NOTE III. MADAME LA COMTESSE ET VARDES.

L'aventure de Vardes et de Mme la Comtesse a été racontée par Mme de La Fayette [74] et par Mme de Motteville [75]. M. Amédée Renée, dans ses Nièces de Mazarin, ouvrage où il a su rendre la science agréable et piquante, a rappelé ces intrigues qui causèrent une véritable révolution a la cour de Louis XIV, en faisant bannir deux personnages renommés par leur élégance, leur esprit et leurs brillantes aventures. Le comte de Guiche [76] et Vardes [77] ne se relevèrent pas de cette disgrâce. On peut ajouter aux documents relatifs à ces intrigues le récit qu'en a tracé Olivier d'Ormesson [78]: « M. de Bar nous dit une intrigue découverte à la cour, et comme je l'ai sue aussi d'autres personnes et qu'elle peut avoir des suites, je la veux écrire tout entière, comme je l'ai apprise. Il y a quelques années que l'intelligence de Madame avec M. le comte de Guiche fit un grand éclat [79]. M. le comte de Guiche fut envoyé en Lorraine, après l'accommodement de Lorraine, et il fit ensuite le voyage de Pologne. M. de Vardes fut commis pour retirer les lettres des mains de Mlle de Montalais, et étoit le confident entre les deux; mais il ne rendit pas toutes les lettres, et il en retint deux qu'il mit entre les mains de Mme la Comtesse pour s'en servir contre Madame en cas de besoin.

« Dans ce même temps les amours de Mlle de La Vallière et du roi commençoient, et Mme la Comtesse vouloit les rompre. Elle prit une enveloppe d'un paquet du roi d'Espagne à la reine, et concerta une lettre avec Vardes comme du roi d'Espagne à la reine, qui lui donnoit avis des amours de Mlle de La Valliere et du roi, et ils la firent traduire en espagnol par le comte de Guiche, la firent écrire [79]par le beau-frère de Gourville, et l'envoyèrent à Gourville en Flandre afin qu'il l'envoyât par un courrier.

« Cette lettre fut adressée à la señora Molina, Espagnole, pour la rendre à la reine [79]. Elle la donna au roi qui jugea que c'était une lettre supposée, mais ne put découvrir d'où elle venoit, et l'on prétend qu'il soupçonna Mme de Navailles [80], et que c'est la véritable cause de sa disgrâce. Depuis, M. de Vardes s'étant brouillé avec Madame pour avoir dit au fils de M. le comte d'Harcourt qu'il devoit s'adresser à Madame sans s'amuser aux suivantes, le roi l'a envoyé, à la prière de Madame, à Aigues-Mortes [81], sans lui vouloir cependant de mal, disant qu'il serait son solliciteur d'affaires.

« Mme la Comtesse, ennuyée de ce long exil, a fait prier Madame de s'adoucir, et pour l'y obliger lui a fait dire qu'elle avoit des lettres et de quoi lui donner de la peine. Madame s'en étant irritée, et sachant par le comte de Guiche l'histoire de la lettre, elle l'a dite au roi. Ce fut dans la tribune le jour du ballet qu'elle en fit sortir Mme la Comtesse; et le roi l'ayant pressée de faire quelque civilité à Mme la Comtesse et lui disant qu'elle la devoit ménager ayant des lettres, sur cela Madame lui dit la lettre espagnole [82].

« Le comte de Guiche mandé aussitôt par le roi, après avoir obtenu son pardon, lui a dit toute l'intrigue et a fort chargé Vardes, et le roi a pris par écrit sa déclaration et la lui a fait signer. L'on dit que le comte de Guiche a découvert encore d'autres intrigues sur l'affaire de Dunkerque, et qu'il avoit conseillé à Madame de s'y retirer avec Monsieur, et que, soutenue du roi d'Angleterre, elle se feroit considérer, et l'on parle que ces lettres ont été rendues au roi, par lesquelles il mandoit à Madame: Votre timide beau-frère n'est qu'un fanfaron et un avare. Quand une fois vous serez dans Dunkerque, nous lui ferons faire, le bâton haut, tout ce que nous voudrons. Le roi a envoyé un exempt à Vardes avec des gardes pour l'arrêter prisonnier et le conduire dans la citadelle de Montpellier et lui ordonner de se défaire de sa charge. M. le maréchal de Grammont a eu de longues conférences avec le roi, et l'on dit qu'il a obtenu le pardon pour son fils; mais néanmoins que c'est un homme dont la fortune est perdue. »

Suite
[74]
Histoire de Mme Henriette, coll. Petitot, t. LXIV, p. 410.
[75]
Mémoires de Mme de Motteville, coll. Petitot, t. XLI, p. 180, 228.
[76]
Armand de Grammont, comte de Guiche, né en 1637, mort en 1673.
[77]
François-René du Bec-Crespin, marquis de Vardes, mort en 1688.
[78]
Journal, IIe partie, fol. 97.
[79]
Cette première intrigue se place en 1661, comme on le voit par les Mémoires de Mme de Motteville. Le petit roman spirituellement brodé par Mme de La Fayette présente sous le jour le plus favorable les relations d'Henriette d'Angleterre et d'Antoine de Grammont: « Le comte de Guiche, dit-elle, ne trouvoit rien de plus beau que de tout hasarder; et Madame et lui, sans avoir de véritable passion l'un pour l'autre, s'exposèrent au plus grand danger où l'on se soit jamais exposé. Madame étoit malade et environnée de toutes ses femmes... Elle faisoit entrer le comte de Guiche, quelquefois en plein jour, déguisé en femme qui dit la bonne aventure, et il la disoit même aux femmes de Madame, qui le voyoient tous les jours et qui ne le reconnoissoient pas; d'autres fois, par d'autres inventions, mais toujours avec beaucoup de hasard; et ces entrevues si périlleuses se passoient à se moquer de Monsieur. »
[79]
[79]
2. Ces événements sont de la fin de l'année 1662, d'après les Mémoires de Mme de Motteville.
[80]
Gouvernante des filles d'honneur de la reine. Voy. las Mémoires de Mme de Motteville.
[81]
Vardes était gouverneur d'Aigues-Mortes depuis 1660.
[82]
Ce dénoûment d'une intrigue qui remontait à l'année 1661 se place au mois de mars 1665.