CHAPITRE XII.

1719

Paix de la Suède avec l'Angleterre. — Le duc de Lorraine échoue pour l'érection de Nancy en évêché. — Vaudemont en tombe fort malade à Paris. — Maximes absurdes, mais suivies toujours et inhérentes, du parlement sur son autorité. — J'empêche le régent d'en rembourser toutes les charges avec le papier de Law. — Raisons secrètes contre le remboursement des charges du parlement. — Seconde tentative du projet du remboursement des charges du parlement finalement avortée. — Le parlement informé du risque qu'il a couru, qui le lui a paré, et qui y a poussé. — Duchesse du Maine à Chamlay, où Mme la Princesse la visite. — Officiers du sang, et leur date. — Usurpations et richesses. — Le chevalier de Vendôme vend au bâtard reconnu de M. le duc d'Orléans le grand prieuré de France, et veut inutilement se marier. — Retour de Plénoeuf en France. — Raisons d'en parler. — Plénoeuf, sa femme et sa fille; quels. — Courte reprise de sa négociation de Turin avortée par l'intérêt personnel et la ruse singulière de l'abbé Dubois. — Étrange trait de franchise de Madame, qui rompt tout court la négociation de Turin. — Digression sur les maisons d'Este et Farnèse. — Maison d'Este. — Bâtards d'Este, ducs de Modène et de Reggio jusqu'à aujourd'hui. — Maison Farnèse. — Farnèse bâtards, duc de Parme et de Plaisance.

Enfin l'alliance du nord se démancha. Le roi de Suède n'était plus, et la faiblesse où son règne avait réduit ce royaume contribua beaucoup à la paix qu'il conclut enfin avec le roi d'Angleterre. Le czar, déjà adouci par la même raison, même du temps dernier de Charles XII, était plus occupé du dedans que du dehors; le roi de Danemark demeura seul, faisant la guerre en Norvège. C'est grand dommage que les Mémoires de M. de Torcy ne soient pas venus jusqu'à ce temps-ci, et que le joug de l'abbé Dubois n'ait pas laissé la liberté à M. le duc d'Orléans de me parler aussi librement, qu'il avait accoutumé de l'intérieur, des affaires étrangères: c'est ce qui m'y rendra sec désormais, parce que je ne veux dire que ce que je sais par moi-même ou par des gens assez instruits pour que je puisse m'y fier, et les citer pour garants.

Le roi d'Espagne, qui s'était approché de son armée, et qui même l'était venu voir, s'en retourna à Madrid. Le prince Pio, qui la commandait, ne se trouva pas en état de s'opposer à rien. Il se contenta de bien faire rompre autour de l'abbaye de Roncevaux les chemins qu'on y avait faits à grand'peine pour le canon et les autres voitures, dans un temps où on n'imaginait pas qu'il pût jamais arriver de rupture avec Philippe V.

On vit au conseil de régence tous les ressorts que le duc de Lorraine remuait pour obtenir l'érection d'un évêché à Nancy. Cet objet avait été celui de ses pères et le sien pour se tirer du spirituel de l'évêché de Toul, à quoi, par la raison contraire, la France s'était toujours opposée. Il était temps d'arrêter les menées là-dessus. Le pape, qui tremblait toujours devant l'empereur, le lui avait comme accordé. Il espérait brusquer l'affaire avant que la France intervînt. Je ne sais si M. le duc d'Orléans, abandonné ou plutôt entraîné comme il l'était à tout ce qui convenait au duc de Lorraine par Madame, par Mme la duchesse de Lorraine et par d'autres gens, en aurait été bien fâché. J'ai soupçonné que l'affaire n'avait pu être conduite si près du but sans qu'il en eût su quelque chose, et qu'il l'avait voulu ignorer ou négliger. Mais enfin l'abbé Dubois, qui n'avait rien personnellement à y gagner, ne crut pas devoir salir son ministère d'une tolérance si préjudiciable et qui ferait crier contre lui, de sorte qu'il y fit former à Rome une opposition solennelle et parler si ferme au pape et au duc de Lorraine qu'il abandonna ses poursuites. Ainsi le voyage précipité de Commercy ici, où M. de Vaudemont venait d'arriver, fut inutile; deux jours après il tomba malade à l'extrémité. Le dépit du peu de succès de sa conversation avec le régent le piqua. Il n'avait pas l'habitude d'être contredit. Il n'avait pas compté avoir grand'peine à tirer le consentement, au moins tacite, à une chose si avancée et que le duc de Lorraine désirait si ardemment. Il y fut trompé et ne fut plaint que de ses chères nièces, aussi dépitées que lui, et de ses complaisants, dont quelques-uns encore étaient ou se réputaient du plus haut parage.

Le parlement, comme on l'a déjà dit, plus irrité du lit de justice des Tuileries, qu'abattu, était revenu du premier étourdissement. Après quelque temps d'inaction et de crainte il ne trouva dans la conduite du régent à l'égard du duc du Maine, que de quoi se rassurer. Il ne s'appliqua donc plus qu'à éluder tout ce qui le regardait dans les enregistrements que le roi avait fait faire en sa présence. Cette compagnie est très conséquente pour ses intérêts: elle se prétend, quoique très absurdement, la modératrice de l'autorité des rois mineurs, même majeurs. Quoique si souvent battue sur ce grand point, elle n'a garde de l'abandonner. De cette maxime factice, elle en tire une autre sur les enregistrements; elle ne les prend point comme une publication qui oblige parce qu'elle ne peut être ignorée; elle n'en regarde point la nécessité comme étant celle de la notoriété, de laquelle résulte l'obéissance à des lois qu'on ne peut plus ignorer; mais elle prétend que l'enregistrement est en genre de lois, d'ordonnances, de levées, etc., l'ajoutement d'une autorité nécessaire et supérieure à l'autorité qui peut faire les lois, les ordonnances, etc., mais qui, en les faisant, ne peut les faire valoir ni les faire exécuter sans le concours de la première autorité, qui est celle que le parlement ajoute par son enregistrement à l'autorité du roi, laquelle par son concours rend celle-ci exécutrice, sans laquelle l'autorité du roi ne la serait pas. De cette dernière maxime suit, dans les mêmes principes, que tout effet d'autorité nécessaire, mais forcée, est nul de droit; par conséquent que tout ce que le roi porte au parlement et y fait enregistrer par crainte et par force, est vainement enregistré, est nul de soi et sans force : enfin qu'il n'y a d'enregistrement valable et donnant aux édits, déclarations, règlements, lois, levées, etc., l'ajoutement nécessaire à l'autorité du roi qui les a faits, l'autorité qui les passe en loi et qui les rende exécutoires, que l'enregistrement libre, et qu'il n'est libre qu'autant que ce qui se porte au parlement pour y être enregistré y soit communiqué, examiné et approuvé; ou que, porté directement par le roi au lit de justice, y est, non pas approuvé du bonnet, parce que nul n'ose parler, mais discuté en pleine liberté pour être admis ou rejeté.

Dans cet esprit, il était très naturel et parfaitement conséquent que non seulement le parlement ne se crût pas tenu d'observer rien de tout ce qui avait été enregistré au lit de justice des Tuileries malgré lui et contre ses prétentions, mais encore qu'il se crût en droit d'agir d'une manière tout opposée à la teneur de ce qui y avait été ainsi enregistré. C'est aussi ce que le parlement fit pas à pas, avec toute la suite et la fermeté possible, et toute la circonspection aussi qui pût assurer l'effet de son intention, en s'opposant à tous les enregistrements nécessaires aux diverses opérations de Law, et vainement tentées sous toutes les formes.

M. le duc d'Orléans était exactement informé et très peiné de cette conduite, et Law infiniment embarrassé; il avait bien des manèges et des opérations à faire qui demandaient un parlement soumis, et il avait affaire à un régent qui n'aimait pas les tours de force, et qui semblait épuisé sur ce point par ceux où il avait été contraint d'avoir recours. Dans cette perplexité Law imagina de trancher ce noeud gordien. Il se trouvait au plus haut point de son papier: le feu du François y était; il n'y avait que peu de gens, en comparaison du grand nombre, qui préférassent l'argent à ce papier. Il proposa donc à M. le duc d'Orléans de rembourser avec ce papier toutes les charges du parlement de gré ou de force, de se parer à l'égard du public d'ôter la vénalité des charges qui a tant fait crier autrefois, et qui nécessairement entraîne de si grands abus; de les remettre toutes en la main du roi pour n'en plus disposer que gratuitement, comme avant que les charges fussent vénales, et le rendre ainsi maître du parlement, par de simples commissions qu'il donnerait, pour le tenir d'une vacance à l'autre, et qui seraient ou continuées ou changées à chaque tenue du parlement, en faveur dés mêmes, ou d'autres sujets, selon son bon plaisir.

Un spécieux si avantageux, et sans bourse délier, éblouit le régent. Le duc de La Force appuya cette idée de concert avec l'abbé Dubois qui n'y voulait pas trop paraître, mais qui faisait agir, et qui, dans la crainte des revers et dans la connaissance qu'il avait et du parlement et de son maître, se tenait derrière la tapisserie d'où il dirigeait ses émissaires. Lui-même trouvait son compte à ce remboursement, dans ses vues de se rendre maître absolu du gouvernement sous le nom du régent, et tout de suite après sous le nom du roi majeur; mais il sentait tous les hasards de la transition, et ne voulait pas se commettre.

Law, qui, comme je l'ai déjà dit, venait chez moi tous les mardis matin, ne m'avait pas ouvert la bouche de rien qui pût me faire sentir ce projet; j'ai lieu de croire, sans pourtant rien d'évident, qu'ils n'osèrent se hasarder à un examen de ma part, et qu'ils voulurent surprendre ce qu'ils imaginaient de mon goût, de ma haine, de mon intérêt par la proposition que m'en ferait M. le duc d'Orléans, et m'engager ainsi à l'improviste à une approbation qui se tournerait incontinent en impulsion. C'est ce qui m'a toujours fait pencher à croire que ce fut de cet artifice que vint à M. le duc d'Orléans la volonté de me consulter là-dessus. Ils me connaissaient tous pour être un des hommes du monde qui portait le plus impatiemment les prétentions et les entreprises sur l'autorité royale, et qui, par attachement à ma dignité, demeurait le plus ouvertement et le plus publiquement ulcéré de toutes les usurpations que cette compagnie lui avait faites, et de tout ce qui s'était passé en dernier lieu sur le bonnet dans les fins du feu roi et depuis sa mort. C'était aussi par là que M. le duc d'Orléans, dont les soupçons n'épargnaient pas les plus honnêtes gens ni ses plus éprouvés serviteurs, avait regardé de cet oeil tout ce que je lui avais dit dans les commencements des entreprises du parlement sur son autorité, et pourquoi j'étais demeuré depuis à cet égard dans un silence entier et opiniâtre avec lui, et qui n'avait été que forcément rompu de ma part, quand il me parla du lit de justice peu de jours avant qu'il fût tenu aux Tuileries, comme il a été rapporté en son lieu. Les mêmes raisons, les mêmes soupçons, le même naturel de M. le duc d'Orléans le devaient éloigner de me parler du remboursement du parlement, s'il n'y avait été poussé d'ailleurs. Mais si j'étais celui contre lequel, à son sens, il devait être le plus en garde là-dessus, c'était, à ce qu'il pouvait sembler aux intéressés, un coup de partie d'engager M. le duc d'Orléans à consulter un homme qu'ils comptaient être si fait exprès pour seconder leurs désirs, et qui rassemblait en soi tout ce qu'il fallait pour les faire réussir pleinement et avec promptitude.

Quoi qu'il en fût, une après-dînée que je travaillais à mon ordinaire tête à tête avec M. le duc d'Orléans, il se mit avec moi sur le parlement sans que rien n'y eût donné lieu, et à me conter et à m'expliquer les entraves que cette compagnie lui donnait sans cesse, le peu de compte qu'elle faisait publiquement du lit de justice des Tuileries, le peu de fruit qu'il en tirait, puis tout de suite me proposa l'expédient qu'on lui avait trouvé, et en même temps tira de sa poche un mémoire bien raisonné du projet, dont jusqu'à ce moment il ne m'était pas revenu la moindre chose. J'entrai fort dans ses plaintes de la conduite du parlement, et dans les raisons de le ranger à son devoir à l'égard de l'autorité royale. Je n'oubliai pas d'alléguer les causes personnelles de mon désir de le voir mortifier et remis dans les bornes où il devait être, et les avantages que ma dignité ne pouvait manquer de trouver dans l'exécution de ce projet; mais j'ajoutai tout de suite que de première vue il me paraissait d'un côté bien injuste, et de l'autre bien hardi, et que ce n'était pas là matière à prendre une résolution sans beaucoup de mûre délibération, et sans en avoir bien reconnu et pesé toutes les grandes suites et l'importance très étendue. Il ne m'en laissa pas dire davantage, et voulut lire le mémoire d'abord de suite et sans interruption, malgré sa mauvaise vue, puis une seconde fois en s'arrêtant et raisonnant dessus.

Cette lecture première me confirma dans l'éloignement que j'avais conçu du projet dès sa première proposition, et que je n'avais pu tout à fait cacher. Quand ce fut à la seconde lecture je raisonnai, et mes raisonnements allaient toujours à la réfutation. M. le duc d'Orléans, surpris au dernier point de m'y trouver contraire, mais déjà entraîné et enchanté du projet, ne fut pas content de ma résistance. Il me témoigna l'un et l'autre; il n'oublia rien pour me piquer, et me ramener par l'intérêt de ma dignité, me dit qu'il fallait donc laisser le parlement le maître, ou en venir à bout par l'unique moyen qu'on en avait, puis se répandit sur l'odieux et les inconvénients infinis de la vénalité dès charges [36] , sur le bonheur public que ce changement apporterait, et sur les acclamations qu'on en devait attendre.

Le voyant si prévenu, et reployer le mémoire pour le remettre dans sa poche, je sentis tout le danger où on l'allait embarquer. Je lui dis donc qu'encore qu'il y eût déjà fort longtemps que nous en étions là-dessus, cette matière était pour ou contre trop importante pour n'être pas examinée plus mûrement; que j'avais dit ce qui s'était présenté d'abord à mon esprit; qu'en y pensant davantage, et faisant tout seul plus de réflexion sur ce mémoire, et avec plus de loisir, peut-être que je changerais d'avis; que je le souhaitais passionnément pour lui complaire, pour l'intérêt de ma dignité, pour l'extrême plaisir de ma vengeance personnelle, mais qu'il ne devait pas avoir oublié aussi ce que je lui avais protesté en plus d'une occasion, et qu'il m'avait vu pratiquer si fermement et si opiniâtrement, quoique presque si inutilement sur celle du changement de main de l'éducation du roi, et sur la réduction des bâtards au rang et ancienneté de leurs pairies; que je le lui répétais en celle-ci, que j'aimais incomparablement mieux ma dignité que ma fortune, mais que l'une et l'autre ne me seraient jamais rien en comparaison de l'État. Je le priai ensuite que je pusse emporter le mémoire pour le mieux considérer tout à mon aise. Il y consentit à condition qu'il ne serait vu que de moi seul. Il me le donna, mais avec promesse de le lui rapporter le surlendemain, sans m'avoir jamais voulu accorder un plus long terme.

Je tins parole et plus, car je fis de ma main une réponse si péremptoire que je lus à M. le duc d'Orléans, qu'il demeura convaincu que le projet était la chimère du monde la plus dangereuse. Cette réponse, je l'ai encore; elle se trouvera parmi les Pièces. En effet, il ne fut plus parlé du projet. Ceux qui l'avaient fait et conseillé trouvèrent M. le duc d'Orléans si armé contre leurs raisons, qu'ils n'y trouvèrent point de réplique, et qu'ils se continrent dans le silence; mais ce ne fut pas pour toujours.

Outre les raisons contre ce remboursement, expliquées dans le mémoire qui persuada alors M. le duc d'Orléans, trop long pour être inséré ici, mais qu'il faut voir dans les Pièces, j'en eus deux autres non moins puissantes, non moins inhérentes à l'intérêt de l'État, mais qui n'étaient pas de nature à mettre dans mon mémoire: la première est que, quelque fausses et absurdes que soient les maximes du parlement qui viennent d'être expliquées, et quelque abus énorme et séditieux qu'il en ait fait trop souvent, surtout dans la minorité du feu roi, il ne fallait pas oublier le service si essentiel qu'il rendit dans le temps de la Ligue, ni se priver d'un pareil secours dans les temps qui pouvaient revenir, puisqu'on les avait déjà éprouvés, en même temps ne pas ôter toute entrave aux excès de la puissance royale tyranniquement exercée quelquefois sous des rois faibles, par des ministres, des favoris, des maîtresses, des valets même, pour leurs intérêts particuliers contre celui de l'État, de tous les particuliers, de ceux d'un roi même qui les autoriserait à tout faire et à employer son nom sacré et son autorité entière à la ruine de son État, de ses sujets et de sa réputation. Mon autre raison fut l'importance d'opposer l'unique barrière que l'État pût avoir contre les entreprises de Rome, du clergé de France, d'un régulier [37] impétueux qui gouvernerait la conscience d'un roi ignorant, faible, timide, ou qui n'étant d'ailleurs ni timide ni faible, le serait par la grossièreté d'une conscience délicate et ténébreuse sur toutes les matières ecclésiastiques, ou qu'on lui donnerait pour l'être. Il n'y a qu'à ouvrir les histoires de tous les pays et du nôtre en particulier, pour voir la solidité de ces raisons. Celles de mon mémoire ne me parurent ni moins fortes ni moins solides, mais celles-ci qui ne s'y pouvaient mettre, me semblèrent encore plus importantes.

Tandis que je suis sur cette matière, je suis d'avis de l'achever pour n'avoir pas à y revenir sur l'année prochaine, où il n'y aurait qu'un mot à en dire. Ce projet était trop cher à Law et à l'abbé Dubois pour l'abandonner: à Dubois pour s'ôter toutes sortes d'obstacles présents et à venir pour l'établissement et la conservation de sa toute-puissance; à Law pour son propre soutien par ce prodigieux débouchement de papier dont il sentait de loin tout le poids en quelque vogue qu'il fût alors. On verra sur l'année prochaine, qu'elle se passa en luttes entre le gouvernement et le parlement. Ces luttes donnèrent lieu aux promoteurs du projet abandonné de tâcher de le ressusciter, sans qu'en aucun temps ni l'un ni l'autre m'en ait parlé, sinon une fois ou deux quelques regrets échappés courtement à Law d'un si bon coup manqué.

J'étais allé, dans l'été, passer quelques jours à la Ferté, dans un intervalle d'affaires et du conseil de régence. Peut-être que mon absence leur fit naître l'espérance de le brusquer. Le lendemain de mon arrivée, j'allai faire ma cour à M. le duc d'Orléans, comme je faisais à tous mes retours. Je le trouvai avec assez de monde. Après quelques moments de conversation générale, M. le duc d'Orléans me tira à part dans un coin; il me dit qu'il avait bien à m'entretenir de choses instantes et pressées, et que ce serait pour le lendemain. Je le pressai de m'en dire la matière; il eut quelque peine à s'expliquer, puis me dit qu'il était excédé du parlement, qu'il fallait reprendre le projet du remboursement et voir enfin aux moyens de l'exécuter. Je lui témoignai toute ma surprise de le voir revenir encore une fois à un expédient si ruineux, et de l'abandon duquel il était demeuré si pleinement convaincu. Le régent insista, mais coupa court, et me donna son heure pour le lendemain; je lui dis que j'étais tout prêt, mais que je n'avais rien de nouveau à lui exposer sur cette matière, et que je serais surpris si on lui en proposait quelque solution praticable. La nuit suivante, la fièvre me prit assez forte; je m'envoyai donc excuser d'aller au Palais-Royal. Le jour d'après, M. le duc d'Orléans envoya savoir de mes nouvelles, et quand je pourrais le voir. Ce fut une fièvre double-tierce, qui impatienta d'autant plus les promoteurs du projet qu'apparemment ils trouvèrent le régent arrêté à n'y avancer pas sans moi, car deux jours après, le duc de La Force vint forcer ma porte de la part de M. le duc d'Orléans. Il me trouva au lit, dans l'accès, et hors d'état de raisonner sur la mission qui l'amenait, et qu'il me dit être le projet du remboursement du parlement. Il me demanda avec empressement quand il en pourrait conférer avec moi, parce que l'affaire pressait. Je sus après que c'était la première fois que M. le duc d'Orléans lui en avait parlé. Je répondis au duc de La Force que je ne prévoyais pas être sitôt en état de raisonner, ni d'aller au Palais-Royal, mais que si l'affaire pressait tant, que j'avais tellement dit à M. le duc d'Orléans, il y avait plus d'un an, tout ce que je pouvais lui en dire, que je n'avais plus rien à y ajouter; que tout ce que je pouvais faire, c'était de lui prêter à lire un mémoire que j'avais fait là-dessus et que par hasard j'avais gardé. En effet, je le lui envoyai l'après-dînée du même jour. Apparemment qu'ils le trouvèrent péremptoire, car le duc de La Force me le rapporta quelques jours après. Je n'étais pas lors encore trop en état de parler d'affaires, et moins en volonté d'entrer sur celle-là en matière avec lui, aussi n'y insista-t-il pas, et se contenta d'avouer en général que le mémoire était bon. Ils n'y purent apparemment rien répondre, parce que la première fois ensuite que je vis M. le duc d'Orléans, il me dit d'abord qu'il n'y avait pas moyen de songer davantage à ce projet, et en effet il n'en fut plus du tout parlé depuis.

Ce qui ne peut se comprendre, et qui pourtant est arrivé quelquefois dans la régence, c'est que tout cela fut su en ce même détail par le premier président avec qui j'étais demeuré en rupture plus qu'ouverte, sans le saluer, et quelquefois pis encore, depuis l'affaire du bonnet, dès avant la mort du roi. Peu après ceci, le parlement, comme on le verra en son lieu, fut envoyé à Pontoise. Le premier président, en y allant avec sa famille, dit en carrosse à Mme de Fontenelle, sa sueur, le risque que le parlement avait couru, et lui donna à deviner qui l'avait sauvé, dont il ne sortait pas de surprise, et me nomma. Sa soeur n'en fut pas moins étonnée; elle-même me l'a raconté après que nous fûmes raccommodés. Ils surent aussi la part contradictoire que le duc de La Force y avait eue, et surent après s'en venger cruellement. Pour moi, qui n'avais pas prétendu à leur reconnaissance, je demeurai avec eux tel que j'étais auparavant, et eux avec moi.

Mme la Princesse fut refusée du séjour d'Anet pour la duchesse du Maine, où elle aurait voulu la faire venir et y passer quelque temps avec elle. Mais peu après elle obtint le séjour du château de Chamlay, près de Joigny, qui était à vendre depuis la mort de Chamlay; et comme cette mort était récente, le lieu qu'il avait fort accommodé était encore entretenu et meublé. Mme la Princesse eut permission d'y aller voir Mme sa fille.

À propos de princes du sang, il faut réparer ici, bien ou mal à propos, l'oubli d'une remarque qui aurait dû être placée lors de l'achat du gouvernement du Dauphiné, et que Clermont-Chattes, capitaine des Suisses de M. le duc d'Orléans, fut aussi capitaine des gardes de M. le duc de Chartres, comme gouverneur du Dauphiné. Les princes du sang, comme tels, n'ont ni gardes ni capitaines des gardes, mais quand ils sont gouverneurs de province, ils ont en cette qualité des gardes, mais dans leur province, et un capitaine des gardes comme en ont tous les autres gouverneurs de province. Le seul premier prince du sang a un gentilhomme de la chambre. Ils l'appellent maintenant premier gentilhomme de la chambre et en ont tous un. La date de cette nouveauté, peu après imperceptiblement introduite, est depuis la mort du roi, et n'a paru que longtemps après. Qui voudrait expliquer leurs diverses usurpations en tous genres depuis la mort du roi, et les millions qu'ils ont eus, et les augmentations immenses en sus de pensions, ferait un volume.

Le chevalier de Vendôme, grand prieur de France, dont on a assez parlé ailleurs pour le faire connaître, avait passé sa vie à se ruiner et à manger tout ce qu'il avait pu d'ailleurs. Les biens du grand prieuré étaient tombés dans le dernier désordre, et l'ordre de Malte avait à cet égard une action toujours prête contre lui. Il avait tiré infiniment de Law, et n'était pas d'avis d'en réparer ses bénéfices. Les accroissements prodigieux et parfaitement inattendus qu'il avait vu arriver à son rang par le feu roi, à cause de ses bâtards, et que son impudence avait augmentés depuis par les tentatives hardies, que la faiblesse, ou peut-être la prétendue politique de M. le duc d'Orléans, avait souffertes, lui avaient tellement tourné la tête, que la chute de ce rang arrivée au dernier lit de justice des Tuileries n'avait pu le rappeler à la première moitié de sa vie, ni le détacher de la folle espérance de revenir au rang de prince du sang. Il la combla par vouloir avoir postérité, et ne put comprendre que cette postérité même serait un obstacle de plus à ses désirs. Il s'abandonna donc à sa chimère, et Law, son ami et son confident, en profita pour faire sa cour au régent, et procurer au bâtard qu'il avait reconnu de Mme d'Argenton le grand prieuré de France. Le marché en fut bientôt fait et payé gros. Pas un de ceux qui y entrèrent de part et d'autre n'étaient pas pour en avoir plus de scrupule que du marché d'une terre ou d'une charge, et l'ordre de Malte, ni le grand maître, pour oser refuser un régent de France. L'affaire se fit donc avec si peu de difficulté qu'on la sut consommée avant d'en avoir eu la moindre idée. Il s'en trouva davantage pour la dispense des voeux du chevalier de Vendôme, et pour celle de se pouvoir marier; mais il l'obtint enfin par la protection de M. le duc d'Orléans, et au moyen des sûretés qu'il donna à la maison de Condé de ne répéter rien de la succession du feu duc de Vendôme, son frère, qui par la donation entre vifs de son contrat de mariage avec la dernière fille de feu M. le Prince, fondée sur la profession de cet unique frère, était passée tout entière aux héritiers de la feue duchesse de Vendôme, excepté ce qui se trouva réversible à la couronne. Cela fait, il chercha partout à se marier, et partout personne ne voulut d'un vieux ivrogne de soixante-quatre ou soixante-cinq ans, pourri de vérole, vivant de rapines, sans autre fonds de bien que le portefeuille qu'il s'était fait et dont tout le mérite ne consistait que dans son extrême impudence; lui, au contraire se persuadait qu'il n'y avait rien de trop bon pour lui. Il chercha donc en vain et si longtemps qu'il se lassa enfin d'une recherche vaine et ridicule. 11 continua sa vie accoutumée qu'il était incapable de quitter, qui l'obscurcit de plus en plus, et qui ne dura que peu d'années depuis cette dernière scène de sa vie.

Ce fut en ce temps-ci que Plénoeuf revint en France en pleine liberté, après s'être accommodé avec ses créanciers à peu près comme il voulut. Je ne barbouillerais pas ces Mémoires du nom et du retour de ce bas financier sans les raisons curieuses qui s'en présenteront d'elles-mêmes en cet article, et qui m'engageront même à une courte, mais nécessaire répétition. Il était de la famille des Berthelot, tous gens d'affaires, et frère de la femme du maréchal de Matignon. Il entra dans plusieurs affaires, enfin dans les vivres et les hôpitaux des armées, où tant de soldats périrent par son pillage, et où il amassa tant de trésors. Embarrassé de tant de proie, il se mit à l'abri en se faisant connaître à Voysin comme un homme consommé dans la science des vivres et des fourrages, qui le fit un de ses premiers commis. Il ne s'oublia pas dans cet emploi, et en profita dans le peu qu'il dura pour cacher si bien tout ce qu'il avait amassé que lorsqu'il se vit recherché par la chambre de justice, après la mort du roi, il fit une banqueroute frauduleuse et prodigieuse, se sauva hors du royaume, et ne craignit point qu'on trouvât ce qu'il avait caché. Ce fut d'au delà des Alpes qu'il plaida en sûreté et mains garnies, et qu'il se servit sans qu'il lui en coûtât rien, de ce qui corrompt tant de gens, de l'argent et de la beauté.

Sa femme en avait, des agréments encore plus, tout l'esprit, et la sorte d'esprit de suite, d'insinuation et d'intrigue, qui est la plus propre au grand monde, et à y régner autant que le pouvait une bourgeoise que sa figure, son esprit, ses manières, ses richesses y avaient mêlée d'une façon fort au-dessus de son état, et avec un empire qu'elle ne déployait qu'avec discrétion, mais qu'elle eut toujours l'art de faire aimer à ceux qu'elle avait entrepris d'y soumettre. Elle était mère de la trop fameuse Mme de Prie, qui avait autant d'esprit et d'ambition qu'elle, et plus de beauté. Elle enchaîna M. le Duc, le gouverna entièrement, et pendant qu'il fut premier ministre fit des maux infinis à la cour et à l'État, dont il se peut dire que les trésors immenses qu'elle ramassa de toutes parts fut le moindre mal qu'elle fit, si on excepte la pension d'Angleterre, pareille à celle qu'avait eue l'abbé Dubois, et qui ne coûta guère moins cher au royaume. La rivalité de beauté brouilla la mère et la fille, les rendit ennemies implacables, et [elles] y entraînèrent leurs adorateurs. C'est ce qui mit Le Blanc et Belle-Ile à une ligne de leur perte après une longue et dure prison. On se contente d'en faire ici la remarque; le règne funeste et cruel de Mme de Prie dépasse le temps de ces Mémoires, qui ne doivent pas aller plus loin que la vie de M. le duc d'Orléans.

Plénoeuf, d'extérieur grossier, lourd, stupide, était le plus délié matois, qui allait le mieux et le plus à ses fins, qui n'était retenu par aucun scrupule et dont l'esprit financier était propre aussi aux affaires et à l'intrigue. Ce dernier talent l'initia dans la cour de Turin, et le mit en situation de mettre sur le tapis le mariage de Mlle de Valois avec le prince de Piémont, sans en avoir nulle charge. On a vu ailleurs ce qui se passa là-dessus, comme je fus chargé malgré moi de la correspondance sur cette affaire avec Plénœuf, comme sa femme s'insinua chez Mme la duchesse d'Orléans et chez moi, sous prétexte de rendre elle-même les lettres de son mari, et comme, l'affaire avortée, elle sut se maintenir toujours auprès de Mme la duchesse d'Orléans et m'a toujours cultivé depuis. On a vu aussi qu'alors l'abbé Dubois était auprès du roi d'Angleterre, et que, dès qu'il fut arrivé, las de la correspondance avec un homme tel que Plénœuf, et connaissant la jalousie de l'abbé Dubois et la faiblesse de M. le duc d'Orléans pour lui, enfin qu'il goûtait très médiocrement ce mariage, quoique très mal à propos, je lui proposai de ne pas faire un pot à part de cette seule affaire étrangère, et de trouver bon que je la remisse à l'abbé Dubois, pour ne m'en plus mêler, ce que je fis en même temps, au grand regret de Mme la duchesse d'Orléans, et dont Mme de Plénoeuf fut aussi bien fâchée, mais à ma grande satisfaction. Celle-ci bâtissait déjà beaucoup en espérance, si son mari concluait ce mariage. Mme la duchesse d'Orléans le désirait passionnément; elle était informée de tout par moi, ce qu'elle n'espérait pas de l'abbé Dubois, et craignait tout de lui, avec raison, pour le faire manquer. Mme de Plénœuf, le voyant en de telles mains, le comptait déjà rompu et ses espérances perdues.

En effet ce mariage n'était pas le compte personnel de l'abbé Dubois. Sa boussole était sa fortune particulière, comme on l'a remarqué ici bien des fois, et ses vues étaient trop avancées pour leur tourner le dos par quelque considération que ce pût être. Il avait sacrifié l'Espagne, sa marine et la nôtre à l'Angleterre; il ne restait plus qu'à sacrifier la même Espagne et le roi de Sicile à l'empereur. Le sacrifice déjà fait aux dépens de l'État et à ceux de son maître lui avait assuré les offices de l'Angleterre les plus efficaces auprès de l'empereur, qui en profitait, et qui alors était très intimement avec le roi Georges. Le sacrifice qui restait à faire étant directement à l'empereur, le rendait son obligé et le disposait personnellement à ce que le roi Georges lui demandait, qui ne lui coûtait rien que de faire dire au pape, qui tremblait devant lui et qui ne cherchait qu'à prévenir ses désirs, qu'il voulait, et promptement, un chapeau pour l'abbé Dubois. Dans cette position, l'abbé Dubois n'avait dans la tête que la quadruple alliance, dont la Sicile devait être le premier fruit pour l'empereur, aux dépens du roi de Sicile à qui était destiné, aux dépens encore de l'Espagne, le triste dédommagement de la Sardaigne, pour lui conserver le titre et le rang de roi. Dubois n'avait donc garde de vouloir le mariage à la veille de le dépouiller. Il fit donc languir la négociation pour se préparer à la rompre, la laissa transpirer exprès et revenir à Madame, sans y paraître, parce qu'il en était méprisé et haï, mais dans l'espérance de quelque trait de férocité allemande. Il la connaissait et il devina.

Madame était la droiture, la vérité, la franchise même, avec de grands défauts, dont l'un était de pousser à l'extrême les vertus dont on vient de parler. Aussi, dans cette occasion, n'en fit-elle pas à deux fois. Elle aimait tellement à écrire à ses parents et à ses amis, comme on l'a pu voir ici, par ce qui lui en arriva à la mort de Monsieur, qu'elle y passait sa vie [38] . La reine de Sicile et elle s'écrivaient toutes les semaines. Madame lui manda sans détour qu'elle apprenait qu'il était sérieusement question du mariage du prince de Piémont avec Mlle de Valois; qu'elle l'aimait trop pour lui vouloir un si mauvais présent et pour la tromper; qu'elle l'avertissait donc [39] , etc. ; et lui raconta tout de suite tout ce qu'elle en savait, ou ce qu'elle en croyait savoir; puis, la lettre partie et hors de portée de pouvoir être arrêtée et prise, elle dit tout ce qu'elle contenait à M. [le duc] et à Mme la duchesse d'Orléans, qui en fut outrée. M. le duc d'Orléans, qui n'avait jamais été de bon pied en cette affaire, et beaucoup moins depuis qu'elle avait été remise à l'abbé Dubois, ne lit qu'en rire, et Dubois rit encore de bien meilleur coeur de ce rare et subit effet de son artifice. Ce mariage tomba donc de la sorte.

Plénœuf en fut éconduit avec assez peu de ménagement; ses affaires en France s'étaient accommodées; il se hâta de quitter Turin et revint avec l'air de l'importance, le fruit et la sécurité de sa banqueroute. Il n'en jouit pas longtemps et ne vécut pas longues années.

Six semaines après cette aventure, M. le duc d'Orléans, qui avait ses raisons de se soucier peu de Mlle de Valois, et beaucoup de s'en défaire, conclut et déclara son mariage avec le fils aîné du duc de Modène. Personne malheureusement n'ignorait pourquoi le régent se hâtait tant de se défaire de cette princesse et avec si peu de choix. Je ne pus m'empêcher pourtant de le lui reprocher. « Pourquoi ne mérite-t-elle pas mieux? me répondit-il: tout m'est bon, pourvu que je m'en défasse. » Il n'y eut rien qui n'y parût : on lui donnait un des plus petits princes d'Italie quant à la puissance et aux richesses, qui avait à attendre longtemps à être souverain, et dont le père était connu pour être d'un caractère et d'une humeur fort difficile, comme il le leur montra bien tant qu'il vécut. Il est vrai que la reine d'Espagne ri était pas de meilleure maison, et que Philippe V était fort au-dessus de Mlle de Valois en bien des manières. Aussi on a vu ici en son lieu de quelle façon ce mariage se fit, et que le feu roi ne le pardonna pas à Mme des Ursins. Il n'est peut-être pas inutile d'expliquer ici en peu de mots ce que sont les d'Este d'aujourd'hui, et ce que sont aussi les Farnèse.

Je ne me donne pas pour être généalogiste, mais je suivrai Imhoff qui passe pour exact et savant sur les maisons allemandes, espagnoles et italiennes [40] , et fort peu l'un et l'autre sur les françaises. Peut-être que si nous connaissions autant ces maisons étrangères que nous faisons celles de notre pays, cet auteur n'aurait pas pris tant de réputation; mais ce qui regarde l'origine des Farnèse et l'étrange déchet des Este d'aujourd'hui est si moderne et si connu qu'il n'y a pas de méprise à craindre.

Imhoff donne pour tige, dont la maison d'Este est sortie, Azon, seigneur d'Este, marchis en Lombardie, c'est-à-dire général et gardien des marches ou des frontières de ces pays, qui épousa en premières noces Cunégonde, qui était Allemande et héritière de sa maison, (héritage difficile à entendre dans une fille en Germanie à la fin du Xe siècle où cela se passait); et en secondes noces Ermengarde, fille du comte du Maine en France. Du premier lit il eut Guelfe, héritier des biens de sa mère. Il fut créé duc de Bavière en 1071, répudia sa première femme, fille d'Otton le Saxon, duc de Bavière, épousa ensuite Judith, fille de Baudouin le Pieux, comte de Flandre, mourut en 1101 dans l'île de Chypre, laissa deux fils: Guelfe l'aîné, duc de Bavière, mort sans postérité en 1119; et Henri, dit le Noir, duc de Bavière après son frère. Il épousa Walflide, fille de Magnus, duc de Saxe, mourut 1123, et laissa un fils nommé Henri comme lui, qui fut duc de Bavière et de Saxe. Celui-ci épousa Gertrude, fille de l'empereur Lothaire II, et de ce mariage est sortie la maison de Brunswick et Lunebourg, à ce qu'on prétend.

Hugues, second fils d'Azon tige de cette maison, et fils de son second lit, hérita des biens de sa mère, fut comte du Maine en France, et vécut peu; il ne lui paraît point de postérité, et le comté du Maine disparaît avec lui.

Son frère Foulques fut seigneur d'Este et marchis. Obizzo son fils eut les mêmes titres, y ajouta en 1177 celui de podestat [41] de Pavie, et de Ferrare l'année suivante. Il mourut en 1196. Son fils Azon II devint en 1196 marquis d'Este et de Ferrare, en 1199 podestat de Padoue, en 1207 podestat de Vérone, en 1208 marquis d'Ancône; il mourut en 1212. Son fils Obizzo III devint premier marquis d'Este et de Ferrare, fut aussi seigneur de Modène et de Parme. Il épousa Élisabeth, fille d'Albert duc de Saxe, électeur. Nicolas, fils de son fils, ajouta à ces titres ceux de seigneur de Reggio, Forli et Romandiole. Borsus son fils fut créé duc de Modène et de Reggio par l'empereur Frédéric III, 18 mai 1452, et duc de Ferrare par le pape Paul III (Farnèse), 14 avril 1470. Borsus ne se maria point, et mourut en 1471. Hercule son frère lui succéda; il fut gendre de Ferdinand d'Aragon, roi de Naples, et mourut en 1505.

Son fils Alphonsele lui succéda. Il épousa en premières noces Anne Sforce, fille de Galéas Marie duc de Milan; en secondes noces Lucrèce Borgia, fille du pape Alexandre VI. Il faut ici expliquer sa famille avant d'aller plus loin. De trois frères qu'il eut, deux ne se marièrent point, tous deux moururent longtemps avant lui, dont un des deux en prison. L'autre frère fut évêque de Ferrare, archevêque de Strigonie, de Milan, de Capoue, de Narbonne, fut cardinal en 1493, mourut en 1520. Cet Alphonse Ier, frère aîné de ce cardinal, eut un fils de Laure Eustochie degli Dianti, dont le père était un artisan de Ferrare. Il avait perdu ses deux femmes longtemps avant sa mort. On a prétendu qu'il épousa enfin cette maîtresse; mais il n'est pas contesté que le fils qu'il en eut, et qui s'appela aussi Alphonse, ne soit né avant ce dernier mariage, si tant est qu'il ait été fait. Le duc Alphonse Ier mourut en 1534 et laissa: Hercule II qui lui succéda; Hippolyte, élevé en France, évêque de Ferrare, de Tréguier, d'Autun, de Saint-Jean de Maurienne, archevêque de Strigonie, de Milan, de Capoue, de Narbonne, d'Arles, de Lyon, cardinal en 1538, mort en décembre 1572, à soixante-trois ans; un fils qui n'eut que deux filles; le bâtard Alphonse susdit; un fils mort dès 1545 sans alliance; et une fille religieuse.

Hercule II, fils aîné susdit d'Alphonse Ier, fut son successeur, duc de Ferrare, de Modène et de Reggio. Il épousa, en 1527, Renée de France, fille du roi Louis XII, et ce mariage fut peu concordant. Il mourut en octobre 1558 à cinquante ans. Renée se retira en France, où elle mourut en juin 1571 avec un grand apanage et une grande considération. Elle fut la protectrice des savants; et quoique belle-mère du duc de Guise, elle protégea aussi les huguenots. De ce mariage, deux fils et quatre filles: Alphonse II, successeur de son père, Louis, évêque de Ferrare, archevêque d'Auch, cardinal, 1561, mort à Rome 3 décembre 1586, chargé des affaires de France, après son oncle Hippolyte, et toujours très français et très opposé à la Ligue et aux Guise ses cousins germains. Les filles, leurs soeurs, furent la trop célèbre Anne d'Este, duchesse de Guise, née en 1531, mariée décembre 1549, veuve par l'assassinat de Poltrot, février 1563; remariée, 1566, à Jacques de Savoie, duc de Nemours, mère des duc et cardinal de Guise, tués, décembre 1588, aux derniers états de Blois, du duc de Mayenne, de la duchesse de Montpensier, etc., et du duc de Nemours, et du marquis de Saint-Sorlin, duc de Nemours après son frère; elle mourut mai 1607, à soixante-dix-sept ans; Lucrèce, épouse de François-Marie della Rovere, duc d'Urbin, en 1570, morte en 1598; Marfise et Bradamante, mariées aux marquis de Carrare-Cibo et comte Bevilaqua.

Alphonse II, duc de Ferrare, de Modène et de Reggio, fils aîné et successeur d'Hercule II, épousa, en février 1560, Lucrèce, fille de Cosme de Médicis, grand-duc de Toscane; en février 1565, Barbe d'Autriche, fille de l'empereur Ferdinand Ier; enfin, Marguerite, fille de Guillaume Gonzague, marquis de Mantoue. Il mourut sans enfants, 27 octobre 1597, à soixante-quatre ans, le dernier de la véritable et illustre maison d'Este.

Ici commence la maison bâtarde d'Este, présentement régnante.

Alphonse, fils du duc Alphonse Ier et de la fille de cet artisan de Ferrare, était frère bâtard du duc Hercule, gendre du roi Louis XII et oncle de son fils Alphonse II, mort sans enfants, en 1597. Ce bâtard avait pourtant épousé, en 1549, Julie, fille de François-Marie della Rovere, duc d'Urbin. Elle mourut en 1563 et lui en 1582, quinze ans avant le dernier duc de Ferrare, de Modène et de Reggio, de la véritable maison d'Este. Ce bâtard Alphonse laissa César, son aîné, et Alexandre, évêque de Reggio, cardinal, 1598, mort 1624, et deux filles mariées, l'une à Charles Gesualdo, prince de Venose au royaume de Naples, l'autre à Frédéric Pic, prince de la Mirandole.

César, fils aîné du bâtard, se trouva le seul à prétendre à la succession de son cousin germain le duc Alphonse II, mort sans enfants en 1597 et le dernier de l'ancienne et véritable maison d'Este. Il fut protégé par l'empereur, et, sans difficulté, duc de Modène et de Reggio. Clément VIII ne fut pas si facile pour Ferrare qui ne relevait pas de l'Empire comme Modène et Reggio, mais du saint-siège, et qu'il prétendit lui être dévolu faute d'hoirs légitimes. Il ne voulut pas voir l'envoyé de César, lequel prit les armes pour soutenir sa prétention et se maintenir dans Ferrare. Le pape s'arma de son côté, et n'oublia pas en même temps de se servir des foudres de l'Église. Henri IV, qui avait grand intérêt de se montrer ami du pape, lui offrit le secours de ses armes. Cette démonstration finit tout. César, hors d'état de résister, ne pensa plus qu'à tirer de sa soumission le meilleur parti qu'il pût. Il conclut donc un traité avec le pape à la fin de 1597, par lequel il céda au pape la ville et le duché de Ferrare avec la Romandiole. Le pape lui céda quelques terres dans le Bolonais, lui laissa ses biens allodiaux [42] , lui garantit ses biens mouvants de l'Empire, lui accorda le rang à Rome que les ducs ses prédécesseurs y avaient eu, enfin donna à son frère Alexandre, évêque de Reggio, le chapeau de cardinal, en mars 1598, lequel mourut en mai 1624. Après ce traité, Clément VIII alla lui-même à Ferrare prendre possession de la ville et du duché qui fait encore aujourd'hui une des plus belles possessions de l'État ecclésiastique. César, seulement duc de Parme et de Reggio, épousa, en 1586, Virginie, fille de Cosme de Médicis, grand-duc de Toscane, qui mourut en 1615, et César en 1628 à soixante-six ans.

Alphonse, son fils, épousa en 1608 Isabelle, fille de Charles-Emmanuel duc de Savoie, et la perdit en 1626. Il se dégoûta en moins d'un an de la souveraineté à laquelle il avait succédé à son père, et s'alla faire capucin à Munich en Bavière en 1629, et mourut dans cet ordre en 1644, à cinquante-trois ans, ayant porté cet habit quinze ans. Il laissa entre autres enfants François, son aîné, qui lui succéda; Renaud, évêque de Reggio, cardinal 1641, mort 1672, qui fut attaché à la France, chargé de ses affaires à Rome, et qui l'était lors de l'insulte que les Corses de la garde du pape firent au duc de Créquy, ambassadeur de France en [1662], et qui sut en tirer un si bon parti pour sa maison par l'accommodement de cette affaire; et une fille mariée à ce fameux muet prince de Carignan.

François duc de Modène et de Reggio, par la retraite d'Alphonse, son père, épousa les deux filles de Ranuce Farnèse duc de Parme, l'une après l'autre, en 1630 et 1648, et en troisièmes noces Lucrèce fille de Tadée Barberin prince de Palestrina en 1654. Il mourut en 1658 à quarante-huit ans, et sa dernière femme en 1699. Entre autres enfants il laissa Alphonse II, son fils aîné et son successeur; François, cardinal, puis duc de Parme à son tour, et deux filles qui, l'une après l'autre, furent la seconde et la troisième femme de Ranuce Farnèse duc de Parme.

Alphonse II, fils et successeur de François, duc de Modène et de Reggio. Il épousa en 1655 Laure, fille de Jérôme Martinozzi et de Marguerite soeur du cardinal Mazarin. Il mourut en juillet 1662, et son épouse qui était soeur de Mme la princesse de Conti, mourut à Rome, 19 juillet 1687. De ce mariage il n'y eut qu'un fils et une fille à remarquer: François II, successeur; et Marie Béatrix qui épousa en 1673 le duc d'York, depuis roi d'Angleterre, Jacques II, et détrôné par le prince d'Orange, réfugié en France, mort à Saint-Germain [16 septembre 1701], et elle morte aussi à Saint-Germain [7 mai 1718], mère de Jacques III, réfugié et traité en roi à Rome.

François II fils et successeur d'Alphonse II, duc de Modène et de Reggio, gendre de Ranuce II Farnèse duc de Parme, mort sans enfants 1694, à trente-quatre ans.

Renaud, frère d'Alphonse II, oncle paternel de François II, cardinal en 1686 à trente un ans, n'entra point dans les ordres sacrés. Il succéda en 1694 à François II, duc de Parme et de Reggio, son neveu, remit son chapeau au pape, épousa en février 1696 Charlotte-Félicité, soeur de l'impératrice Amélie, femme de l'empereur Joseph, qui ne l'épousa que depuis; filles de Joseph Frédéric, duc de Brunswick-Lunebourg, et de la soeur de la princesse de Salm, dont le mari avait été gouverneur et grand maître de l'archiduc, puis empereur Joseph, et de Mme la princesse de Condé, femme du dernier M. le Prince.

François Marie, fils et depuis successeur de Renaud duc de Parme et de Reggio, né en 1698, qui a épousé Mlle de Valois, fille de M. le duc d'Orléans, lors régent de France.

Ainsi la bâtardise de ces derniers Este ne peut être plus clairement ni plus évidemment prouvée. Passons maintenant à la maison Farnèse.

Elle est d'Orvieto et a pris le nom de son fief de Farnèse en Toscane. On prétend qu'ils ont paru dès l'an 1000 entre les principaux citadins d'Orvieto. Ce qui est certain, c'est qu'ils en ont été, plusieurs de suite, consuls, et vers 1226 podestats. De là ils ont commandé les troupes de Bologne, puis celles de Florence. On en connaît en tout cinq générations avant le pape qui a fait les ducs de Parme, et six générations légitimes sorties du père ou de l'oncle paternel de ce pape, et qui ont duré jusque vers 1700 qu'elles se sont éteintes, la plupart connues par des emplois militaires distingués, par des fiefs qui l'étaient aussi, par des alliances bonnes, et plusieurs grandes, comme des maisons Olonne, Ursins, Savelli, Conti, Acquaviva, Piccolomini, Sforce, etc. On parle ici des Farnèse légitimes; venons maintenant aux bâtards qui seuls des Farnèse ont été ducs de Parme et de Plaisance, de Castro et de Camerino aux dépens de l'Église.

Alexandre, second fils de Louis Farnèse, seigneur de Montalte et de Jeanne Cajetan, fille de Jacques seigneur de Sermoneta, né dernier février 1468, cardinal 1493, évêque de Parme, puis d'Ostie, et doyen du sacré collège, pape 1534, sous le nom de Paul III, mort 2 novembre 1549 à quatre-vingt-un ans; il eut un frère aîné, Barthélemy Farnèse qui, de Violente Monaldeschi de Corvara, laissa une postérité légitime qui a été illustre, et qui, avec celle de ses autres frères et cousins, n'a fini qu'un peu avant 1700, et avec elle toute la maison Farnèse légitime. Ce pape eut aussi deux soeurs dont l'aînée épousa Jules des Ursins de Bracciano, et l'autre un Pucci de Florence, puis Gilles comte de l'Anguilliara.

Farnèse bâtards: Alexandre Farnèse, depuis pape Paul III, avait commencé par être évêque de Montefiascone et de Corneto. Étant cardinal et évêque sacré, il eut deux bâtards Pierre-Louis et Ranuce, et une bâtarde, Constance, qu'il maria depuis qu'il fut pape à Étienne Colone, prince de Palestrine.

Ce pape acheta de Lucrèce della Rovere, veuve de Marc-Antoine Colone, la terre de Frescati qu'elle avait eue en dot du pape son oncle, puis il échangea avec l'Église Frescati pour les terres de Castro et de Ronciglione qu'il donna à son bâtard Pierre-Louis. Ensuite il acheta chèrement Camerino de ceux qui y avaient droit, se fondant sur ce que ce fief était dévolu à l'Église par la mort de Jean-Marie Varani sans enfants mâles, et qu'il avait droit de l'ôter aux héritiers de Guidobaldo della Rovere, son gendre, qui était mort. Il maria son bâtard Pierre-Louis à une fille de Louis des Ursins comte de Petigliano, et Ranuce, son autre bâtard, à Virginie Gambara. Il fut général des Vénitiens en 1526, du pape son père en 1527, du roi de France 1529; il mourut sans postérité.

Il maria Octave, fils de Pierre-Louis, qu'il fit duc de Camerino, à Marguerite, bâtarde de l'empereur Charles-Quint, veuve d'Alexandre de Médicis, et ne se flatta pas de moins que d'obtenir le duché de Milan en dot de ce mariage. Cette espérance fut le grand motif de la conférence de Nice entre ce pape et Charles-Quint. Il y fut trompé: il se réduisit donc à l'échange de Camerino avec Parme et Plaisance que Léon X avait réclamés et acquis à l'Église comme ayant fait partie de l'exarchat de Ravenne; son prétexte fut la proximité de Camerino qui par là convenait mieux à l'Église que Parme et Plaisance qui étaient éloignés et qui ne pouvaient s'entretenir et se conserver qu'avec beaucoup de dépense. La plupart des cardinaux s'y opposèrent, mais le pape passa outre, fit remettre à l'Église Camerino par Octave, fils de Pierre-Louis, et le retira aussitôt après et le redonna au même Octave, avec la qualité de duc et de duché, en le soumettant envers l'Église au tribut annuel de dix mille écus d'or.

Ainsi ce bon pape fit ses deux bâtards l'un duc de Parme et de Plaisance, l'autre duc de Castro, et le fils de son bâtard aîné duc de Camerino, en attendant qu'il eût la succession de son père.

Pierre-Louis, bâtard aîné de Paul III, ne fut pas deux ans duc de Parme et de Plaisance. C'était un homme perdu de toutes sortes de débauches et de crimes, et qui s'était enrichi au pillage de Rome, par l'armée du connétable de Bourbon, quoiqu'il ne fût point dans les troupes. Un dernier crime énorme et de la nature de ceux qu'on ne peut nommer, mit le comble à l'exécration publique. Il se fit une conjuration dont le pape son père l'avertit; l'un et l'autre étaient fort enclins à la magie. On prétend que Pierre sut par cette voie qu'il trouverait le nom des conspirateurs écrits sur sa monnaie. Elle portait cette inscription P. Aloïs. Farn. Parm. et Place. Dux. Il eut beau l'examiner, il n'en fut pas plus savant. Il se trouva pourtant que les quatre premières lettres, P. Aloïs, les désignaient. Les comtes Camille Palavicin, Jean Anguisciola, Auguste Landi et Jean Louis gonfalonier, surprirent la forteresse de Plaisance, tuèrent les gardes, et Anguisciola le tua dans sa chambre. Aussitôt après cette exécution qui se fit le 10 septembre 1547, les Impériaux envoyés au voisinage par Gonzague, qui était du complot, se saisirent de Plaisance pour l'empereur. Octave, fils de l'assassiné, se retira auprès du pape son grand-père, qui pourvut à la conservation de Parme, par les troupes qu'il y envoya sous Camille des Ursins. Quelque temps après Octave, à l'insu du pape, tenta d'être reçu dans la citadelle de Parme, comme dans son héritage, et en fut refusé par Camille des Ursins, qui la gardait pour le pape. Octave menaça le pape de s'accommoder avec Ferdinand Gonzague et de se rendre maître de Parme par son secours, si le pape refusait de lui faire remettre la place. Le pape entra sur cette menace dans une si étrange colère, qu'il en mourut le 2 novembre 1549, s'écriant et répétant ce verset du psaume 18 : « Si mei non fuissent dominati tunc immaculatus essem et emundatus a delicto maximo. » Louis XIV, qui se trouvait dans le même cas, y mit le comble en mourant, bien loin du repentir de ce pape, entre les bras de ses bâtards déifiés, de la Maintenon leur gouvernante, du jésuite Tellier, des cardinaux de Rohan et de Bissy, et de Voysin, leur fidèle ministre, et leur immola de plus son royaume, autant qu'il fut en lui, et l'éducation du roi son successeur et son arrière-petit-fils, en plein.

Les enfants de Pierre-Louis furent: Octave, qui lui succéda; Alexandre et Ranuce à dix ans l'un l'autre, que le pape leur grand-père fit cardinaux, chacun à quinze ans, et leur donna force grands évêchés et archevêchés, et les premières charges de la cour de Rome, dont ils furent l'un et l'autre l'ornement à tous égards: Alexandre mourut en 1589, à soixante-neuf ans, doyen du sacré collège, et Ranuce en 1565, à quarante-cinq ans; Horace duc de Castro, tué à la guerre en 1554, un an après avoir épousé Diane, bâtarde d'Henri II, et de Diane de Poitiers, laquelle fut remariée au duc de Montmorency maréchal de France, fils et frère des deux derniers connétables de Montmorency; elle n'eut point d'enfants de ses deux maris: enfin une fille Victoire mariée à Guidobaldo della Rovere duc d'Urbin.

Octave avait épousé en 1535, comme on l'a déjà dit, Marguerite, bâtarde de l'empereur Charles-Quint, qui ne fut pas heureuse avec lui. Brouillé avec Charles-Quint, lors de la mort du pape son grand-père, il se jeta dans le service de France jusqu'à ce qu'il se fut raccommodé avec lui en 1556. Il joignit alors le duché de Plaisance à celui de Parme; mais il ne put jamais avoir la citadelle de Plaisance. Il servit toute sa vie la maison d'Autriche dans toutes ses guerres, et vint mourir à Parme, en octobre 1586, à soixante-deux ans. Marguerite, son épouse, fut la célèbre gouvernante des Pays-Bas pendant huit ans, à qui succéda le duc d'Albe; elle vint se retirer à Ortone, dans le royaume de Naples, qu'elle avait eu en dot, et y mourut dans la plus haute réputation en tout genre, en janvier 1586. Ils laissèrent Alexandre, leur fils unique, qui fut duc de Parme et de Plaisance, et quatre filles. L'aînée épousa Jules Cesarini, puis Marc Pio, marquis de Sassolo; les trois autres, Alexandre marquis Palavicini, Renaud comte Borromée, Alexandre Sforce comte de Borgonovo.

Alexandre, duc de Parme et de Plaisance, fut un des plus grands capitaines de son siècle, si connu par la guerre qu'il fit dans les Pays-Bas pour l'Espagne, et en France pour la Ligue. Il épousa, en 1566, Marie, fille d'Édouard, prince de Portugal, qui mourut en 1577, et lui en Artois, 11 décembre 1592, à quarante-sept ans. Ils laissèrent deux fils et une fille Ranuce qui succéda à son père; Odoard, cardinal 1591, mort 1626, à soixante-deux ans; et Marguerite, mariée à Vincent Gonzague, duc de Mantoue; elle en fut séparée pour cause de parenté et se fit religieuse à Plaisance.

Ranuce, duc de Parme et de Plaisance, après le fameux Alexandre son père, épousa Marguerite Aldobrandin, fille du frère de Clément VIII. Il fut gonfalonier de l'Église, et mourut plus craint qu'aimé, en 1622, à cinquante-deux ans, et sa femme en 1646. Ils laissèrent deux fils et deux filles Odoard qui succéda; François-Marie, cardinal, 1645, mort, 1647, à trente ans; Marie, femme de François d'Este, duc de Modène, et Victoire, seconde femme du même. Ranuce laissa encore une bâtarde, qu'il maria à Jules-César Colone, prince de Palestrine.

Odoard, duc de Parme et de Plaisance, après Ranuce son père, épousa, en 1628, Marguerite de Médicis, fille de Cosme II, grand duc de Toscane. Il se brouilla avec les Espagnols, qui lui firent une cruelle guère; il en essuya une autre des Barberins, non moins fâcheuse, du temps d'Urbin VIII; il mena une vie fort agitée, et la finit, en 1646, à trente-quatre ans. Sa femme mourut en 1679. Leurs enfants furent, Ranuce II, qui succéda; Alexandre, qui fut vice-roi de Navarre, puis gouverneur des Pays-Bas en 1680, et qui mourut sans alliance, en 1689, à cinquante-quatre ans ; et Horace, général des Vénitiens, mort sans alliance, en 1656, à vingt ans.

Ranuce II, duc de Parme et de Plaisance, épousa, en 1660, Marguerite, fille de Victor-Amédée, duc de Savoie, et la perdit en 1663; en secondes noces, en 1664, Isabelle d'Este, fille de François duc de Modène, qu'il perdit en 1666; en troisièmes noces, en 1668, Marie d'Este, soeur de la dernière : elle mourut en 1684. Ranuce ne fut pas moins embarrassé de la guerre de Castro que son père l'avait été, et des crimes d'un favori de néant. Il fut malheureux et battu, et réduit à souffrir l'incamération[43] de Castro. Sa vie ne fut pas moins agitée, mais plus triste encore que celle de son père; il mourut, en 1694, à soixante-deux ans. Il eut une fille, mariée, en 1692, à François d'Este, duc de Modène, et deux fils qui lui succédèrent l'un après l'autre.

Odoard II, qui épousa, en 1690, Dorothée-Sophie, fille de Philippe-Guillaume, électeur palatin, duc de Neubourg: de ce mariage une fille unique, seconde femme de Philippe V, roi d'Espagne. Odoard mourut en 1693, à trente-trois ans. Son frère François lui succéda. Il épousa sa veuve, dont il n'eut point d'enfants. Il mourut en [1727] et en lui finirent les ducs de Parme et de Plaisance bâtards de la maison Farnèse.

On voit ainsi qu'Élisabeth Farnèse, fille unique d'Odoard II, duc de Parme et de Plaisance, est la seule héritière de ses États et de ceux de Toscane par la grand'mère de son père.

Suite
[36]
Voy. notes à la fin du volume.
[37]
C'est-à-dire ecclésiastique soumis à une règle monastique.
[38]
Des extraits des lettres de la duchesse d'Orléans ont été publiés plusieurs fois. La dernière édition a été donnée par M. Brunet. (Paris, Charpentier, 2 vol. in-12, 1855.)
[39]
Madame fait mention de Mlle de Valois dans plusieurs lettres de 1719 et notamment dans les lettres du 13 mai, du 8 juin, 9 novembre, 30 novembre, 3 décembre, 17 décembre. Dans les dernières lettres, Madame parle du mariage prochain de Mlle de Valois avec le fils aîné du duc de Modène; dans celle du 13 mai, il est question de ses intrigues avec le duc de Richelieu.
[40]
Il a déjà été question, t. III, p. 249, des Recherches historiques et généalogiques des grands d'Espagne, par Imhoff. On a encore de lui une histoire généalogique de la maison royale de Portugal, sous le titre de Stemma regium Lusitanicum (Amsterdam, 1708, in-fol.). Saint-Simon fait allusion, à la fin de sa phrase, à l'ouvrage du même auteur, intitulé Excellentium familiarum in Gallia genealogiae (Nuremberg, 1687, in-fol.)
[41]
Les podestats étaient des gouverneurs établis dans certaines villes d'Italie avec droit de haute justice.
[42]
L'alleu, ou domaine allodial, était un bien possédé en toute propriété à la différence du fief qui relevait d'un seigneur dominant ou suzerain.
[43]
Le mot incamération signifie que le duché de Castro fut réuni aux domaines de la Chambre Apostolique. C'est un terme de la chancellerie romaine.