Saint-Simon parle souvent dans ses Mémoires des tentatives de familles nobles pour obtenir des privilèges particuliers, tabouret à la cour, entrée en carrosse dans les châteaux royaux, ce qu'on appelait alors les honneurs du Louvre, rang de princes étrangers, etc. Ces efforts pour s'élever au-dessus de la noblesse ordinaire provoquèrent une très vive opposition, surtout au mois d'octobre 1649. Saint-Simon en parle. Nous réunirons ici plusieurs passages du Journal inédit de Dubuisson-Aubenay [46] , qui indique avec précision tous les détails de cette petite révolution de cour. Attaché au secrétaire d'État Duplessis-Guénégaud, Dubuisson-Aubenay est comme le Dangeau de la Fronde: il retrace minutieusement les cabales qui agitèrent la cour de 1648 à 1653; il parle aussi de l'opposition qu'à la même époque les ducs et pairs firent aux prétentions de certaines familles qui affectaient le rang de princes étrangers.
« Lundi 4 octobre (1649), la reine étant au cercle, le maréchal de L'Hôpital lui a présenté le mémoire ou requête de toute la noblesse de la cour opposante aux tabourets, de la poursuite desquels les sieurs de Miossens [47] et de Marsillac [48] voulaient bien se déporter; mais les princes qui la portaient ont voulu que l'affaire allât jusqu'au bout. Enfin elle est échouée tout à fait ou remise à une autre fois. Les comtes de Montrésort [49] et de Béthune [50] , qui n'avaient point encore parlé, y ont paru, et le premier a parlé à la reine d'une façon de longtemps préméditée. Il y avait une lettre circulaire aux gouverneurs et grands seigneurs de toutes les provinces, toute prête à être signée, et envoyée de la part des opposants, qui avait été dressée en l'assemblée chez le marquis de Sourdis.
« Les ducs et pairs s'assemblent chez le duc d'Uzès, et les princes autres que du sang chez M. de Chevreuse.
« Mardi matin, 5 octobre, encore assemblée de la noblesse opposante, que l'on appelle anti-tabouretiers, chez le marquis de Sourdis, lui absent, et son fils, le marquis d'Alluye, présent.
« Jeudi 7, la noblesse opposante aux tabourets s'assemble encore chez le marquis d'Alluye, en l'hôtel de Sourdis.
« L'opposition des ducs et pairs contre la principauté de la maison Bouillon La Tour continue, et la plainte des maréchaux de France contre le vicomte de Turenne, de ce qu'il a fait ôter les bâtons de maréchal de France de son carrosse [51] . »
Après avoir dit que les assemblées de la noblesse continuèrent le vendredi 8 et le samedi 9, sans entrer dans aucun détail, Dubuisson-Aubenay parle avec plus d'étendue de celle qui se tint le 11 octobre :
« Il y a eu grand bruit. Le marquis d'Alluye, fils du marquis de Sourdis d'Escoubleau, absent, a voulu faire sortir de chez lui les Besançon [52] , disant qu'ils n'étaient pas gentilshommes. Ceux-ci ont menacé l'autre de coups de bâton. Le sieur d'Amboise, ci-devant gouverneur de Trin [53] en Piémont, puis de Lagny-sur-Marne durant le siège de Paris, a été admonesté de s'en retirer, quoiqu'il ait eu pour père un maître des requêtes, et qu'il ait les armes de l'ancienne maison d'Amboise, qui est de six pals [54] d'or et de gueules; ce qu'il a fait doucement. Le prince de Condé avait prié du commencement quelques-uns de ses amis de n'y pas aller; à la fin il les y a envoyés lui-même. Le bruit des Besançon fut dès samedi.
« Dimanche après midi l'assemblée fut chez le maréchal de L'Hôpital, et aussi ce jourd'hui lundi depuis huit heures jusques après dix, que fut apporté le brevet de la reine, par lequel elle abolit tous tabourets, entrées au Louvre et autres privilèges, concédés à qui que ce soit contre les formes ordinaires depuis l'an 1643 et durant la régence. On a voulu délibérer si l'on se contenterait de ce brevet, et s'il ne fallait pas une déclaration du roi enregistrée au parlement, et les uns étaient d'un avis, les autres d'un autre; mais le maréchal d'Estrées, l'un des présidents (car les maréchaux de France [55] y président, et les sieurs de Maulevrier, Brèves et de Villarceau servent de greffiers), ayant dit que l'heure était passée, est sorti et beaucoup de noblesse avec lui. Les autres sont demeurés en colère, disant qu'ils voulaient délibérer et qu'ils n'avaient que faire de ceux qui s'en allaient de la sorte. Mais le comte de Montrésor les a apaisés disant que jusqu'alors ils n'avaient rien fait que de bien; qu'ils ne devaient donc pas finir par désordre et précipitation; que l'on attendît à demain que l'assemblée fût légitime et complète pour achever leur délibération; ce qui a été fait, et on nomma douze commissaires d'entre eux pour examiner l'affaire.
« Mardi 12, l'assemblée de la noblesse continue pour la dernière fois. Le brevet de révocation des brevets des tabourets et entrées en carrosse dans le logis du roi, donnés à la comtesse de Fleix [56] de la part de la reine comme à une veuve de la maison de Foix, à la demoiselle de Brantes-Luxembourg [57] , et aussi à M. de Bouillon comme prince étranger, a été reçu. On a voulu faire passer que dorénavant toutes les concessions n'auraient d'effet qu'après l'enregistrement des brevets du roi, même majeur, au parlement. La pluralité des voix au contraire l'a emporté. L'assemblée ainsi s'est rompue, et l'archevêque d'Embrun, jadis abbé de La Feuillade, y est venu la haranguer de la part de son corps. Celui de la noblesse ira, dit-on, les remercier, et remerciera aussi tant les ducs et pairs que les princes qui ont épaulé ladite noblesse. Là-dessus le comte de Miossens, sous-lieutenant des gens d'armes du roi, demanda qu'il fût fait un décret que dorénavant en France on ne reconnût plus aucuns princes que ceux du sang, et que les autres fussent réduits aux purs rangs de la noblesse.
« Mercredi 13, se tient encore assemblée chez le maréchal de L'Hôpital par la noblesse, où elle a résolu la députation vers la reine et M. le cardinal pour les remercier du brevet de révocation ci-dessus, et donner part aux ducs et pairs assemblés chez le duc d'Uzès, et aux princes étrangers chez le duc de Chevreuse, de la conclusion de leur assemblée et de tout ce qui s'y est passé.
« Le comte de Miossens est aussi allé remercier la reine de ce qu'elle lui promet toit qu'il ne se ferait aucune concession de cette nature durant la régence qu'il n'y eût part; et qu'elle lui donnait cependant et dès à présent sa charge de maître de la garde-robe de M. le duc d'Anjou, de laquelle il a pris possession à l'heure même près de ce petit prince, et en outre douze mille livres d'appointements. »