien demander, ni recommander à personne, ni se mêler de rien où son nom pût être mêlé. Mme de Caylus, Mme de Dangeau, Mme de Lévi étaient admises, mais peu souvent, les deux dernières encore plus rarement, à dîner. Le cardinal de Rohan la voyait toutes les semaines, le duc du Maine aussi, et passait trois et quatre heures avec elle tête à tête. Tout lui riait quand on le lui annonçait. Elle embrassait son mignon avec la dernière tendresse, quoiqu'il puât bien fort, car elle l'appelait toujours ainsi. Assez souvent le duc de Noailles, dont elle paraissait se soucier médiocrement, de sa femme encore moins, quoique sa propre nièce, qui y allait fort rarement et d'un air contraint, et mal volontiers; aussi la réception était pareille; le maréchal de Villeroy, tant qu'il en pouvait prendre le temps et toujours avec grand accueil; presque point le cardinal de Bissy; quelques évêques obscurs et fanatiques quelquefois; assez souvent l'archevêque de Rouen, Aubigny; Bloin de temps en temps; et l'évêque de Chartres, Mérinville, diocésain et supérieur de la maison.

Une fois la semaine, quand la reine d'Angleterre était à Saint-Germain, [elle] allait dîner avec elle, mais de Chaillot, où elle passait des temps considérables, elle n'y allait pas. Elles avaient chacune leur fauteuil égal, vis-à-vis l'une de l'autre. À l'heure du dîner, on mettait une table entre elles deux, leur couvert, les premiers plats et une cloche. C'était les jeunes demoiselles de la chambre qui faisaient tout ce ménage, et qui leur servaient à boire, des assiettes et un nouveau service quand la cloche les appelait; la reine leur témoignait toujours quelques bontés. Le repas fini, elles desservaient et ôtaient tout de la chambre, puis apportaient et rapportaient le café. La reine y passait deux ou trois heures tête à tête, puis elles s'embrassaient; Mme de Maintenon faisait trois ou quatre pas en la recevant et en la conduisant; les demoiselles, qui étaient dans l'antichambre, l'accompagnaient à son carrosse, et l'aimaient fort, parce qu'elle leur était fort gracieuse.

Elles étaient charmées surtout du cardinal de Rohan, qui ne venait jamais les mains vides, et qui leur apportait des pâtisseries et des bonbons de quoi les régaler plusieurs jours. Ces bagatelles faisaient plaisir à Mme de Maintenon. Il est pourtant vrai qu'avec ce peu de visites, qui ne se hasardaient point qu'elle n'en marquât le jour et l'heure, qu'on envoyait lui demander, excepté son mignon, toujours reçu à bras ouverts, il arrivait rarement des journées où elle n'eût personne. Ces temps-là et les vides des matinées étaient remplis par beaucoup de lettres qu'elle recevait et de réponses qu'elle faisait, presque toutes à des supérieurs de communautés de prêtres ou de séminaires, à des abbesses, même à de simples religieuses; car le goût de direction surnagea toujours à tout, et comme elle écrivait singulièrement bien et facilement, elle se plaisait à dicter ses lettres. Tous ces détails, je les ai sus de Mme de Tibouville, qui était Rochechouart, sans aucun bien, et mise enfant à Saint-Cyr.

Mme de Maintenon, outre ses femmes de chambre, car nul homme de ses gens n'entrait dans la clôture, avait deux, quelquefois trois anciennes demoiselles et six jeunes pour être de sa chambre, dont, vieilles et jeunes, elle changeait quelquefois. Mlle de Rochechouart fut une des jeunes; elle la prit en amitié, et autant en une sorte de petite confiance que son âge le pouvait permettre; et comme elle lui trouvait de l'esprit et la main bonne, c'était à elle qu'elle dictait toujours. Elle n'est sortie de Saint-Cyr qu'après la mort de Mme de Maintenon, qu'elle a toujours fort regrettée, quoiqu'elle ne lui ait rien donné. Le mariage que son total manquement de bien fit faire pour elle à d'Antin, qui l'eut toujours chez lui depuis sa sortie de Saint-Cyr, ne fut pas heureux. Tibouville mangea son bien à ne rien faire, quoique très considérable, vendit son régiment dès que la guerre pointa, et se conduisit de façon que sa femme n'eut de ressource qu'à se retirer chez l'évêque d'Évreux, son frère. La maison de campagne de l'évêché d'Évreux n'est qu'à cinq petites lieues de la Ferté; nous voisinions continuellement, et ils passaient souvent des mois entiers à la Ferté. Ce détail est peu intéressant; mais ce que je n'ai pas vu ou manié moi-même, je veux citer comment je le sais, et d'où je l'ai pris.

Mme de Maintenon, comme à la cour, se levait matin et se couchait de bonne heure. Ses prières duraient longtemps; elle lisait aussi elle-même des livres de piété, quelquefois elle se faisait lire quelque peu d'histoire par ses jeunes filles, et se plaisait à les faire raisonner dessus et à les instruire. Elle entendait la messe d'une tribune tout contre sa chambre, souvent quelques offices, très rarement dans le choeur. Elle communiait, non comme le dit Dangeau dans ses Mémoires, ni tous les deux jours, ni à minuit, mais deux fois la semaine, ordinairement entre sept et huit heures du matin, puis revenait dans sa tribune, où ces jours-là elle demeurait longtemps.

Son dîner était simple, mais délicat et recherché dans sa simplicité, et très abondant en tout. Le duc de Noailles, après Mornay et Bloin, ne la laissaient pas manquer de gibier de Saint-Germain et de Versailles, ni les bâtiments de fruits. Quand elle n'avait point de dames de dehors, elle mangeait seule, servie par ces demoiselles de sa chambre, dont elle faisait mettre quelques-unes à table trois ou quatre fois l'an tout au plus. Mlle d'Aumale, qui était vieille, et qu'elle avait eue longtemps à la cour, n'était pas de ce côté la plus distinguée. Il y avait un souper neuf pour cette Mlle d'Aumale et pour les demoiselles de la chambre, dont elle était comme la gouvernante. Mme de Maintenon ne prenait rien le soir; quelquefois, dans les fort beaux jours sans vent, elle se promenait un peu dans le jardin.

Elle nommait toutes les supérieures, première et subalternes, et toutes les officières. On lui rendait un compte succinct du courant; mais, de tout ce qui était au delà, la première supérieure prenait ses ordres. Elle était Madame tout court dans la maison, où tout était en sa main; et, quoiqu'elle eût des manières honnêtes et douces avec les dames de Saint-Cyr, et de bonté avec les demoiselles, toutes tremblaient devant elle. Il était infiniment rare qu'elle en vît d'autres que les supérieures et les officières, encore n'était-ce que lorsqu'elle en envoyait chercher, ou, encore plus rarement, quand quelqu'une se hasardait de lui faire demander une audience, qu'elle ne refusait pas. La première supérieure venait chez elle quand elle voulait, mais sans en abuser; elle lui rendait compte de tout et recevait ses ordres sur tout. Mme de Maintenon ne voyait guère qu'elle. Jamais abbesse, fille de France, comme il y en a eu autrefois, n'a été si absolue, si ponctuellement obéie, si crainte, si respectée, et, avec cela, elle était aimée de presque tout ce qui était enfermé dans Saint-Cyr. Les prêtres du dehors étaient dans la même soumission et dans la même dépendance. Jamais, devant ses demoiselles, elle ne parlait de rien qui pût approcher du gouvernement ni de la cour, assez souvent du feu roi avec éloge, mais sans enfoncer rien, et ne parlant jamais des intrigues, des cabales, ni des affaires.

On a vu que lorsque, après la déclaration de la régence, M. le duc d'Orléans alla voir Mme de Maintenon à Saint-Cyr, elle ne lui demanda quoi que ce soit, que sa protection pour cette maison. Il l'assura, elle, Mme de Maintenon, que les quatre mille livres que le roi lui donnait tous les mois lui seraient payées de même avec exactitude chaque premier jour des mois, et cela fut toujours très ponctuellement exécuté. Ainsi, elle avait du roi quarante-huit mille livres de pension. Je ne sais même si elle n'avait pas conservé celle de gouvernante des enfants du roi et de Mme de Montespan, quelques autres qu'elle avait dans ce temps-là, et les appointements de seconde dame d'atours de Mme la dauphine-Bavière, comme la maréchale de Rochefort, première dame d'atours de la même, conservait encore les siens, et comme la duchesse d'Arpajon, dame d'honneur, avait touché les siens tant qu'elle avait vécu, depuis la mort de Mme la dauphine-Bavière. Outre cela, Mme de Maintenon jouissait de la terre de Maintenon et de quelques autres biens. Saint-Cyr, par sa fondation, était chargé, en cas qu'elle s'y retirât, de la loger, elle et tous ses domestiques et équipages, et de les nourrir, gens et chevaux, tant qu'elle en voudrait avoir, pour rien, aux dépens de la maison, ce qui fut fidèlement exécuté jusqu'aux bois, charbon, bougie, chandelle, en un mot, sans que, pour elle, ni pour pas un de ses gens ni chevaux, il lui en coûtât un sou, en aucune sorte que ce puisse être, que pour l'habillement de sa personne et de sa livrée. Elle avait au dehors un maître d'hôtel, un valet de chambre, des gens pour l'office et la cuisine, un carrosse, un attelage de sept ou huit chevaux, et un ou deux de selle, et, au dedans, Mlle d'Aumale et ses femmes de chambre, et les demoiselles dont on a parlé, mais qui étaient de Saint-Cyr: toute sa dépense n'était donc qu'en bonnes oeuvres et en gages de ses domestiques.

J'ai souvent admiré que les maréchaux, d'Harcourt si intrinsèquement lié avec elle, Tallard, Villars qui lui devait tant, Mme du Maine et ses enfants pour qui elle avait fait fouler aux pieds toutes les lois divines et humaines, le prince de Rohan et tant d'autres ne l'aient jamais vue.

La chute du duc du Maine au lit de justice des Tuileries lui donna le premier coup de mort. Ce n'est pas trop présumer que de se persuader qu'elle était bien instruite des mesures et des desseins de ce mignon, et que cette espérance l'ait soutenue, mais quand elle le vit arrêté, elle succomba; la fièvre continue la prit, et elle mourut à quatre-vingt-trois ans, avec toute sa tête et tout son esprit.

Les regrets de sa perte, qui ne furent pas universels dans Saint-Cyr, n'en passèrent guère les murailles. Je n'ai su qu'Aubigny, archevêque de Rouen, son prétendu cousin, qui fut assez sot pour en mourir. Il fut tellement saisi de cette perte qu'il en tomba malade et la suivit bientôt. Besons, archevêque de Bordeaux, passa à Rouen, et Argenson, archevêque d'Embrun, frère du garde des sceaux, passa à l'archevêché de Bordeaux.

M. le duc d'Orléans fit ériger des officiers de l'ordre de Saint-Louis presqu'à l'instar de celui du Saint-Esprit, avec des appointements et des marques, moyennant finance à proportion. Le garde des sceaux fut chancelier et garde des sceaux de cet ordre; Le Blanc, prévôt et maître des cérémonies; Armenonville, en râpé; et Morville, son fils, en titre de greffier. Bientôt après, le garde des sceaux, conservant les marques, fit passer sa charge à son second fils, dont l'aîné eut le râpé. Tous ceux-là portèrent le grand cordon rouge et la croix brodée d'or, cousue sur leurs habits. Trois gros trésoriers de la marine et de l'extraordinaire des guerres [24] furent trésoriers de l'ordre et portèrent le grand cordon rouge comme les commandeurs, mais non la croix brodée sur leurs habits, comme les grand'croix et comme les trois principales charges, ci-devant dites. D'autres gens moindres, la plupart des bureaux, eurent les autres petites charges avec la croix à la boutonnière, comme les simples chevaliers. Bientôt après il fut réglé, au conseil de régence, que les rachats qui revenaient au roi seraient affectés par un édit enregistré à l'ordre de Saint-Louis, et que les grand'croix commandeurs et même les chevaliers de Saint-Louis qui avaient des pensions sur cet ordre les perdraient s'ils devenaient chevaliers du Saint-Esprit.

Ces deux règlements passèrent: le premier en forme, l'autre par l'usage, malgré leurs inconvénients. Celui du premier regardait essentiellement tout le monde, parce qu'il ôtait au roi la liberté de remettre les rachats qui lui étaient dus, et à ses sujets de toute qualité une gratification qui s'accordait aisément pour peu que les débiteurs de ces rachats fussent graciables par leurs services ou par leur considération; le second, parce que le cordon bleu ne valant que mille écus; et les grandes croix, les unes six mille livres, les autres huit mille livres; les commanderies, les unes quatre mille livres, les autres six mille livres; et les pensions des chevaliers, plusieurs de mille livres, de quinze cents livres et de deux milles livres, il se pouvait trouver parmi tous ceux-là des maréchaux de France et d'autres à être chevaliers du Saint-Esprit, mais pauvres, qui perdraient, à devenir chevaliers du Saint-Esprit, un revenu qui faisait toute leur aisance, comme il arriva en effet. Il fut réglé aussi qu'ils demeureraient par simple honneur ce qu'ils étaient dans l'ordre de Saint-Louis, et que leurs pensions seraient distribuées en détail dans le même ordre. Au moins eût-il mieux valu rendre vacant ce qu'ils y étaient, pour faire en leur place d'autres grand'croix et d'autres commandeurs, puisque, recevant l'ordre du Saint-Esprit, ils quittaient la croix d'or brodée sur leurs habits pour y porter celle d'argent du Saint-Esprit, et tous le grand cordon rouge, et ne gardaient que le petit ruban rouge et la petite croix de Saint-Louis attachés au bas du cordon bleu. On fut encore choqué de voir des hommes de robe et des gens de plume et de finances porter, pour de l'argent, des marques précisément militaires et des croix sur eux et à leurs armes (car qui n'a pas des armes aujourd'hui?) sur lesquelles on voyait écrites ces paroles en lettres d'or: Praemium bellicae virtutis.

Monti, dont il a souvent été parlé ici dans ce qui y a été copié de M. de Torcy sur les affaires étrangères, eut ordre, par une lettre de cachet, de sortir incessamment du royaume, et défense en même temps d'aller en Espagne. Il était colonel réformé, et comme il avait de l'esprit et du sens, il était bien reçu dans les meilleures compagnies, et avec cela fort honnête homme quoique ami intime d'Albéroni. Il était pauvre et de Bologne, où il avait plusieurs frères et un à Rome, fort distingué dans la prélature, qui à la fin est devenu cardinal. Il y a deux familles Monti, qui ne sont point parentes: l'une ancienne et fort noble, l'autre qui n'est ni l'un ni l'autre, dont était celui dont il s'agit ici. Son mérite, et des hasards qui dépassent de beaucoup le temps de ces Mémoires, lui procurèrent des emplois fort importants au dehors et un très principal lors de la seconde catastrophe du roi Stanislas en Pologne, dont il s'acquitta très judicieusement [25] . Il y avait la disposition de grandes sommes fournies par la France, dont il rapporta plus d'un million, qu'il pouvait très aisément s'approprier sans qu'on en pût avoir nulle connaissance. Le ministère même fut très agréablement surpris de revoir ce million, auquel il était bien loin de s'attendre. Monti, qui avait déjà le régiment Royal-Italien, fut fait chevalier de l'ordre, mais ce fut tout. On le laissa mourir de faim, et il en mourut en effet peu après, quoique en grande considération et en grande estime. Le ministère lui parlait même quelquefois des affaires. Il était encore dans la force de l'âge quand il mourut de déplaisir de sa misère, et n'avait point été marié. Il fut fort regretté et mérita de l'être.

M. de Laval, dit la Mentonnière, d'une blessure qu'il avait reçue au menton, qui lui en faisait porter une par besoin ou pour se faire remarquer, fut mis à la Bastille. Cette détention renouvela très vivement et d'une façon marquée les alarmes de ceux qui ne sentaient pas nets de l'affaire de Cellamare et du duc du Maine. Il venait d'attraper une pension, et il se trouva à la fin qu'il était une clef de meute et le plus coupable de tous, sans qu'il lui en soit rien arrivé qu'une courte prison. C'est le même Laval dont il a été parlé à propos de la prétendue noblesse et de l'effronterie de ses mensonges en confondant hardiment les Laval-Montfort avec les Laval-Montmorency dont il était, et neveu paternel de la duchesse de Roquelaure.

Peu de temps après le prince de Cellamare, conduit par du Libois, gentilhomme ordinaire du roi, qui ne l'avait point quitté depuis le jour qu'il fut arrêté à Paris, arriva à la frontière et passa en Espagne. Il fut aussitôt déclaré vice-roi de Navarre, et comme son père était mort il prit tout à fait le nom de duc de Giovenazzo, auquel on n'avait pu s'accoutumer en France par l'usage de l'y avoir toujours appelé prince de Cellamare.

Je ne puis passer sous silence une bagatelle de soi très peu intéressante, mais parfaitement ridicule, pour ne rien dire de pis. On obtint mille écus de pension pour Marton, fils de Blansac, et colonel du régiment de Conti. Il avait vingt-quatre ou vingt-cinq ans. Quand il fallut lui expédier sa pension, point de nom de baptême. On chercha, il se trouva qu'il avait été ondoyé tout au plus. On suppléa donc les cérémonies pour lui donner un nom. On le dispensa de l'habit blanc; il fut tenu par M. le prince de Conti et Mme la duchesse de Sully.

Mme d'Orléans, religieuse professe à Chelles par fantaisie, humeur et enfance, ne put durer qu'en régnant où elle était venue pour obéir. L'abbesse, fille de beaucoup de mérite, soeur du maréchal de Villars, se lassa bientôt d'une lutte où Dieu et les hommes étaient pour elle, mais qui lui était devenue insupportable, et qui troublait toute la paix et la régularité de sa maison. Elle ne songea donc qu'à céder et à avoir de quoi vivre ailleurs. Elle obtint douze mille livres de pension du roi, vint à Paris loger chez son frère en attendant un appartement dans un couvent. Elle le trouva chez les Bénédictines du Cherche-Midi, près la Croix-Rouge; elle s'y retira, elle y vécut plusieurs années faisant l'exemple et les délices de la maison, et y est enfin morte fort regrettée. Pour achever de suite une matière qui ne vaut pas la peine d'être reprise, et dont la fin passe les bornes du temps de ces Mémoires, la princesse qui lui succéda se lassa bientôt de sa place. Tantôt austère à l'excès, tantôt n'ayant de religieuse que l'habit, musicienne, chirurgienne, théologienne, directrice, et tout cela par sauts et par bonds, mais avec beaucoup d'esprit, toujours fatiguée et dégoûtée de ses diverses situations, incapable de persévérer en aucune, aspirant à d'autres règles et plus encore à la liberté, mais sans vouloir quitter son état de religieuse, se procura enfin la permission de se démettre et de faire nommer à sa place une de ses meilleures amies de la maison, dans laquelle néanmoins elle ne put durer longtemps. Elle vint donc s'établir pour toujours dans un bel appartement du couvent des Bénédictines de la Madeleine de Tresnel, auprès duquel Mme la duchesse d'Orléans, qui avait quitté Montmartre, s'était fait un établissement magnifique et délicieux, avec une entrée dans la maison, où elle allait passer les bonnes fêtes et quelquefois se promener. Mme de Chelles peu à peu reprit la dévotion et la régularité, et, quoique en princesse, mena une vie qui édifia toujours de plus en plus jusqu'à sa mort, qui n'arriva que plusieurs années après dans la même maison sans en être sortie.

On diminua les espèces par un arrêt du conseil. On commença aussi le très nécessaire élargissement du quai le long du vieux Louvre, et d'accommoder la place du Palais-Royal en symétrie d'architecture en face, avec une fontaine et un grand réservoir. Je fis tout ce que je pus auprès de M. le duc d'Orléans pour faire changer le guichet du Louvre, le mettre vis-à-vis la rue Saint-Nicaise, et le faire de la largeur de cette rue, sans avoir pu, en faveur d'une telle commodité pour un passage qui fait la communication d'une partie de Paris, surmonter la rare considération du régent pour Launay, fameux et très riche orfèvre du roi, qui était logé dans l'emplacement de ce guichet, et qu'il aurait fallu déranger et Loger ailleurs.

Le chevalier de Saint-Georges avait été très bien reçu en Espagne. Albéroni, enragé contre l'Angleterre, et qui n'avait de ressource qu'à y jeter des troubles, fit équiper une flotte, mais, à peine fut-elle en mer qu'une tempête la dispersa et la maltraita fort. Cependant les lords Maréchal, Tullybaldine et Seaford, partis du port du Passage sur des frégates avec beaucoup d'armes, étaient heureusement arrivés en Écosse.

Ce port du Passage qu'Albéroni avait entrepris de fortifier et où il avait le dépôt principal de construction pour l'Océan, était le point secret de la jalousie de l'Angleterre depuis que ce cardinal s'était sérieusement appliqué à rétablir la marine d'Espagne. Les Anglais ne voulaient souffrir de marine à aucune puissance de l'Europe. Elle était venue à bout par l'intérêt de l'abbé Dubois à obtenir formellement qu'il ne s'en format point en France, et qu'on y laissât tomber le peu qui en restait. La ruine de la flotte d'Espagne par une anglaise très supérieure avait été l'objet du secours de Naples et de Sicile pour le moins autant que l'attachement aux intérêts de l'empereur; et la guerre déclarée à l'Espagne en conséquence de la quadruple alliance avait en point de vue principal la destruction de la marine d'Espagne renaissante au Passage. L'union de l'Angleterre avec la Hollande n'empêchait pas cette couronne d'abuser de sa supériorité sur la république, et de lui donner souvent des occasions de plaintes sur le trouble de ses navigations et de son commerce, et les plus clairvoyants de ces pays de liberté sentaient le poids de cette alliance léonine, et que, si l'Angleterre avait jamais autant de moyens que de volonté, elle ne traiterait pas mieux leur marine, pour en avoir seule en Europe, et c'est ce qui avait rendu les Hollandais si rétifs à la quadruple alliance dans laquelle ils n'étaient enfin entrés qu'après coup, malgré eux et faiblement, parce qu'ils étaient fâchés de la destruction de la marine renaissante de l'Espagne, à quoi ils voyaient que tout tendait principalement. En effet, dès que Cilly se fut emparé de quelques petits forts sur la Bidassoa, il marcha secrètement et brusquement au port du Passage, le prit et les forts commencés pour le défendre, brûla six vaisseaux qui étaient sur les chantiers, un amas immense d'autres bois et de toutes les choses nécessaires aux constructions et n'y laissa chose quelconque dont on pût faire le moindre usage. Ce coup fit exulter l'Angleterre, et fixa la certitude du chapeau sur la tête de Dubois. Il montra une joie odieuse de cette funeste expédition, et toute la France une douleur dont personne ne se contraignit, et qui embarrassa le régent pendant quelques jours. Le grand but se trouvant rempli, on se soucia médiocrement depuis des expéditions militaires sur la frontière d'Espagne. Dans cette satisfaction anglaise et si peu française de l'abbé Dubois et de son maître, Mlle de Montauban fort attachée à Mme du Maine, le fils de Malézieu, Davisart et l'avocat Bargetton, qui étaient à la Bastille, furent mis en pleine liberté, quoique Saillant, en sortant de cette prison, eût été exilé chez son père en Auvergne.

Law faisait toujours merveilles avec son Mississipi. On avait fait comme une langue pour entendre ce manège et pour savoir s'y conduire, que je n'entreprendrai pas d'expliquer, non plus que les autres opérations de finances. C'était à qui aurait du Mississipi. Il s'y faisait presque tout à coup des fortunes immenses. Law, assiégé chez lui de suppliants et de soupirants, voyait forcer sa porte, entrer du jardin par ses fenêtres, tomber dans son cabinet par sa cheminée. On ne parlait que par millions. Law, qui, comme je l'ai dit, venait chez moi tous les mardis entre onze heures et midi, m'avait souvent pressé d'en recevoir sans qu'il m'en coûtât rien, et de le gouverner sans que je m'en mélasse pour me valoir plusieurs millions. Tant de gens de toute espèce y en avaient gagné plusieurs par leur seule industrie, qu'il n'était pas douteux que Law ne m'en fit gagner encore plus et plus rapidement; mais je ne voulus jamais m'y prêter. Law s'adressa à Mme de Saint-Simon, qu'il trouva aussi inflexible. Enrichir pour enrichir, il eût bien mieux aimé m'enrichir que tant d'autres, et m'attacher nécessairement à lui par cet intérêt dans la situation où il me voyait auprès du régent. Il lui en parla donc pour essayer de me vaincre par cette autorité. Le régent m'en parla plus d'une fois: j'éludai toujours.

Enfin, un jour qu'il m'avait donné rendez-vous à Saint-Cloud, où il était allé travailler pour s'y promener après, étant tous deux assis sur la balustrade de l'orangerie qui couvre la descente dans le bois des Goulottes, il me parla encore du Mississipi, et me pressa infiniment d'en recevoir de Law; plus je résistai, plus il me pressa, plus il s'étendit en raisonnements; à la fin il se fâcha, et me dit que c'était être trop glorieux aussi, parmi tant de gens de ma qualité et de ma dignité qui couraient après, de refuser obstinément ce que le roi me voulait donner, au nom duquel tout se faisait. Je lui répondis que cette conduite serait d'un sot et d'un impertinent encore plus que d'un glorieux; que ce n'était pas aussi la mienne; que, puisqu'il me pressait tant, je lui dirais donc mes raisons; qu'elles étaient que, depuis la fable du roi Midas, je n'avais lu nulle part, et encore moins vu, que personne eût la faculté de convertir en or tout ce qu'il touchait; que je ne croyais pas aussi que cette vertu fût donnée à Law, mais que je pensais que tout son savoir était un savant jeu, un habile et nouveau tour de passe-passe, qui mettait le bien de Pierre dans la poche de Jean, et qui n'enrichissait les uns que des dépouilles des autres; que tôt ou tard cela tarirait, le jeu se verrait à découvert, qu'une infinité de gens demeureraient ruinés, que je sentais toute la difficulté, souvent l'impossibilité des restitutions, et de plus à qui restituer cette sorte de gain; que j'abhorrais le bien d'autrui, et que pour rien je ne m'en voulais charger, même d'équivoque.

M. le duc d'Orléans ne sut trop que me répondre, mais néanmoins, parlant, rebattant et mécontent, revenant toujours à son idée de refuser les bienfaits du roi. L'impatience heureusement me prit: je lui dis que j'étais si éloigné de cette folie que je lui ferais une proposition dont je ne lui aurais jamais parlé sans tout ce qu'il me disait, et dont non seulement je ne m'étais pas avisé, mais, comme il était vrai, qui me tombait en ce moment dans l'esprit pour la première fois. Je lui expliquai ce qu'autrefois je lui avais conté, dans nos conversations inutiles, des dépenses qui avaient ruiné mon père à la défense de Blaye contre le parti de M. le Prince, à y être bloqué dix-huit mois, à avoir payé la garnison, fourni des vivres, fait fondre du canon, muni la place, entretenu dedans cinq cents gentilshommes qu'il y avait ramassés, et fait plusieurs dépenses pour la conserver au roi sans rien prendre sur le pays, et n'ayant tiré que du sien; qu'après les troubles on lui avait expédié pour cinq cent mille livres d'ordonnances dont il n'avait jamais eu un sou, et dont M. Fouquet allait entrer en payement lorsqu'il fut arrêté. Je dis après à M. le duc d'Orléans que, s'il voulait entrer dans la perte de cette somme et dans celle d'un si long temps sans en rien toucher, tandis que mon père et moi portions, pour ce service essentiel rendu au roi, bien plus que la somme, et de plus les intérêts tous les ans depuis, ce serait une justice que je tiendrais à grande grâce, et que je recevrais avec beaucoup de reconnaissance, en lui rapportant mes ordonnances à mesure des payements pour être brûlées devant lui. M. le duc d'Orléans le voulut bien il en parla dès le lendemain à Law; mes billets et ordonnances furent peu à peu brûlés dans le cabinet de M. le duc d'Orléans, et c'est ce qui a payé ce que j'ai fait à la Ferté.

Le président Blamont eut permission de revenir à Paris et d'y faire sa charge aux enquêtes; il avait fait son marché avec le régent qui, moyennant quelque gratification secrète, fit de ce beau magistrat, si ferme et si zélé pour sa compagnie, un très bon espion qui lui rendit compte depuis avec exactitude de tout ce qui se passait de plus intérieur dans le parlement. Il en fut reçu comme le défenseur et le martyr, et jouit quelque temps des applaudissements républicains; mais à la fin il fut découvert et parfaitement haï, méprisé et déshonoré dans sa compagnie et dans le monde.

Pécoil mourut en ce temps-ci. C'était un vieux et plat maître des requêtes, qui n'avait jamais su rapporter un procès ni aller en intendance, fort obscur et riche à millions, ne laissant qu'une fille. Cet article ne semble pas fait pour tenir place ici, mais l'étrange singularité au rapport de laquelle il donne lieu m'a engagé à ne pas l'omettre. Ce Pécoil était petit-fils d'un regrattier de Lyon, dont le fils, père du maître des requêtes, travailla si bien et fut si prodigieusement avare qu'il gagna des millions, mourant de faim et de froid auprès, n'habillant presque pas ni soi ni sa famille; et le magot croissant toujours. Il avait fait chez lui à Lyon une cave pour y déposer son argent avec toutes les précautions possibles, avec plusieurs portes dont lui seul gardait les clefs. La dernière était de fer et avait un secret à la serrure qui ri était connu que de lui et de celui qui l'avait fait, qui était difficile et sans lequel cette porte ne pouvait s'ouvrir. De temps en temps il y allait visiter son argent et y en porter de nouveau, tellement qu'on ne laissa pas de s'apercevoir chez lui qu'il allait quelquefois dans cette cave, qu'on soupçonna exister par ces voyages à la dérobée.

Un jour qu'il y était allé, il ne reparut plus. Sa femme, son fils, un ou deux valets qu'ils avaient, le cherchèrent partout, et ne le trouvant ni chez lui ni dans le peu d'endroits où quelquefois il allait, se doutèrent qu'il était allé dans cette cave. Ils ne la connaissaient que par sa première porte qu'ils avaient découverte dans un recoin de la cave ordinaire. Ils l'enfoncèrent avec grand'peine, puis une autre et parvinrent à la porte de fer; ils y frappèrent, prièrent, appelèrent ne sachant comment l'ouvrir ou la rompre. N'entendant rien, la crainte redoubla; ils se mirent à tâcher d'enfoncer la porte; mais elle était trop épaisse et trop bien prise dans la muraille pour en venir à bout; il fallut du secours. Avec [celui] de leurs voisins et un pénible travail ils se firent un passage; mais que trouvèrent-ils? des coffres forts de fer bien armés de grosses barres et le misérable vieillard le long de ces coffres, les bras un peu mangés, le désespoir peint encore sur ce visage livide, une lanterne près de lui dont la chandelle était usée, et la clef dans la porte qu'il n'avait pu ouvrir cette fois après l'avoir ouverte tant d'autres. Telle fut l'horrible fin de cet avare. L'horreur et l'effroi les firent bientôt remonter; mais les voisins qui avaient aidé au travail et les mesures qu'il fallut prendre quoique avec le moindre bruit qu'il fût possible, empêchèrent que l'affaire fût assez étouffée. Elle est si épouvantable et le châtiment y est si terriblement marqué que j'ai cru qu'elle ne devait pas être oubliée [26] .

La fille unique de Pécoil et d'une fille de Le Gendre, riche, honnête et fameux marchand de Rouen, épousa depuis le duc de Brissac, car, excepté ma soeur et la Gondi, sa belle-mère, il est vrai que MM. de Brissac n'ont pas été heureux ni délicats en alliances.

On a parlé ailleurs de l'abbé Vittement, que son seul mérite fit sous-précepteur du roi, chose bien rare à la cour, et sans qu'il y pensât ni personne pour lui. Il y vécut en solitaire, mais sans être farouche ni singulier et s'y fit généralement aimer et fort estimer. Il vaqua en ce temps-ci une abbaye de douze mille livres de rente. M. le duc d'Orléans proposa au roi de la lui donner et de le lui apprendre lui-même. Le roi en fut ravi, l'envoya chercher sur-le-champ et le lui dit. Vittement lui témoigna toute sa reconnaissance, et le supplia avec modestie de le dispenser de l'accepter. Il fut pressé par le roi, par le régent, par le maréchal de Villeroy qui était présent. Il répondit qu'il avait suffisamment de quoi vivre. Le maréchal insista, et lui dit qu'il en ferait des aumônes. Vittement répondit humblement que ce n'était pas la peine de recevoir la charité pour la faire, tint bon et se retira.

Cette action, qui a si peu d'exemples et faite avec tant de simplicité, fit grand bruit et augmenta l'estime et le respect même, que sa vertu lui avait acquis. Mais elle incommoda M. de Fréjus, qui voyait croître l'affection du roi pour Vittement. Dès que celui-ci s'en aperçut, il compta sa vocation finie, d'autant plus que, s'il avait su se faire aimer et goûter, il n'en espérait rien pour le but qu'il avait uniquement en vue. Bientôt après, M. de Fréjus, qui s'inquiétait de lui, lui conseilla doucement la retraite. Il la fit sur-le-champ avec joie à la Doctrine chrétienne, d'où il ne sortit plus, et où il ne voulut presque recevoir personne.

On a de lui une prophétie aussi célèbre que surprenante, dont on a vainement cherché la clef, et que Bidault m'a contée. Bidault était un des valets de chambre que le duc de Beauvilliers avait choisis pour mettre auprès de Mgr le duc de Bourgogne. Il avait de l'esprit, des lettres, du sens, encore plus de vraie et solide piété. Son mérite, joint à une grande et respectueuse modestie, l'avait distingué dans son état. M. de Beauvilliers l'aimait, et Mgr le duc de Bourgogne avait beaucoup de bonté pour lui. Il avait le soin de ses livres; cela me l'avait fait connaître et encore plus familièrement depuis le soin dont il voulut bien se charger des affaires que la Trappe pouvait avoir à Paris. On le mit auprès du roi dès son enfance, et quand il commença à avoir quelques livres il en fut chargé. Cela lui donna du rapport avec Vittement et les lia bientôt d'amitié et de confiance. Bidault venait chez moi quelquefois et voyait Vittement dans sa retraite. Effrayé des premiers rayons de la toute-puissance de Fréjus, devenu tout nouvellement cardinal, il en parla à Vittement qui, sans surprise aucune, le laissa dire. Bidault, étonné du froid tranquille et silencieux dont il était écouté, pressa Vittement de lui en dire la cause. « Sa toute puissance, répondit-il tranquillement, durera autant que sa vie, et son règne sera sans mesure et sans trouble. Il a su lier le roi par des liens si forts, que le roi ne les peut jamais rompre. Ce que je vous dis là, c'est que je le sais bien. Je ne puis vous en dire davantage; mais si le cardinal meurt avant moi, je vous expliquerai ce que je ne puis faire pendant sa vie. » Bidault me le conta quelques jours après, et j'ai su depuis que Vittement avait parlé en mêmes termes à d'autres. Malheureusement il est mort avant le cardinal et a emporté ce curieux secret avec lui. La suite n'a que trop montré combien Vittement avait dit vrai [27] .

Jamais, depuis sa retraite, il n'a songé à voir le roi ni à visiter personne. Il a vécu dans la Doctrine chrétienne, dans la pénitence et dans la médiocrité la plus frugale, dans une séparation entière, dans une préparation continuelle à une meilleure vie, et il y est saintement mort au bout de quelques années. Le maréchal de Villeroy l'allait voir quelquefois malgré lui, et en revenait toujours charmé, quoiqu'il y trouvât souvent des morales courtes mais bien placées, que peut-être il n'y cherchait pas.

Castries, gouverneur de Montpellier et chevalier d'honneur de Mme la duchesse d'Orléans, et dont il a été parlé quelquefois ici, obtint que le port de Cette fût mis en gouvernement pour lui, uni à celui de Montpellier, avec des appointements particuliers de douze mille livres payés par la province.

Suite
[22]
Voy. la Correspondance de Mme la duchesse d'Orléans, lettres du 23 mai 1719, 18 juin, 17, 18, 19, et 22 juillet de la même année.
[23]
Le camerlingue était autrefois le président de la chambre apostolique, et en cette qualité il était à proprement parler le représentant de la puissance temporelle de l'Église. Les clercs de la chambre apostolique qui formaient son conseil se partageaient les attributions réparties aujourd'hui entre les différents ministères. Si le camerlingue a perdu de son pouvoir en temps ordinaire, il a conservé le privilège d'exercer l'autorité temporelle pendant les premiers jours qui suivent la mort du pape. Durant le conclave, il ne fait plus que partager le pouvoir avec ce que l'on nomme les chefs d'ordre, c'est-à-dire un cardinal-évêque, un cardinal-prêtre et un cardinal-diacre, délégués comme représentants du sacré collège.
[24]
On appelait extraordinaire des guerres un fonds spécial destiné à payer les dépenses extraordinaires de la guerre.
[25]
On trouvera dans la note sur Charles XII, publiée à la fin du t. XIV, quelques détails sur ce Monti, qui avait été employé dans les négociations d'Albéroni. La date de sa mort est aussi indiquée dans cet extrait des Mémoires inédits du marquis d'Argenson.
[26]
Tout ce passage, depuis Pécoil mourut, a été supprimé dans les éditions précédentes. On trouvera plus loin la même anecdote, mais avec des variantes considérables.
[27]
Le marquis d'Argenson rapporte le même fait dans ses Mémoires manuscrits: « J'oubliais de dire que l'abbé Vittement disait à ses amis, à qui il confiait ce secret, que, s'il survivait au cardinal, il disait quel était ce lien indissoluble entre le roi et le cardinal. »