NOTE X. CONDUITE DE LOUIS XIV ENVERS BARBEZIEUX.

M. Barbier, auteur du Dictionnaire des Anonymes, a publié le mémoire suivant, trouvé dans les papiers du procureur général Joly de Fleury. Il était adressé par Louis XIV à l'archevêque de Reims, Charles-Maurice Le Tellier, sur la conduite de son neveu Barbezieux. Cette pièce avait été connue de Voltaire, qui l'a appréciée en ces termes: « Quoique écrite d'un style extrêmement néglige, elle fait plus d'honneur au caractère de Louis XIV que les pensées les plus ingénieuses n'en auraient fait à son esprit. »

Voici ce mémoire:

« A L'ARCHEVÊQUE DE REIMS.

« Que la vie que son neveu a faite à Fontainebleau n'est pas soutenable; que le public en a été scandalisé;

« Qu'il a passé tous les jours à la chasse et la nuit en débauche;

« Que les commis se relâchent à son exemple;

« Que les officiers ne sauraient trouver le temps de lui parler; qu'ils se ruinent pour attendre;

« Qu'il est menteur, toujours amoureux, rôdant partout; peu chez lui; que le monde croit qu'il ne saurait travailler le voyant partout ailleurs;

« Le retardement des lettres de Catalogne;

« Qu'il se lève tard, passant la nuit à souper en compagnie souvent avec les princes;

« Qu'il parle et écrit rudement;

« Que, s'il ne change du blanc au noir, il n'est pas possible qu'il puisse demeurer dans sa charge;

« Qu'il doit bien examiner ce qu'il doit lui conseiller, après avoir su de lui ses sentiments;

« Que je serais très fâché de faire quelques changements, mais que je ne le pourrais éviter;

« Qu'il n'est pas possible que les affaires marchent avec une telle inapplication;

« Que je souhaite qu'il y remédie, sans que je sois obligé d'y mettre la main;

« Qu'il est impossible qu'on ne soit trompé en beaucoup de choses, s'appliquant aussi peu; que cela me doit coûter beaucoup;

« Qu'enfin on ne peut pas plus mal faire qu'il fait, et que cela n'est pas soutenable;

« Que l'on me reprocherait de souffrir ce qu'il fait, dans un temps comme celui-ci, où les plus grandes affaires et les plus importantes roulent sur lui;

« Que je ne pourrais me dispenser de prendre un parti pour le bien de l'État, et même pour me disculper;

« Que je l'en avertis, peut-être trop tard, afin qu'il agisse de la manière qui conviendra le plus à sa famille;

« Que je les plains tous et lui en particulier, par l'amitié et l'estime que j'ai pour lui, archevêque de Reims;

« Qu'il donne toute son application à faire voir à son neveu l'abîme où il se jette et qu'il l'oblige à faire ce qui conviendra le plus à tout le monde; que je ne veux point perdre son neveu; que j'ai de l'amitié pour lui; mais que le bien de l'État marche chez moi devant toutes choses;

« Qu'il ne m'estimerait pas, si je n'avais pas ces sentiments;

« Qu'il faut finir de façon ou d'autre; que je souhaite que ce soit en faisant bien son devoir et en s'y appliquant tout à fait; mais qu'il ne le peut faire qu'il ne quitte tous les amusements qui l'en détournent, pour ne plus faire que sa charge, qui doit être capable seule de l'amuser;

« Que cette vie est pénible à un homme de son âge; mais qu'il faut prendre un parti; et se résoudre à ne manquer à rien de ses devoirs et à ne rien faire qu'il puisse se reprocher à lui-même;

« Qu'il faut qu'il ferme la bouche à tout le monde par sa conduite, et qu'il me fasse voir qu'il ne manque en rien dans son emploi, qui est présentement le plus considérable du royaume.

« Louis. »

Observations de l'archevêque de Reims sur ce mémoire.

« Le roi a écrit ce mémoire de sa main à Fontainebleau, où je n'avais pas l'honneur d'être à la suite de Sa Majesté; j'étais à Reims.

« Le roi revint de Fontainebleau à Versailles, le vendredi 28 octobre 1695. Je m'y rendis samedi 29, à midi. Sa Majesté m'appela dans son cabinet en sortant de table; elle m'y donna ce mémoire, dont j'ai fait l'usage qui convenait. J'en ai rendu l'original au roi à Marly, vendredi 11 novembre; j'en ai fait cette copie avec la permission de Sa Majesté, et je la garderai toute ma vie, comme un monument du salut de ma famille, si mon neveu profite, comme je l'espère, de cet avertissement, ou du moins comme une marque de la bonté du roi pour moi, qui m'a pénétré d'une reconnaissance si vive, qu'elle durera, quoi qu'il arrive, autant que je vivrai. »

L'archevêque avait écrit en tête du mémoire: « J'ordonne, mon cher neveu, que ce mémoire vous soit remis après ma mort; je vous conjure de le garder pendant toute votre vie.

Signé: Archevêque-duc de Reims.»

Suite