NOTE III. LETTRE DE LOUIS XIV À MADAME DE MAINTENON À L'OCCASION DE L'ARRIVÉE DE LA DUCHESSE DE BOURGOGNE.

Saint-Simon dit que le roi se hâta d'envoyer un courrier à Mme de Maintenon, pour lui mander sa joie et les louanges de la princesse. Voici la lettre même du roi [54]  :

« Montargis, ce dimanche au soir à six heures et demie,

4 novembre 1696.

« Je suis arrivé ici devant cinq heures; la princesse n'est venue qu'à près de six. Je l'ai été recevoir au carrosse. Elle m'a laissé parler le premier, et après m'a fort bien répondu, mais avec un petit embarras qui vous aurait plu. Je l'ai menée dans sa chambre au travers de la foule, la faisant voir de temps en temps en approchant les flambeaux de son visage. Elle a soutenu cette marche et ces lumières avec grâce et modestie. Nous sommes enfin arrivés dans sa chambre, où il y avait une foule et une chaleur qui faisaient crever [55] . Je l'ai montrée de temps en temps à ceux qui s'approchaient, et je l'ai considérée de toutes manières, pour vous mander ce qu'il m'en semble.

« Elle a la meilleure grâce et la plus belle taille que j'aie jamais vue, habillée à peindre, et coiffée de même, des yeux vifs et très beaux, des paupières noires et admirables; le teint fort uni, blanc et rouge, comme on peut le désirer; les plus beaux cheveux blonds que l'on puisse voir, et en grande quantité. Elle est maigre, comme il convient à son âge; la couche fort vermeille, les lèvres grosses, les dents blanches, longues et très mal rangées, les mains bien faites, mais de la couleur de son âge. Elle parle peu, au moins à ce que j'ai vu, n'est point embarrassée qu'on la retarde, comme une personne qui a vu du monde. Elle fait mal la révérence et d'un air un peu italien; elle a quelque chose d'une Italienne dans le visage, mais elle plaît, et je l'ai vu dans les yeux de tout le monde. Pour moi, j'en suis tout à fait content.

« Elle ressemble fort à son premier portrait, et point du tout à l'autre. Pour vous parles comme je fais toujours, je la trouve à souhait, et serais fâché qu'elle fût plus belle. Je le dirai encore: tout plaît hormis la révérence.

« Je vous en dirai davantage après souper; car je remarquerai bien des choses que je n'ai pas pu voir encore. J'oubliais de vous dire qu'elle est plutôt plus petite que grande pour son âge. Jusqu'à cette heure j'ai fait merveille; j'espère que je soutiendrai un certain air aisé que j'ai pris jusqu'à Fontainebleau, où j'ai grande envie de me retrouver.

« A dix heures.

« Plus je vois la princesse, plus je suis satisfait. Nous avons été dans une conversation publique où elle n'a rien dit; c'est tout dire. Je l'ai vu déshabiller; elle a la taille très belle, on peut dire parfaite, et une modestie qui vous plaira. Tout s'est bien passé à l'égard de mon frère. Il est fort chagrin; il dit qu'il est malade. Nous partirons demain à dix heures et demie ou onze heures; nous arriverons à cinq heures au plus tard.

« Je suis tout à fait content. [Rien] que de bien à propos en répondant aux questions qu'on lui faisait. Elle a peu parlé, et la duchesse du Lude m'a dit qu'elle l'avait avertie que le premier jour elle ferait bien d'avoir une grande retenue. Nous avons soupé; elle n'a manqué à rien, et est d'une politesse surprenante à toutes choses; mais à moi et à mon fils, elle n'a manqué à rien, et s'est conduite comme vous pourriez faire. J'espère que vous la serez aussi. Elle a été regardée et observée, et tout le monde paraît satisfait de bonne foi. L'air est noble et les manières polies et agréables. J'ai plaisir à vous en dire du bien; car je trouve que, sans préoccupation et sans flatterie, je le peux faire, et que tout m'y oblige. Ne voulant dire tout ce que je pense, je vous donne mille bons.... (deux lignes effacées) [56] .

 « J'oubliais à vous dire que je l'ai vue jouer aux onchets avec une adresse charmante. Quand il faudra un jour qu'elle représente, elle sera d'un air et d'une grâce à charmer, et avec une grande dignité et un grand sérieux. »

Suite
[54]
L'original autographe de cette lettre se trouve à la bibliothèque du Louvre, F 328, f° 2 et suiv. Elle a été imprimée par M. Monmerqué dans un recueil tiré à un petit nombre d'exemplaires pour les Bibliophiles français, sous ce titre: Lettres de Louis XIV, etc., adressées à Mme la marquise de Maintenon (1 vol. in-8, Didot, 1822).
[55]
M. Monmerqué a mis: où il y avait une foule et une chaleur à faire crever. J'ai suivi le manuscrit autographe.
[56]
Ces deux lignes sont tellement biffées qu'il est impossible d'en apercevoir un seul mot. Il est à présumer qu'elles renfermaient les expressions d'une tendresse conjugale. Mme de Maintenon, en conservant cette lettre à cause de son importance historique, en a fait disparaître ce qui aurait pu être un indice de son union avec Louis XIV. (Note de M. Monmerqué.)