CHAPITRE X.

1698

M. de Luynes fait asseoir pour une fois seulement Mlle de Montbazon, depuis duchesse de Chevreuse, la veille de leurs noces; obtient dispense d'âge et la première place après les ducs pour le prince de Guéméné, son beau-frère, en la promotion de 1619. — M. de Marigny, frère du duc de Montbazon, le cinquante-cinquième parmi les gentilshommes en la promotion de 1619. — Art et degré qui procurent le tabouret à la princesse de Guéméné. — Autre tabouret de grâce en même temps. — Tous ôtés, puis rendus. — M. de Soubise et ses deux femmes, la première debout; la seconde assise, belle, le fait prince, etc. — Mmes de Guéméné assises (1678 et 1679), puis Mme de Montauban (1682). — MM. de Soubise et comte d'Auvergne s'excluent de l'ordre à la promotion de 1688; colère du roi; fausseté insigne sur les registres de l'ordre. — Distinction de ceux qui ont rang de princes étrangers étant en licence. — Abbé de Bouillon devenu cardinal par le hasard des coadjutoreries de Langres puis de Reims tombées sur l'abbé Le Tellier, est le premier qui ait eu ces distinctions en Sorbonne. — Abbé de Soubise, depuis cardinal de Rohan, obtient, par ordre du roi, les mêmes distinctions en Sorbonne. — Fiançailles du prince de Montbazon et de la fille du duc de Bouillon dans le cabinet du roi.

Le connétable de Luynes, qui ne l'était pas encore, mais que je nomme ainsi pour le distinguer de son fils, voulut entrer agréablement dans la maison du duc de Montbazon, en épousant sa fille, en septembre 1617, et faire en même temps éclater sa faveur par une distinction extraordinaire. Il obtint que Mlle de Montbazon serait assise dès la veille de son mariage avec lui, grâce qui se terminait là, sans influer sur le reste de la famille. C'était en un mot un tabouret de grâce, et pour une seule fois, pour faire briller la faveur du favori, et témoigner à M. de Montbazon combien ce mariage était agréable au roi.

À la promotion de 1619, M. de Luynes obtint une dispense d'âge pour le frère de sa femme, qui n'avait que vingt et un ans, et qu'on appelait alors le comte de Rochefort, qui prit après le nom de prince de Guéméné, jusqu'à la mort de son père. M. de Luynes obtint encore pour lui qu'il marcherait le premier des gentilshommes de cette promotion, c'est-à-dire immédiatement après lui-même, qui en était le dernier duc. Mais cela n'empêcha pas que, jusqu'à ce qu'il le fût devenu lui-même par la mort de son père, trente-cinq ans après, il n'ait toujours été précédé par tous les gentilshommes, plus anciens chevaliers de l'ordre que lui, sans difficulté aucune, ni réclamation de sa part.

Le marquis de Marigny, frère de son père, qui pour combler la famille de la femme du favori fut aussi de cette même promotion, y marcha le cinquante-cinquième parmi les gentilshommes, et n'en eut que quatre de toute la promotion après lui. Ainsi, avec toute la faveur de M. de Luynes, qui se déploya toujours tout entière sur la maison de sa femme, avec un emploi aussi important qu'était pour lors le gouvernement de Paris et de l'Ile-de-France, avec une charge aussi favorable que celle de grand veneur auprès d'un jeune roi passionné pour la chasse, au point qu'était Louis XIII, et dont le fils avait la survivance du père, avec l'exemple des tabourets de grâce des deux soeurs du célèbre duc de Rohan, et l'avancement d'un jour de celui de Mme de Luynes, on voit que MM. de Rohan n'avaient pas encore imaginé devoir avoir des honneurs et dès distinctions au-dessus des gens de qualité non titrés, beaucoup moins à être princes.

Mais voici le commencement. Mme de Chevreuse avait été de tout temps dans la plus intime confidence de la reine. Elle en fut chassée plus d'une fois par Louis XIII, et de l'aventure du Val-de-Grâce, où la reine fut fouillée et visitée jusque dans son sein par le chancelier Séguier, qui pourtant en acquit ses bonnes grâces pour le reste de sa vie par la manière dont il s'y conduisit, Mmes de Chevreuse et Beringhen se sauvèrent hors du royaume, et plusieurs autres furent chassés et perdus, que la reine fit revenir et récompensa tout aussitôt qu'elle fut régente.

Mme de Chevreuse était encore alors en Flandre, et quoiqu'elle se trouvât trompée à son retour dans l'opinion qu'elle avait conçue d'être absolument maîtresse de l'esprit de la reine et du gouvernement, elle ne laissa pas de conserver toute sa faveur, malgré le cardinal Mazarin. Les histoires et les Mémoires de ces temps-là sont pleins de tout ce que fit la Fronde, qui domina la cour et l'État, et à qui M. le Prince dut sa prison, puis sa délivrance, et le cardinal Mazarin, son apparente ruine, par deux fois.

Ces mêmes histoires dépeignent l'hôtel de Chevreuse et l'hôtel de Guéméné comme le centre de tous les conseils de la Fronde, où M. de Beaufort et le coadjuteur, depuis cardinal de Retz, étaient en adoration, et disposaient du parlement de Paris et de tout le parti. Mme de Chevreuse, qui dans des intérêts souvent si opposés à ceux du cardinal Mazarin conservait toujours sa place dans le coeur de la reine, et son ascendant sur son esprit timide, défiant, incertain et variable, avait introduit dans son amitié la princesse de Guéméné sa belle-soeur, et la duchesse de Montbazon leur belle-mère, mais surtout Mme de Guéméné avait plu infiniment à la reine par le liant, les grâces et l'artifice caché de son esprit. Cela fut cultivé d'une part et protégé de l'autre avec tant de soin par Mme de Chevreuse, que Mme de Guéméné fut de tous les particuliers, et la reine l'approchait d'autant plus d'elle, qu'elle en apprenait tout ce que l'autre voulait bien à la vérité lui dire d'une cabale où elle était de tout, et dont elle ne disait à la reine que ce qui était utile à leurs desseins.

Dans ces conversations, ou seule avec la reine, ou en tiers avec elle et Mme de Chevreuse, la reine la faisait asseoir. C'était une commodité pour causer plus longtemps, qu'elle accordait bien seule ainsi à d'autres, et même au commandeur de Jars, qui sans façon se mettait dans un fauteuil. La reine allait souvent au Val-de-Grâce, Mme de Guéméné l'y allait voir. D'autres dames y étaient quelquefois reçues, et y trouvaient Mme de Guéméné assise, qui se levait, puis se rasseyait sans façon, tellement que, le Val-de-Grâce devenant peu à peu plus étendu, elle accoutuma imperceptiblement et poliment ces demi-particuliers à son tabouret. À la fin, la belle-mère et les belles-soeurs crurent qu'il était temps d'aller plus loin. Mme de Guéméné n'alla plus au Palais-Royal que de loin à loin, et à mesure que la reine se plaignait de son absence; puis elle la laissa demander pourquoi elle ne la voyait point, et cessa enfin tout à fait d'y aller. La reine en parlait souvent à Mme de Montbazon et à Mme de Chevreuse. Les excuses s'épuisèrent, et Mme de Chevreuse prit son temps de dire franchement à la reine à quoi il tenait. La reine surprise voulut se défendre d'accorder ce qui n'avait eu lieu que comme bonté et familiarité ignorée et sans conséquence. Mme de Chevreuse répondit que tout le monde savait qu'elle était assise, et l'y voyait au Val-de-Grâce, qui ne pouvait plus s'appeler un particulier, au nombre de gens où ce particulier s'était étendu; qu'elle ne voyait point de différence entre le Val-de-Grâce et le Palais-Royal, ni pourquoi sa belle-soeur, assise devant toute la cour de la reine en un lieu, elle serait debout en un autre; et moitié figue, moitié raisin, avec la fraude en croupe, elle arracha le tabouret en plein partout, pour la princesse de Guéméné. Ce tabouret ne passa pas plus avant pour lors dans la maison de Rohan, et n'y produisit point d'autres distinctions.

En même temps la reine fit la même grâce à la marquise de Sencey, sa dame d'honneur, chassée pour elle, et à qui, en arrivant à la régence, elle avait rendu sa charge qui lui avait été ôtée, et récompensé de la survivance à la comtesse de Fleix, sa fille, toutes deux veuves, qui ont aussi le tabouret. Elles en jouirent quelques années, jusqu'à ce que plusieurs personnes de qualité, excitées par M. Gaston et M. le prince, s'assemblèrent en grand nombre, invitèrent les ducs de se joindre à eux, et sous le nom de la noblesse, demandèrent la suppression de ces tabourets, et des honneurs accordés à MM, de Bouillon pour l'échange de Sedan, que le parlement n'avait pas voulu enregistrer avec ces articles et quelques autres qui ne le sont pas encore aujourd'hui.

Ces assemblées, dont les princes voulaient effrayer la cour pour d'autres vues, durèrent assez de semaines pour l'inquiéter par des demandes plus embarrassantes, qui l'engagèrent à s'accommoder avec Monsieur et M. le Prince. Les tabourets furent supprimés, et quelques autres légères demandes accordées, avec quoi ces assemblées finirent absolument.

Assez longtemps après, la cour prit tout à fait le dessus pour toujours, et blessée alors des suppressions extorquées, elle rendit les tabourets.

M. de Soubise né, comme il le disait lui-même, mais bien bas à ses amis particuliers, en riant et s'applaudissant de sa bonne fortune et de sa sage politique, né gentilhomme avec quatre mille livres de rente, et devenu prince à la fin avec quatre cent mille livres de rente, avait épousé une riche veuve qui n'était rien d'elle ni de son premier mari dont elle n'avait point d'enfants, qui lui donna tout son bien par le contrat de mariage. Elle ne fut point assise, et M. de Soubise ni pas un des siens n'imagina de le prétendre. Cette femme mourut en 1660. Avec ce bien demeuré à M. de Soubise, on songea dans sa famille à le remarier et à en tirer parti.

Mme de Chevreuse, toujours la mieux avec la reine, et d'autant plus que les troubles étaient bien disparus, et que le cardinal Mazarin était mort en 1661, qui eût été obstacle aux vues élevées de Mme de Chevreuse, imagina d'unir son crédit à celui de Mme de Rohan, qui sans faveur comme elle, était fort considérée, pour faire le mariage de sa fille aînée en lui faisant donner le tabouret. C'était en 1663. M. de Louvois était encore trop petit garçon, et son père trop fin et trop politique pour oser branler devant M. de Turenne, comme il s'y éleva longtemps depuis, et ce grand capitaine était dans l'apogée de sa faveur et de sa considération personnelle, avec un crédit que rien ne balançait; il était lors fort huguenot, Mme de Rohan encore davantage, Cet intérêt et la figure qu'ils faisaient dans leur religion, les avait intimement unis, il ne bougeait de chez elle; et quand ses filles allaient au bal ou en quelque autre partie où la bienséance de ce temps-là voulait que des hommes de nom les accompagnassent, Mme de Rohan, à cause de M. de Turenne, ne les confiait jamais qu'à MM. de Duras ou de Lorges ses neveux, qui étaient chez elle comme les enfants de la maison, et j'ai vu cette intimité de mon beau-père avec ces trois dames exister la même depuis un si grand nombre d'années.

M. de Turenne entra donc dans cette affaire comme dans la sienne propre; Mme de Rohan la poursuivit comme une grâce qu'elle demandait instamment; Mme de Chevreuse y mit tout son crédit et toutes ses anciennes liaisons avec la reine, et ils l'emportèrent. Ils obtinrent presque en même temps de faire Mme de Soubise dame du palais, et une fois à la cour, sa beauté fit le reste. Le roi ne fut pas longtemps sans en être épris. Tout s'use: l'humeur de Mme de Montespan le fatiguait; au plus fort même de sa faveur il avait eu des passades ailleurs, et lui avait même donné des rivales. Celle-ci sut bien se conduire: Bontems porta les paroles; le secret extrême fut exigé, et la frayeur de M. de Soubise fort exagérée. La maréchale de Rochefort, accoutumée au métier, fut choisie pour confidente. Elle donnait les rendez-vous chez elle, où Bontems les venait avertir, et toutes deux, bien seules et bien affublées, se rendaient par des derrières chez le roi.

La maréchale de Rochefort m'a conté qu'elle avait pensé mourir une fois d'embarras: il y eut du mécompte. Bontems arriva mal à propos; il fallut, sous divers prétextes, se défaire de la compagnie qu'on avait laissée entrer, parce qu'on ne comptait sur rien ce jour-là, et toutefois garder Mme de Soubise pour la conduire après où elle était attendue, et ne pas faire perdre du temps à un amant dont toutes les heures étoient compassées. Au bout d'un temps assez considérable, le pénétrant courtisan s'aperçut; mais ne se le dit qu'à l'oreille, et d'oreille en oreille personne n'en douta plus.

M. de Soubise, instruit à l'école de son père et d'un frère aîné, infiniment plus âgé que lui, ne prit pas le parti le plus honnête, mais le plus utile. Il se tint toute sa vie rarement à la cour, se renferma dans le gouvernement de ses affaires domestiques, ne fit jamais semblant de se douter de rien, et sa femme évita avec grand soin tout ce qui pouvait trop marquer; mais assidue à la cour, imposant à tout ce qui la composait, dominant les ministres, et ayant tant qu'elle voulait des audiences du roi dans son cabinet, quand il s'agissait de grâces ou de choses qui devaient avoir des suites. Afin qu'il ne parût pas qu'elle les eût obtenues dans des moments plus secrets, elle se mettait tout habillée aux heures publiques de cour, à la porte du cabinet. Dès que le roi l'y voyait, il allait toujours à elle avec un air plus qu'ouvert, mais en quelque sorte respectueux. Si ce qu'elle voulait dire était court, l'audience se passait ainsi à l'oreille devant tout le monde; s'il y en avait pour plus longtemps, elle demandait d'entrer. Le roi la menait dans le fond du premier cabinet, joignant la pièce off était tout le monde, les battants de la porte du cabinet demeuraient ouverts jusqu'à ce qu'elle sortit de ce même côté, et de celui des autres cabinets, et cela s'est toujours passé de la sorte.

Mais le plaisant, c'est que ces portes ne demeuraient ouvertes que pour elle, et se fermaient toujours quand le roi donnait audience à d'autres dames. Depuis qu'il n'y eut plus rien entre eux, l'amitié et la même considération subsistèrent, et les mêmes précautions de bienséance. Elle écrivait très souvent au roi et de Versailles à Versailles. Le roi lui répondait toujours de sa main, et c'étaient Bontems ou Bloin qui les rendaient au roi et faisaient passer ses réponses. C'est de la sorte qu'elle fit M. de Soubise prince par degrés et par occasions, et que peu à peu elle en obtint tout le rang.

Ce fut pourtant Monsieur dont ils se servirent pour faire asseoir la Bautru, veuve de M. de Rannes, que le prince de Montauban, frère du prince de Guéméné, épousa en 1681. Elle jouait fort chez Monsieur. M. de Montauban n'avait point de rang, quoique sa belle-soeur fût assise, leur père vivant et point démis par le crédit de Mme de Soubise, sur le même exemple de la belle-soeur de Mme de Chevreuse. Le roi disait toujours que Monsieur lui avait escroqué ce tabouret; et du tabouret, les deux frères devinrent princes comme M. de Soubise. M. de Guéméné se maria la première fois en 1678, puis en 1679; M. de Montauban, son frère, en 1682, et n'a point laissé d'enfants.

Il est néanmoins vrai que Mme de Soubise, qui jamais ne fut refusée de rien, ne put pourtant venir à bout d'une seule chose. À la promotion de 1688, le duc de Montbazon, fou depuis longtemps, était enfermé à Liège. Il était fils du frère aîné de M. de Soubise, ce prince de Guéméné, chevalier de l'ordre en 1619, dont j'ai parlé ci-dessus. Il ne s'était point démis de son duché; il était interdit, et par conséquent hors d'état de s'en démettre comme de faire tout autre acte. M. de Bouillon était exilé.

Cette promotion fut la première où le roi fit passer les ducs à brevet, les maréchaux de France et les grands officiers de sa maison avant les gentilshommes de cette même promotion, mais les gentilshommes dès lors chevaliers de l'ordre continuant à les précéder. Le comte d'Auvergne et M. de Soubise furent mis sur la liste du roi. Ils demandèrent de précéder les ducs à brevet et les maréchaux de France de cette même promotion, et Mme de Soubise, que le prince de Guéméné qui n'en était pas en fût mis, et y tint le rang de duc de Montbazon.

Elle en savait trop pour l'espérer, mais elle compta d'obtenir l'autre demande en compensation du refus de celle-ci. Pour cette fois elle se trompa; non seulement le roi tint ferme, mais il se fâcha jusqu'à ordonner à Châteauneuf, greffier de l'ordre, en plein chapitre, de mettre sur son registre que MM. de Soubise et comte d'Auvergne s'excusaient d'être de la promotion pour ne vouloir pas prendre l'ordre dans le rang où leurs pères et leurs prédécesseurs s'étaient tenus honorés de le recevoir.

Cela fit grand bruit, et la mortification fut cuisante. Mais Mme de Soubise y sut pourvoir; elle amadoua et intimida si bien Châteauneuf, qui était de ses amis et un fort pauvre homme, qu'elle lui fit écrire sur ses registres que ces messieurs n'avaient pas pris l'ordre pour n'avoir pas voulu céder à des cadets de la maison de Lorraine.

Ils n'avaient jamais osé parler d'eux ni des ducs; il ne s'était agi que de passer après le dernier duc et devant le premier des ducs à brevet, et des maréchaux de France qui n'avaient jamais été mis les premiers des gentilshommes d'une promotion, et qui encore alors et depuis n'avaient aucun rang dans l'ordre que de leur ancienneté de promotion, et dans celle où ils étaient reçus, celui où avec les gentilshommes ils se trouvaient écrits dans la liste du roi, qui dans celle-ci les avait écrits les premiers.

Ainsi l'adresse, pour ne rien dire de plus, substitua à une vérité fâcheuse à leurs idées une fausseté à devenir preuve d'une prétention de préséance qu'ils n'avaient jamais imaginée. Cela ne fut su que bien des années après, et le rare est qu'il n'en a été autre chose. Pour MM. de Bouillon, aucun d'eux jusque-là n'avait été à portée de l'ordre dans aucune promotion jusqu'à celle-ci.

Le père du maréchal de Bouillon était, comme tous les siens, sans prétention, et il mourut de ses blessures en 1557, qu'il avait reçues auprès de Saint-Quentin, longtemps avant l'institution de l'ordre. Le maréchal de Bouillon vécut et mourut huguenot en 1623. Le duc de Bouillon ne se fit catholique qu'en 1637, et mourut en 1652 sans promotion entre-deux, et M. de Turenne son frère ne se convertit qu'en 1668 et fut tué en 1675, aussi sans promotion entredeux. Ce n'était que depuis la possession des biens de l'héritière de Sedan que le maréchal de Bouillon, et ses enfants encore plus que lui, avaient commencé à hasarder quelques prétentions, et le frère puîné du père de cette héritière, et qui, par transaction toujours exécutée, précéda toute sa vie en tous actes, lieux et occasions le maréchal de Bouillon, fut le vingt-quatrième parmi les gentilshommes dans la première promotion, et son fils le cinquante et unième dans celle de 1619, la même où le marquis de Marigny dont j'ai parlé fut le cinquante-cinquième.

Voilà une longue parenthèse avant de venir au fait qui l'a engagée, mais dont la curiosité pourra dédommager. Il faut pourtant en essuyer une autre dont on ne peut passer le récit pour bien entendre le fait dont il s'agit cette année.

Je ne sais où s'est prise l'origine du traitement si distingué que reçoivent en Sorbonne les princes ou ceux qui en ont le rang pendant leur licence. Ce ne peut être de la maison de Lorraine. Sa puissance a bien pu dominer cette célèbre école au point de lui faire commettre l'attentat de dégrader Henri III, et de le déclarer, sans droit ni autorité quelconque, déchu de la couronne après l'exécution de Blois de la fin de 1588, et après sa mort, Henri IV exclu de la couronne. Cette même puissance aurait donc bien pu imaginer ces honneurs et se les faire rendre; mais elle-même ne les prétendait pas alors, au moins le principal, et qui emporte les autres distinctions qui ne sont que locales. Elles consistent en celles-ci

Le prince, ou celui qui en a le rang, qui soutient une thèse, a des gants dans ses mains, et son bonnet sur la tête pendant toute l'action, et il est traité de sérénissime prince tant par ceux qui argumentent contre lui, que par celui qui préside à la thèse. Il l'est aussi d'altesse sérénissime, et le proviseur de Sorbonne la lui donne dans ses lettres de doctorat. Quelque grands et puissants qu'aient été ceux de la maison de Lorraine en France, depuis qu'ils s'y vinrent établir sous François Ier jusqu'à la destruction de la Ligue sous Henri IV, aucun d'eux n'a été traité d'altesse que le duc de Lorraine souverain, et l'aîné ou le chef de leur maison.

De ceux qui ont pour ainsi dire régné en France parmi les troubles qu'ils y formèrent, nul n'a été plus respecté ni plus grandement traité par le duc de Mayenne, qui, pendant sa gestion de lieutenant général de l'État et de couronne de France, n'omit aucune de celles qui sont réservées à la personne et à l'autorité de nos rois. Il fit, en son propre nom, des déclarations et des délits qui furent enregistrés au parlement; il fit des maréchaux de France qui en exercèrent les offices, et dont quelques-uns les conservèrent en faisant leur traité avec Henri IV; il punit de mort et d'exil, et donna grâce de la vie; il disposa en roi des charges, des emplois, des bénéfices de toutes les sortes, et grand nombre de ses pourvus gardèrent leurs places à la paix.

On ne peut donc pas croire qu'au temps de l'exercice de l'autorité et de la puissance royale qu'il exerça en plein dans son parti qui était presque toute la France et Paris surtout, personne de ce parti lui eût osé ni voulu même refuser aucun des honneurs et des distinctions, même nouvelles, qu'il eût voulu s'arroger. Les histoires et les Mémoires de ces malheureux temps rapportent une infinité d'actes de M. de Mayenne, et de lettres de toutes sortes de personnes à lui écrites. Dans pas une de ces pièces il ne se trouve d'altesse. C'est vous partout, et jusqu'à son propre secrétaire ne lui écrit jamais autrement. Il est donc vrai qu'il n'imaginait pas de prétendre ce traitement, comme alors ni le duc de Lorraine ni aucun autre souverain qui se faisaient donner l'altesse, n'imaginaient pas le sérénissime.

Ce superlatif ne leur est venu dans la tête et dans l'usage que longtemps depuis, lorsque leurs cadets se sont fait traiter d'altesse, pour se distinguer d'eux, et cette distinction a été de courte durée. Les mêmes qui s'étaient fait donner l'altesse comme les souverains, ont pris aussi le sérénissime presque aussitôt qu'ils l'ont vu inventer, et de là est venue de nos jours l'altesse royale qui n'était que pour les enfants de nos rois, descendue au leur, et à cause de cela Monsieur et Madame de le quitter, et M. de Savoie, M. le grand-duc de Toscane, et longtemps après M. de Lorraine, la prendre sous prétexte d'avoir épousé des petites-filles de France qui en étaient traitées, tandis que les ducs de Lorraine et de Savoie, gendres de nos rois et leurs beaux-frères, s'étaient contentés de la simple altesse.

Depuis M. de Mayenne, aucun de sa maison n'a été sur les bancs de Sorbonne jusqu'à un fils de M. le Grand, et longtemps après, un autre, tous deux de nos jours, et qui trouvèrent ces distinctions établies en Sorbonne pour beaucoup moins qu'eux, et qui les ont eues.

Le cardinal de Guise, archevêque de Reims, mort à la suite de Louis XIII, pendant le siège de Saint-Jean-d'Angély, n'a jamais été que sous-diacre, et n'avait jamais songé à entrer en licence, beaucoup moins M. de Guise de Naples, archevêque de Reims, aussi dans son enfance, et qui ne l'a jamais été que commendataire [13] . D'autres maisons souveraines, aucun n'a été prélat en France, ni été en Sorbonne, et toutes ces choses sont des faits certains.

Il faut donc dire que le cardinal de Bouillon est celui en faveur duquel ils ont été inventés. Il était né en août 1643, et fut cardinal en août 1669. Il avait donc vingt-six ans quand il le fut, et c'est dans cet intervalle qu'il obtint ces honneurs en Sorbonne. La façon dont il fut cardinal montrera toute seule comment ces distinctions lui furent déférées en Sorbonne. M. de Turenne fut fait maréchal général des camps et armées de France, le 7 avril 1660, la cour étant à Montpellier. Son neveu avait alors dix-sept ans. Cette époque marque donc bien en quelle situation était M. de Turenne. Elle ne déchut pas depuis, et personne n'ignore le degré de faveur, de crédit, d'autorité, où a toujours été ce grand homme, depuis qu'après tant d'écarts il se fut sincèrement attaché au roi et au gouvernement la dernière fois. Il serait aussi difficile de ne savoir pas l'attachement extrême qu'il eut pour la grandeur et les distinctions de sa maison, qui toute sa vie le conduisit et fut sa passion dominante, et tous les avantages qu'il sut lui procurer par toutes sortes d'occasions et de moyens.

Il regarda son neveu comme y pouvant beaucoup contribuer en le poussant dans l'Église, et M. de Péréfixe, archevêque de Paris, dans la confiance et le crédit où il était à la cour, comme un instrument très propre à l'avancer. Il était son ami, et ce prélat s'en faisait un grand honneur. Il lui recommanda fort son neveu, qui eut l'esprit de lui faire une cour assidue, et de le gagner aussi personnellement. Il arriva que M. de Louvois, déjà considérable par soi, aussi bien que par son père, et qui n'avait ni sa modestie ni sa retenue, imagina de capter si bien l'évêque de Langres, qu'il fit l'abbé Le Tellier, son frère, son coadjuteur. Ce prélat était ce fameux abbé de La Rivière, qui avait si Longtemps gouverné M. Gaston, qui par là avait tant figuré pendant les troubles de la minorité du roi, qui était devenu ministre, qui avait tant fait compter tous les partis avec lui, qui avait eu la nomination au cardinalat, et qui tout homme de rien qu'il était, et enfin perdu, eut en dédommagement de ce qu'il avait été et prétendu cet évêché, duché-pairie et force bénéfices. Il savait par expérience active et passive ce que peuvent les ministres. Il fut ravi de s'acquérir M. de Louvois et son père, et alla avec les deux frères dire sa résolution à M. Le Tellier. Celui-ci fut épouvanté d'un siège de cette dignité; mais l'affaire était faite, il ne put s'empêcher de se joindre à eux pour la faire agréer au roi.

Le bruit qu'elle fit réveilla le cardinal Antoine Barberin, archevêque-duc de Reims; sa puissance et sa chute à Rome, la protection que le cardinal Mazarin lui avait accordée et à sa famille fugitive en France, ne lui avait pas donné moins d'expérience et d'instruction qu'à La Rivière, touchant les ministres. Il accourut dès le lendemain chez Le Tellier, où il envoya chercher ses fils, leur fit de grands reproches de s'être adressés à M. de Langres plutôt qu'à lui, et de ce pas alla demander au roi la coadjutorerie de Reims pour l'abbé Le Tellier, et l'obtint sur-le-champ.

Une si prodigieuse fortune pour un homme de l'état et de l'âge de l'abbé Le Tellier, qui n'avait pas encore vingt-sept ans entièrement accomplis, fit un grand bruit dans le monde, et surprit jusqu'à sa famille et jusqu'à lui-même. M. de Turenne qui n'aimait pas M. de Louvois, ni guère mieux M. Le Tellier, en fut piqué au dernier point. C'était de plus un morceau unique qu'il convoitait pour son neveu, qui déjà plein d'ambition fut enragé de se le voir ôter, et par l'abbé Le Tellier. Ils imaginèrent la coadjutorerie de Paris, et avec les avances d'amitié intime qu'ils avaient avec M. de Péréfixe, ils le lui persuadèrent si bien et sitôt, qu'il ne le désira pas moins passionnément qu'eux. Il la demanda au roi, et fut bien étonné d'y trouver de la résistance. Il ne se rebuta point; M. de Turenne vint au secours, qui s'y mit tout entier comme pour un coup de partie. Le roi dans l'embarras du refus à M. de Péréfixe qu'il aimait et qu'il considérait fort, et encore plus à M. de Turenne dans la posture où il était, et qui était pourtant résolu de ne hasarder pas de faire un second coadjuteur de Retz, en sortit par proposer à M. de Turenne sa nomination au cardinalat au lieu de la coadjutorerie, et se trouva heureux et obligé à M. de Turenne de ce qu'il voulut bien l'accepter. La promotion des couronnes était instante, ainsi ils n'attendirent pas, et se dépiquèrent ainsi de la coadjutorerie de l'abbé Le Tellier.

M. de Péréfixe était proviseur de Sorbonne, et en était d'autant plus le maître, qu'il s'était plus que prêté à toutes les volontés de la cour, contre M. Arnauld et ses amis, et qu'il avait fait main basse sur la Sorbonne, et répandu grand nombre de lettres de cachet. D'autre part, le jeune abbé s'était dévoué aux jésuites, auxquels il a été toute sa vie abandonné, et dont il a tiré de grands services. Avec ces secours, M. de Turenne put prétendre pour lui toutes les nouveautés qu'il voulut; elles s'exécutèrent plus tôt que personne ne s'en fut avisé, et une fois faites et sans disputes ni plaintes, la cour n'en dit rien aussi, et ne voulut pas courre après, et donner ce dégoût amer à M. de Turenne [14] . N'est-ce point là voler un peu sur les grands chemins? Si on examine bien tout ce rang de prince étranger, même dans ceux qui le sont par naissance, on le trouvera tout composé de pareils brigandages.

Sur cet exemple, l'abbé de Soubise prétendit les mêmes distinctions. Il y trouva de la résistance. Mme de Soubise n'eut pas peine à la vaincre. Le roi a toujours regardé celui-ci avec d'autres yeux que les autres enfants de Mme de Soubise, lui et un plus jeune qu'on appelait le prince Maximilien; car depuis elle, tout fut et se nomma prince dans cette maison. Mais ce prince Maximilien fut tué de fort bonne heure, et n'eut pas le temps comme l'abbé de profiter de l'affection particulière du roi. Il commanda au proviseur et à la Sorbonne, et l'abbé de Soubise fut traité comme l'avait été le cardinal de Bouillon. La suite naturelle était que tout finît de même. Il avait été prieur de Sorbonne pour briller et capter cette école irritée des ordres du roi à son égard. Il en fallut venir à ses lettres de doctorat, et c'est le point qui a causé toute cette digression pour l'entendre. M. de Reims n'y voulut point mettre d'altesse sérénissime. Il était proviseur de Sorbonne, et alléguait que M. de Péréfixe qui les avait données avec ce traitement à M. de Bouillon, depuis cardinal, n'était pas duc et pair. Mme de Soubise en vint à bout aussi aisément que du reste. Le roi l'ordonna à l'archevêque de Reims, et lui dit pour toute raison qu'il ne donnait pas ces lettres comme archevêque de Reims, mais comme proviseur de Sorbonne, et qu'il le voulait ainsi; on peut juger qu'il fut bientôt obéi.

Presque aussitôt après, le prince de Montbazon, second fils du prince de Guéméné (car l'aîné était enfermé dans une abbaye), épousa une fille du duc de Bouillon. Mme de Soubise obtint que les fiançailles se feraient dans le cabinet du roi.

Avant de quitter cette maison, il faut dire que le prince de Guéméné, mort duc de Montbazon, en février 1667, et frère de M. de Soubise, avait trente-un an plus que lui, et Aime de Chevreuse, morte en 1679, leur soeur, suivait le siècle. La princesse de Guéméné, morte duchesse de Montbazon en 1657, mère de M. de Soubise, était cette belle Mme de Montbazon dont on a fait ce conte qui a trouvé croyance: que l'abbé de Rancé, depuis ce célèbre abbé de la Trappe, en était fort amoureux et bien traité; qu'il la quitta à Paris, se portant fort bien, pour aller faire un tour à la campagne; que bientôt après, y ayant appris qu'elle était tombée malade, il était accouru, et qu'étant entré brusquement dans son appartement, le premier objet qui y était tombé sous ses yeux avait été sa tête, que les chirurgiens, en l'ouvrant, avait séparée; qu'il n'avait appris sa mort que par là, et que la surprise et l'horreur de ce spectacle joint à la douleur d'un homme passionné et heureux, l'avait converti, jeté dans la retraite, et de là dans l'ordre de Saint-Bernard et dans sa réforme. Il n'y a rien de vrai en cela, mais seulement des choses qui ont donné cours à cette fiction. Je l'ai demandé franchement à M. de la Trappe, non pas grossièrement l'amour et beaucoup moins le bonheur, mais le fait, et voici ce que j'en ai appris était intimement de ses amis, ne bougeait de l'hôtel de Montbazon, et ami de tous les personnages de la Fronde, de M. de Châteauneuf, de Mme de Chevreuse, de M. de Montrésor et de ce qui s'appelait alors les importants, mais plus particulièrement de M. de Beaufort avec qui il faisait très souvent des parties de chasse, et dans la dernière intimité avec le cardinal de Retz et qui a duré jusqu'à sa mort. Mme de Montbazon mourut de la rougeole en fort peu de jours. M. de Rancé était auprès d'elle, ne la quitta point, lui vit recevoir les sacrements, et fut présent à sa mort. La vérité est que, déjà touché et tiraillé entre Dieu et le monde, méditant déjà depuis quelque temps une retraite, les réflexions que cette mort si prompte fit faire à son coeur et à son esprit achevèrent de le déterminer, et peu après il s'en alla en sa maison de Véretz en Touraine, qui fut le commencement de sa séparation du monde.

La princesse de Guéméné, si initiée auprès de la reine mère par Mme de Chevreuse, soeur de son mari et de M. de Soubise, et qui attrapa le tabouret par les bricoles des particuliers et du Val-de-Grâce, mourut duchesse de Montbazon, en 1685, à quatre-vingt-un ans. Elle était mère du duc de Montbazon, mort fou en 1699, enfermé depuis longues années à Liège, et du chevalier de Rohan, décapité pour crime de lèse-majesté, 17 novembre 1674, quelque temps après avoir vendu à M. de Soyecourt sa charge de grand veneur, qu'il avait eue en survivance de son père et que M. de La Rochefoucauld eut à la mort de Soyecourt.

Suite
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Le commendataire percevait les revenus et avait les droits honorifiques attachés à une dignité ecclésiastique, sans être chargé de la discipline et souvent même sans être engagé dans les ordres.
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Il y a ici quelques difficultés de dates que l'on trouvera éclaircies dans les notes à la fin du volume.