1718
Départ de l'escadre anglaise pour la Méditerranée. — Fourberie de Stanhope à Monteléon. — Propos d'Albéroni. — Maladie et guérison du roi d'Espagne. — Vanteries d'Albéroni. — Secret du dessein de son expédition. — Défiance du roi de Sicile de ceux même qu'il emploie au dehors. — Leurs différents avis. — Ministres d'Espagne au dehors déclarent que le roi d'Espagne n'acceptera point le traité. — Détail des forces d'Espagne fait en Angleterre avec menaces. — Albéroni déclame contre le roi d'Angleterre et contre le régent. — Albéroni se loue de Nancré; lui impose silence sur le traité; peint bien l'abbé Dubois; menace; donne aux Espagnols des louanges artificieuses. — Il a un fort entretien avec le colonel Stanhope, qui avertit tous les consuls anglais de retirer les effets de leurs négociants. — Inquiétude des ministres de Sicile à Madrid. — Fourberie insigne d'Albéroni. — Forte et menaçante déclaration de l'Espagne aux Hollandais. — Avis contradictoire d'Aldovrandi au pape sur Albéroni. — Plaintes du pape contre l'Espagne qui rompt avec lui, sur le refus des bulles de Séville pour Albéroni. — Conduite de Giudice à l'occasion de la rupture de l'Espagne, avec Rome. — Il ôte enfin les armes d'Espagne de dessus sa porte; craint les Impériaux et meurt d'envie de s'attacher à eux; avertit et blâme la conduite de Cellamare à leur égard. — Le pape menacé par l'ambassadeur de l'empereur. — Malice d'Acquaviva contre les Giudice. — Dangereuses pratiques de Cellamare en France. — Secret et précautions. — Ses espérances. — Embarras domestiques du régent, considérés différemment par les ministres étrangers à Paris. — Koenigseck, ambassadeur de l'empereur à Paris, gémit de la cour de Vienne et de ses ministres. — Garnisons. — Conduite insolente de Stairs.
Enfin le moment du départ de l'escadre anglaise destinée pour la Méditerranée arriva. Comme elle était prête à mettre à la voile, Stanhope dit à Monteléon que l'amiral Bing, qui la commandait, avait ordre d'user d'une bonne correspondance avec l'Espagne. Monteléon demanda si le cas fatal aux deux rois et aux deux nations arriverait, et si l'Angleterre s'opposerait aux desseins du roi d'Espagne. Stanhope répondit, en termes généraux, qu'il espérait que cette occasion ne se présenterait pas; que le roi d'Angleterre et son ministère avaient toujours devant les yeux combien il leur importait de maintenir l'amitié et la bonne correspondance avec l'Espagne, aussi bien que les inconvénients et le préjudice d'une rupture; que le temps et les effets dissiperaient, les mauvaises impressions et l'opinion sinistre qu'on avait à Madrid de leurs intentions. En effet, cette opinion ne pouvait être plus mauvaise. Le roi d'Espagne était non seulement persuadé de la partialité du roi d'Angleterre pour l'empereur, mais de plus Sa Majesté Catholique déplorait le malheur général de l'Europe et l'esclavage dont plusieurs nations étaient menacées, si les projets que la France et l'Angleterre soutenaient avec tant d'efforts réussissaient en faveur de la maison d'Autriche.
Albéroni, pour lors arbitre absolu des sentiments et des décisions de son maître, protestait que jamais ce prince ne subirait la dure loi que ceux qui se disaient ses meilleurs amis voulaient lui imposer; que s'il cédait, ce ne serait que lorsqu'il y serait forcé par la nécessité et qu'il ne serait plus maître d'agir contre ses propres intérêts; qu'il adorait les jugements impénétrables de Dieu, et qu'il prévoyait que quelque jour les mêmes puissances, qui travaillaient à augmenter celle d'un prince dont elles devaient redouter les desseins ambitieux, regretteraient amèrement les secours qu'elles lui donnaient avec tant de zèle pour s'élever à leur préjudice. Le cardinal prétendait que Nancré même, venu à la cour d'Espagne comme ministre confident du régent, était honteux de sa commission; que, ne pouvant répondre aux justes plaintes que le roi d'Espagne faisait de la conduite et des démarches de ce prince, il se contentait de lever les épaules et de dire qu'il était trop engagé pour reculer, et d'avouer en même temps qu'il avait bien prévu que son voyage en Espagne aurait un triste succès.
Cette cour, ou pour mieux dire la reine et le premier ministre, avaient eu de grands sujets d'alarme causés par une maladie opiniâtre du foi d'Espagne, dont les médecins auguraient mal et ne pouvaient le guérir. Sa santé se rétablit enfin d'elle-même sans remèdes, et la fièvre le quitta après beaucoup d'accès et différentes rechutes. On ne manqua pas de publier avec soin sa guérison; et Albéroni réitéra, surtout en Italie, les descriptions magnifiques qu'il avait déjà faites de l'état de la flotte espagnole, de celui de l'armement destiné à faire une descente, des provisions de vivres, d'artillerie, et généralement de toutes les précautions qu'il avait prises pour assurer le dessein dont il gardait encore le secret. Enfin il voulait que le monde vît que l'Espagne n'était plus un cadavre, et que l'administration d'un ministre habile, pendant un an et demi, avait mis ce royaume en état d'armer et habiller soixante-cinq mille hommes effectifs, et de former une marine, de construire actuellement douze navires chacun de quatre-vingts pièces de canon, de fondre cent cinquante pièces d'artillerie, et de bâtir à Barcelone une des plus belles citadelles de l'Europe. Il envisageait comme un moyen de fournir à tant de dépenses le retour prochain de quatorze vaisseaux envoyés en Amérique pour le compte seul du roi d'Espagne, et ce qui marquait à quel point la puissance de ce prince imposait au dehors était l'empressement que le duc de Savoie témoignait de s'unir à Sa Majesté Catholique, offrant d'envoyer exprès à Madrid un ministre muni de pouvoirs pour traiter. Il aurait été le quatrième de ceux que ce prince avait à la cour d'Espagne. L'abbé del Maro, son ambassadeur, quoique rappelé, n'en était pas encore parti. Il y avait envoyé quelque temps auparavant Lascaris comme ministre de confiance, dont il n'avait cependant que l'apparence. Un nommé Corderi, secrétaire d'ambassade, paraissait être plus du goût du roi son maître; toutefois il n'avait pas encore son secret. Aucun de ces ministres et agents du roi de Sicile n'avait pu pénétrer quel était le véritable objet de l'armement d'Espagne. Del Maro, mécontent de cette cour, assurait depuis longtemps que l'entreprise regardait la Sicile; Lascaris, espérant encore de réussir où l'ambassadeur avait échoué, assurait son maître que c'était Naples. Il élevait le bon état et la puissance de l'Espagne, et par ses relations il insinuait à son maître que le meilleur parti qu'il eût à prendre était de traiter avec cette couronne. Corderi, souhaitant de prolonger son emploi, écrivait douteusement. Il représentait le roi d'Espagne comme encore indéterminé dans ses résolutions; il répandait des doutes sur l'état de la négociation de Nancré; et n'étant pas informé de ce qu'il s'y passait, il croyait utile à ses vues particulières de laisser entrevoir à son maître qu'Albéroni et Nancré étaient entre eux plus d'accord que le public n'avait lieu de le croire; il était d'ailleurs l'espion de Lascaris. Moyennant les différentes affections de ces trois ministres, le roi de Sicile était très mal informé d'un projet dont la connaissance était si importante à ses intérêts.
Si la bonne foi d'Albéroni eût été moins suspecte, qui que ce soit n'aurait douté de la résolution ferme et constante, que le roi d'Espagne avait prise, de rompre toute négociation et d'entrer incessamment en guerre; car il n'y avait pas d'occasion où le cardinal ne déclarât nettement les intentions de Sa Majesté Catholique sur ce sujet. Ses ministres au dehors avaient ordre d'en parler avec la même franchise. Monteléon, peut-être parce qu'il était plus suspect, reçut des ordres plus précis qu'aucun autre de déclarer que le roi son maître ne consentirait jamais à l'indigne projet qu'on lui proposait, son honneur exigeant qu'il pérît plutôt que de recevoir une loi dont sa dignité et l'intérêt de sa couronne souffriraient un égal préjudice, loi très fatale d'ailleurs au bien général de l'Europe. Monteléon devait dire aussi que Sa Majesté Catholique attendait de savoir quels ordres le roi d'Angleterre donnerait à l'escadre qu'il faisait passer dans la Méditerranée, afin de régler de son côté les mesures, qu'elle aurait à prendre; que, si elle, n'avait pu gagner l'amitié du roi Georges, elle voulait au moins gagner son estime. Pour appuyer une telle déclaration, Albéroni fit une nouvelle énumération des forces d'Espagne. Cette couronne, disait-il, réveillée de sa léthargie, fait ce que nulle puissance n'a fait encore. Elle a plus de trois cent soixante voiles, trente-trois mille hommes effectifs de débarquement, cent pièces de canon de vingt-quatre, trente de campagne, quarante mortiers, trente mille bombes et grenades, le reste à proportion; vingt mille quintaux de poudre, quatre-vingt mille outils à remuer la terre, dix-huit mille fusils de réserve, des vivres pour l'armée de terre et de mer jusqu'à la fin du mois d'octobre, toutes les troupes armées, montées et vêtues de neuf; enfin deux millions de pièces de huit embarquées, c'est-à-dire, un million trois cent mille pièces en monnaie d'or et d'argent, le reste en lettres de change sur Gènes et sur Livourne. Outre ces troupes, il demeure quarante-deux mille hommes en Espagne. C'est en ces termes qu'Albéroni s'expliquait à Monteléon au commencement de juin 1718, avouant cependant que les hommes ayant fait ce qu'ils pouvaient, le succès dépendait de la bénédiction de Dieu; mais ces dispositions suffisaient, disait le cardinal, pour faire voir au roi d'Angleterre qu'il se trompait s'il croyait traiter un roi d'Espagne à l'allemande; car enfin Sa Majesté Catholique se mettait en état de faire de temps en temps de ces sortes de coups qui devraient donner à penser à quelqu'un, et si, plutôt que de porter ses forces en Italie, elle les eût fait passer en Écosse sous le commandement de ce galant homme pour lors relégué à Urbin et demandant secours à tout le monde, peut-être que le roi Georges eût fait ses réflexions avant que d'envoyer une escadre dans la Méditerranée; mais il paraissait que Dieu aveuglait ce seigneur, permettant qu'il travaille contre son propre bien, et comme conduit par un esprit d'erreur qui ne lui permettait pas de se laisser persuader par les raisons les plus claires, les plus convaincantes et les plus conformes à ses véritables intérêts.
Albéroni ne traitait pas le régent plus favorablement que le roi d'Angleterre: tous deux selon lui ne pensaient qu'à leurs intérêts particuliers, et tous deux prenaient, disait-il, de fausses routes pour arriver à leur but. L'un, selon lui, sacrifiait à cet objet la nation Anglaise, et, l'autre la française. Enfin, sortant des bornes du simple raisonnement, il se porta jusqu'à dire à Nancré, de la part du roi d'Espagne, de cesser absolument de parler du projet à Sa Majesté Catholique, pour ne pas obliger sa patience royale à sortir des règles usitées à l'égard des ministres étrangers. Cette espèce de menace ne regardait pas personnellement Nancré, car Albéroni déclara souvent qu'il avait lieu d'être content de sa conduite; qu'elle ne pouvait être plus sage ni plus mesurée, ayant une mauvaise cause à défendre. Il ajoutait à cet éloge un parallèle peu obligeant pour l'abbé Dubois, qu'il traitait de nouveau ministre, d'artisan de chimères, agent des passions d'autrui (point du tout, mais des siennes), d'homme qui avait mis tout son génie à vendre et à débiter ses artifices par cabale et par mille menteries (c'était bien là le vrai portrait de tous les deux), mais dont l'orviétan trouvait peu de débit, parce que tout homme d'honneur était persuadé que ses manèges n'aboutiraient qu'à décréditer son maître et à l'engager dans le précipice. La conséquence et la conclusion de tous ces discours étaient que ceux qui se donnaient pour amis du roi d'Espagne avaient enfui poussé son flegme au point de jouer à jeu découvert, et de prendre en main toutes les armes qu'il croirait utiles à la défense de son honneur et de la monarchie; qu'il serait vaillamment secondé par la nation espagnole généralement occupée du désir de contribuer de son sang, de son bien, enfin de tout ce qu'elle possédait, pour servir le roi son maître, qu'elle était transportée de joie de voir une narine et tant de forces, que Sa Majesté Catholique avait mises sur pied; que les Espagnols disaient unanimement: si l'on avait tant fait en peu de temps, que pourrait-on faire à l'avenir? que le moindre d'entre eux se croyait conquérant de nouveaux mondes; que l'Espagne enfin était en pleine mer, et qu'il fallait ou périr ou parvenir au port. Albéroni s'expliqua dans le même sens et dans les mêmes termes à peu près avec le colonel Stanhope.
Cet envoyé avait reçu de Londres l'ordre de représenter les raisons qui empêchaient le roi d'Angleterre d'acquiescer à la proposition que le roi d'Espagne avait faite, de garder la Sardaigne en souscrivant au projet du traité. Stanhope crut adoucir ce refus en l'ornant de toutes les expositions que le roi son maître lui avait prescrites, pour persuader le cardinal que ce prince était plus touché que personne de l'honneur et des intérêts de Sa Majesté Catholique, et que c'était même en cette considération qu'il croyait important de ne rien innover au projet de traité, parce qu'il fallait éviter de fournir à l'empereur le moindre prétexte de changer de sentiment, au moment qu'il dépendait de lui de faire la paix avec les Turcs. Albéroni ne parut point touché de ces marques de considération., que Stanhope lui voulait faire valoir. Il répondit qu'il regardait toujours le plan comme désavantageux, déshonorant pour l'Espagne, et comme dressé avec beaucoup de partialité en faveur de l'empereur; que, si le roi d'Angleterre et le régent étaient résolus à refuser tout changement, le roi d'Espagne l'était aussi de rejeter tout l'ouvrage, et que, par cette raison, il était inutile de traiter davantage; qu'il attaquerait l'empereur avec toute la vigueur possible, quand même toute l'Europe le menacerait de lui déclarer la guerre, qu'il en attendait l'effet avant que de changer de résolution; que, si les événements lui étaient contraires, il se retirerait auprès de sa cheminée, et tâcherait de s'y défendre, n'étant pas assez don Quichotte pour attaquer tout le genre humain; mais aussi qu'il aurait l'avantage de connaître ses ennemis, et que peut-être il trouverait le temps et l'occasion de faire sentir sa vengeance; qu'il préférait donc un parti honorable à celui de se soumettre à des conditions infâmes. Cette déclaration fut soutenue d'une description pompeuse des forces d'Espagne. Si le pouvoir de cette couronne était demeuré comme éclipsé pendant plusieurs siècles, la faute; dit Albéroni, devait en être imputée, à ceux qui, se trouvant à la tête des affaires, les avaient follement et pitoyablement administrées. Mais au moment présent les finances du roi d'Espagne étaient dans un état florissant. Ce prince ne devait rien, son bonheur ayant été de manquer de crédit pour emprunter dans les conjonctures fatales où il aurait regardé comme un bien les moyens de se ruiner. Il pouvait donc, disait le cardinal, soutenir désormais la guerre sans le secours de personne, et déjà les fonds étaient réglés pour les dépenses d'une seconde campagne.
L'ostentation d'un pouvoir, dont il était permis aux étrangers de douter, aurait peut-être fait peu d'impression sur les Anglais. Comme il fallait les toucher par quelque intérêt plus sensible et plus pressant pour la nation, Albéroni déclara nettement à l'envoyé d'Angleterre que le roi d'Espagne ne permettrait pas à la compagnie Anglaise du Sud d'envoyer dans le cours de cette même année le vaisseau qu'elle avait droit de faire passer tous les ans dans les Indes espagnoles, en vertu du traité d'Utrecht. Ce refus n'était ni l'effet ni l'apparence d'une rupture prochaine. Albéroni prit pour prétexte l'excès des marchandises d'Europe portées aux Indes en contrebande, et promit qu'au lieu d'un vaisseau les Anglais auraient l'année suivante permission d'en envoyer deux dans la mer du Sud. Mais en même temps qu'il relevait l'avantage que la nation Anglaise retirerait de ce changement, il ne put s'empêcher de laisser échapper avec colère, soit malgré lui, soit à dessein; que l'Espagne n'aurait plus d'égard aux traités faits avec l'Angleterre; que Stanhope ne recevrait désormais aucune réponse favorable sur les mémoires qu'il pourrait donner, parce que, dans la situation où se trouvaient les affaires, le roi catholique n'avait que trop de sujets de regarder le roi d'Angleterre comme ennemi. Stanhope, étonné de l'emportement du cardinal, et persuadé que les menaces qu'il laissait échapper seraient suivies de l'effet prochain, crut à propos de lui représenter qu'au moins, en cas de rupture, les traités fixaient un temps aux marchands des deux nations pour retirer leurs personnes et leurs effets. Albéroni répondit avec encore plus de chaleur qu'auparavant, que sitôt que l'escadre Anglaise paraîtrait dans la Méditerranée, les Anglais devaient s'attendre à être maltraités dans toutes les circonstances imaginables. Les vivacités d'Albéroni furent mêlées de mots entrecoupés du prétendant, de dispositions que le parlement prochain de la Grande-Bretagne témoignerait vraisemblablement à l'égard de la guerre d'Espagne, de raisonnements et de pronostics sur la nécessité où l'Espagne et l'Angleterre se trouveraient indispensablement réduites de périr l'une ou l'autre; enfin de tant de mouvements de colère, et si vifs, de la part du premier ministre, que Stanhope, au sortir de l'audience, dépêcha sur-le-champ des courriers aux consuls Anglais de tous les ports d'Espagne pour leur enjoindre de mettre sous leur garde tous les effets appartenant aux marchands de leur nation. On doutait cependant encore à Madrid des intentions du roi d'Espagne. Quelques ordres donnés pour différer de quelques jours le départ de la flotte fit croire que Sa Majesté Catholique pourrait enfin accepter le projet, malgré tant de démonstrations contraires qu'elle avait données au public. Les ministres de Sicile parurent plus inquiets et plus alarmés du soupçon qu'ils eurent d'une intelligence prochaine du roi d'Espagne avec l'empereur, que de la crainte qu'ils avaient eue que la Sicile ne fût effectivement l'objet de l'entreprise. Lascaris, entre autres, observa qu'Albéroni ne donnait que le titre de duc de Savoie au roi de Sicile, dans une lettre que ce premier ministre lui communiqua, et qu'il écrivait au prince de Cellamare. C'était un grand sujet de réflexions pour les ministres d'un prince défiant, qui d'ailleurs soupçonnaient avec beaucoup de raison la bonne foi et la sincérité du cardinal.
Il était parvenu à persuader au nonce Aldovrandi que c'était contre son avis et contre son sentiment que le roi d'Espagne s'engageait dans la guerre. Il se lit même honneur d'avoir disposé ce prince à l'accommodement; mais il prétendit que toutes ses mesures avaient été rompues par l'opiniâtreté de la reine, si entêtée du projet de guerre, et des avantages particuliers qu'elle se proposait d'en tirer, qu'il y avait eu à cette occasion une contestation très vive entre le roi et elle; que, se regardant elle-même, elle ne pouvait renoncer aux vastes espérances qu'elle avait conçues du succès, et que, quoique tout le monde le regardât comme impossible, elle persistait cependant dans l'idée qu'elle avait formée dès le commencement; qu'elle se fiait en la force des armées de terre et de mer jusqu'au point de croire que la France ne pressait la paix que poussée par la crainte qu'elle avait des succès et du pouvoir du roi d'Espagne. C'était à cette raison que le cardinal attribua l'inutilité des dernières instances de Nancré, qui avait déclaré formellement que la France et l'Angleterre s'opposeraient de toutes leurs forces aux entreprises de l'Espagne. L'autorité de la reine avait tout entraîné sans laisser le moindre crédit aux, avis contraires au sien. Albéroni, voulant flatter Rome, laissa croire qu'il avait proposé au roi d'Espagne de faire passer sa flotte en Afrique, d'employer ses troupes à faire la conquête d'Oran, à délivrer Ceuta, et ruiner Alger par les bombes. Il demanda cependant un profond secret d'un projet qui pouvait réussir encore si le roi d'Espagne faisait la paix avec l'empereur. Albéroni savait bien qu'un tel mystère serait de peu de durée, car en même temps il fit savoir aux ministres d'Espagne employés au dehors qu'il n'était plus question de parler d'un traité si contraire à l'honneur du roi d'Espagne, et si fatal à ses intérêts; qu'il ne céderait donc qu'au seul cas de la dernière extrémité, et que, se conformant alors à la nécessité des temps, il attendrait des conjonctures plus favorables pour reprendre les délibérations, et les mesures qui conviendraient le mieux à son honneur.
Beretti eut ordre de déclarer particulièrement aux États-généraux les sentiments du roi d'Espagne. Ce prince voulut qu'il leur dît en termes clairs que jamais il ne se soumettrait à la loi dure et inique que la France et l'Angleterre prétendaient lui imposer; qu'il n'admettait ni n'admettrait jamais les conditions honteuses d'un projet qui blessait également son honneur et sa satisfaction. Sa Majesté Catholique voulut que son ambassadeur avertît les États généraux, comme puissance amie, des engagements où le roi d'Angleterre et le régent avaient dessein de les entraîner; qu'il ouvrît les yeux à ceux qui gouvernaient la république, afin de leur découvrir et de leur faire éviter le piège où on voulait les faire tomber, d'autant plus dangereux que ces deux princes prétendaient pour leurs fins particulières conduire effectivement cette république à sa ruine, sous l'apparence trompeuse de ne vouloir point de guerre aux dépens même d'une paix de peu de durée. Beretti eut ordre d'ajouter que le roi son maître serait affligé, même offensé, si les États généraux se conduisaient en cette occasion d'une manière contraire au bien public et à la continuation de l'amitié et de la bonne correspondance; car ils forceraient Sa Majesté Catholique à faire usage des conjonctures que le temps et la justice de sa cause lui fourniraient, et ce serait à regret qu'elle se verrait obligée de prendre les mesures et les résolutions qui lui conviendraient davantage.
La flotte avait déjà mis à la voile pour faire le trajet de Cadix à Barcelone, lorsque ces déclarations furent faites. Aldovrandi avait déjà employé son industrie à persuader le pape que les intentions d'Albéroni étaient bonnes, et que, si les effets n'y répondaient pas, on devait l'attribuer à la situation présente de l'Espagne, qui ne permettait pas au premier ministre de faire généralement tout ce qu'il voulait, car il avait à combattre les préventions de la reine, persuadée que son intérêt ‘et celui de ses enfants était que la guerre se fît en Italie. Mais lorsque la flotte fut partie, Aldovrandi, désabusé trop tard, changea de sentiment à l'égard d'Albéroni. L'objet de l'entreprise était encore un secret; mais le nonce ne douta plus que, quel que fût le dessein du roi d'Espagne, l'Italie n'en sentît, le principal dommage, et tel que la paix qui ne pouvait être éloignée ne réparerait pas les pertes, et peut-être la destruction totale que la guerre lui aurait causée. Il avertit le pape qu'il ne fallait compter ni sur la piété, ni sur les bonnes intentions du roi d'Espagne, parce que ce prince souvent malade était hors d'état de s'appliquer aux affaires, et qu'elles étaient souverainement gouvernées par un premier ministre plein de ressentiment, et vivement piqué des refus qu'il essuyait de la cour de Rome. Tout était à craindre de sa vengeance, et le pape, naturellement porté à s'alarmer facilement, avait lieu d'être encore plus intimidé par les prédictions fâcheuses que lui faisait son ministre à Madrid, et par les avis réitérés qu'il lui donnait de veiller sur toutes choses à prévenir les premières tentatives que les troupes espagnoles pourraient faire sur l'État ecclésiastique. Albéroni, de son côté, n'oubliait rien pour augmenter les frayeurs du nonce et celles du pape. Il faisait dire à Sa Sainteté que c'était elle qui servait plutôt que le roi d'Espagne, en la pressant d'accorder les bulles de Séville, lui laissant assez entendre ce qu'elle avait à craindre d'un plus long refus. Elle y persistait cependant, et le cardinal Acquaviva, ayant inutilement insisté pour vaincre sa résistance, se crut enfin obligé d'exécuter les ordres qu'il avait reçus à Madrid, de rompre ouvertement avec la cour de Rome. Avant que d'en venir à cette extrémité, il avait pris toutes les voies qu'il croyait propres à persuader au pape de l'éviter; un accommodement avec l'Espagne ne convenait pas à Sa Sainteté; elle était moins alarmée des effets incertains du ressentiment du roi d'Espagne, qu'elle n'était effrayée de la vengeance prochaine et facile dont les Allemands la menaçaient continuellement, soit que l'empereur fût véritablement persuadé d'une intelligence secrète entre la cour de Rome et celle de Madrid, soit que ce prince crût de son intérêt de conserver longtemps un pareil prétexte, dont il se servait utilement pour intimider lepapeetpour le tenir dans une dépendance continuelle.
Les vues de l'empereur réussirent si bien qu'Acquaviva devint l'objet de toute la colère de Sa Sainteté. Il ne reçut d'elle que des réponses dures. Lorsqu'il insistait sur les bulles de Séville, il demandait des réparations publiques et authentiques de tous les affronts et de tout le préjudice que l'immunité ecclésiastique avait reçus en Espagne. Un des principaux chefs sur cet article était le séquestre et l'emploi que le roi d'Espagne avait fait pour son usage des revenus des églises vacantes de Vich et de Tarragone, et la jouissance des revenus de celles de Malaga et de Séville qu'Albéroni s'était en même temps attribués. Toutefois, ne voulant pas que la rupture vînt de sa part, et suivant en cette occasion son caractère incertain et indécis, [le pape] dit à Acquaviva de conférer avec le cardinal Albane. Mais ces conférences ne conduisirent à rien de certain, en sorte que les ordres du roi d'Espagne étant précis et pressants, Acquaviva jugea qu'il devait enfin les exécuter, et pour cet effet, il fit dire à tous les Espagnols qui étaient à Rome d'en sortir incessamment. Ils obéirent tous, et leur soumission surprit la cour de Rome. Le pape parut embarrassé, et laissa voir qu'il n'aurait jamais cru que le roi d'Espagne prît une telle résolution, et qu'il croyait encore moins que les ordres de Sa Majesté Catholique fussent exécutés et suivis avec autant d'exactitude.
Le cardinal del Giudice, moins prompt à obéir, voulut tourner en ridicule, et la résolution prise à Madrid, et l'effet qu'elle avait eu à Rome. Il dit que cette expédition éclatante avait fait rire tout le monde; que ceux qui voulaient flatter le conseil d'Espagne disaient qu'elle avait été concertée avec le pape, et que le véritable dessein était de tromper les Allemands et de leur déguiser l'intelligence secrète que. Sa Sainteté avait avec le roi d'Espagne; qu'il serait cependant difficile de les abuser longtemps, et que, si le nonce demeurait encore à Madrid sous quelque prétexte et sous quelque figure que ce pût être, son séjour en cette cour découvrirait la vérité. Giudice, tournant en dérision l'obéissance des Espagnols envers le roi leur maître, croyait justifier le refus qu'il faisait depuis quelque temps d'obéir à l'ordre qu'Acquaviva lui avait fait présenter de la part du roi d'Espagne de faire ôter le tableau des armes d'Espagne qu'il avait sur la porte de son palais, ainsi que les cardinaux et les ministres des princes étrangers ont coutume d'élever sur la porte des leurs les armes des princes qu'ils servent ou à qui ils sont attachés véritablement. Il avait espéré que le régent intercéderait pour lui auprès du roi d'Espagne, et que ses puissants offices procureraient la révocation d'un ordre qu'il attribuait au crédit absolu de son plus mortel ennemi; mais l'ordre n'ayant pas été révoqué, il fallut enfin se soumettre. Le pape même le pressa de prendre ce parti nécessaire, un particulier ne pouvant longtemps tenir tête à un grand roi. Giudice, en obéissant, protesta que jamais il n'arborerait les armes d'une couronne qui rejetait ses services, et se félicitant d'être libre désormais, il paraissait résolu d'éviter tout commerce avec les Allemands; mais, soit désir de les servir, soit qu'il craignît effectivement les effets de leur ressentiment à l'égard de sa famille, il avertit souvent Cellamare, son neveu, de songer sérieusement aux mauvais offices qu'on lui avait rendus à Vienne, et de prévenir les suites qu'ils pourraient avoir.
Cette cour avait envoyé au comte de Gallas, ambassadeur de l'empereur à Rome, plusieurs pièces, dont on disait que les unes étaient originales et les autres légalisées, toutes servant à prouver une intelligence secrète entre le roi d'Espagne et le Grand Seigneur, liée et contractée par le moyen de Cellamare. Le bruit courait que, parmi, ces pièces, il y avait plusieurs lettres originales de lui et du prince Ragotzi. Gallas, en les communiquant au pape, lui avait dit en forme de menace que l'empereur serait attentif à la conduite de Sa Sainteté, et qu'elle servirait de règle aux mesures qu'il croirait devoir prendre. C'en était assez pour faire trembler Rome, et plus qu'il n'en fallait pour faire trembler en particulier un Italien dont les biens étaient situés dans le royaume de Naples, sous la domination de l'empereur. Cellamare avait encore ajouté un autre motif à la colère de ce prince. Il avait écrit une lettre où, rejetant comme calomnie ce que les Allemands avaient publié de ses négociations avec la Porte, il s'était répandu en invectives sur la mauvaise foi de la cour de Vienne. Acquaviva communiqua cette lettre au pape, en distribua différentes copies, et pour la rendre plus intelligible aux Romains, il la fit traduire en italien. Il dit même qu'il la ferait imprimer; en sorte que, sous prétexte de relever et de faire valoir le zèle de l'ambassadeur d'Espagne pour son maître, il suscitait en effet, et faisait retomber toute la vengeance de l'empereur sur la famille des Giudice. Le cardinal, persuadé que tout ce que faisait Acquaviva n'était que par malignité, avertit son neveu de prendre garde aux conséquences fâcheuses qu'il devait craindre d'un pareil écrit, le danger étant pour lui d'autant plus grand que le roi d'Espagne venait d'ordonner à son ministre à Rome de mépriser les vains discours des Allemands. Ainsi l'ambassadeur d'Espagne paraissait en quelque façon abandonné du roi son maître, et livré à ce que voudraient faire contre lui les ministres de l'empereur qui trouveraient également à satisfaire et leur vengeance et leur avidité, en retenant, lors d'un traité de paix, les biens confisqués dont ils étaient en possession dans le royaume de Naples; mais cet ambassadeur était alors moins occupé de ses propres intérêts du côté de l'Italie qu'il ne l'était d'animer et de fortifier les intrigues et les cabales secrètes qu'il entretenait depuis quelque temps à la cour de France, sous l'espérance de secours infaillibles et puissants de la part du roi d'Espagne.
Cellamare se flattait que, s'il réussissait dans l'affaire du monde qui touchait le plus sensiblement le roi d'Espagne, et qui satisfaisait en même temps le goût et la vengeance de son premier ministre, la récompense qu'il tirerait d'un pareil service le dédommagerait abondamment des pertes qu'il comptait avoir déjà faites dans le royaume de Naples. Il travaillait donc, et connaissant parfaitement la nécessité du secret, il aimait mieux laisser le roi son maître quelque temps dans l'ignorance du progrès de ses manèges que s'en expliquer autrement que par des voies bien sûres, telles par exemple que les voyages que quelques officiers espagnols ou wallons avaient occasion de faire à Paris et à Madrid, et c'était ordinairement par les mêmes voies qu'il recevait les réponses et les ordres de Sa Majesté Catholique. Il se défiait même des courriers, en sorte que, lorsqu'il était obligé d'écrire par cette voie, il ne s'expliquait jamais clairement; mais, enveloppant ses relations de voiles, il disait, par exemple, qu'il préparait les matériaux nécessaires et qu'il s'en servirait en cas de besoin, que les ouvriers contribuaient cordialement à les lui fournir. Quelquefois il laissait entendre qu'il se défiait de quelques-uns de ceux qui entraient dans ces intrigues. Enfin il cachait le mieux qu'il lui était possible, sous différentes expressions figurées ce qu'il voulait et ce qu'il n'osait exposer clairement aux yeux de son maître. Deux circonstances flattaient alors l'ambassadeur d'Espagne, et lui faisaient espérer un succès infaillible des intrigues qu'il avait formées. L'une était la division qui éclatait ouvertement entre le régent et le parlement de Paris. Cellamare, persuadé du poids que l'exemple et l'autorité de cette compagnie devait avoir dans les affaires publiques, traitait de héros les officiers qui la composaient. Il assurait que leur constance surpassait toute croyance; que ceux d'entre eux qui souffraient quelque mortification s'en réjouissaient comme s'ils étaient couronnés parla gloire du martyre; que jusqu'alors ils n'étaient soutenus que par la bienveillance et par les applaudissements du public, mais que bientôt l'intérêt commun et le bien de l'État unirait les autres parlements du royaume à celui de Paris, et que cette union mutuelle causerait immanquablement des nouveautés imprévues.
L'autre circonstance dont l'ambassadeur d'Espagne espérait profiter pour les intérêts du roi son maître était celle de la division que la bulle Unigenitus excitait plus fortement que jamais, non seulement dans le clergé, mais encore dans tous les états du royaume. Il semblait que l'expédition des bulles nouvellement accordées, par le pape devait calmer pour quelque temps cette agitation. Mais le nonce Bentivoglio était le premier à détruire le bon effet que cette démarche sage du pape aurait dû produire, et les déclamations imprudentes de ce ministre rallumaient le feu dans le temps que son maître témoignait avoir intention de l'apaiser. Ainsi les partisans de Rome qui désiraient le véritable bien de cette cour commençaient à craindre les résolutions que la France serait obligée de prendre pour prévenir celles du Vatican. Ils ne doutaient pas que le régent ne consentît enfin à l'appel général de la nation, etc.
D'un autre côté, le régent avait sur les bras des affaires qui pouvaient devenir très sérieuses, et l'embarrasser de manière qu'il se trouverait dans un triste état, s'il avait en même temps à soutenir des démêlés avec la cour de Rome. Ces affaires étaient celles qui survinrent alors à l'occasion des monnaies. Le nonce, ajoutant foi aux bruits de ville; croyait, ainsi que les autres ministres étrangers, que la cour et le parlement prenaient réciproquement des engagements dont les suites seraient considérables. Ces ministres en attendaient l'événement avec différentes vues. L'ambassadeur d'Espagne se flattait que l'opposition du parlement aux résolutions que le régent prenait sur la monnaie donnait à penser à Son Altesse Royale sur la négociation du traité d'alliance, et que la réflexion qu'elle faisait sur la disposition générale des esprits ne contribuait pas moins que les représentations de la cour d'Espagne à ralentir l'ardeur qu'on avait fait voir en France pour la conclusion de ce traité. Les agents du roi d'Angleterre jugeaient, au contraire, que les embarras suscités au régent par le parlement le persuaderaient encore davantage du besoin qu'il avait de se faire des amis; qu'il comprendrait qu'il ne pouvait en avoir de plus puissants que l'empereur et le roi d'Angleterre; que ce serait, par conséquent, une nouvelle raison pour lui de s'unir avec ces princes, trouvant chez lui si peu de satisfaction.
Le comte de Kœnigseck, ambassadeur de l'empereur, suivant le génie des ministres autrichiens, voulait, quoique d'ailleurs honnête homme, trouver à redire et donner un tour de mauvaise foi à toute la conduite du régent. Le style de la cour de Vienne, et le moyen de lui plaire est depuis longtemps d'interpréter à mal toutes les démarches de la France, et la suprême habileté d'un ministre de l'empereur est de croire, d'écouter de fausses finesses et de secondes intentions dans les résolutions les plus simples. Ainsi Koenigseck prétendait avoir découvert que le régent commençait à changer de langage; que Son Altesse Royale ne lui parlait plus avec la franchise et la vivacité qui faisaient juger quelque temps auparavant la prompte conclusion du traité. Il remarquait, comme une preuve indubitable de ce changement et du désir de ralentir la négociation, les différentes propositions que ce prince avait faites pour assurer les principales conditions de l'alliance. Comme un des articles les plus essentiels était celui de la succession des États de Parme et de Toscane, Son Altesse Royale avait proposé que la garde des places fortes de ces deux États fût commise à des garnisons suisses. Rien n'était moins du goût des ministres de l'empereur. Koenigseck crut avoir pénétré par les discours de Stairs que, les garnisons suisses rejetées, on proposerait de substituer en leur place des garnisons Anglaises et Hollandaises. L'empereur, qui n'en voulait aucune, ne s'en serait pas mieux accommodé; mais son ambassadeur lui conseilla de l'accepter, persuadé que la France elle-même n'y consentirait jamais. Les variations de la cour au sujet de l'alliance étaient, selon lui, le triomphe des anciens ministres toujours opposés à ce projet; mais il prévoyait que le régent serait la victime de la victoire qu'ils remportaient, et que ces mêmes ministres, dévoués à l'Espagne, l'entraîneraient insensiblement en de tristes affaires.
Il y avait alors grand nombre de gens, et principalement les étrangers, qui regardaient comme un abîme ouvert sous les pieds du régent les brouilleries que l'affaire des monnaies excitait entre la cour et le parlement, et ces mêmes gens étaient persuadés que les autres parlements du royaume suivraient incessamment l'exemple de celui de Paris. Stairs, de son côté, paraissait mécontent de quelque refroidissement qu'il avait cru remarquer dans la confiance que le régent lui avait témoignée jusqu'alors. Son Altesse Royale lui avait communiqué un mémoire qu'elle voulait envoyer en Angleterre; comme il y fit quelques remarques, elle eut égard à ses représentations et promit de s'y conformer. Il prétendit qu'elle lui avait promis de lui faire voir une seconde fois le projet quand il serait changé. Toutefois les changements faits, elle envoya ce projet en Angleterre, même avec quelques additions, sans le communiquer, et ce ne fut qu'après le départ du courrier que Stairs en reçut la copie. Il s'en plaignit. Le régent lui répondit qu'il avait apostillé chaque article du mémoire de sa propre main. Stairs, peu satisfait de la réponse, fit partir sur-le-champ un courrier pour informer son maître de ce qu'il s'était passé, et de plus, il obligea Schaub, l'homme de confiance de Stanhope, de passer lui-même en Angleterre pour instruire plus particulièrement les ministres de cette cour de la situation et du véritable état des affaires de France.