CHAPITRE IX.

1701

L'empereur fait arrêter Ragotzi. — Retour des eaux du roi Jacques. — Peines de Monsieur. — Forte prise du roi et de Monsieur. — Mort de Monsieur. — Spectacle de Saint-Cloud. — Spectacle de Marly. — Diverses sortes d'afflictions et de sentiments. — Caractère de Monsieur. — Trait de hauteur de Monsieur à M. le Duc. — Visite curieuse de Mme de Maintenon à Madame. — Traitement prodigieux de M. le duc de Chartres, qui prend le nom de duc d'Orléans. — M. le Prince fait pour sa vie premier prince du sang. — Veuvage étrange de Madame; son traitement. — Obsèques de Monsieur. — Ducs à l'eau bénite, non les duchesses ni les princesses. — Désordres des carrosses. — Curieuse anecdote sur la mort de Madame, première femme de Monsieur.

Le royaume de Hongrie n'avait jamais tari de mécontents, et en avait souvent des marques qui leur avaient été funestes depuis que la maison d'Autriche avait dépouillé les états du droit d'élection des rois de Hongrie. Cela intéressait extrêmement la noblesse, surtout les grands seigneurs. Les peuples aussi se prétendaient vexés et foulés; et les griefs de religion, ou la grecque et la protestante ont un grand nombre de sectateurs, étoient une autre semence de soulèvement. Mais les garnisons allemandes, et presque toutes les grandes places occupées par des Allemands, indisposaient toute la nation en général. Il en coûta la tête en 1671 aux comtes Serini du nom d'Esdrin, gouverneur de Croatie, à Frangipani et à sa femme, soeur de Serini, et à Nadasti, président du conseil souverain de Hongrie, et la prison perpétuelle au fils du comte Serini, où il est mort plus de trente ans après. Sa soeur, fille du comte Serini exécuté, avait épousé le prince Ragotzi, dont elle eut le prince Ragotzi dont je vais parler, et qui me donnera lieu d'en parler plus d'une fois. Elle se remaria en 1681, au fameux comte Tekeli, chef des mécontents, qui a tant fait de bruit dans le monde, et n'en eut point d'enfants. Ragotzi, son premier mari, vécut particulier, et ne fut rien. Il avait été de la conspiration de son beau-père, mais la peur qu'il eut quand il le vit arrêté fit qu'il en usa si mal avec lui qu'il se sauva du naufrage; mais il ne fut rien toute sa vie. Il avait de grands biens. Son père, son grand-père qui fut fait prince de l'empire, et son bisaïeul, avaient été princes de Transylvanie, ce dernier élu en 1606, après la mort de Botzkay, Le Ragotzi dont je parle avait été bien élevé, et n'avait encore guère pu faire parler de lui, observé de près comme il l'était, lorsque, devenu par tant d'endroits si proches suspect à l'empereur qui découvrit de nouveaux remuements en Hongrie, il le fit arrêter et enfermer à Neustadt, au mois d'avril de cette année. On prétendit qu'il y était entré innocent; nous verrons bientôt que s'il n'en sortit pas coupable, il le devint bientôt après. Il était dès lors marié à une princesse de Hesse-Rhinfeltz.

Le roi d'Angleterre était revenu de Bourbon avec peu ou point de soulagement, et Monsieur était toujours à Saint-Cloud, dans la même situation de coeur et d'esprit, et gardant avec le roi la même conduite que j'ai expliquée. C'était pour lui être hors de son centre, à la faiblesse dont il était, et à l'habitude de toute sa vie d'une grande soumission et d'un grand attachement pour le roi, et de vivre avec lui, dans le particulier, dans une liberté de frère, et d'en être traité en frère aussi avec toutes, sortes de soins, d'amitié et d'égards, dans tout ce qui n'allait point à faire de Monsieur un personnage. Lui ni Madame n'avaient pas mal au bout du doigt que le roi n'y allât dans l'instant, et souvent après, pour peu que le mal durât. Il y avait six semaines que Madame avait la fièvre double tierce, à laquelle elle ne voulait rien faire, parce qu'elle se traitait à sa mode allemande, et ne faisait pas cas des remèdes ni des médecins. Le roi qui, outre l'affaire de M. le duc de Chartres, était secrètement outré contre elle, comme on le verra bientôt, n'avait point été la voir, quoique Monsieur l'en eût pressé dans ces tours légers qu'il venait faire sans coucher. Cela était pris par Monsieur, qui ignorait le fait particulier de Madame au roi, pour une marque publique d'une inconsidération extrême, et comme il était glorieux et sensible, il en était piqué au dernier point.

D'autres peines d'esprit le tourmentaient encore. Il avait depuis quelque temps un confesseur qui, bien que jésuite, le tenait de plus court qu'il pouvait; c'était un gentilhomme de bon lieu et de Bretagne, qui s'appelait le P. du Trévoux. Il lui retrancha, non seulement d'étranges plaisirs, mais beaucoup de ceux qu'il se croyait permis, pour pénitence de sa vie passée. Il lui représentait fort souvent qu'il ne se voulait pas damner pour lui, et que, si sa conduite lui paraissait trop dure, il n'aurait nul déplaisir de lui voir prendre un autre confesseur. À cela il ajoutait qu'il prît bien garde à lui, qu'il était vieux, usé de débauche, gras, court de cou, et que, selon toute apparence, il mourrait d'apoplexie, et bientôt. C'étaient là d'épouvantables paroles pour un prince le plus voluptueux et le plus attaché à la vie qu'on eût vu de longtemps, qui l'avait toujours passée dans la plus molle oisiveté, et qui était le plus incapable par nature d'aucune application, d'aucune lecture sérieuse, ni de rentrer en lui-même. Il craignait le diable, il se souvenait que son précédent confesseur n'avait pas voulu mourir dans cet emploi, et qu'avant sa mort il lui avait tenu les mêmes discours. L'impression qu'ils lui firent le forcèrent de rentrer un peu en lui-même, et de vivre d'une manière qui depuis quelque temps pouvait passer pour serrée à son égard. Il faisait à reprises beaucoup de prières, obéissait, à son confesseur, lui rendait compte de la conduite qu'il lui avait prescrite sur son jeu, sur ses autres dépenses, et sur bien d'autres choses, souffrait avec patience ses fréquents entretiens, et y réfléchissait beaucoup. Il en devint triste, abattu, et parla moins qu'à l'ordinaire, c'est-à-dire encore comme trois ou quatre femmes, en sorte que tout le monde s'aperçut bientôt de ce grand changement. C'en était bien à la fois que ces peines intérieures, et les extérieures du côté du roi, pour un homme aussi faible que Monsieur, et aussi nouveau à se contraindre, à être fâché et à le soutenir; et il était difficile que cela ne fit bientôt une grande révolution dans un corps aussi plein et aussi grand mangeur, non seulement à ses repas, mais presque toute la journée.

Le mercredi 8 juin, Monsieur vint de Saint-Cloud dîner avec le roi à Marly, et, à son ordinaire, entra dans son cabinet lorsque le conseil d'État en sortit. Il trouva le roi chagrin de ceux que M. de Chartres donnait exprès à sa fille, ne pouvant se prendre à lui directement. Il était amoureux de Mlle de Sery, fille d'honneur de Madame, et menait cela tambour battant. Le roi prit son thème là-dessus, et fit sèchement des reproches à Monsieur de la conduite de son fils. Monsieur qui, dans la disposition où il était, n'avait pas besoin de ce début pour se fâcher, répondit avec aigreur que les pères qui avaient mené de certaines vies avaient peu de grâce et d'autorité à reprendre leurs enfants. Le roi, qui sentit le poids de la réponse, se rabattit sur la patience de sa fille, et qu'au moins devait-on éloigner de tels objets de ses yeux. Monsieur, dont la gourmette était rompue, le fit souvenir, d'une manière piquante, des façons qu'il avait eues pour la reine avec ses maîtresses, jusqu'à leur faire faire les voyages dans son carrosse avec elle. Le roi outré renchérit, de sorte qu'ils se mirent tous deux à se parler à pleine tête.

À Marly, les quatre grands appartements en bas étaient pareils et seulement de trois pièces. La chambre du roi tenait au petit salon, et était pleine de courtisans à ces heures-là pour voir passer le roi s'allant mettre à table; et par de ces usages propres aux différents lieux, sans qu'on en puisse dire la cause, la porte du cabinet qui, partout ailleurs, était toujours fermée, demeurait en tout temps ouverte à Marly hors le temps du conseil, et il n'y avait dessus qu'une portière tirée que l'huissier ne faisait que lever pour y laisser entrer. À ce bruit il entra, et dit au roi qu'on l'entendait distinctement de sa chambre et Monsieur aussi, puis ressortit. L'autre cabinet du roi joignant le premier ne se fermait ni de porte ni de portière, il sortait dans l'autre petit salon, et il était retranché dans sa largeur pour la chaise percée du roi. Les valets intérieurs se tenaient toujours dans ce second cabinet, qui avaient entendu d'un bout à l'autre tout le dialogue que je viens de rapporter.

L'avis de l'huissier fit baisser le ton, mais n'arrêta pas les reproches, tellement que Monsieur, hors des gonds, dit au roi qu'en mariant son fils il lui avait promis monts et merveilles, que cependant il n'en avait pu arracher encore un gouvernement; qu'il avait passionnément désiré de faire servir son fils pour l'éloigner de ces amourettes, et que son fils l'avait aussi fort souhaité, comme il le savait de reste, et lui en avait demandé la grâce avec instance; que puisqu'il ne le voulait pas, il ne s'entendait point à l'empêcher de s'amuser pour se consoler. Il ajouta qu'il ne voyait que trop la vérité de ce qu'on lui avait prédit, qu'il n'aurait que le déshonneur et la honte de ce mariage sans en tirer jamais aucun profit. Le roi, de plus en plus outré de colère, lui repartit que la guerre l'obligerait bientôt à faire plusieurs retranchements; et que, puisqu'il se montrait si peu complaisant à ses volontés, il commencerait par ceux de ses pensions avant que retrancher sur soi-même.

Là-dessus le roi fut averti que sa viande était portée. Ils sortirent un moment après pour se venir mettre à table, Monsieur d'un rouge enflammé, avec les yeux étincelants de colère. Son visage ainsi allumé fit dire à quelqu'une des dames qui étaient à table et à quelques courtisans derrière, pour chercher à parler, que Monsieur, à le voir, avait grand besoin d'être saigné. On le disait soit de même à Saint-Cloud il y avait quelque temps, il en crevait de besoin, il l'avouait même, le roi l'en avait même pressé plus d'une fois malgré leurs piques. Tancrède, son premier chirurgien, était vieux, saignait mal et l'avait manqué. Il ne voulait pas se faire saigner par lui, et pour ne point lui faire de peine il eut la bonté de ne vouloir pas être saigné par un autre et d'en mourir. À ces propos de saignée, le roi lui en parla encore, et ajouta qu'il ne savait à quoi il tenait qu'il ne le menât dans sa chambre et qu'il ne le fît saigner tout à l'heure. Le dîner se passa à l'ordinaire, et Monsieur y mangea extrêmement, comme il faisait à tous ses deux repas, sans parler du chocolat abondant du matin, et de tout ce qu'il avalait de fruits, de pâtisserie, de confitures et de toutes sortes de friandises toute la journée, dont les tables de ses cabinets et ses poches étaient toujours remplies. Au sortir de table, le roi seul, Monseigneur avec Mme la princesse de Conti, Mgr le duc de Bourgogne seul, Mme la duchesse de Bourgogne avec beaucoup de dames, allèrent séparément à Saint-Germain voir le roi et la reine d'Angleterre. Monsieur, qui avait amené Mme la duchesse de Chartres de Saint-Cloud dîner avec le roi, la mena aussi à Saint-Germain, d'où il partit pour retourner à Saint-Cloud avec elle, lorsque le roi arriva à Saint-Germain.

Le soir après le souper, comme le roi était encore dans son cabinet avec Monseigneur et les princesses comme à Versailles, Saint-Pierre arriva de Saint-Cloud qui demanda à parler au roi de la part de M. le duc de Chartres. On le fit entrer dans le cabinet, où il dit au roi que Monsieur avait eu une grande faiblesse en soupant, qu'il avait été saigné, qu'il était mieux, mais qu'on lui avait donné de l'émétique. Le fait était qu'il soupa à son ordinaire avec les dames qui étaient à Saint-Cloud. Vers l'entremets, comme il versait d'un vin de liqueur à Mme de Bouillon, on s'aperçut qu'il balbutiait et qu'il montrait quelque chose de la main.

Comme il lui arrivait quelquefois de leur parler espagnol, quelques dames lui demandèrent ce qu'il disait, d'autres s'écrièrent; tout cela en un instant, et il tomba en apoplexie sur M. le duc de Chartres qui le retint. On l'emporta dans le fond de son appartement, on le secoua, on le promena, on le saigna beaucoup, on lui donna force émétique, sans en tirer presque aucun signe de vie.

À cette nouvelle, le roi, qui pour des riens accourait chez Monsieur, passa chez Mme de Maintenon qu'il fit éveiller; il fut un quart d'heure avec elle, puis sur le minuit rentrant chez lui, il commanda ses carrosses tout prêts, et ordonna au marquis de Gesvres d'aller à Saint-Cloud et, si Monsieur était plus mal, de revenir l'éveiller pour y aller, et se coucha. Outre la situation en laquelle ils se trouvaient ensemble, je pense que le roi soupçonna quelque artifice pour sortir de ce qui s'était passé entre eux, qu'il alla en consulter Mme de Maintenon, et qu'il aima mieux manquer à toute bienséance que de hasarder d'en être la dupe. Mme de Maintenon n'aimait pas Monsieur; elle le craignait. Il lui rendait peu de devoirs, et avec toute sa timidité et sa plus que déférence, il lui était échappé des traits sur elle plus d'une fois avec le roi, qui marquaient son mépris, et la honte qu'il avait de l'opinion publique. Elle n'était donc pas pressée de porter le roi à lui rendre, et moins encore de lui conseiller de voyager la nuit, de ne se point coucher, et d'être témoin d'un aussi triste spectacle et si propre à toucher et à faire rentrer en soi-même; et qu'elle espéra que, si la chose allait vite, le roi se l'épargnerait ainsi.

Un moment après que le roi fut au lit, arriva un page de Monsieur. Il dit au roi que Monsieur était mieux, et qu'il venait demander à M. le prince de Conti de l'eau de Schaffouse, qui est excellente pour les apoplexies. Une heure et demie après que le roi fut couché, Longueville arriva de la part de M. le duc de Chartres, qui éveilla le roi, et qui lui dit que l'émétique ne faisait aucun effet, et que Monsieur était fort mal. Le roi se leva, partit et trouva le marquis de Gesvres en chemin qui l'allait avertir; il l'arrêta et lui dit les mêmes nouvelles. On peut juger quelle rumeur et quel désordre cette nuit à Marly, et quelle horreur à Saint-Cloud, ce palais des délices. Tout ce qui était à Marly courut comme il put à Saint-Cloud; on s'embarquait avec les plus tôt prêts; et chacun, hommes et femmes, se jetaient et s'entassaient dans les carrosses sans choix et sans façon. Monseigneur alla avec Mme la Duchesse. Il fut si frappé, par rapport à l'état duquel il ne faisait que sortir, que ce fut tout ce que put faire un écuyer de Mme la Duchesse, qui se trouva là, de le traîner et le porter presque et tout tremblant dans le carrosse. Le roi arriva à Saint-Cloud avant trois heures du matin. Monsieur n'avait pas eu un moment de connaissance depuis qu'il s'était trouvé mal. Il n'en eut qu'un rayon d'un instant, tandis que sur le matin le P. du Trévoux était allé dire la messe, et ce rayon même ne revint plus.

Les spectacles les plus horribles ont souvent des instants de contrastes ridicules. Le P. du Trévoux revint et criait à Monsieur: « Monsieur, ne connaissez-vous pas votre confesseur? Ne connaissez-vous pas le bon petit père du Trévoux qui vous parle? » et fit rire assez indécemment les moins affligés.

Le roi le parut beaucoup; naturellement il pleurait aisément, il était donc tout en larmes. Il n'avait jamais eu lieu que d'aimer Monsieur tendrement; quoique mal ensemble depuis deux mois, ces tristes moments rappellent toute la tendresse; peut-être se reprochait-il d'avoir précipité sa mort par la scène du matin; enfin il était son cadet de deux ans, et s'était toute sa vie aussi bien porté que lui et mieux. Le roi entendit la messe à Saint-Cloud, et sur les huit heures du matin, Monsieur étant sans aucune espérance, Mme de Maintenon et Mme la duchesse de Bourgogne l'engagèrent de n'y pas demeurer davantage, et revinrent avec lui dans son carrosse. Comme il allait partir et qu'il faisait quelques amitiés à M. de Chartres, en pleurant fort tous deux, ce jeune prince sut profiter du moment. « Eh! sire, que deviendrai-je? lui dit-il en lui embrassant les cuisses; je perds Monsieur, et je sais que vous ne m'aimez point. » Le roi surpris et fort touché l'embrassa, et lui dit tout ce qu'il put de tendre. En arrivant à Marly, il entra avec Mme la duchesse de Bourgogne chez Mme de Maintenon. Trois heures après, M. Fagon, à qui le roi avait ordonné de ne point quitter Monsieur qu'il ne fût mort ou mieux, ce qui ne pouvait arriver que par miracle, lui dit dès qu'il l'aperçut: « Eh bien! monsieur Fagon, mon frère est mort? — Oui, sire, répondit-il, nul remède n'a pu, agir. » Le roi pleura beaucoup. On le pressa de manger un morceau chez Mme de Maintenon, mais il voulut dîner à l'ordinaire avec les dames, et les larmes lui coulèrent souvent pendant le repas, qui fut court, après lequel il se renferma chez Mme de Maintenon jusqu'à sept heures, qu'il alla faire un tour dans ses jardins. Il travailla avec Chamillart, puis avec Pontchartrain pour le cérémonial de la mort de Monsieur, et donna là-dessus ses ordres à Desgranges, maître des cérémonies, Dreux, grand maître, étant à l'armée d'Italie. Il soupa une heure plus tôt qu'à l'ordinaire, et se coucha fort tôt après. Il avait eu sur les cinq heures la visite du roi et de la reine d'Angleterre, qui ne dura qu'un moment.

Au départ du roi la foule s'écoula de Saint-Cloud peu à peu, en sorte que Monsieur mourant, jeté sur un lit de repos dans son cabinet, demeura exposé aux marmitons et aux bas officiers, qui la plupart, par affection ou par intérêt, étaient fort affligés. Les premiers officiers et autres, qui perdaient charges et pensions faisaient retentir l'air de leurs cris, tandis que toutes ces femmes qui étaient à Saint-Cloud, et qui perdaient leur considération et tout leur amusement, couraient çà et là, criant échevelées comme des bacchantes. La duchesse de La Ferté, de la seconde fille de qui on a vu plus haut l'étrange mariage, entra dans ce cabinet, où considérant attentivement ce pauvre prince qui palpitait encore : « Pardi, s'écria-t-elle dans la profondeur de ses réflexions, voilà une fille bien mariée! — Voilà qui est bien important aujourd'hui, lui répondit Châtillon qui perdait tout lui-même, que votre fille soit bien ou mal mariée! »

Madame était cependant dans son cabinet qui n'avait jamais eu ni grande affection ni grande estime pour Monsieur, mais qui sentait sa perte et sa chute, et qui s'écriait dans sa douleur de toute sa force: « Point de couvent! qu'on ne me parle point de couvent! je ne veux point de couvent. » La bonne princesse n'avait pas perdu le jugement; elle savait que, par son contrat de mariage, elle devait opter, devenant veuve, un couvent, ou l'habitation du château de Montargis. Soit qu'elle crût sortir plus aisément de l'un que de l'autre, soit que sentant combien elle avait à craindre du roi, quoiqu'elle ne sût pas encore tout, et qu'il lui eût fait les amitiés ordinaires en pareille occasion, elle eut encore plus de peur du couvent. Monsieur étant expiré, elle monta en carrosse avec ses dames, et s'en alla à Versailles suivie de M. et de Mme la duchesse de Chartres, et de toutes les personnes qui étaient à eux.

Le lendemain matin, vendredi, M. de Chartres vint chez le roi, qui était encore au lit et qui lui parla avec beaucoup d'amitié. Il lui dit qu'il fallait désormais qu'il le regardât comme son père; qu'il aurait soin de sa grandeur et de ses intérêts; qu'il oubliait tous les petits sujets de chagrin qu'il avait eus contre lui; qu'il espérait que de son côté il les oublierait aussi; qu'il le priait que les avances d'amitié qu'il lui faisait servissent à l'attacher plus à lui, et à lui redonner son coeur comme il lui redonnait le sien. On peut juger si M. de Chartres sut bien répondre.

Après un si affreux spectacle, tant de larmes et tant de tendresse, personne ne douta que les trois jours qui restaient du voyage de Marly ne fussent extrêmement tristes; lorsque ce même lendemain de la mort de Monsieur, des dames du palais entrant chez Mme de Maintenon où était le roi avec elle, et Mme la duchesse de Bourgogne sur le midi, elles l'entendirent de la pièce où elles se tenaient, joignant la sienne, chantant des prologues d'opéra. Un peu après le roi, voyant Mme la duchesse de Bourgogne fort triste en un coin de la chambre, demanda avec surprise à Mme de Maintenon ce qu'elle avait pour être si mélancolique, et se mit à la réveiller, puis à jouer avec elle et quelques dames du palais qu'il fit entrer pour les amuser tous deux. Ce ne fut pas tout que ce particulier. Au sortir du dîner ordinaire, c'est-à-dire un peu après deux heures, et vingt-six heures après la mort de Monsieur, Mgr le duc de Bourgogne demanda au duc de Montfort s'il voulait jouer au brelan. « Au brelan ! s'écria Montfort dans un étonnement extrême, vous n'y songez donc pas, Monsieur est encore tout chaud. — Pardonnez-moi, répondit le prince, j'y songe fort bien, mais le roi ne veut pas qu'on s'ennuie à Marly, m'a ordonné de faire jouer tout le monde, et de peur que personne ne l'osât faire le premier, d'en donner moi l'exemple. » De sorte qu'ils se mirent à faire un brelan, et que le salon fut bientôt rempli de tables de jeu.

Telle fut l'affliction du roi, telle celle de Mme de Maintenon. Elle sentait la perte de Monsieur comme une délivrance; elle avait peine à retenir sa joie: elle en eût eu bien davantage à paraître affligée. Elle voyait déjà le roi tout consolé, rien ne lui seyait mieux que de chercher à le dissiper, et ne lui était plus commode que de hâter la vie ordinaire pour qu'il ne fût plus question de Monsieur ni d'affliction. Pour des bienséances, elle ne s'en peina point. La chose toutefois ne laissa pas d'être scandaleuse, et tout bas d'être fort trouvée telle. Monseigneur semblait aimer Monsieur, qui lui donnait des bals et des amusements avec toutes sortes d'attention et de complaisance; dès le lendemain de sa mort, il alla courre le loup, et au retour trouva le salon plein de joueurs, tellement qu'il ne se contraignit pas plus que les autres. Mgr le duc de Bourgogne et M. le duc de Berry ne voyaient Monsieur qu'en représentation, et ne pouvaient être fort sensibles à sa perte. Mme la duchesse de Bourgogne la fut extrêmement. C'était son grand-père, elle aimait tendrement Mme sa mère, qui aimait fort Monsieur, et Monsieur marquait toutes sortes de soins, d'amitié et d'attentions à Mme la duchesse de Bourgogne, et l'amusait de toutes sortes de divertissements. Quoiqu'elle n'aimât pas grand'chose, elle aimait Monsieur, et elle souffrit fort de contraindre sa douleur, qui dura assez longtemps dans son particulier. On a vu ci-dessus en deux mots quelle fut la douleur de Madame.

Pour M. de Chartres la sienne fut extrême; le père et le fils s'aimaient tendrement. Monsieur était doux, le meilleur homme du monde, qui n'avait jamais contraint ni retenu M. son fils. Avec le coeur, l'esprit était aussi fort touché. Outre la grande parure dont lui était un père frère du roi, il lui était une barrière derrière laquelle il se mettait à couvert du roi, sous la coupe duquel il retombait en plein. Sa grandeur, sa considération, l'aisance de sa maison et de sa vie en allaient dépendre sans milieu. L'assiduité, les bienséances, une certaine règle, et pis que tout cela pour lui, une conduite toute différente avec Mme sa femme, allaient devenir la mesure de tout ce qu'il pouvait attendre du roi. Mme la duchesse de Chartres, quoique bien traitée de Monsieur, fut ravie d'être délivrée d'une barrière entre le roi et elle qui laissait à M. son mari toute liberté d'en user avec elle comme il lui plaisait, et des devoirs qui la tiraient plus souvent qu'elle ne voulait de la cour pour suivre Monsieur à Paris ou à Saint-Cloud, où elle se trouvait tout empruntée comme en pays inconnu, avec tous visages qu'elle ne voyait jamais que là, qui tous étaient pour la plupart fort sur le pied gauche avec elle, et sous les mépris et les humeurs de Madame qui ne les lui épargnait pas. Elle compta donc ne plus quitter la cour, n'avoir plus affaire à la cour de Monsieur, et que Madame et M. le duc de Chartres seraient obligés à l'avenir d'avoir pour elle des manières et des égards qu'elle n'avait pas encore éprouvés.

Le gros de la cour perdit en Monsieur: c'était lui qui y jetait les amusements, l'âme, les plaisirs, et quand il la quittait tout y semblait sans vie et sans action. À son entêtement près pour les princes, il aimait l'ordre des rangs, des préférences, des distinctions; il les faisait garder tant qu'il pouvait, et il en donnait l'exemple; il aimait le grand monde, il avait une affabilité et une honnêteté qui lui en attiraient foule, et la différence qu'il savait faire, et qu'il ne manquait jamais de faire, des gens suivant ce qu'ils étaient, y contribuait beaucoup. À sa réception, à son attention plus ou moins grande ou négligée, à ses propos, il faisait continuellement toute la différence qui flattait de la naissance et de la dignité, de l'âge et du mérite, et de l'état des gens, et cela avec une dignité naturellement en lui, et une facilité de tous les moments qu'il s'était formée. Sa familiarité obligeait, et se conservait sa grandeur naturelle sans repousser, mais aussi sans tenter les étourdis d'en abuser. Il visitait et envoyait où il le devait faire, et il donnait chez lui une entière liberté sans que le respect et le plus grand air de cour en souffrît aucune diminution. Il avait appris et bien retenu de la reine sa mère l'art de la tenir. Aussi la voulait-il pleine, et y réussissait. Par ce maintien la foule était toujours au Palais-Royal.

À Saint-Cloud où toute sa nombreuse maison se rassemblait, il avait beaucoup de dames qui à la vérité n'auraient guère été reçues ailleurs, mais beaucoup de celles-là du haut parage, et force joueurs. Les plaisirs de toutes sortes de jeux, de la beauté singulière du lieu que mille calèches rendaient aisé aux plus paresseuses pour les promenades, des musiques, de la bonne chère, en faisaient une maison de délices, avec beaucoup de grandeur et de magnificence, et tout cela sans aucun secours de Madame, qui dînait et soupait avec les dames de Monsieur, se promenait quelquefois en calèche avec quelques-unes, boudait souvent la compagnie, s'en faisait craindre par son humeur dure et farouche, et quelquefois par ses propos, et passait toute la journée dans un cabinet qu'elle s'était choisi, où les fenêtres étaient à plus de dix pieds de terre, à considérer les portraits des palatins et d'autres princes allemands dont elle l'avait tapissé, et à écrire des volumes de lettres tous les jours de sa vie et de sa main, dont elle faisait elle-même les copies qu'elle gardait. Monsieur n'avait pu la ployer à une vie plus humaine et la laissait faire, et vivait honnêtement avec elle, sans se soucier de sa personne avec qui il n'était presque point en particulier. Il recevait à Saint-Cloud beaucoup de gens qui de Paris et de Versailles lui allaient faire leur cour les après-dînées. Princes du sang, grands seigneurs, ministres, hommes et femmes n'y manquaient point de temps en temps encore ne fallait-il pas que ce fût en passant, c'est-à-dire en allant de Paris à Versailles, ou de Versailles à Paris. Il le demandait presque toujours, et montrait si bien qu'il ne comptait pas ces visites en passant, que peu de gens l'avouaient.

Du reste Monsieur, qui avec beaucoup de valeur avait gagné la bataille de Cassel, et qui en avait toujours montré une fort naturelle en tous les sièges où il s'était trouvé, n'avait d'ailleurs que les mauvaises qualités des femmes. Avec plus de monde que d'esprit, et nulle lecture, quoique avec une connaissance étendue et juste des maisons, des naissances et des alliances, il n'était capable de rien. Personne de si mou de corps et d'esprit, de plus faible, de plus timide, de plus trompé, de plus gouverné, ni de plus méprisé par ses favoris, et très souvent de plus malmené par eux. Tracassier et incapable de garder aucun secret, soupçonneux, défiant, semant des noises dans sa cour pour brouiller, pour savoir, souvent aussi pour s'amuser, et redisant des uns aux autres. Avec tant de défauts destitués de toutes vertus, un goût abominable que ses dons et les fortunes qu'il fit à ceux qu'il avait pris en fantaisie avaient rendu public avec le plus grand scandale, et qui n'avait point de bornes pour le nombre ni pour les temps. Ceux-là avaient tout de lui, le traitaient souvent avec beaucoup d'insolence, et lui donnaient souvent aussi de fâcheuses occupations pour arrêter les brouilleries de jalousies horribles; et tous ces gens-là ayant leurs partisans rendaient cette petite cour très orageuse, sans compter les querelles de cette troupe de femmes décidées de la cour de Monsieur, la plupart fort méchantes, et presque toutes plus que méchantes, dont Monsieur se divertissait, et entrait dans toutes ces misères-là.

Le chevalier de Lorraine et Châtillon y avaient fait une grande fortune par leur figure, dont Monsieur s'était entêté plus que de pas une autre. Le dernier, qui n'avait ni pain, ni sens, ni esprit, s'y releva, et y acquit du bien. L'autre prit la chose en guisard qui ne rougit de rien pourvu qu'il arrive, et mena Monsieur le bâton haut toute sa vie, fut comblé d'argent et de bénéfices, fit pour sa maison ce qu'il voulut, demeura toujours publiquement le maître chez Monsieur, et comme il avait avec la hauteur des Guise leur art et leur esprit, il sut se mettre entre le roi et Monsieur, et se faire ménager, pour ne pas dire craindre de l'un et de l'autre, et jouir d'une considération, d'une distinction et d'un crédit presque aussi marqué de la part du roi que de celle de Monsieur. Aussi fut-il bien touché, moins de sa perte que de celle de cet instrument qu'il avait su si grandement faire valoir pour lui. Outre les bénéfices que Monsieur lui avait donnés, l'argent manuel qu'il en tirait tant qu'il voulait, les pots-de-vin qu'il taxait et qu'il prenait avec autorité sur tous les marchés qui se faisaient chez Monsieur, il en avait une pension de dix mille écus, et le plus beau logement du Palais-Royal et de Saint-Cloud. Les logements, il les garda à prière de M. le duc de Chartres, mais il ne voulut pas accepter la continuation de la pension par grandeur, comme par grandeur elle lui fut offerte.

Quoiqu'il fût difficile d'être plus timide et plus soumis qu'était Monsieur avec le roi, jusqu'à flatter ses ministres et auparavant ses maîtresses, il ne laissait pas de conserver avec un grand air de respect, l'air de frère et des façons libres et dégagées. En particulier il se licenciait bien davantage, il se mettait toujours dans un fauteuil, et n'attendait pas que le roi lui dît de s'asseoir. Au cabinet, après le souper du roi, il n'y avait aucun prince assis que lui, non pas même Monseigneur; mais pour le service, et pour s'approcher du roi ou le quitter, aucun particulier ne le faisait avec plus de respect, et il mettait naturellement de la grâce et de la dignité en toutes ses actions les plus ordinaires. Il ne laissait pas de faire au roi par-ci par-là des pointes, mais cela ne durait pas; et comme son jeu, Saint-Cloud et ses favoris lui coûtaient beaucoup, avec de l'argent que le roi lui donnait il n'y paraissait plus. Jamais pourtant il n'a pu se ployer à Mme de Maintenon, ni se passer d'en lâcher de temps en temps quelques bagatelles au roi, et quelques brocards au monde. Ce n'était pas sa faveur qui le blessait, mais d'imaginer que la Scarron était devenue sa belle-soeur: cette pensée lui était insupportable.

Il était extrêmement glorieux, mais sans hauteur, fort sensible et fort attaché à tout ce qui lui était dû. Les princes du sang avaient fort haussé dans leurs manières à l'appui de tout ce qui avait été accordé aux bâtards, non pas trop M. le prince de Conti qui se contentait de profiter sans entreprendre, mais M. le Prince, et surtout M. le Duc, qui de proche en proche évita les occasions de présenter le service à Monsieur, ce qui n'était pas difficile, et qui eut l'indiscrétion de se vanter qu'il ne le servirait point. Le monde est plein de gens qui aiment à faire leur cour aux dépens des autres, Monsieur en fut bientôt averti; il s'en plaignit au roi fort en colère, qui lui répondit que cela ne valait pas la peine de se fâcher, mais bien celle de trouver occasion de s'en faire servir, et s'il le refusait de lui faire un affront. Monsieur, assuré du roi, épia l'occasion. Un matin qu'il se levait à Marly, où il logeait dans un des quatre appartements bas, il vit par sa fenêtre M. le Duc dans le jardin, il l'ouvre vite et l'appelle. M. le Duc vient, Monsieur se recule, lui demande où il va, l'oblige toujours reculant d'entrer et d'avancer pour lui répondre, et de propos en propos dont l'un n'attendait pas l'autre, tire sa robe de chambre. À l'instant le premier valet de chambre présente la chemise à M. le Duc, à qui le premier gentilhomme de la chambre de Monsieur fit signe de le faire. Monsieur cependant défaisant la sienne, et M. le Duc, pris ainsi au trébuchet, n'osa faire la moindre difficulté de la donner à Monsieur. Dès que Monsieur l'eut reçue, il se mit à rire, et à dire: « Adieu, mon cousin, allez-vous-en, je ne veux pas vous retarder davantage. » M. le Duc sentit toute la malice et s'en alla fort fâché, et le fut après encore davantage par les propos de hauteur que Monsieur en tint.

C'était un petit homme ventru, monté sur des échasses tant ses souliers étaient hauts, toujours paré comme une femme, plein de bagues, de bracelets, de pierreries partout avec une longue perruque, tout étalée en devant, noire et poudrée, et des rubans partout où il en pouvait mettre, plein de toutes sortes de parfums, et en toutes choses la propreté même. On l'accusait de mettre imperceptiblement du rouge. Le nez fort long, la bouche et les yeux beaux, le visage plein mais fort long. Tous ses portraits lui ressemblent. J'étais piqué à le voir qu'il fit souvenir qu'il était fils de Louis VIII à ceux de ce grand prince, duquel, à la valeur près, il était si complètement dissemblable.

Le samedi 11 juin, la cour retourna à Versailles, où, en arrivant, le roi alla voir Madame, M. et Mme de Chartres, chacun dans leur appartement. Elle, fort en peine de la situation où elle se trouvait avec le roi dans une occasion où il y allait du tout pour elle, et avait engagé la duchesse de Ventadour de voir Mme de Maintenon. Elle le fit; Mme de Maintenon ne s'expliqua qu'en général, et dit seulement qu'elle irait chez Madame au sortir de son dîner, et voulut que Mme de Ventadour se trouvât chez Madame et fût en tiers pendant sa visite. C'était le dimanche, le lendemain du retour de Marly. Après les premiers compliments ce qui était là sortit, excepté Mme de Ventadour. Alors Madame fit asseoir Mme de Maintenon, et il fallait pour cela qu'elle en sentît tout le besoin. Elle entra en matière sur l'indifférence avec laquelle le roi l'avait traitée pendant toute sa maladie, et Mme de Maintenon la laissa dire tout ce qu'elle voulut; puis lui répondit que le roi lui avait ordonné de lui dire que leur perte commune effaçait tout dans son coeur, pourvu que dans la suite il eût lieu d'être plus content d'elle qu'il n'avait eu depuis quelque temps, non seulement sur ce qui regardait ce qui s'était passé à l'égard de M. le duc de Chartres, mais sur d'autres choses encore plus intéressantes dont il n'avait pas voulu parler, et qui étaient la vraie cause de l'indifférence qu'il avait voulu lui témoigner pendant qu'elle avait été malade. À ce mot, Madame, qui se croyait bien assurée, se récrie, proteste, qu'excepté le fait de son fils elle n'a jamais rien dit ni fait qui pût déplaire, et enfile des plaintes et des justifications. Comme elle y insistait le plus, Mme de Maintenon tire une lettre de sa poche et là lui montre, en lui demandant si elle en connaissait l'écriture. C'était une lettre de sa main à sa tante la duchesse d'Hanovre, à qui elle écrivait tous les ordinaires, où après des nouvelles de cour elle lui disait en propres termes: qu'on ne savait plus que dire du commerce du roi et de Mme de Maintenon, si c'était mariage ou concubinage; et de là tombait sur les affaires du dehors et sur celles du dedans, et s'étendait sur la misère du royaume qu'elle disait ne s'en pouvoir relever. La poste l'avait ouverte, comme elle les ouvrait et les ouvre encore presque toutes, et l'avait trouvée trop forte pour se contenter à l'ordinaire d'en donner un extrait, et l'avait envoyée au roi en original. On peut penser si, à cet aspect et à cette lecture, Madame pensa mourir sur l'heure. La voilà à pleurer, et Mme de Maintenon à lui représenter modestement l'énormité de toutes les parties de cette lettre, et en pays étranger; enfin Mme de Ventadour à verbiager pour laisser à Madame le temps de respirer et de se remettre assez pour dire quelque chose. Sa meilleure excuse fut l'aveu de ce qu'elle ne pouvait nier, des pardons, des repentirs, des prières, des promesses.

Quand tout cela fut épuisé, Mme de Maintenon la supplia de trouver bon qu'après s'être acquittée de la commission que le roi lui avait donnée, elle pût aussi lui dire un mot d'elle-même, et lui faire ses plaintes de ce que, après l'honneur qu'elle lui avait fait autrefois de vouloir bien désirer son amitié et de lui jurer la sienne, elle avait entièrement changé depuis plusieurs années. Madame crut avoir beau champ. Elle répondit qu'elle était d'autant plus aise de cet éclaircissement, que c'était à elle à se plaindre du changement de Mme de Maintenon, qui tout d'un coup l'avait laissée et abandonnée et forcée de l'abandonner à la fin aussi, après avoir longtemps essayé de la faire vivre avec elle comme elles avaient vécu auparavant. À cette seconde reprise, Mme de Maintenon se donna le plaisir de la laisser enfiler comme à l'autre les plaintes et de plus les regrets et les reproches, après quoi elle avoua à Madame qu'il était vrai que c'était elle qui la première s'était retirée d'elle, et qui n'avait osé s'en rapprocher, que ses raisons étaient telles qu'elle n'avait pu moins que d'avoir cette conduite; et par ce propos fit redoubler les plaintes de Madame, et son empressement de savoir quelles pouvaient être ses raisons. Alors Mme de Maintenon lui dit que c'était un secret qui jusqu'alors n'était jamais sorti de sa bouche; quoiqu'elle en fût en liberté depuis dix ans qu'était morte celle qui le lui avait confié sur sa parole de n'en parler à personne, et de là raconte à Madame mille choses plus offensantes les unes que les autres qu'elle avait dites d'elle à Mme la Dauphine, lorsqu'elle était mal avec cette dernière, qui dans leur raccommodement les lui avait redites de mot à mot. À ce second coup de foudre Madame demeura comme une statue. Il y eut quelques moments de silence. Mme de Ventadour fit son même personnage pour laisser reprendre les esprits à Madame, qui ne sut faire que comme l'autre fois, c'est-à-dire qu'elle pleura, cria, et pour fin demanda pardon, avoua, puis repentirs et supplications. Mme de Maintenon triompha froidement d'elle assez longtemps, la laissant s'engouer de parler, de pleurer et lui prendre les mains. C'était une terrible humiliation pour une si rogue et fière Allemande. À la fin, Mme de Maintenon se laissa toucher, comme elle avait bien résolu, après avoir pris toute sa vengeance. Elles s'embrassèrent, elles se promirent oubli parfait et amitié nouvelle. Mme de Ventadour se mit à en pleurer de joie, et le sceau de la réconciliation fut la promesse de celle du roi, et qu'il ne lui dirait pas un mot des deux matières qu'elles venaient de traiter, ce qui plus que tout soulagea Madame. Tout se sait enfin dans les cours, et si je me suis peut-être un peu étendu sur ces anecdotes, c'est que je les ai sues d'original, et qu'elles m'ont paru très curieuses.

Le roi qui n'ignorait ni la visite de Mme de Maintenon à Madame, ni ce qu'il s'y devait traiter, donna quelque temps à cette dernière de se remettre, puis alla le même jour chez elle ouvrir en sa présence, et de M. le duc de Chartres, le testament de Monsieur, où se trouvèrent le chancelier et son fils comme secrétaires d'État de la maison du roi, et Terat, chancelier de Monsieur. Ce testament était de 1690, simple et sage, et nommait pour exécuteur celui qui se trouverait premier président du parlement de Paris le jour de son ouverture. Le roi tint la parole de Mme de Maintenon, il ne parla de rien, et fit beaucoup d'amitiés à Mme et à M. le duc de Chartres qui fut, et le terme n'est pas trop fort, prodigieusement bien traité.

Le roi lui donna, outre les pensions qu'il avait et qu'il conserva, toutes celles qu'avait Monsieur, ce qui fit six cent cinquante mille livres; en sorte qu'avec son apanage et ses autres biens, Madame payée de son douaire et de toutes ses reprises, il lui restait un million huit cent mille livres de rente avec le Palais-Royal, en sus Saint-Cloud et ses autres maisons. Il eut, ce qui ne s'était jamais vu qu'aux fils de France, des gardes et des Suisses, les mêmes qu'avait Monsieur, sa salle des gardes dans le corps du château de Versailles où était celle de Monsieur, un chancelier, un procureur général, au nom duquel il plaiderait et non au sien propre, et la nomination de tous les bénéfices de son apanage excepté les évêchés, c'est-à-dire que tout ce qu'avait Monsieur lui fut conservé en entier. En gardant ses régiments de cavalerie et d'infanterie, il eut aussi ceux qu'avait Monsieur, et ses compagnies de gens d'armes et de chevau-légers, et il prit le nom de duc d'Orléans. Des honneurs si grands et si inouïs, et plus de cent mille écus de pension au delà de celles de Monsieur, furent uniquement dus à la considération de son mariage, aux reproches de Monsieur si récents qu'il n'en aurait que la honte et rien de plus, et à la peine que ressentit le roi de la situation où lui et Monsieur étaient ensemble, qui avait pu avancer sa mort.

On s'accoutume à tout; mais d'abord ce prodigieux traitement surprit infiniment. Les princes du sang en furent extrêmement mortifiés. Pour les consoler, le roi incontinent après donna à M. le Prince tous les avantages pour lui et pour sa maison, sa vie durant, de premier prince du sang, comme M. son père les avait, et augmenta de dix mille écus sa pension, qui était de quarante, pour qu'il en eût cinquante, qui est celle de premier prince du sang.

M. de Chartres avait tout cela du vivant de Monsieur, quoique petit-fils de France, mais devenu fort au-dessus par tout ce qui lui fut donné à la mort de Monsieur, M. le Prince en profita. Les pensions de Madame et de la nouvelle duchesse d'Orléans furent augmentées. Après qu'elles eurent reçu les visites et les ambassadeurs, et que les quarante jours furent passés, pendant lesquels le roi visita souvent Madame, elle alla chez lui, chez les fils de France, chez Mme la duchesse de Bourgogne, qui l'avaient, excepté le roi, été tous voir en grand manteau et en mante, et à Saint-Germain en grand habit de veuve, après quoi elle, eut permission de souper tous les soirs en public avec le roi à l'ordinaire, d'être de tous les Marlys et de paraître partout sans maille, sans voile, sans bandeau, qui, à ce qu'elle disait, lui faisait mal à la tête. Pour le reste de cet équipage lugubre, le roi le supprima pour ne point voir tous les jours des objets si tristes. Il ne laissa pas de paraître fort étrange de voir Madame en public, et même à la messe de Monseigneur en musique, à côté de lui, où était toute la cour, enfin partout en tourière de filles de Sainte-Marie à leur croix près, sous prétexte qu'étant avec le roi et chez lui elle était en famille. Ainsi il ne fut pas question un instant de couvent ni de Montargis, et elle garda à Versailles l'appartement de Monsieur avec le sien. Il n'y eut donc que la chasse de retranchée pour un temps et les spectacles; encore le roi la fit-il venir souvent chez Mme de Maintenon l'hiver suivant, où on jouait devant lui des comédies avec de la musique, et toujours sous prétexte de famille, et là de particulier. Le roi lui permit d'ajouter à ses dames, mais sans nom, pour être seulement de sa suite, la maréchale de Clérembault et la comtesse de Beuvron, qu'elle aimait fort. Monsieur avait chassé l'une et l'autre du Palais-Royal; la première étant gouvernante de ses filles, à la place de laquelle il mit la maréchale de Grancey, et Mme de Maré, sa fille, dans la suite. L'autre était veuve d'un capitaine de ses gardes, frère du marquis de Beuvron et de la duchesse d'Arpajon. Madame leur donna quatre mille livres de pension à chacune, et le roi deux logements à Versailles auprès de celui de Madame, et les mena toujours depuis toutes deux à Marly, ce qui fut réglé une fois pour toutes. Avant cela, elle voyait peu la maréchale de Clérembault, que Monsieur haïssait, et point du tout la comtesse de Beuvron, qu'il haïssait encore davantage pour des tracasseries et des intrigues du Palais-Royal. Très rarement elle la voyait dans quelque intérieur de couvent à Paris en cachette; mais à découvert elle lui écrivait tous les jours de sa vie par un page qu'elle lui envoyait de quelque lieu où elle fût.

Le roi drapa six mois et fit tous les frais de la superbe pompe funèbre. Le lundi, 13 juin, toute la cour parut en long manteau devant le roi. Monseigneur, qui était venu le matin de Meudon, quitta le sien seulement pour le conseil, au sortir duquel il alla à Saint-Cloud en long manteau donner l'eau bénite avec tous les princes du sang, et M. de Vendôme, et force ducs, tous en rang d'ancienneté, et fut reçu au carrosse par M. le duc d'Orléans et la maison de Monsieur. L'abbé de Grancey, premier aumônier de Monsieur, lui présenta le goupillon et aux deux fils de France ses fils; un autre aumônier à tous les autres.

L'après-dînée du même jour, toutes les dames vinrent en mante chez Mme la duchesse de Bourgogne, qui y était aussi avec toutes les princesses du sang. Le cercle assis il ne dura qu'un moment, et Mme la duchesse de Bourgogne, suivie de toute cette cour, alla chez le roi, chez Madame, chez M. et chez Mme la duchesse d'Orléans, puis monta en carrosse au derrière avec Mme la grande-duchesse, trois princesses du sang au devant, Mme la Duchesse à une portière et la duchesse du Lude à l'autre, suivie de cinquante dames dans ses carrosses ou dans des carrosses du roi. Tout y fut en confusion. Il plut aux princesses du sang, dont chacune devait avoir un des carrosses, de se mettre toutes dans celui de Mme la duchesse de Bourgogne. On ne pouvait s'y attendre, parce que c'était la première fois que cela était arrivé, et je ne sais quel avantage elles crurent y trouver. Cela dérangea l'ordre des autres carrosses qui étaient réglés à l'avantage des duchesses sur les princesses, dont Mme d'Elboeuf se jeta de dépit dans le dernier carrosse. La princesse d'Harcourt avait fait tant de vacarme à Mme de Maintenon que, pour la première fois encore, le roi ordonna que, s'il y avait des princesses, personne ne donnerait d'eau bénite que les princesses du sang; et cela fut exécuté. Les cris furent horribles, et Mme la duchesse de Bourgogne, qui huit jours auparavant avait été à Saint-Cloud, où Monsieur lui avait donné une grande collation et une espèce de fête, fut si affligée qu'elle s'en trouva mal, et fut longtemps dans l'appartement de M. le duc d'Orléans avant de pouvoir aller donner l'eau bénite. M. le Duc, qui devait mener le corps pour prince du sang avec M. de La Trémoille pour duc, aima mieux conduire le coeur au Val-de-Grâce pour en être plus tôt quitte, et laissa mener le corps à M. le prince de Conti et à M. de Luxembourg. Le service fut superbe, où les cours assistèrent; et où Mgr le duc de Bourgogne, M. le duc de Berry, et M. le duc d'Orléans furent les princes du deuil, parce que Monseigneur, peu éloigné encore de l'accident qu'il avait eu, ne voulut pas s'exposer à la longueur et à la chaleur de la cérémonie. M. de Langres fit l'oraison funèbre, et s'en acquitta assez bien. Cela lui convenait. Le comte de Tonnerre, son frère, avait passé presque toute sa vie dans la charge de premier gentilhomme de la chambre de Monsieur.

Je ne puis finir sur ce prince sans raconter une anecdote, qui a été sue de bien peu de gens, sur la mort de Madame [33] que personne n'a douté qui n'eût été empoisonnée, et même grossièrement. Ses galanteries donnaient de la jalousie à Monsieur. Le goût opposé de Monsieur indignait Madame. Les favoris qu'elle haïssait semaient tant qu'ils pouvaient la division entre eux, pour disposer de Monsieur tout à leur aise. Le chevalier de Lorraine, dans le fort de sa jeunesse et de ses agréments, étant né en 1643, possédait Monsieur avec empire, et le faisait sentir à Madame comme à toute la maison. Madame, qui n'avait qu'un an moins que lui, et qui était charmante, ne pouvait à plus d'un titre souffrir cette domination; elle était au comble de faveur et de considération auprès du roi, dont elle obtint enfin l'exil du chevalier de Lorraine. À cette nouvelle Monsieur s'évanouit, puis fondit en larmes et s'alla jeter aux pieds du roi pour faire révoquer un ordre qui le mettait au dernier désespoir. Il ne put y réussir; il entra en fureur, et s'en alla à Villers-Cotterêts. Après avoir bien jeté feu et flammes contre le roi et contre Madame qui protestait toujours qu'elle n'y avait point de part, il ne put soutenir longtemps le personnage de mécontent pour une chose si publiquement honteuse. Le roi se prêta à le contenter d'ailleurs, il eut de l'argent, des compliments, des amitiés, il revint le cœur fort gros, et peu à peu vécut à l'ordinaire avec le roi et Madame.

D'Effiat, homme d'un esprit hardi, premier écuyer de Monsieur, et le comte de Beuvron, homme liant et doux, mais qui voulait figurer chez Monsieur, dont il était capitaine des gardes, et surtout tirer de l'argent pour se faire riche en cadet de Normandie fort pauvre, étaient étroitement liés avec le chevalier de Lorraine dont l'absence nuisait fort à leurs affaires, et leur faisait appréhender que quelque autre mignon ne prît sa place, duquel ils ne s'aideraient pas si bien. Pas un des trois n'espérait la fin de cet exil, à la faveur où ils voyaient Madame, qui commençait même à entrer dans les affaires et à qui le roi venait de faire faire un voyage mystérieux en Angleterre, où elle avait parfaitement réussi, et en venait de revenir plus triomphante que jamais. Elle était de juin 1644, et d'une très bonne santé [34] , qui achevait de leur faire perdre de vue le retour du chevalier de Lorraine. Celui-ci étroit allé promener son dépit en Italie et à Rome. Je ne sais lequel des trois y pensa le premier, niais le chevalier de Lorraine envoya à ses deux amis un poison sûr et prompt par un exprès qui ne savait peut-être pas lui-même ce qu'il portait.

Madame était à Saint-Cloud, qui, pour se rafraîchir, prenait depuis quelque temps, sur les sept heures du soir, un verre d'eau de chicorée. Un garçon de sa chambre avait soin de la faire. Il la mettait dans une armoire d'une des antichambres de Madame, avec son verre, etc. Cette eau de chicorée était dans un pot de faïence ou de porcelaine, et il y avait toujours auprès d'autre eau commune, en cas que Madame trouvât celle de chicorée trop amère, pour la mêler. Cette antichambre était le passage public pour aller chez Madame, où il ne se tenait jamais personne, parce qu'il y en avait plusieurs. Le marquis d'Effiat avait épié tout cela. Le 29 juin 1670, passant par cette antichambre, il trouva le moment qu'il cherchait, personne dedans, et il avait remarqué qu'il n'était suivi de personne qui allât aussi chez Madame; il se détourne, va à l'armoire, l'ouvre, jette son boucon, puis entendant quelqu'un, s'arme de l'autre pot d'eau commune, et comme il le remettait, le garçon de la chambre, qui avait le soin de cette eau de chicorée, s'écrie, court à lui, et lui demande brusquement ce qu'il va faire à cette armoire. D'Effiat, sans s'embarrasser le moins du monde, lui dit qu'il lui demande pardon, mais qu'il crevait de soif, et que sachant qu'il y avait de l'eau là dedans, lui montrant le pot d'eau commune, il n'a pu résister à en aller boire. Le garçon grommelait toujours, et l'autre toujours l'apaisant et s'excusant, entre chez Madame, et va causer comme les autres courtisans, sans la plus légère émotion. Ce qui suivit, une heure après, n'est pas de mon sujet, et n'a que trop fait de bruit par toute l'Europe.

Madame étant morte le lendemain 30 juin, à trois heures du matin, le roi fut pénétré de la plus grande douleur. Apparemment que dans la journée il eut des indices, et que ce garçon de chambre ne se tut pas, et qu'il y eut notion que Purnon, premier maître d'hôtel de Madame, était dans le secret, par la confidence intime où, dans son bas étage, il était avec d'Effiat. Le roi couché, il se relève, envoie chercher Brissac, qui dès lors était dans ses gardes et fort sous sa main, lui commande de choisir six gardes du corps bien sûrs et secrets, d'aller enlever le compagnon, et de le lui amener dans ses cabinets par les derrières. Cela fut exécuté avant le matin. Dès que le roi l'aperçut, il fit retirer Brissac et son premier valet de chambre, et prenant un visage et un ton à faire la plus grande terreur: « Mon ami, lui dit-il en le regardant depuis les pieds jusqu'à la tête, écoutez-moi bien: si vous m'avouez tout, et que vous me répondiez vérité sur ce que je veux savoir de vous, quoi que vous ayez fait, je vous pardonne, et il n'en sera jamais mention. Mais prenez garde à ne me pas déguiser la moindre chose, car si vous le faites, vous êtes mort avant de sortir d'ici. Madame n'a-t-elle pas été empoisonnée? — Oui, sire, lui répondit-il. — Et qui l'a empoisonnée, dit le roi, et comment l'a-t-on fait? » Il répondit que c'était le chevalier de Lorraine qui avait envoyé le poison à Beuvron et à d'Effiat, et lui conta ce que je viens d'écrire. Alors, le roi redoublant d'assurance de grâce et de menace de mort: « Et mon frère, dit le roi, le savait-il? — Non, sire, aucun de nous trois n'était assez sot pour le lui dire: il n'a point de secret; il nous aurait perdus. » À cette réponse, le roi fit un grand ha! comme un homme oppressé, et qui tout d'un coup respire. « Voilà, dit-il, tout ce que je voulais savoir. Mais m'en assurez-vous bien? » Il rappela Brissac et lui commanda de remener cet homme quelque part, où tout de suite il le laissât aller en liberté. C'est cet homme lui-même qui l'a conté, longues années depuis, à M. Joly de Fleury, procureur général du parlement, duquel je tiens cette anecdote.

Ce même magistrat, à qui j'en ai reparlé depuis, m'apprit ce qu'il ne m'avait pas dit la première fois, et le voici : Peu de jours après le second mariage de Monsieur, le roi prit Madame en particulier, lui conta ce fait, et ajouta qu'il la voulait rassurer sur Monsieur et sur lui-même, trop honnête homme pour lui faire épouser son frère s'il était capable d'un tel crime. Madame en fit son profit. Purnon, le même Cl. Bonneau, était demeuré son premier maître d'hôtel. Peu à peu elle fit semblant de vouloir entrer dans la dépense de sa maison, le fit trouver bon à Monsieur, et tracassa si bien Purnon, qu'elle le fit quitter, et qu'il vendit sa charge, sur la fin de 1674, au sieur Michel Viel de Suranne.

Suite
[33]
Henriette d'Angleterre. Voy., notes à la fiai du volume.
[34]
Voy., à la fin du volume la note sur la mort de Madame.