1718
Conduite des bâtards. — O et Hautefort détournent le comte de Toulouse de suivre la fortune de son frère. — Caractère et propos d'Hautefort à son maître. — Conversation entre Valincourt et moi sur le comte de Toulouse et les bâtards. — Il revient aussi me faire les remercîments du comte de Toulouse et m'assurer qu'il s'en tiendra à sa conservation. — Le comte de Toulouse voit le régent, vient au conseil. — Le duc et la duchesse du Maine se retirent à Sceaux. — Le comte de Toulouse et Mme Sforze blâment fortement et souvent Mme la duchesse d'Orléans de ne me point voir. — Elle est outrée qu'il n'ait pas suivi le duc du Maine, qui est fort mal traité par sa femme. — Séditieux et clandestin usage de feuilles volantes en registres secrets du parlement. — Le premier président mandé et cruellement traité par la duchesse du Maine. — Blamont, président aux enquêtes, et deux conseillers enlevés et conduits en diverses îles du royaume. — Mouvements inutiles du parlement. — Effet de ce lit de justice au dehors et au dedans du royaume Raisons qui me détournèrent de penser alors à l'affaire du bonnet. — M. le Duc en possession de la surintendance de l'éducation du roi. — Sage avis de Mme d'Aligre. — Mauvaise sécurité du régent. — Création personnelle d'un second lieutenant général des galères en faveur du chevalier de Rancé. — Folie du duc de Mortemart, qui envoie au régent la démission de sa charge pour la seconde fois. — Je la fais déchirer avec peine, et j'obtiens après la survivance de sa charge pour son fils. — Ma dédaigneuse franchise avec le duc de Mortemart. — Survivances des gouvernements du duc de Charost à son fils; de grand maître de la garde-robe; des gouvernements de Normandie et de Limousin, aux fils des ducs de La Rochefoucauld, de Luxembourg et de Berwick, et du pays de Foix au fils de Ségur, qui épouse une bâtarde, non reconnue, de M. le duc d'Orléans. — La Fare, lieutenant général de Languedoc, et l'abbé de Vauréal maître de l'oratoire. — Gouvernement de Douai à d'Estaing. — Mme la duchesse d'Orléans, qui s'était tenue enfermée depuis le lit de justice, revoit le monde et joue.
Le duc du Maine et le comte de Toulouse, au sortir du cabinet du conseil, descendirent dans l'appartement du duc du Maine, où ils s'enfermèrent avec leurs plus confidents. Ils les surent si bien choisir, que nul n'a su ce qu'il s'y passa. On peut, je crois, sans jugement téméraire, imaginer qu'il s'y proposa bien des choses que la sagesse du comte de Toulouse empêcha moins que le peu d'ordre et de préparation de la cabale, et la prompte venue du parlement en trouble, qui ne donna pas loisir d'y faire des pratiques. Le cardinal de Polignac y fut toujours avec eux et leurs principaux amis en très petit nombre. Je n'ai jamais compris comment ils ne tentèrent pas de se trouver au lit de justice, pour y parler et y faire tous leurs efforts. La faiblesse qu'ils connaissaient si bien dans le régent, surtout en face, les y devait convier puissamment; mais la peur extrême, qui fut visible dans le duc du Maine, ne lui permit pas sans doute d'y penser, encore moins de se hasarder à rien. Il avait vu le régent si libre dans sa taille, qu'il ne douta jamais qu'il ne fût bien préparé à tout; et moins un grand coup, et si secrètement préparé était de son génie, plus il redouta tout ce qu'il en ignorait. Quoi qu'il en soit, le comte de Toulouse n'en sortit pour aller chez lui qu'après cinq heures du soir, où il fit contenance de vouloir s'en aller à la suite de son frère. Ils n'avaient rien su de précis qu'après le lit de justice, et ils avaient eu trois heures à raisonner ensemble depuis.
La différence mise entre les deux frères combla la douleur de l'aîné et le dépit de sa femme, et les remua plus que tout le reste à persuader au comte de Toulouse de suivre leur fortune. Il témoigna chez lui son penchant à le faire; mais d'O, qui avait conservé sur son esprit comme dans sa maison une espèce de majordomat d'ancien gouverneur, l'en détourna. Ce n'était pas qu'il ne fût fort attaché au duc du Maine; mais il l'était plus encore à son intérêt, qui n'était pas d'anéantir son maître et de le confiner à la campagne. On sut après que la franchise avec laquelle le chevalier d'Hautefort lui avait parlé acheva de lui faire prendre le bon parti. Le chevalier d'Hautefort était son écuyer et lieutenant général de mer, frère du premier écuyer de Mme la duchesse de Berry, de Surville, qui avait eu le régiment du roi, si connu par ses disgrâces, et d'Hautefort, lieutenant général, mort depuis chevalier de l'ordre, fort fâché avec raison de n'être pas maréchal de France. Hautefort, [écuyer] du comte de Toulouse, était un rustre qui, sans aucune vertu ni philosophie, s'était persuadé d'affecter l'une et l'autre pour se faire admirer aux sots, et sa place auprès du comte de Toulouse l'avait fait arriver à bon marché dans la marine. Il lui dit nettement qu'il était la dupe de gens qui ne l'avaient jamais aimé, qui avaient toujours tout fait sans lui, qui s'étaient mis eux et leurs enfants sur sa tête, et dont les entreprises folles les avaient conduits au point où ils se trouvaient; que, quelque douloureuse que lui fût une chute, elle lui valait une distinction inouïe et la plus flatteuse; que c'était à lui à peser s'il voulait abandonner et perdre cette même distinction et toutes les fonctions de ses charges, pour suivre une folle et un homme qui en eux-mêmes s'en moqueraient de lui, et s'enterrer tout vif dans Rambouillet avant quarante ans, où, après les premiers jours d'admiration des sots, chacun le laisserait là et trouverait son choix ridicule, dont il aurait tout le temps de s'ennuyer et de se repentir. Que pour lui, il lui disait librement qu'ayant tant fait que d'être à lui, il avait compté être avec un prince du sang, vrai ou d'apparence, non à un particulier, et être avec un amiral auprès de qui il mènerait dans son métier une vie agréable et considérée; qu'il serait ravi sur ce pied-là de demeurer toute sa vie avec lui, mais que, pour s'enfouir tout vivant dans Rambouillet, il le priait de n'y pas compter; que tout ce qu'il y avait de bon chez lui pensait de même, et prendrait son parti les uns après les autres; que pour lui, il aimait mieux le lui dire tout d'un coup.
On assure que rien ne donna tant à penser au comte de Toulouse que cette déclaration si prompte. Il se considéra tout seul à Rambouillet hors d'état et de volonté de rien entreprendre, en risque d'être dégradé comme son frère, pour son refus d'accepter le bénéfice de la déclaration en sa faveur; tiraillé entre la reconnaissance qu'elle méritait, même aux yeux du monde et la dépendance de la fortune et des caprices d'une folle qu'il abhorrait, et d'un frère qu'il n'aimait ni n'estimait. Les suites le firent trembler, et il prit son parti de conserver son rang et son état ordinaire. Lui et son frère allèrent le soir au Palais-Royal voir Mme la duchesse d'Orléans, comme je l'ai dit, tandis que Mme du Maine et ses enfants se retirèrent à l'hôtel de Toulouse, où ils les trouvèrent au retour. On peut juger de la soirée; le maréchal de Villeroy, M. de Fréjus et très peu d'autres les y virent. Le lendemain, samedi, Mme la duchesse d'Orléans y alla; nouvelles douleurs, Mme du Maine au lit, immobile comme une statue.
Ce même samedi, lendemain du lit de justice, j'envoyai prier Valincourt de venir chez moi. Il y vint. Je lui parlai franchement sur le choix que le comte de Toulouse avait à faire. Je ne lui dissimulai point ce que j'avais voulu parer, et que n'ayant pu sauver l'éducation, ce que j'avais obtenu sur le rang; que c'était moi qui avais imaginé, proposé, et fait agréer la déclaration en faveur du comte de Toulouse. Je le fis souvenir que je ne m'étais jamais caché sur le rang des bâtards, et je le priai de parler si fortement à son maître, qu'il ne se perdît pas pour son frère. Valincourt convint que j'avais raison, et me pria qu'il pût dire au comte de Toulouse l'obligation qu'il m'avait. C'était bien mon dessein; surtout je le pressai de faire que, dès le lendemain dimanche, le comte de Toulouse se trouvât au conseil de régence, et qu'il se défit de ses hôtes au plus tôt. Valincourt en était déjà ennuyé: il revint peu après me faire les remercîments du comte de Toulouse, et me dire que, malgré sa douleur et toutes les persécutions de famille, il demeurerait et se trouverait le lendemain au conseil. Cela me rafraîchit fort le sang, car j'en prévoyais l'affaiblissement et la chute même du parti du duc et de la duchesse du Maine, et la division prochaine des deux frères. Il me laissa entendre que le séjour de M. et de Mme du Maine à l'hôtel de Toulouse pesait à tous, et que le lendemain matin, dimanche, ils s'en iraient à Sceaux, où il trouvait indécent qu'ils ne fussent pas encore; je priai Valincourt de savoir du comte de Toulouse s'il voulait compliment ou silence de ma part et de celle de M. le Duc qui en était en peine, qui mourait d'envie de lui marquer son amitié personnelle, et qui s'était adressé à moi pour savoir comment il en devait user à son égard. Valincourt me dit qu'il croyait que le silence conviendrait mieux d'abord, mais qu'il le demanderait franchement de ma part et de celle de M. le Duc, à M. le comte de Toulouse, et qu'il me le ferait savoir. En effet, il m'écrivit dans le soir même que M. le comte de Toulouse sentait moins sa distinction que le malheur de son frère auquel même elle le rendait plus sensible, et qu'il désirait que M. le Duc et moi ne lui dissions rien. Je le fis savoir à M. Duc, et je rendis compte à M. le duc d'Orléans de ce que j'avais fait avec Valincourt, qui fut très aise du parti que prenait le comte de Toulouse, lequel alla voir le régent, le samedi au soir. Cela se passa courtement, mais bien entre eux, à ce que me dit M. le duc d'Orléans.
Le lendemain dimanche, M. et Mme du Maine s'en allèrent à Sceaux. Après leur départ, le comte de Toulouse tint le conseil de marine à l'ordinaire, et vint l'après-dînée au conseil de régence avec un air froid, sérieux et concentré. Il y eut des gens surpris et fâchés de l'y voir. Peu s'approchèrent de lui, et peu après son arrivée, on se mit en place. Dès que je fus assis, je lui dis à l'oreille qu'il était servi comme il l'avait désiré, que je ne lui dirais qu'un seul mot dont je ne pouvais me passer: que c'était, ce jour-là, la première fois que je m'asseyais au-dessous de lui avec plaisir. Son remercîment tint de sa nature; il fut très froid; je ne lui parlai plus de tout le conseil. Ce froid dura quelque temps. Je pense aussi qu'il y crut de la bienséance, et je ne me pressai pas de le réchauffer, mais peu à peu nous revînmes ensemble en notre premier état. Je sus même, par la duchesse Sforze, qu'il blâmait fort Mme la duchesse d'Orléans de ne me point voir, jusqu'à l'en avoir bien fait pleurer, par tout ce que lui et Mme Sforze lui avaient souvent dit là-dessus. Mme la duchesse d'Orléans était outrée de ce qu'il était demeuré, et n'avait rien oublié pour l'engager à suivre le sort de son frère et servir la passion du duc du Maine et la rage de la duchesse du Maine. Plusieurs se firent écrire à l'hôtel de Toulouse. M. le comte de Toulouse, comme je l'ai dit, ne voulut recevoir de compliment de personne, ni M. et Mme du plaine. J'étais quitte du mien par Valincourt, et à l'égard du duc et de la duchesse du Maine, je ne crus pas devoir leur donner aucun signe de vie. Je sus depuis qu'ils se prirent fort à moi de ce qui leur était arrivé, quoique fort sobres en discours. Je me contentai à leur égard d'avoir préféré le bien de l'État à tout le reste, et satisfait de moi-même sur ce point principal, je jouis dans toute son étendue du plaisir de notre triomphe, sans me lâcher aussi en propos, et laissai M. du Maine en proie à ses perfidies, et Mme du Maine à ses folies, tantôt immobile de douleur, tantôt hurlante de rage, et son pauvre mari pleurant journellement comme un veau des reproches sanglants et des injures étranges qu'il avait sans cesse à essuyer de ses emportements contre lui.
Le parlement, retourné à pied des Tuileries au palais, avec aussi peu de satisfaction, par les rues, qu'il en avait eu en venant, y respira de la frayeur et de la honte qu'il avait essuyées, et tâcha de s'en venger clandestinement, en faisant écrire sur une feuille volante de registres secrets et fugitifs, qu'il n'avait ni pu ni dû opiner au lit de justice, et sa protestation contre tout ce qui s'y était fait. Mme du Maine avait envoyé chercher le premier président, sitôt qu'il fut rentré chez lui où on l'attendait de sa part. Il n'osa désobéir, et s'y en alla. Il fut reçu avec un torrent d'injures et de reproches, et traité comme le dernier valet qu'on eût surpris en friponnerie; il n'eut jamais le temps de s'excuser ni de répondre. Elle se prit à lui de n'avoir pas tout empêché et arrêté, et l'accabla de mépris et de duretés les plus cruelles, en sorte qu'après une heure de ce torrent d'horreurs, qu'il lui fallut essuyer, il s'en revint chez lui avec ce surcroît de rage. Nous le sûmes dès le lendemain; on peut juger si je le plaignis, et dans la vérité il leur était trop indignement et abandonnément vendu pour être plaint de personne. Un moins malhonnête homme que lui en serait crevé.
Le lendemain du lit de justice, lundi 29 août, vingt-sept mousquetaires, commandés par leurs officiers, et partagés en trois détachements, avec un maître des requêtes à chacun, allèrent, avant quatre heures du matin, enlever de leur lit et de leurs maisons, Blamont, président aux enquêtes, et les conseillers Saint-Martin et Feydeau de Calendes. Leur frayeur fut mortelle, mais leur résistance nulle. Ils furent mis chacun dans un carrosse, qu'on tenait tous prêts, et séparément conduits, le premier aux îles d'Hyères, le second à Belle-Ile, le troisième dans l'île d'Oléron, sans parler à personne sur la route ni dans le lieu de la prison, et mortellement effrayés de se voir le Mississipi pour leur plus prochaine terre. On ne trouva rien qui valût chez les deux conseillers, mais infiniment chez Blamont, tant à Paris qu'en sa maison de campagne, où un autre maître des requêtes s'était transporté en même temps, en sorte qu'il y eut de quoi admirer l'imprudence ou la sécurité d'un homme qui semblait chercher ce qui lui arriva par ses menées et par l'éclat de sa conduite, et n'avoir pas eu plus de soin à mettre ses papiers à couvert.
Cette capture, qui aurait pu se faire avec moins d'appareil, ne fut pas plutôt sue au palais, que les chambres s'assemblèrent et résolurent une députation aux femmes des exilés pour leur témoigner la part que la compagnie prenait en leur détention, et une autre la plus nombreuse qu'il se pourrait au roi et au régent, pour s'en plaindre. Ils furent donc dès le dimanche matin au Palais-Royal, et l'après-dînée aux Tuileries. Leur harangue, prononcée par le premier président, fut pressante, mais en termes très mesurés et très respectueux. La réponse à toutes les deux fut à peu près de même, grave et vague. Le lundi et le mardi le palais fut fermé, et un avocat, ayant plaidé à la cour des aides, pensa, être chassé de sa compagnie, qui avait résolu de cesser ses fonctions; cependant cette grande résolution, qui allait à suspendre tout cours de justice, qui tendait à soulever le monde et à essayer un second tome du fameux Broussel, de la dernière minorité, ne put se soutenir. Dès le mercredi le parlement reprit de lui-même ses ordinaires fonctions; mais il ordonna aux gens du roi de se trouver tous les matins au Palais-Royal, pour insister sur le rappel de leurs membres. Ce manége, aussi ridicule qu'infructueux, dura jusqu'au 7 septembre. Comme les extrémités sont du goût des Français, il se débita que, la cessation de l'exercice de la justice n'ayant pas réussi, le parlement entreprendrait de ne se point séparer aux vacances, et de continuer à s'assembler après la Notre-Dame de septembre. Néanmoins il n'osa l'attenter. Il laissa seulement commission au président qui devait tenir la chambre des vacations d'aller souvent solliciter auprès du régent le retour de leurs membres. Ce président vit bien, par l'éloignement des lieux, où on sut enfin qu'ils étaient arrivés et détenus sans parler à personne, qu'ils n'étaient pas pour en sortir sitôt, vit le régent deux ou trois fois, et lui épargna ensuite une importunité inutile.
Ainsi finit cette grande affaire, et si importante que le repos de l'État en dépendait, par le consolidement de l'autorité royale entre les mains du régent, en empêchant un partage qui ne lui eût bientôt laissé qu'une représentation vaine et vide, et qui eût attiré toutes sortes de confusions, affaire compliquée dont le succès fut également dû à la diligence et au profond secret, au peu d'arrangement de la cabale qui se formait, et à la faiblesse de ses principales têtes.
L'honneur que cette exécution fit au régent dans les pays étrangers est incroyable. On commença à s'y rassurer de la crainte de ne pouvoir traiter solidement avec un prince qui, semblait se laisser arracher son pouvoir par des légistes : c'est ainsi que le roi de Sicile s'en expliqua en propres ternes à Turin, et que les autres puissances ne s'en laissèrent pas moins clairement entendre.
La consternation du parlement ne fit pas un moindre effet dans le royaume. Les autres parlements, qui tous avaient été sondés, et dont quelques-uns n'avaient pas voulu se joindre à celui de Paris, s'affermirent dans l'obéissance, et les provinces séduites par des pratiques et depuis par l'exemple de l'indépendance, n'osèrent plus montrer d'audace. La Bretagne, dont les états assemblés et le parlement se tournaient ouvertement à la révolte, commença par ce coup à rentrer peu à peu dans l'obéissance, et, s'il y eut nombre de particuliers entraînés depuis par de folles espérances qui se précipitèrent dans la rébellion, le nombre en fut si médiocre, l'espèce si méprisable, les moyens si nuls, et la terreur et les cris si pitoyables dès qu'ils se virent découverts, qu'il n'y eut qu'a les châtier par les voies ordinaires de la justice, sans aucune sorte d'inconvénient ni de suites à en craindre. Voilà comme la fermeté est le salut des États, et comme une débonnaireté et une facilité qui dégénère en faiblesse, opère le mépris et les attentats, précipite tout en dangers et en ruine, et ne se peut relever que par des coups de force où le bonheur ne préside guère moins que la conduite. J'avais tout appréhendé d'un coup double frappé à la fois sur le parlement et sur le duc du Maine, et en effet tout en était à craindre. Le besoin que, dans cette extrémité d'affaires, le régent eut de l'union avec M. le Duc; l'opiniâtreté de M. le Duc à ne plus laisser échapper la surintendance de l'éducation du roi et qui sentit ses forces en cette occasion après tant de fois que M. le duc d'Orléans lui avait donné et manqué de paroles les plus positives là-dessus; ces intérêts divers, mais alors réunis de ces deux princes, chacun pour son but, l'emportèrent sur les plus sages considérations. Le favorable succès me combla de joie, et le délicieux fruit du rang que j'en recueillis me fut d'autant plus précieux que ce grand objet ne me séduisit ni l'esprit ni le coeur, et que je le pus goûter avec toute la paix qu'une conscience pure répand dans l'âme d'un homme de bien qui a sincèrement préféré l'État à soi-même.
Pour achever un morceau si curieux de l'histoire de cette régence, il faut dire pourquoi je ne crus pas à propos de profiter de cette occasion pour le bonnet. Je crus qu'il ne fallait pas surcharger la faiblesse du régent de tant de choses à la fois et ne pas embarrasser l'affaire si principale de la réduction des bâtards au rang de leurs pairies, dont il fallait presque abandonner l'espérance, si nous ne l'obtenions pas à l'occasion du changement de main de l'éducation; ne l'embarrasser pas, dis-je, d'une autre affaire si inférieure à celle-là. Je pensai que le bonnet était une affaire si ridicule en soi du côté des bonnets, et si entamée, qu'il était impossible, que, près ou loin, une chose si juste nous fût refusée, et qu'il était même peu décent pour nous de ne l'obtenir que comme une vengeance du régent dont nous profiterions. Je craignis que le parlement, outré de l'affront qu'il allait recevoir, uni avec le duc du Maine enragé de sa chute, et que l'éclat commun resserrait de plus en plus, se portât à des extrémités dont le monde ne manquerait pas de nous charger, si notre intérêt devenait une des amertumes de cette compagnie. Je sentis toute la différence pour la solidité d'un avantage tel que la réduction des bâtards au rang de leurs pairies, qui aurait M. le Duc pour garant qui, au lieu d'avoir le parlement pour partie, était au contraire conforme à ses usages et à ses règles, d'avec un avantage qui, portant directement sur les présidents à mortier, et par leur intrigue sur le parlement, à qui ils le feraient accroire, n'aurait de garantie que la durée de la colère et de la fermeté d'un régent qui ne connaissait ni l'une ni l'autre, surtout pour les intérêts d'autrui, et qui, suivant son goût, entendrait si volontiers aux prétendus mezzo-termine, rapatriages, conciliations, qui lui pouvaient être opposés dans la suite, par lesquels le régent et le parlement seraient peut-être ravis de sortir d'affaire l'un d'avec l'autre à nos dépens. Ces considérations me firent estimer que l'affaire du bonnet n'était pas de saison, et qu'il fallait quelquefois savoir demeurer en souffrance. Je pensai enfin, mais sans être déterminé par cette raison surabondante et assez peu apparente, que le parlement, touché de cette modération de notre part, sentirait peut-être enfin l'excès, la nouveauté, l'injustice si évidente de l'usurpation de ses présidents à cet égard, et qui n'intéressait le corps du parlement en nulle sorte, l'engagerait à y prendre peu de part si cette affaire venait à être jugée, comme celle de la préopinion sur les présidents et le premier président le fut en notre faveur en 1664, peut-être même à se porter à nous faire justice comme le parti le plus honorable sur un point si criant, et ôter le mur de séparation et de division d'entre les pairs et le parlement par l'inconvénient duquel cette compagnie n'avait cessé d'être continuellement flétrie, au lieu du lustre peut-être excessif, où son union avec les pairs l'avait élevée et établie avant ces usurpations.
Dès le lendemain du lit de justice, M. le Duc prit possession de la surintendance de l'éducation du roi et en fit les fonctions. Il s'établit peu de jours après dans l'appartement que le duc du Maine occupait aux Tuileries. L'après-dînée du jour du lit de justice le maréchal de Villeroy, accompagné de M. de Fréjus et de toute l'éducation, alla piaffant, quoique enrageant, à l'hôtel de Condé, où les souples respects d'une part, et les faux compliments de l'autre, donnèrent une autre sorte de spectacle. Dès le lendemain, le roi s'alla promener au Cours où M. le Duc l'accompagna, au lieu du duc du Maine, et entra publiquement en fonction.
Mme d'Alègre ne tarda pas à me venir voir. Elle m'avoua enfin, parmi toutes ses enveloppes ordinaires, ses phrases suspendues et souvent coupées sans les achever, que ses avis si souvent réitérés et si fort hiéroglyphiques, n'avaient tendu qu'à m'avertir, et le régent par moi, de la dangereuse cabale qui se brassait de longue main, qui se fortifiait tous les jours, et qu'il était grand temps d'abattre par le grand coup qui venait d'être frappé; en même temps elle m'avertit, pour le bien inculquer au régent, de ne se pas trop reposer sur une exécution si importante; qu'elle connaissait les allures des gens à qui elle avait affaire; que, quelque étourdis qu'ils fussent d'un coup auquel ils ne s'attendaient pas de la conduite et de la faiblesse du régent, ils n'en seraient que plus enragés et plus unis; que ce coup même leur apprenait à changer leur sécurité, leur lenteur, leur négligence en mesures plus justes, plus serrées, plus fortes, pour atteindre au grand but qu'ils s'étaient proposé, de profiter de plus en plus des dispositions de l'Espagne, irritée au dernier point du dernier traité avec l'empereur et les puissances maritimes, et du dépit général qui s'en répandait par toute la France. Je ne manquai pas d'en rendre un compte exact à M. le duc d'Orléans, et d'y ajouter mes réflexions. Je trouvai un homme si à son aise d'être au lendemain de cette grande crise, si étouffé encore d'un tour de force aussi contraire à son naturel, qu'il s'y était replongé tout à fait comme un homme qui s'étend dans son lit en arrivant d'une grande course, et qui ne veut pas ouïr parler d'autre chose que de repos. Il me chargea de bien remercier Mme d'Alègre et m'assura en même temps qu'après une telle touche il n'avait rien à craindre de personne, sans que je le pusse jamais tirer pour lors d'un si dangereux préjugé. Je fis à Mme d'Alègre plus de compliments que je n'en étais chargé, et je ne craignis pas d'outrepasser ma commission, en la priant fort de la part du régent d'avoir les yeux bien ouverts, et de m'avertir de tout ce qu'elle pourrait soupçonner ou découvrir. J'y joignis les louanges et les flatteries qui pouvaient le plus l'y engager, et notre commerce demeura enseveli dans le même secret dans lequel il l'avait toujours profondément été.
J'obtins en ce temps-ci deux grâces que je ne puis oublier, parce que je n'en ai point reçu qui m'aient fait tant ni de si sensible plaisir. On a pu voir, dans les commencements de ces Mémoires, que le saint et fameux abbé de la Trappe avait été l'homme que j'avais le plus profondément admiré et respecté, et le plus tendrement et réciproquement aimé: il avait laissé un frère que je n'avais jamais vu, et avec qui je n'avais jamais eu aucun commerce: il était de bien loin, et en tout genre, le plus ancien officier de toutes les galères; il y avait acquis de la réputation et l'affection du corps: il en était premier chef d'escadre, commandant du port de Marseille depuis bien des années, et à plus de quatre-vingt-quatre ou quatre-vingt-cinq ans il avait toute sa tête et toute sa santé. La fantaisie le prit d'en profiter pour venir faire un tour à Paris, où il n'était jamais venu de ma connaissance. Ce fut M. de Troyes, dont il était cousin germain de son père, enfants des deux frères, qui m'apprit son arrivée. Il s'appelait le chevalier de Rancé. Je me hâtai de l'aller voir et de le convier à dîner: il ressemblait tant à M. de la Trappe, que je dirai sans scandale que j'en devins amoureux, et qu'on riait de voir que je ne pouvais cesser de le regarder. Ses propos ne sentaient le vieillard que par leur sagesse, avec tout l'air et la politesse du monde. Tout à coup j'imaginai de faire pour lui la chose la plus singulière et la plus agréable: jamais il n'y eut qu'un seul lieutenant général des galères, charge qui se vend et qu'avait le marquis de Roye. Je résolus de demander au régent d'en faire un second en la personne du chevalier de Rancé, à condition qu'après lui sa place ne serait plus remplie, et que les choses à cet égard reviendraient sur le pied où elles étaient auparavant. J'en parlai à M. de Troyes, à l'insu duquel il n'aurait pas été honnête de m'employer. Il fut charmé de ma pensée, et me promit de m'y seconder. En même temps je le priai que le secret en demeurât entre nous deux pour ne pas donner une espérance vaine et un chagrin sûr s'il y avait un refus que nous ne pussions vaincre: l'amitié, quand elle est forte, rend pathétique. Je représentai si bien à M. le duc d'Orléans les services, le mérite, la qualité de frère de M. de la Trappe, le grand âge du chevalier de Rancé, dont l'avancement extraordinaire ne pouvait faire tort ni servir d'exemple à personne, qu'en présence de M. de Troyes, qui m'appuya légèrement, peut-être parce que je ne lui en laissai pas trop le loisir, j'emportai la création d'un second lieutenant général des galères, sans pouvoir être remplie après le chevalier de Rancé, et dix mille livres d'appointement en outre de ce qu'il en avait. Je fus transporté de la plus vive joie qui, contre mon attente, s'augmenta encore par celle du chevalier de Rancé, dont la surprise fut incroyable. On peut juger que je pris soin que l'expédition fût bien libellée. Il passa deux mois à Paris, beaucoup moins que je n'aurais désiré, et il jouit encore de son nouvel état quelques années. Mais, comme les exemples sont dangereux en France, l'âge, l'ancienneté, les services, la naissance du chevalier de Roannais, premier chef d'escadre des galères, crièrent tant à la mort du chevalier de Rancé, qu'il parvint enfin à succéder à sa charge, qui, néanmoins, a fini avec lui. L'autre grâce, voici quelle elle fut.
On a pu voir (t VII, p. 63), l'étrange trait du duc de Mortemart à mon égard, à l'occasion de la mort de Mme de Soubise, ce qui fut sur le point d'en arriver, et que M. de Beauvilliers lui ordonna de sortir de chez lui dès que j'y entrerais, et de n'y jamais entrer tant que j'y serais: ce qui a duré presque jusqu'à la fin de sa vie, c'est-à-dire plusieurs années, qu'il me demanda de souffrir son gendre chez lui. On a pu voir (t. IX, p. 56), l'autre trait qu'il me fit dans le salon de Marly, sur notre requête contre d'Antin. Je ne le voyais donc en aucune occasion, quoique ami intime de toute sa famille, même de sa mère. Il s'était déjà pris une fois de bec avec le maréchal de Villeroy sur les fonctions de leurs charges. On a vu (t. XV, p. 133), que le service en manqua plusieurs jours, et qu'il voulut donner la démission de sa charge. Cette disparate avait éloigné de lui M. le duc d'Orléans. Un peu après l'affaire du chevalier de Rancé, il s'éleva une autre dispute entre le duc de Mortemart et le maréchal de Villeroy, où le premier poussa les choses d'autant plus loin qu'il avait plus de tort, et le maréchal demeura d'autant plus sage qu'il se sentait toute la raison de son côté. L'affaire portée au régent, il décida en faveur du maréchal, et blâma d'autant plus l'autre, qu'il l'avait indisposé par sa première dispute, par sa première démission et par d'autres disputes moins importantes, mais fréquentes, pour des vétilles, avec les uns et les autres. Mortemart, piqué d'avoir succombé après l'éclat qu'il avait fait, peut-être autant d'avoir été tancé plus que M. le régent n'avait accoutumé de faire, n'en fit pas à deux fois et lui envoya la démission de sa charge de premier gentilhomme de la chambre, avec une lettre fort peu ménagée.
Heureusement c'était un jour que je travaillais avec M. le duc d'Orléans, et que j'arrivai comme il venait de la lire. Je trouvai ce prince en furie, qui d'abordée me conta la chose, et conclut que, pour cette fois, Mortemart serait pris au mot, et lui délivré de toutes ses impertinences; tout de suite, en me regardant, il me fit entendre que j'étais venu tout à propos. L'horreur que je sentis de la dépouille de M. de Beauvilliers, et de m'en revêtir aux dépens de ses petits-fils, m'inspira la plus nerveuse éloquence. Je représentai au régent que ce n'était pas M. de Mortemart qu'il devait regarder, mais la mémoire de M. de Beauvilliers, et les obligations étroites, importantes, continuelles, qu'il lui avait à l'égard de Mgr le duc de Bourgogne, lorsqu'il allait tout gouverner, puis à la mort de ce prince, et précédemment encore lors du mariage de Mme la duchesse de Berry. Je m'espaçai sur ces matières avec la dernière force, et je finis par lui dire qu'il était fait et payé, tout régent qu'il était, pour souffrir toutes les sottises et tous les égarements du gendre de M. de Beauvilliers. Il disputa, me fit sentir encore que l'occasion était belle et unique. Mon indignation redoubla, dont la fin fut que la démission fut sur-le-champ mise en pièces.
Au sortir du Palais-Royal, j'allai dire à la duchesse de Mortemart la folie que son fils venait de faire, la peine que j'avais eue à l'en sauver, et le soin extrême qu'elle devait d'en empêcher une troisième récidive, qui sûrement serait plus forte que moi, ou se brusquerait à mon insu, puisque c'était le plus grand hasard du monde que celle-ci fût arrivée le même jour et si peu de temps avant que je vinsse travailler avec M. le duc d'Orléans. Le duc de Mortemart, revenu de sa fougue par l'avoir satisfaite, sentit tout le péril où elle l'avait jeté, et se trouva heureux de n'avoir pas perdu sa charge. Je fus très surpris, trois jours après, de le voir entrer dans ma chambre, où il me fit de grands remercîments. Je lui répondis froidement qu'il ne m'en devait aucun, parce que je n'avais rien fait pour lui, mais tout par mon tendre, fidèle et reconnaissant souvenir de M. le duc de Beauvilliers, dont la famille me serait toujours infiniment chère, et pour conserver sa charge à ses petits-fils, et je l'exhortai en peu de mots à ne se plus jouer à mettre la patience de M. le duc d'Orléans à de pareilles épreuves. On peut juger que la franchise d'une si sèche réponse abrégea la visite, qui finit froidement, mais poliment, sans que depuis j'aie ouï parler de lui. Le lendemain matin, sa femme, qu'il tenait étrangement captive, dont la vertu, la piété, l'esprit et la conduite méritaient un tout autre mari, vint chez moi me remercier avec la plus grande effusion de cœur. Je l'assurai que j'étais tellement payé d'avance par tout ce que j'avais reçu de son père, que je ne méritais nul remercîment, mais d'être félicité d'avoir eu occasion de témoigner à sa mémoire le plus tendre et le plus vif attachement, et de la tirer elle-même de la peine de voir passer sa charge en d'autres mains. Je n'ajouterai point ce qu'elle me dit sur l'occasion si aisée de la prendre pour moi, ni ce que ses tantes m'en témoignèrent, car sa belle-mère était sa tante aussi. Nous nous embrassâmes de bon coeur, qui fut la fin de la visite et la dernière fois que je la vis; elle mourut bientôt après, sans que son mari sentit une si grande perte.
J'achèverai tout de suite, pour n'avoir plus à y revenir. La sombre folie du duc de Mortemart m'inquiétait toujours pour sa charge. On ne pouvait se flatter qu'elle ne lui causât encore des querelles aussi mal fondées que les dernières; qu'elles ne lui tournassent la tête comme elles avaient déjà fait, et que M. le duc d'Orléans, excédé de lui, ne pût être arrêté, pour s'en défaire, à la difficulté que j'y avais éprouvée. Cela me revint si souvent dans l'esprit, qu'au bout de deux mois je pris ma résolution, sans en parler à personne, de demander à M. le duc d'Orléans la survivance de sa charge pour son fils qui n'avait pas sept ans. Par là je ne craignais plus les frasques du père. Il ne pouvait plus la vendre, et s'il s'avisait encore une fois de se piquer et d'envoyer sa démission, il n'y avait plus à courir après, son fils devenait le titulaire. Je pris donc cette résolution, et je l'exécutai si bien que j'emportai la survivance. Comblé de joie d'avoir mis en sûreté le petit-fils du duc de Beauvilliers pour sa charge, j'allai, au sortir du Palais-Royal, l'apprendre aux duchesses de Beauvilliers, de Mortemart et de Chevreuse, chacune chez elle, dont la surprise, la joie et les expressions ne se peuvent rendre. Je dis aux deux premières qu'il était très essentiel de bien constater la chose par leur remercîment public. Dès le lendemain, quoiqu'elles n'allassent plus en aucun lieu, depuis bien des années, au delà de leur famille et d'un très petit nombre d'amis particuliers, je les accompagnai au Palais-Royal. J'avertis M. le duc d'Orléans, dans son cabinet, qu'elles l'attendaient pour lui faire leur remercîment. Il vint aussitôt les trouver; il se passa le mieux du monde, et la survivance fut expédiée le lendemain. Ce remerciement la rendit publique. Rien au monde ne m'a jamais tant fait de plaisir, et toute cette famille n'a jamais oublié ce service.
Cette survivance en occasionna d'autres, que je mets tout de suite comme elles furent données aussi. Le duc de Charost, mon ami, comme on l'a vu, depuis bien des années, me pria de demander la survivance de sa charge de capitaine des gardes du corps pour son fils; je lui dis que ce n'était pas celle-là qu'il devait désirer pour lors, mais celle de ses gouvernements de Calais et de Dourlens, et de sa seule lieutenance générale de Picardie, qui est une grâce de quatre-vingt mille livres de rente, et des emplois dont l'importance attirerait après très facilement celle de sa charge. Il me crut, et je l'obtins deux jours après. Là-dessus le duc de La Rochefoucauld eut celle de grand maître de la garde-robe, pour son fils; le duc de Luxembourg, celle de gouverneur de Normandie pour le sien; et le duc de Berwick, arrivé de son commandement de Guyenne depuis deux jours, celle de son gouvernement de Limousin pour son fils. La Fare acheta une lieutenance générale de Languedoc du comte du Roure, qui obtint son gouvernement du Pont-Saint-Esprit pour son fils en s'en démettant, et l'abbé de Vauréal eut permission d'acheter de l'évêque de Saint-Omer la charge de maître de l'oratoire, qui n'a point de fonctions, mais les entrées de la chambre, et cinq ou six mille livres d'appointements.
Je ne ferais pas mention de cette dernière bagatelle, sans la singulière et fort étrange fortune que ce Vauréal a faite depuis. C'est un grand drôle, d'esprit et d'intrigue, d'effronterie sans pareil, grand et fort bien fait, et qui en soit user avec peu de contrainte, riche et de la lie du peuple, qui, à la faveur du petit collet, voulut s'accrocher à la cour; son nom est Guérapin, et son état premier franc galopin. Ségur, maître de la garde-robe de M. le duc d'Orléans, et qui depuis a bien poussé sa fortune, épousa la bâtarde non reconnue de M. le duc d'Orléans et de la comédienne Desmares; ce prince lui donna de l'argent, et la survivance du gouvernement du pays de Foix qu'avait son père qui était lieutenant général et grand'croix de Saint-Louis. Il avait acheté ce gouvernement du maréchal de Tallard à qui le feu roi l'avait donné à vendre. Il avait perdu une jambe à la guerre, et était encore, à près de quatre-vingts ans, beau et bien fait. C'est ce mousquetaire qui jouait si bien du luth dont on a vu en son lieu l'aventure avec l'abbesse de La Joie, soeur du duc de Beauvilliers. Ces différentes grâces arrivées, lors de la survivance du duc de Mortemart, m'ont emporté trop loin. Rétrogradons maintenant deux bons mois; on y verra des choses plus importantes.
Il y faut pourtant ajouter le gouvernement de Douai au marquis d'Estaing, lieutenant général qui avait servi en Italie et en Espagne sous M. le duc d'Orléans, et qu'il aimait et estimait fort avec raison, qui vaquait par la mort du vieux Pomereu, lieutenant général, ancien capitaine aux gardes, frère du feu conseiller d'État, et au conseil royal des finances. Dernière bagatelle: Mme la duchesse d'Orléans qui s'était tenue sous clef depuis le lit de justice, s'en ennuya enfin, et rouvrit ses portes et son jeu à l'ordinaire. Retournons maintenant sur nos pas.