CHAPITRE XIX.

La cour pour toujours à la campagne; raisons de cette politique. — Origine de Versailles. — Le roi veut une grosse cour. — Ses adresses pour la rendre et la maintenir telle. — Application du roi à être informé de tout. — Police; délations. — Secret des postes. — Le roi se pique de tenir parole, est fort secret, se plaît aux confiances. — Singulière histoire là-dessus. — Art personnel du roi à rendre tout précieux. — Sa retenue; sa politesse mesurée. — Patience du roi, et précision et commodité de son service et de sa cour. — Crédit et familiarité des valets. — Jalousie du roi pour le respect rendu à ceux qu'il envoyait. — Récit bien singulier sur le duc de Montbazon. — Grâces naturelles du roi en tout. — Son adresse; son air galant, grand, imposant. — Politique du plus grand luxe. — Son mauvais goût. — Le roi ne fait rien à Paris, abandonne Saint-Germain, s'établit à Versailles, veut forcer la nature. — Ouvrages de Maintenon. — Marly.

La cour fut un autre manège de la politique du despotisme. On vient de voir celle qui divisa, qui humilia, qui confondit les plus grands, celle qui éleva les ministres au-dessus de tous, en autorité et en puissance par-dessus les princes du sang, en grandeur même par-dessus les gens de la première qualité, après avoir totalement changé leur état. Il faut montrer les progrès en tous genres de la même conduite dressée sur le même point de vue.

Plusieurs choses contribuèrent à tirer pour toujours la cour hors de Paris, et à la tenir sans interruption à la campagne. Les troubles de la minorité, dont cette ville fut le grand théâtre, en avaient imprimé au roi l'aversion, et la persuasion encore que son séjour y était dangereux, et que la résidence de la cour ailleurs rendrait à Paris les cabales moins aisées par la distance des lieux, quelque peu éloignés qu'ils fussent, et en même temps plus difficiles à cacher par les absences si aisées à remarquer. Il ne pouvait pardonner à Paris sa sortie fugitive de cette ville la veille des Rois (1649), ni de l'avoir rendue, malgré lui, témoin de ses larmes, à la première retraite de Mme de La Vallière. L'embarras des maîtresses, et le danger de pousser de grands scandales au milieu d'une capitale si peuplée, et si remplie de tant de différents esprits, n'eut pas peu de part à l'en éloigner. Il s'y trouvait importuné de la foule du peuple à chaque fois qu'il sortait, qu'il rentrait, qu'il paraissait dans les rues; il ne l'était pas moins d'une autre sorte de foule de gens de la ville, et qui n'était pas pour l'aller chercher assidûment plus loin. Des inquiétudes aussi, qui ne furent pas plutôt aperçues que les plus familiers de ceux qui étaient commis à sa garde, le vieux Noailles, M. de Lauzun, et quelques subalternes, firent leur cour de leur vigilance, et furent accusés de multiplier exprès de faux avis qu'ils se faisaient donner, pour avoir occasion de se faire valoir et d'avoir plus souvent des particuliers avec le roi; le goût de la promenade et de la chasse, bien plus commodes à la campagne qu'à Paris, éloigné des forêts et stérile en lieux de promenades; celui des bâtiments qui vint après, et peu à peu toujours croissant, ne lui en permettait pas l'amusement dans une ville où il n'aurait pu éviter d'y être continuellement en spectacle; enfin l'idée de se rendre plus vénérable en se dérobant aux yeux de la multitude, et à l'habitude d'en être vu tous les jours, toutes ces considérations fixèrent le roi à Saint-Germain bientôt après la mort de la reine sa mère.

Ce fut là où il commença à attirer le monde par les fêtes et les galanteries, et à faire sentir qu'il voulait être vu souvent.

L'amour de Mme de La Vallière, qui fut d'abord un mystère, donna lieu à de fréquentes promenades à Versailles, petit château de cartes alors, bâti par Louis XIII ennuyé, et sa suite encore plus, d'y avoir souvent couché dans un méchant cabaret à rouliers et dans un moulin à vent, excédés de ses longues chasses dans la forêt de Saint-Léger et plus loin encore, loin alors de ces temps réservés à son fils où les routes, la vitesse des chiens et le nombre gagé des piqueurs et des chasseurs à cheval a rendu les chasses si aisées et si courtes. Ce monarque ne couchait jamais ou bien rarement à Versailles qu'une nuit, et par nécessité; le roi son fils pour être plus en particulier avec sa maîtresse, plaisirs inconnus au juste, au héros, digne fils de saint Louis, qui bâtit ce petit Versailles.

Les petites parties de Louis XIV y firent naître peu à peu ces bâtiments immenses qu'il y a faits; et leur commodité pour une nombreuse cour, si différente des logements de Saint-Germain, y transporta tout à fait sa demeure peu de temps avant la mort de la reine. Il y fit des logements infinis, qu'on lui faisait sa cour de lui demander, au lieu qu'à Saint-Germain, presque tout le monde avait l'incommodité d'être à la ville, et le peu qui était logé au château y était étrangement à l'étroit.

Les fêtes fréquentes, les promenades particulières à Versailles, les voyages furent des moyens que le roi saisit pour distinguer et pour mortifier en nommant les personnes qui à chaque fois en devaient être, et pour tenir chacun assidu et attentif à lui plaire. Il sentait qu'il n'avait pas à beaucoup près assez de grâces à répandre pour faire un effet continuel. Il en substitua donc aux véritables d'idéales, par la jalousie, les petites préférences qui se trouvaient tous les jours, et pour ainsi dire, à tous moments, par son art. Les espérances que ces petites préférences et ces distinctions faisaient naître, et la considération qui s'en tirait, personne ne fut plus ingénieux que lui à inventer sans cesse ces sortes de choses. Marly, dans la suite, lui fut en cela d'un plus grand usage, et Trianon où tout le monde, à la vérité, pouvait lui aller faire sa cour, mais où les dames avaient l'honneur de manger avec lui, et où à chaque repas elles étaient choisies; le bougeoir qu'il faisait tenir tous les soirs à son coucher par un courtisan qu'il voulait distinguer, et toujours entre les plus qualifiés de ceux qui s'y trouvaient, qu'il nommait tout haut au sortir de sa prière. Les justaucorps à brevet fut une autre de ces inventions [40] . Il était bleu doublé de rouge avec les parements et la veste rouge, brodé d'un dessin magnifique or et un peu d'argent, particulier à ces habits. Il n'y en avait qu'un nombre, dont le roi, sa famille, et les princes du sang étaient; mais ceux-ci, comme le reste des courtisans, n'en avaient qu'à mesure qu'il en vaquait. Les plus distingués de la cour par eux-mêmes ou par la faveur les demandaient au roi, et c'était une grâce que d'en obtenir. Le secrétaire d'État ayant la maison du roi en son département en expédiait un brevet, et nul d'eux n'était à portée d'en avoir. Ils furent imaginés pour ceux, en très petit nombre, qui avaient la liberté de suivre le roi aux promenades de Saint-Germain à Versailles sans être nommés, et depuis que cela cessa, ces habits ont cessé aussi de donner aucun privilège, excepté celui d'être portés quoiqu'on fût en deuil de cour ou de famille, pourvu que le deuil ne fût pas grand ou qu'il fût sur ses fins, et dans les temps encore où il était défendu de porter de l'or et de l'argent. Je ne l'ai jamais vu porter au roi, à Monseigneur ni à Monsieur, mais très souvent aux trois fils de Monseigneur et à tous les autres princes; et jusqu'à la mort du roi, dès qu'il en vaquait un, c'était à qui l'aurait entre les gens de la cour les plus considérables, et si un jeune seigneur l'obtenait c'était une grande distinction. Les différentes adresses de cette nature qui se succédèrent les unes aux autres, à mesure que le roi avança en âge, et que les fêtes changeaient ou diminuaient, et les attentions qu'il marquait pour avoir toujours une cour nombreuse, on ne finirait point à les expliquer.

Non seulement il était sensible à la présence continuelle de ce qu'il y avait de distingué, mais il l'était aussi aux étages inférieurs. Il regardait à droite et à gauche à son lever, à son coucher, à ses repas, en passant dans les appartements, dans ses jardins de Versailles, où seulement les courtisans avaient la liberté de le suivre; il voyait et remarquait tout le monde, aucun ne lui échappait, jusqu'à ceux qui n'espéraient pas même être vus. Il distinguait très bien en lui-même les absences de ceux qui étaient toujours à la cour, celles des passagers qui y venaient plus ou moins souvent; les causes générales ou particulières de ces absences, il les combinait, et ne perdait pas la plus légère occasion d'agir à leur égard en conséquence. C'était un démérite aux uns, et à tout ce qu'il y avait de distingué, de ne faire pas de la cour son séjour ordinaire, aux autres d'y venir rarement, et une disgrâce sûre pour qui n'y venait jamais, ou comme jamais. Quand il s'agissait de quelque chose pour eux: « Je ne le connais point, » répondait-il fièrement. Sur ceux qui se présentaient rarement: « C'est un homme que je ne vois jamais; » et ces arrêts-là étaient irrévocables. C'était un autre crime de n'aller point à Fontainebleau, qu'il regardait comme Versailles, et pour certaines gens de ne demander pas pour Marly, les uns toujours, les autres souvent, quoique sans dessein de les y mener, les uns toujours ni les autres souvent; mais si on était sur le pied d'y aller toujours, il fallait une excuse valable pour s'en dispenser, hommes et femmes de même. Surtout il ne pouvait souffrir les gens qui se plaisaient à Paris. Il supportait assez aisément ceux qui aimaient leur campagne, encore y fallait-il être mesuré ou avoir pris ses précautions avant d'y aller passer un temps un peu long.

Cela ne se bornait pas aux personnes en charges, ou familières, ou bien traitées, ni à celles que leur âge ou leur représentation marquait plus que les autres. La destination seule suffisait dans les gens habitués à la cour. On a vu sur cela, en son lieu, l'attention qu'eut le roi à un voyage que je fis à Rouen pour un procès, tout jeune que j'étais, et à m'y faire écrire de sa part par Pontchartrain pour en savoir la raison.

Louis XIV s'étudiait avec grand soin à être bien informé de ce qui se passait partout, dans les lieux publics, dans les maisons particulières, dans le commerce du monde, dans le secret des familles et des maisons. Les espions et les rapporteurs étaient infinis. Il en avait de toute espèce: plusieurs qui ignoraient que leurs délations allassent jusqu'à lui, d'autres qui le savaient, quelques-uns qui lui écrivaient directement en faisant rendre leurs lettres par les voies qu'il leur avait prescrites, et ces lettres-là n'étaient vues que de lui, et toujours avant toutes autres choses, quelques autres enfin qui lui parlaient quelquefois secrètement dans ces cabinets, par les derrières. Ces voies inconnues rompirent le cou à une infinité de gens de tous états, sans qu'ils en aient jamais pu découvrir la cause, souvent très injustement, et le roi une fois prévenu ne revenait jamais, ou si rarement que rien ne l'était davantage.

Il avait encore un défaut bien dangereux pour les autres, et souvent pour lui-même par la privation de bons sujets. C'est qu'encore qu'il eut la mémoire excellente et pour reconnaître un homme du commun qu'il avait vu une fois, au bout de vingt ans, et pour les choses qu'il avait sues, et qu'il ne confondait point, il n'était pourtant pas possible qu'il se souvint de tout, au nombre infini de ce qui chaque jour venait à sa connaissance. S'il lui était revenu quelque chose de quelqu'un qu'il eût oublié de la sorte, il lui restait imprimé qu'il y avait quelque chose contre lui, et c'en était assez pour l'exclure. Il ne cédait point aux représentations d'un ministre, d'un général, de son confesseur même, suivant l'espèce de chose ou de gens dont il s'agissait. Il répondait qu'il ne savait plus ce qui lui en était revenu, mais qu'il était plus sûr d'en prendre un autre dont il ne lui fût rien revenu du tout.

Ce fut à sa curiosité que les dangereuses fonctions du lieutenant de police furent redevables de leur établissement. Elles allèrent depuis toujours croissant. Ces officiers ont tous été sous lui plus craints, plus ménagés, aussi considérés que les ministres, jusque par les ministres mêmes, et il n'y avait personne en France, sans en excepter les princes du sang, qui n'eût intérêt de les ménager, et qui ne le fît. Outre les rapports sérieux qui lui revenaient par eux, il se divertissait d'en apprendre toutes les galanteries et toutes les sottises de Paris. Pontchartrain, qui avait Paris et la cour dans son département, lui faisait tellement sa cour par cette vole indigne, dont son père était outré, qu'elle le soutint souvent auprès du roi, et de l'aveu du roi même, contre de rudes atteintes auxquelles sans cela il aurait succombé, et on l'a su plus d'une fois par Mme de Maintenon, par Mme la duchesse de Bourgogne, par M. le comte de Toulouse, par les valets intérieurs.

Mais la plus cruelle de toutes les voies par laquelle le roi fut instruit bien des années, avant qu'on s'en fût aperçu, et par laquelle l'ignorance et l'imprudence de beaucoup de gens continua toujours encore de l'instruire, fut celle de l'ouverture des lettres. C'est ce qui donna tant de crédit aux Pajot et aux Roullier qui en avaient la ferme, qu'on ne put jamais ôter, ni les faire guère augmenter par cette raison si longtemps inconnue, et qui s'y enrichirent si énormément tous, aux dépens du public et du roi même.

On ne saurait comprendre la promptitude et la dextérité de cette exécution. Le roi voyait l'extrait de toutes les lettres où il y avait des articles que les chefs de la poste, puis le ministre qui la gouvernait, jugeaient devoir aller jusqu'à lui, et les lettres entières quand elles en valaient la peine par leur tissu, ou par la considération de ceux qui étaient en commerce. Par là les gens principaux de la poste, maîtres et commis, furent en état de supposer tout ce qu'il leur plut, et à qui il leur plut; et comme peu de chose perdait sans ressource, ils n'avaient pas besoin de forger ni de suivre une intrigue. Un mot de mépris sur le roi ou sur le gouvernement, une raillerie, en un mot un article de lettre spécieux et détaché, noyait sans ressource, sans perquisition aucune, et ce moyen était continuellement entre leurs mains. Aussi à vrai et à faux est-il incroyable combien de gens de toutes les sortes en furent plus ou moins perdus. Le secret était impénétrable, et jamais rien ne coûta moins au roi que de se taire profondément, et de dissimuler de même.

Ce dernier talent, il le poussa souvent jusqu'à la fausseté, mais avec cela jamais de mensonge, et il se piquait de tenir parole. Aussi ne la donnait-il presque jamais. Pour le secret d'autrui, il le gardait aussi religieusement que le sien. Il était même flatté de certaines confessions et de certaines confidences et même confiance; et il n'y avait maîtresse, ministre ni favori qui pût y donner atteinte, quand le secret les aurait même regardés.

On a su, entre beaucoup d'autres, l'aventure fameuse d'une femme de nom, lequel a toujours été pleinement ignoré et jusqu'au soupçon même, qui séparée de lieu depuis un an d'avec son mari, se trouvant grosse et sur le point de le voir arriver de l'armée, à bout enfin de tous moyens, fit demander en grâce au roi une audience secrète, dont qui que ce soit ne put s'apercevoir, pour l'affaire du monde la plus importante. Elle l'obtint. Elle se confia au roi dans cet extrême besoin, et lui dit que c'était comme au plus honnête homme de son royaume. Le roi lui conseilla de profiter d'une si grande détresse pour vivre plus sagement à l'avenir, et lui promit de retenir sur-le-champ son mari sur la frontière, sous prétexte de son service, tant et si longtemps qu'il ne pût avoir aucun soupçon, et de ne le laisser revenir sous aucun prétexte. En effet, il en donna l'ordre le jour même à Louvois, et lui défendit non seulement tout congé, mais de souffrir qu'il s'absentât un seul jour du poste qu'il lui assignait pour y commander tout l'hiver. L'officier, qui était distingué, et qui n'avait rien moins que souhaité, encore moins demandé, d'être employé l'hiver sur la frontière, et Louvois qui y avait aussi peu pensé, furent également surpris et fâchés. Il n'en fallut pas moins obéir à la lettre et sans demander pourquoi, et le roi n'en a fait l'histoire que bien des années après et que lorsqu'il fut bien sûr que les gens que cela regardait ne se pouvaient plus démêler, comme en effet ils n'ont jamais pu l'être, pas même du soupçon le plus vague ni le plus incertain.

Jamais personne ne donna de meilleure grâce, et n'augmenta tant par là le prix de ses bienfaits. Jamais personne ne vendit mieux ses paroles, son souris même, jusqu'à ses regards. Il rendit tout précieux par le choix et la majesté, à qui la rareté et la brèveté [41] de ses paroles ajoutait beaucoup. S'il les adressait à quelqu'un, ou de question, ou de choses indifférentes, toute l'assistance le regardait; c'était une distinction dont on s'entretenait et qui rendit toujours une sorte de considération. Il en était de même de toutes les attentions et les distinctions, et des préférences, qu'il donnait dans leurs proportions. Jamais il ne lui échappa de dire rien de désobligeant à personne; et s'il avait à reprendre, à réprimander ou à corriger, ce qui était fort rare, c'était toujours avec un air plus ou moins de bonté, presque jamais avec sécheresse, jamais avec colère, si on excepte l'unique aventure de Courtenvaux, qui a été racontée en son lieu, quoiqu'il ne fût pas exempt de colère; quelquefois avec un air de sévérité.

Jamais homme si naturellement poli, ni d'une politesse si fort mesurée, si fort par degrés, ni qui distinguât mieux l'âge, le mérite, le rang, et dans ses réponses quand elles passaient le « Je verrai, » et dans ses manières. Ces étages divers se marquaient exactement dans sa manière de saluer et de recevoir les révérences, lorsqu'on partait ou qu'on arrivait. Il était admirable à recevoir différemment les saluts à la tête des lignes à l'armée ou aux revues. Mais surtout pour les femmes rien n'était pareil. Jamais il n'a passé devant la moindre coiffe sans soulever son chapeau, je dis aux femmes de chambre, et qu'il connaissait pour telles, comme cela arrivait souvent à Marly. Aux dames, il ôtait son chapeau tout à fait, mais de plus ou moins loin; aux gens titrés, à demi, et le tenait en l'air ou à son oreille quelques instants plus ou moins marqués. Aux seigneurs, mais qui l'étaient, il se contentait de mettre la main au chapeau. Il l'ôtait comme aux dames pour les princes du sang. S'il abordait des dames, il ne se couvrait qu'après les avoir quittées. Tout cela n'était que dehors, car dans la maison il n'était jamais couvert. Ses révérences, plus ou moins marquées, mais toujours légères, avaient une grâce et une majesté incomparables, jusqu'à sa manière de se soulever à demi à son souper pour chaque dame assise qui arrivait, non pour aucune autre, ni pour les princes du sang; mais sur les fins cela le fatiguait, quoiqu'il ne l'ait jamais cessé, et les dames assises évitaient d'entrer à son souper quand il était commencé. C'était encore avec la même distinction qu'il recevait le service de Monsieur, et de M. le duc d'Orléans, des princes du sang; à ces derniers, il ne faisait que marquer, à Monseigneur de même, et à Mgrs ses fils par familiarité; des grands officiers, avec un air de bonté et d'attention.

Si on lui faisait attendre quelque chose à son habiller, c'était toujours avec patience. Exact aux heures qu'il donnait pour toute sa journée; une précision nette et courte dans ses ordres. Si dans les vilains temps d'hiver qu'il ne pouvait aller dehors, qu'il passait chez Mme de Maintenon un quart d'heure plus tôt qu'il n'en avait donné l'ordre, ce qui ne lui arrivait guère, et que le capitaine des gardes en quartier ne s'y trouvât pas, il ne manquait point de lui dire après que c'était sa faute à lui d'avoir prévenu l'heure, non celle des capitaines des gardes de l'avoir manquée. Aussi, avec cette règle, qui ne manquait jamais, était-il servi avec la dernière exactitude, et elle était d'une commodité infinie pour les courtisans

Il traitait bien ses valets, surtout les intérieurs. C'était parmi eux qu'il se sentait le plus à son aise, et qu'il se communiquait le plus familièrement, surtout aux principaux. Leur amitié et leur aversion a souvent eu de grands effets. Ils étaient sans cesse à portée de rendre de bons et de mauvais offices; aussi faisaient-ils souvenir de ces puissants affranchis des empereurs romains, à qui le sénat et les grands de l'empire faisaient leur cour, et ployaient sous eux avec bassesse. Ceux-ci, dans tout ce règne, ne furent ni moins comptés ni moins courtisés. Les ministres même les plus puissants les ménageaient ouvertement; et les princes du sang, jusqu'aux bâtards, sans parler de tout ce qui est inférieur, en usaient de même. Les charges des premiers gentilshommes de la chambre furent plus qu'obscurcies par les premiers valets de chambre, et les grandes charges ne se soutinrent que dans la mesure que les valets de leur dépendance ou les petits officiers très subalternes approchaient nécessairement plus ou moins du roi. L'insolence aussi était grande dans la plupart d'eux, et telle qu'il fallait savoir l'éviter, ou la supporter avec patience.

Le roi les soutenait tous, et il racontait quelquefois avec complaisance qu'ayant dans sa jeunesse envoyé, pour je ne sais quoi, une lettre au duc de Montbazon, gouverneur de Paris, qui était en une de ses maisons de campagne près de cette ville, par un de ses valets de pied, il y arriva comme M. de Montbazon allait se mettre à table, qu'il avait forcé ce valet de pied de s'y mettre avec lui, et le conduisit, lorsqu'il le renvoya, jusque dans la cour, parce qu'il était venu de la part du roi [42] .

Il ne manquait guère aussi de demander à ses gentilshommes ordinaires, quand ils revenaient de sa part de faire des compliments de conjouissance ou de condoléances aux gens titrés, hommes et femmes, mais à nuls autres, comment ils avaient été reçus; et il aurait trouvé bien mauvais qu'on ne les eût pas fait asseoir, et conduits fort loin, les hommes au carrosse.

Rien n'était pareil à lui aux revues, aux fêtes, et partout où un air de galanterie pouvait avoir lieu par la présence des dames. On l'a déjà dit, il l'avait puisée à la cour de la reine sa mère, et chez la comtesse de Soissons; la compagnie de ses maîtresses l'y avait accoutumé de plus en plus; mais toujours majestueuse, quoique quelquefois avec de la gaieté, et jamais devant le monde rien de déplacé ni de hasardé; mais jusqu'au moindre geste, son marcher, son port, toute sa contenance, tout mesuré, tout décent, noble, grand, majestueux, et toutefois très naturel, à quoi l'habitude et l'avantage incomparable et unique de toute sa figure donnait une grande facilité. Aussi, dans les choses sérieuses, les audiences d'ambassadeurs, les cérémonies, jamais homme n'a tant imposé; et il fallait commencer par s'accoutumer à le voir, si en le haranguant on ne voulait s'exposer à demeurer court. Ses réponses en ces occasions étaient toujours courtes, justes, pleines et très rarement sans quelque chose d'obligeant, quelquefois même de flatteur, quand le discours le méritait. Le respect aussi qu'apportait sa présence en quelque lieu qu'il fût imposait un silence et jusqu'à une sorte de frayeur.

Il aimait fort l'air et les exercices, tant qu'il en put faire. Il avait excellé à la danse, au mail, à la paume. Il était encore admirable à cheval à son âge. Il aimait à voir faire toutes ces choses avec grâce et adresse. S'en bien ou mal acquitter devant lui était mérite ou démérite. Il disait que de ces choses qui n'étaient point nécessaires, il ne s'en fallait pas mêler, si on ne les faisait pas bien. Il aimait fort à tirer, et il n'y avait point de si bon tireur que lui, ni avec tant de grâces. Il voulait des chiennes couchantes excellentes; il en avait toujours sept ou huit dans ses cabinets, et se plaisait à leur donner lui-même à manger pour s'en faire connaître. Il aimait fort aussi à courre le cerf, mais en calèche, depuis qu'il s'était cassé le bras en courant à Fontainebleau, aussitôt après la mort de la reine. Il était seul dans une manière de soufflet, tiré par quatre petits chevaux, à cinq ou six relais, et il menait lui-même à toute bride, avec une adresse et une justesse que n'avaient pas les meilleurs cochers, et toujours la même grâce à tout ce qu'il faisait. Ses postillons étaient des enfants depuis neuf ou dix ans jusqu'à quinze, et il les dirigeait.

Il aima en tout la splendeur, la magnificence, la profusion. Ce goût il le tourna en maxime par politique, et l'inspira en tout à sa cour. C'était lui plaire que de s'y jeter en tables, en habits, en équipages, en bâtiments, en jeu. C'étaient des occasions pour qu'il parlât aux gens. Le fond était qu'il tendait et parvint par là à épuiser tout le monde en mettant le luxe en honneur, et pour certaines parties en nécessité, et réduisit ainsi peu à peu tout le monde à dépendre entièrement de ses bienfaits pour subsister. Il y trouvait encore la satisfaction de son orgueil par une cour superbe en tout, et par une plus grande confusion qui anéantissait de plus en plus les distinctions naturelles.

C'est une plaie qui, une fois introduite, est devenue le cancer intérieur qui ronge tous les particuliers, parce que de la cour il s'est promptement communiqué à Paris et dans les provinces et les armées, où les gens en quelque place ne sont comptés qu'à proportion de leur table et de leur magnificence, depuis cette malheureuse introduction qui ronge tous les particuliers, qui force ceux d'un état à pouvoir voler, à ne s'y pas épargner pour la plupart, dans la nécessité de soutenir leur dépense, et par la confusion des États, que l'orgueil, que jusqu'à la bienséance entretiennent, qui par la folie du gros va toujours en augmentant, dont les suites sont infinies, et ne vont à rien moins qu'à la ruine et au renversement général.

Rien, jusqu'à lui, n'a jamais approché du nombre et de la magnificence de ses équipages de chasse et de toutes ses autres sortes d'équipages. Ses bâtiments, qui les pourrait nombrer? En même temps, qui n'en déplorera pas l'orgueil, le caprice, le mauvais goût ? Il abandonna Saint-Germain, et ne fit jamais à Paris ni ornement ni commodité, que le pont Royal, par pure nécessité, en quoi, avec son incomparable étendue, elle est si inférieure à tant de villes dans toutes les parties de l'Europe.

Lorsqu'on fit la place de Vendôme, elle était carrée. M. de Louvois en vit les quatre parements bâtis. Son dessein était d'y placer la bibliothèque du roi, les médailles, le balancier, toutes les académies, et le grand conseil qui tient ses séances encore dans une maison qu'il loue. Le premier soin du roi, le jour de la mort de Louvois, fut d'arrêter ce travail, et de donner ses ordres pour faire couper à pans les angles de la place, en la diminuant d'autant, de n'y placer rien de ce qui y était destiné, et de n'y faire que des maisons, ainsi qu'on la voit.

Saint-Germain, lieu unique pour rassembler les merveilles de la vue, l'immense plain-pied d'une forêt toute joignante, unique encore par la beauté de ses arbres, de son terrain, de sa situation, l'avantage et la facilité des eaux de source sur cette élévation, les agréments admirables des jardins, des hauteurs et des terrasses, qui les unes sur les autres se pouvaient si aisément conduire dans toute l'étendue qu'on aurait voulu, les charmes et les commodités de la Seine, enfin, une ville toute faite et que sa position entretenait par elle-même, il l'abandonna pour Versailles, le plus triste et le plus ingrat de tous les lieux, sans vue, sans bois, sans eau, sans terre, parce que tout y est sable mouvant ou marécage, sans air par conséquent qui n'y peut être bon.

Il se plut à tyranniser la nature, à la dompter à force d'art et de trésors. Il y bâtit tout l'un après l'autre, sans dessin général; le beau et le vilain furent cousus ensemble, le vaste et l'étranglé. Son appartement et celui de la reine y ont les dernières incommodités, avec les vues de cabinets et de tout ce qui est derrière les plus obscures, les plus enfermées, les plus puantes. Les jardins dont la magnificence étonne; mais dont le plus léger usage rebute, sont d'aussi mauvais goût. On n'y est conduit dans la fraîcheur de l'ombre que par une vaste zone torride, au bout de laquelle il n'y a plus, où que ce soit, qu'à monter et à descendre; et avec la colline, qui est fort courte, se terminent les jardins. La recoupe y brûle les pieds, mais sans cette recoupe on y enfoncerait ici dans les sables, et là dans la plus noire fange. La violence qui y a été faite partout à la nature repousse et dégoûte, malgré soi. L'abondance des eaux forcées et ramassées de toutes parts les rend vertes, épaisses, bourbeuses; elles répandent une humidité malsaine et sensible, une odeur qui l'est encore plus. Leurs effets, qu'il faut pourtant beaucoup ménager, sont incomparables; mais de ce tout, il résulte qu'on admire et qu'on fuit. Du côté de la cour, l'étranglé suffoque, et ces vastes ailes s'enfuient sans tenir à rien. Du côté des jardins, on jouit de la beauté du tout ensemble, mais on croit voir un palais qui a été brûlé, où le dernier étage et les toits manquent encore. La chapelle qui l'écrase, parce que Mansart voulait engager le roi à élever le tout d'un étage, a de partout la triste représentation d'un immense catafalque. La main-d'œuvre y est exquise en tous genres, l'ordonnance nulle; tout y été fait pour la tribune, parce que le roi n'allait guère en bas, et celles des côtés sont inaccessibles, par l'unique défilé qui conduit à chacune. On ne finirait point sur les défauts monstrueux d'un palais si immense, et si immensément cher [43] , avec ses accompagnements qui le sont encore davantage.

Orangerie, potagers, chenils, grande et petite écuries pareilles, commun prodigieux; enfin une ville entière où il n'y avait qu'un très misérable cabaret, un moulin à vent, et ce petit château de cartes que Louis XIII y avait fait pour n'y plus coucher sur la paille, qui n'était que la contenance étroite et basse autour de la cour de martre, qui en faisait la cour, et dont le bâtiment du fond n'avait que deux courtes et petites ailes. Mon père l'a vu et y a couché maintes fois. Encore ce Versailles de Louis XIV, ce chef-d'oeuvre si ruineux et de si mauvais goût, et où les changements entiers des bassins et de bosquets ont enterré tant d'or qui ne peut paraître, n'a-t-il pu être achevé.

Parmi tant de salons entassés l'un sur l'autre, il n'y a ni salle de comédie, ni salle de banquet, ni de bal; et devant et derrière il reste beaucoup à faire. Les parcs et les avenues, tous en plants, ne peuvent venir. En gibier, il faut y en jeter sans cesse; en rigoles de quatre et cinq lieues de cours, elles sont sans nombre; en murailles enfin qui, par leur immense contour, enferment comme une petite province du plus triste et du plus vilain pays du monde.

Trianon, dans ce même parc, et à la porte de Versailles, d'abord maison de porcelaine à aller faire des collations, agrandie après pour y pouvoir coucher, enfin palais de marbre, de jaspe et de porphyre avec des jardins délicieux; la ménagerie vis-à-vis, de l'autre côté de la croisée du canal de Versailles, toute de riens exquis, et garnie de toutes sortes d'espèces de bêtes à deux et à quatre pieds les plus rares; enfin Clagny, bâti pour Mme de Montespan en son propre, passé au duc du Maine, au bout de Versailles, château superbe avec ses eaux, ses jardins, son parc; des aqueducs dignes des Romains de tous les côtés, l'Asie ni l'antiquité n'offrent rien de si vaste, de si multiplié, de si travaillé, de si superbe, de si rempli de monuments les plus rares de tous les siècles, en marbres les plus exquis de toutes les sortes, en bronzes, en peintures, en sculptures, ni de si achevé des derniers.

Mais l'eau manquait quoi qu'on pût faire, et ces merveilles de l'art en fontaines tarissaient, comme elles font encore à tous moments, malgré la prévoyance de ces mers de réservoirs qui avaient coûté tant de millions à établir et à conduire sur le sable mouvant et sur la fange. Qui l'aurait cru? ce défaut devint la ruine de l'infanterie. Mme de Maintenon régnait, on parlera d'elle à son tour. M. de Louvois alors était bien avec elle, on jouissait de la paix. Il imagina de détourner la rivière d'Eure, entre Chartres et Maintenon, et de la faire venir, tout entière à Versailles. Qui pourra dire l'or et les hommes que la tentative obstinée en coûta pendant plusieurs années, jusque-là qu'il fut défendu, sous les plus grandes peines, dans le camp qu'on y avait établi et qu'on y tint très longtemps, d'y parler des malades, surtout des morts, que le rude travail et plus encore l'exhalaison de tant de terres remuées tuaient ? combien d'autres furent des années à se rétablir de cette contagion! combien n'en ont pu reprendre leur santé pendant le reste de leur vie! Et toutefois non seulement les officiers particuliers, mais les colonels, les brigadiers, et ce qu'on y employa d'officiers généraux, n'avaient pas, quels qu'ils fussent, la liberté de s'en absenter un quart d'heure, ni de manquer eux-mêmes un quart d'heure de service sur les travaux. La guerre enfin les interrompit en 1688, sans qu'ils aient été repris depuis; il n'en est resté que d'informes monuments qui éterniseront cette cruelle folie.

À la fin, le roi, lassé du beau et de la foule, se persuada qu'il voulait quelquefois du petit et de la solitude. Il chercha autour de Versailles de quoi satisfaire ce nouveau goût. Il visita plusieurs endroits, il parcourut les coteaux qui découvrent Saint-Germain et cette vaste plaine qui est au bas, où la Seine serpente et arrose tant de gros lieux et de richesses en quittant Paris. On le pressa de s'arrêter à Lucienne, où Cavoye eut depuis une maison dont la vue est enchantée, mais il répondit que cette heureuse situation le ruinerait, et que, comme il voulait un rien, il voulait aussi une situation qui ne lui permit pas de songer à y rien faire.

Il trouva derrière Lucienne un vallon étroit, profond, à bords escarpés, inaccessible par ses marécages, sans aucune vue, enfermé de collines de toutes parts, extrêmement à l'étroit, avec un méchant village sur le penchant d'une de ces collines qui s'appelait Marly. Cette clôture sans vue, ni moyen d'en avoir, fit tout son mérite. L'étroit du vallon où on ne se pouvait étendre y en ajouta beaucoup. Il crut choisir un ministre, un favori, un général d'armée. Ce fut un grand travail que dessécher ce cloaque de tous les environs qui y jetaient toutes leurs voiries, et d'y apporter des terres. L'ermitage fut fait. Ce n'était que pour y coucher trois nuits, du mercredi au samedi, deux ou trois fois l'année, avec une douzaine au plus de courtisans en charges les plus indispensables.

Peu à peu l'ermitage fut augmenté; d'accroissement en accroissement les collines taillées pour faire place et y bâtir, et celle du bout largement emportée pour donner au moins une échappée de vue fort imparfaite. Enfin, en bâtiments, en jardins, en eaux, en aqueducs, en ce qui est si connu et si curieux sous le nom de machine de Marly, en parc, en forêt ornée et renfermée, en statues, en meubles précieux, Marly est devenu ce qu'on le voit encore; tout dépouillé qu'il est depuis la mort du roi. En forêts toutes venues, et touffues qu'on y a apportées en grands arbres de Compiègne, et de bien plus loin sans cesse, dont plus des trois quarts mouraient, et qu'on remplaçait aussitôt; en vastes espaces de bois épais et d'allées obscures, subitement changées en immenses pièces d'eau où on se promenait en gondoles, puis remises en forêts à n'y pas voir le jour dès le moment qu'on les plantait, je parle de ce que j'ai vu en six semaines; en bassins changés cent fois; en cascades de même à figures successives et toutes différentes; en séjours de carpes, ornés de dorures et de peintures les plus exquises, à peine achevées, rechangées et rétablies autrement par les mêmes maîtres, et cela une infinité de fois; cette prodigieuse machine, dont on vient de parler, avec ses immenses aqueducs, ses conduites et ses réservoirs monstrueux, uniquement consacrée à Marly sans plus porter d'eau à Versailles; c'est peu de dire que Versailles tel qu'on l'a vu n'a pas coûté Marly [44] .

Que si on y ajoute les dépenses de ces continuels voyages, qui devinrent enfin au moins égaux aux séjours de Versailles, souvent presque aussi nombreux, et tout à la fin de la vie du roi le séjour le plus ordinaire, on ne dira point trop sur Marly seul en comptant par milliards.

Telle fut la fortune d'un repaire de serpents et de charognes, de crapauds et de grenouilles, uniquement choisi pour n'y pouvoir dépenser. Tel fut le mauvais goût du roi en toutes choses, et ce plaisir superbe de forcer la nature, que ni la guerre la plus pesante, ni la dévotion ne put émousser.

Suite
[40]
On a conservé le brevet par lequel Louis XIV autorisait le grand Condé à porter un de ces justaucorps: « Aujourd'hui, 4 du mois de février 1665, le roi étant à Paris, ayant, par son ordonnance du 17 janvier dernier, ordonne que personne ne pourrait faire appliquer sur les justaucorps des passements de dentelles ou broderies d'or et d'argent, sans avoir la permission expresse de Sa Majesté par brevet particulier, Sa Majesté désirant gratifier M. le prince de Condé et lui donner des marques particulières de sa bienveillance qui le distinguent des autres auprès de sa personne et dans sa cour, elle lui a permis et permet de porter un justaucorps de couleur bleue garni de galons, passements, dentelles, ou broderies d'or et d'argent, en la forme et manière qui lui sera prescrite par Sa Majesté sans que, pour raison de ce, il lui pusse être imputé d'avoir contrevenu à la susdite ordonnance, de la rigueur de laquelle Sa Majesté l'a relevé et dispensé, relève et dispense par le présent brevet, lequel, pour témoignage de sa volonté elle a signé de sa main et fait contresigner par moi son conseiller secrétaire d'État et de ses commandements et finances. »Bussy-Rabutin se félicite, dans ses Mémoires, à l'année 1662, d'avoir obtenu un justaucorps à brevet. « Le roi, dit-il, me parut si gracieux en me parlant que cela m'obligea de lui demander permission de faire faire une casaque bleue; ce qu'il m'accorda. Mais pour entendre ce que c'était, il faut savoir que Sa Majesté avait fait choix, au commencement de cette année, de soixante personnes qui le pourraient suivre à tous ses petits voyages de plaisir, sans lui en demander permission, et leur avait ordonné de faire faire chacun une casaque de moire bleue en broderie d'or et d'argent pareille à la sienne. »La mode si capricieuse, surtout en France, fit bientôt abandonner le justaucorps à brevet. Il devint même ridicule, comme tout ce qui est suranné, et lorsque Vardes, qu'on avait jadis admiré comme le modèle des courtisans, revint d'exil en 1682, après une absence de près de vingt ans, et se présenta devant Louis XIV avec son justaucorps à brevet, on se moqua de lui: « Sire, lui dit Vardes, quand on est assez misérable pour être éloigné de vous, non seulement on est malheureux, mais on est ridicule. » (Lettre de Mme de Sévigné, en date du 26 mai 1682.)
[41]
Il y a dans le manuscrit de Saint-Simon brèveté et non brièveté, comme l'ont imprimé, les précédents éditeurs.
[42]
Cette anecdote se trouve déjà plus haut.
[43]
Voy. notes à la fin du volume.
[44]
On trouvera dans les notes à la fin du volume le chiffre exact des dépenses auxquelles s'élevèrent les constructions de Versailles et de Marly jusqu'en 1690.