CHAPITRE VII.

1719

Quatre pièces, soi-disant venues d'Espagne, assez faiblement condamnées par le parlement; discutées. — Prétendue lettre circulaire du roi d'Espagne aux parlements. — Prétendu manifeste du roi d'Espagne adressé aux trois états. — Prétendue requête des états généraux de France au roi d'Espagne. — Prétendue lettre du roi d'Espagne au roi. — Philippiques. La Peyronie premier chirurgien du roi. — Belle entrée de Stairs, ambassadeur d'Angleterre. — Ses vaines entreprises, et chez le roi et à l'égard des princes du sang. — Mort de Mme de Seignelay. — La bibliothèque de feu M. Colbert achetée par le roi. — Archevêque de Malines; quel. — L'empereur lui impose silence sur la constitution. — Sage et ferme conduite du roi de Sardaigne sur la même matière. — Le P. Tellier exilé à la Flèche, où il meurt au bout de six mois. — Ingratitude domestique des jésuites. — Promotion d'officiers généraux. — Duc de Mortemart vend au duc de Saint-Aignan le gouvernement du Havre. — Dix mille livres de pension au vicomte de Beaune, et vingt mille livres au duc de Tresmes, au lieu de son jeu, qui se rétablit après, et la pension lui demeure. — L'abbaye de Bourgueil à l'abbé Dubois. — Mariage de M. de Bournonville avec Mlle de Guiche. — Profusion au grand prieur. — Mariage du prince électoral de Saxe déclaré avec une archiduchesse. — Le roi Jacques en Espagne. — Retour de Turin et grâce faite à M. de Prie. — Rémond; quel; son caractère. — Mimeur; quel; son caractère; sa mort. — Mort et caractère de Térat. — La Houssaye, conseiller d'État, lui succède. — Mort d'un fils de l'électeur de Bavière, élu évêque de Munster. — Mort et caractère de Puysieux. — Belle-Ile s'accommode lestement de son gouvernement d'Huningue. — Cheverny a sa place de conseiller d'État d'épée.

Le parlement rendit, le 4 février, un arrêt qui se contente de supprimer quatre fort étranges pièces et qui défend de les imprimer, vendre ou débiter, sous peine d'être poursuivis comme perturbateurs du repos public et criminels de lèse-majesté. La première intitulée: Copie d'une lettre du roi Catholique, écrite de sa main, que le prince de Cellamare, ambassadeur, avait ordre de présenter au roi Très Chrétien, du 3 septembre 1718. La seconde intitulée: Copie d'une lettre circulaire du roi d'Espagne à tous les parlements de France, datée du 4 septembre 1718. La troisième intitulée: Manifeste du roi Catholique adressé aux trois états de la France, du 6 septembre 1718. La quatrième intitulée: Requête présentée au roi Catholique au nom des trois états de la France.

Il ne fallait pas être bien connaisseur pour s'apercevoir que pas une de ces quatre pièces n'était venue d'Espagne. On ne pouvait les avoir trouvées dans les valises de l'abbé Portocarrero ni de son compagnon, ni dans les papiers de Cellamare qui avaient été pris les premiers à Poitiers, les autres chez l'ambassadeur même, qui, dans la plus tranquille confiance, ne se défiait de rien et se reposait pleinement sur ses précautions, quand cet abbé et lui furent arrêtés et leurs papiers pris, et qui, dans cette entière sécurité, ne les aurait confiés à personne.

D'Espagne ils ne furent point avoués, quelque colère qui y fût allumée. Outre que le style était peu digne d'un grand roi, on y était trop instruit du gouvernement de France, de tous les siècles et de tous les temps, pour confondre nos parlements d'aujourd'hui avec ce qui très anciennement s'appelait le parlement de France, qui était l'assemblée législative de la nation et à qui n'ont jamais ressemblé les états généraux du royaume, qui ne sont connus que longtemps depuis, et qui n'ont jamais eu que la voix de remontrance et quelquefois aussi consultative, mais simplement et seulement quand il a plu aux rois de les consulter, et limitée de plus à la chose qui faisait la matière de la consultation et non davantage; on n'a pu encore moins confondre ces anciennes et primordiales assemblées connues sous le nom de parlements de France, avec les cours de justice si modernement et si fort par degrés établies telles qu'elles sont aujourd'hui sous le nom de parlement de Paris, parlement de Toulouse, etc., si modernement, dis-je, en comparaison de ces anciens parlements de France.

On savait en Espagne, aussi bien qu'en France, que ces anciens parlements ignoraient les légistes décorés à la fin du nom de magistrats, qu'ils n'étaient composés que du roi et de ses grands et immédiats vassaux; que là se décidaient en peu de jours les grandes questions de fief, car la chicane était encore à naître, et cette infinité de lois et de coutumes locales qui nourrissent et bouffissent tant de rabats; que là se décidait la paix ou la guerre, et là les moyens de celle-ci et les conclusions de celle-là; et que si on y prenait la résolution de faire la guerre, c'était de l'assemblée même que l'on partait pour attaquer l'ennemi ou pour défendre les frontières; enfin là même que se proposaient les lois à faire et qu'elles s'y faisaient quand il en était besoin.

On n'ignorait pas aussi en Espagne quelles sont nos cours judiciaires, aujourd'hui connues sous le nom de parlements, et que ces cours, égales entre elles, parfaitement indépendantes les unes des autres, sont établies par les rois sur certains districts, plus ou moins étendus, qu'on appelle ressorts, pour y connaître des affaires et des procès de tous les sujets du roi du district qui leur a été affecté, et pour les juger suivant les lois et ordonnances des rois et les coutumes des lieux, au nom du roi, mais sans puissance législative, et seulement coactive pour l'exécution de leurs arrêts, lesquels toutefois ne laissent pas d'être cassés au conseil privé du roi, si la partie qui se prétend mal jugée prouve que l'arrêt prononcé est en contradiction avec une ou plusieurs des ordonnances des rois qui sont en vigueur: par où il est évident que les parlements ont en ce conseil un supérieur, et combien mal à propos ils avaient usurpé et s'étaient parés du nom de cour souveraine, lorsque le feu roi le leur fit rayer avec d'autant plus de justice [9] , que ces cours ne tiennent leurs charges et leur autorité que du roi, seul souverain dans son royaume, et ne peuvent prononcer d'arrêts qu'en son nom. L'Espagne sait aussi bien que la France que ces tribunaux ne sont compétents que des matières judiciaires, qu'ils ne le sont en aucune sorte de celles d'État ni de celles du gouvernement, et que toutes les fois qu'à la faveur des temps de besoins ou de troubles, ils ont essayé de s'en arroger quelque connaissance, les rois les ont promptement et souvent rudement repris et renfermés dans leurs bornes judiciaires. L'Espagne, ainsi que la France, était parfaitement au fait de ce que sont les enregistrements des édits, déclarations, ordonnances, règlements que font les rois et des traités de paix.

On ne prend point en Espagne non plus qu'en France le change que ces compagnies présentent si volontiers en jouant sur la chose et sur le mot, comme elles ont tâché de faire sur celui de parlement commun à l'ancien parlement de France, dont on vient de parler, et au parlement d'Angleterre, qui est l'assemblée qui en représente toute la nation avec un pouvoir législatif et de l'étendue que tout le monde sait. Les enregistrements des parlements sont connus en Espagne comme en France pour ce qu'ils valent intrinsèquement, c'est-à-dire comme n'ayant aucun trait à ajouter rien à l'autorité du roi, devant laquelle toute autre disparaît en France; mais simplement ut notum sit, c'est-à-dire pour rendre publique et solennellement publique la teneur de la pièce qui s'enregistre, et pour faire une loi au parlement qui l'enregistre d'y conformer ses jugements. Que si les rois ont permis les remontrances aux parlements, chose dont l'usage ou l'exclusion dépend uniquement de la volonté des rois, ce n'est que pour éviter les surprises et connaître avec plus de justesse et de réflexion les conséquences du tout ou de partie de la pièce envoyée pour enregistrer, qui se retire ou qui est modifiée, si le roi est touché des raisons qui font la matière des remontrances, ou s'il ne l'est pas, qui s'enregistre, nonobstant une ou plusieurs remontrances.

À l'égard du rang que les parlements tiennent dans l'État, on le peut voir plus haut, tome XI, pages 366 et suiv., et on y verra que ces compagnies n'y en tiennent et n'y en ont jamais tenu, et qu'elles y sont confondues dans le tiers état, sans jamais avoir fait corps à part. Que si, dans des temps de troubles, comme dans ceux de la minorité de Louis XIV et dans quelques autres, ceux qui voulaient troubler se soient adressés au parlement de Paris, cela ne peut donner à cette compagnie un droit de se mêler du gouvernement, qu'elle n'a pas; cela montre seulement des gens qui vont à la seule assemblée toujours existante, mais seulement pour juger des procès, qui la flattent dans sa chimère d'être les tuteurs des rois, les protecteurs des peuples, le milieu entre le roi et le peuple; des gens qui se veulent parer du nom et de l'appui du parlement, et le parlement qui saisit les moments de figurer, de se faire compter et d'essayer de se faire un titre d'autorité et de puissance, qui s'évanouit avec les troubles dont la fin remet cette compagnie en règle et dans son état naturel. Il en est en un autre sens de même des trois dernières régences, les seules qui aient été déclarées dans le parlement, comme on le pourra voir aux lieux ci-dessus où je renvoie. Il est donc évident que rien n'était plus inutile au projet de l'Espagne que d'écrire aux parlements, qui ne sont dans le royaume que de simples juges supérieurs, dont tout le pouvoir et la fonction n'est uniquement que de juger les procès, au nom et par l'autorité du roi, de ceux de ses sujets qui sont dans leur ressort, à quoi ils sont tellement bornés que c'est une autre cour [pour] les grands et immédiats feudataires de la couronne, qui reçoit les hommages qu'ils doivent au roi de leurs fiefs, ou le seul chancelier au choix des feudataires, mais dont les hommages sont enregistrés dans cette autre cour, qui est la chambre des comptes, laquelle aussi examine privativement au parlement et à toutes autres cours les comptes des comptables du roi, les punit ou les approuve. Mais M. du Maine et le premier président n'avaient garde de manquer une si belle occasion de flatter le parlement, de tâcher de l'engager avec eux, et d'éblouir le monde ignorant de ce vain nom en telle matière; et Cellamare, qui regardait M. et Mme du Maine comme les chefs et l'âme du parti qu'il voulait former, n'avait garde aussi de s'éloigner en rien de ce qui leur convenait et de ce qu'ils désiraient.

Le manifeste du roi d'Espagne adressé aux trois états de la France est de même espèce que la lettre aux parlements. On vient de voir, et on a vu plus haut, en plusieurs endroits, ce que c'est que les états généraux, et qu'ils n'ont dans l'État ni puissance ni autorité quelconque; qu'ils ne peuvent s'assembler que par la volonté et la convocation du roi, ou, s'il est mineur, du régent, pour faire leurs cahiers de plaintes et de représentations, et répondre uniquement aux consultations, et non entamer rien au delà, quand il plaît au roi ou au régent, le roi étant mineur, de leur en faire, et qui les sépare, quand et comme il lui plaît. L'Espagne ne pouvait donc ignorer ces choses fondamentales, ni se promettre plus qu'un vain bruit de l'adresse de ce manifeste; mais que peut-on dire de l'adresse de ce manifeste aux états généraux, qui n'étaient ni assemblés ni même convoqués, et qui, par conséquent, n'étaient lors qu'un être de raison, puisque les états généraux n'ont d'existence que lorsqu'ils sont convoqués, et actuellement assemblés par et sous l'autorité du roi, ou, s'il est mineur, du régent? C'était donc une adresse purement en l'air, qui ne portait sur rien, et de laquelle il ne se pouvait rien attendre, par conséquent ridicule, inepte, indigne de la majesté du roi d'Espagne.

Mais il en fut comme des lettres au parlement. Le duc du Maine, à faute de mieux, voulait du bruit, éblouir, imposer par de grands noms aux ignorants, qui font le très grand nombre. Cette méthode lui avait réussi à museler et à se jouer de cette prétendue noblesse qu'il avait enivrée des charmes de croire figurer et représenter le second ordre de l'État, qu'il ravala ensuite avec la même facilité, jusqu'à présenter en son prétendu corps une requête à nosseigneurs de parlement, en faveur de celui qui la mettait à tous usages, et qui enfin osa demander à n'être jugé contre les princes du sang que par les états généraux qui n'ont ni pouvoir ni autorité de juger rien. Le duc du Maine n'était pas en mesure de parler des pairs; il y était trop avec le parlement pour s'adresser ou faire adresser le roi d'Espagne à la noblesse seule ou au clergé. Il fallut donc supposer des états généraux qui n'existaient point, et qui, quand ils sont assemblés par et sous l'autorité royale, comprennent l'un et l'autre avec le tiers état, mais duquel il eut le soin de distinguer les parlements par cette lettre circulaire dont on vient de parler.

La plus folle de ces quatre pièces est sans doute la requête au roi d'Espagne des états généraux de la France, qui n'étaient point, qui n'existaient point, puisqu'ils n'étaient ni assemblés ni convoqués. C'était donc un fantôme qui parlait en leur nom, et comme un de ces rôles joués sur les théâtres, par ces héros morts depuis mille ans. La simple inspection d'une puérilité qui en effet ne pouvait tromper que des enfants ne permet pas d'imaginer que le cardinal Albéroni pût être tombé dans des sottises si grossières. Mais tout était bon à M. du Maine à qui l'aveuglement qu'il avait jeté sur cette prétendue noblesse avait fait espérer qu'il aurait le même bonheur à infatuer tout le royaume.

À l'égard de la lettre du roi d'Espagne au roi, que Cellamare avait ordre de lui présenter en main propre, qui est une voie usitée entre souverains de se parler et de se faire des représentations, elle n'aurait rien contre la vraisemblance, si le style pouvait convenir entre deux grands monarques. C'est donc la simple lecture de cette pièce si étrange qui la rend indigne de passer pour venir du roi d'Espagne, et très digne de l'esprit et de l'éloquence du cabinet de Sceaux. Ces pièces firent du bruit, et tombèrent bientôt d'elles-mêmes. M. le duc d'Orléans les méprisa, et n'en fut point affecté.

Il n'en fut pas de même d'une pièce de vers qui parut presque dans le même temps sous le nom de Philippiques, et qui fut distribuée avec une promptitude et une abondance extraordinaire. La Grange, élevé autrefois page de lime la princesse de Conti fille du roi, eu fut l'auteur, et ne le désavouait pas. Tout ce que l'enfer peut vomir de vrai et de faux y était exprimé dans les plus beaux vers, le style le plus poétique, et tout l'art et l'esprit qu'on peut imaginer. M. le duc d'Orléans le sut et voulut voir ce poème, car la pièce était longue, et n'en put venir à bout, parce que personne n'osa la lui montrer.

Il m'en parla plusieurs fois, et à la fin il exigea si fort que je la lui apporterais, qu'il n'y eut pas moyen de m'en défendre. Je la lui apportai donc, mais de la lui lire, je lui déclarai que je ne le ferais jamais. Il la prit donc, et la lut bas debout dans la fenêtre de son petit cabinet d'hiver où nous étions. Il la trouva tout en la lisant telle qu'elle était, car il s'arrêtait de fois à autre pour m'en parler sans en paraître fort ému. Mais tout d'un coup, je le vis changer de visage et se tourner à moi les larmes aux yeux, et près de se trouver mal. « Ah! me dit-il, c'en est trop, cette horreur est plus forte que moi. » C'est qu'il était à l'endroit où le scélérat montre M. le duc d'Orléans dans le dessein d'empoisonner le roi, et tout prêt d'exécuter son crime. C'est où l'auteur redouble d'énergie, de poésie, d'invocations, de beautés effrayantes et terribles, d'invectives, de peintures hideuses, de portraits touchants de la jeunesse, de l'innocence du roi et des espérances qu'il donnait, d'adjurations à la nation de sauver une si chère victime de la barbarie du meurtrier; en un mot tout ce que l'art a de plus délicat, de plus tendre, de plus fort et de plus noir, de plus pompeux et de plus remuant. Je voulus profiter du morne silence où M. le duc [d'Orléans] tomba pour lui ôter cet exécrable papier, mais je ne pus en venir à bout; il se répandit en justes plaintes d'une si horrible noirceur, en tendresse sur le roi, puis voulut achever sa lecture, qu'il interrompit encore plus d'une fois pour m'en parler. Je n'ai point vu jamais homme si pénétré, si intimement touché, si accablé d'une injustice si énorme et si suivie. Moi-même, je m'en trouvai hors de moi. À le voir, les plus prévenus, pourvu qu'ils ne le fussent que de bonne foi, se seraient rendus à l'éclat de l'innocence et de l'horreur du crime dans laquelle il était plongé. C'est tout dire que j'eus peine à me remettre, et que j'eus toutes les peines du monde à le remettre un peu.

Ce La Grange, qui de sa personne ne valait rien en quelque genre que ce fût, mais qui était bon poète, et n'était que cela, et n'avait jamais été autre chose, s'était par là insinué à Sceaux, où il était devenu un des grands favoris de Mme du Maine. Elle et son mari en connurent la vie, la conduite, les moeurs et la mercenaire scélératesse. Ils la surent bien employer. Il fut arrêté peu après et envoyé aux îles de Sainte-Marguerite, d'où à la fin il obtint de sortir avant la fin de la régence. Il eut l'audace de se montrer partout dans Paris, et, tandis qu'il y paraissait aux spectacles et dans tous les lieux publics, on eut l'impudence de répandre que M. le duc d'Orléans l'avait fait tuer. Les ennemis de M. le duc d'Orléans et ce prince ont été également infatigables; les premiers en toutes les plus noires horreurs, lui à la plus infructueuse clémence, pour ne lui pas donner un nom plus expressif.

Maréchal, premier chirurgien du roi, dont le fils avait la survivance, mais si dégoûté du métier, qu'il ne voulait plus l'exercer, s'accommoda de sa charge avec La Peyronie, fort grand chirurgien, qui parut depuis grand et habile courtisan, et qui fit grand bruit à la cour et dans le monde. Il avait beaucoup d'esprit et d'ambition.

Stairs fit une superbe entrée. Soit ignorance que les ambassadeurs n'entrent à Paris dans la cour du roi qu'à deux chevaux, ou entreprise, ses carrosses, attelés de huit chevaux, prétendirent entrer. La contestation fut vive, mais enfin il fallut entrer à deux chevaux, et dételer les six autres. Les jours suivants il alla voir les princes du sang suivant l'usage. M. le prince de Conti lui rendit sa visite; mais ne voyant pas Stairs au bas de son escalier, pour le recevoir, comme c'est la règle, il attendit un peu dans son carrosse, puis le fit tourner, et alla au Palais-Royal se plaindre de cette innovation. Stairs avait déjà envoyé demander une audience à Mmes les princesses de Conti, à qui M. le duc d'Orléans manda de ne le point recevoir qu'il n'eût reçu les princes du sang comme il devait. M. le Duc suspendit aussi la visite qu'il devait lui rendre. Stairs prétendit que la réception au bas du degré n'était pas dans son protocole. Il s'en fit approuver par les autres ambassadeurs, et blâmer par eux d'en avoir trop fait pour M. le duc de Chartres, qui, quoique premier prince du sang, ne devait pas être traité différemment des autres princes du sang. Enfin au bout de deux mois de lutte et de négociations, M. le Duc et M. le prince de Conti rendirent séparément leur visite à Stairs, qui les reçut au bas de son degré. L'audace de cet ambassadeur d'Angleterre, qu'il portait également peinte dans sa personne, dans ses discours et dans ses actions, avait révolté toute la France. On a vu en son lieu que le régent, d'abord par Canillac et par le duc de Noailles, puis par l'abbé Dubois, dès qu'il fut à portée d'agir par lui-même, en fut subjugué, et Stairs se crut assez le maître du terrain pour hasarder, seul de tous les ambassadeurs des têtes couronnées, une entreprise sur les princes du sang, dont la longue dispute fut honteuse à notre cour. Elle finit pourtant sans innovation, mais uniquement par la persévérance des princes du sang, et sans que Stairs en fût plus mal à Londres ni au Palais-Royal.

Mme de Seignelay-Walsassine mourut en couche. Elle avait épousé le dernier fils de Seignelay, ministre et secrétaire d'État, qui avait quitté le petit collet [10] , et qui ne servit point. Il avait eu dans son partage l'admirable bibliothèque de M. Colbert, son grand-père, qu'il vendit longtemps après au roi.

L'archevêque de Malines, qui était Hennin-Liétard, des comtes de Bossut, frère du prince de Chimay, était de ces ambitieux et ignorants dévots, qui avait fait ses études à Rome. Il y avait jeté les fondements de la fortune que dès lors il se proposait, en se dévouant aveuglément aux jésuites et à toutes les chimères ultramontaines. Ses dévots manéges, aidés de sa naissance, l'avaient mis à Malines, et obtenu de plus de riches abbayes. La constitution lui parut une occasion de gagner la pourpre, bien importante à ne pas manquer. Il s'y livra donc avec fureur, et il trouva des travailleurs qui suppléèrent à son ignorance par des écrits qui parurent sous son nom. L'empereur, moins dupe que Louis XIV, et qui n'avait ni Maintenon ni Tellier, ne s'accommoda pas de tout ce bruit, qu'il fit taire à l'instant par une lettre du prince Eugène à ce prélat, qui lui manda que l'empereur lui défendait d'écrire et parler sur la constitution.

Le roi de Sardaigne avait encore mieux fait chez lui dès les commencements de cette affaire. Il sut qu'elle se glissait dans ses États, et qu'elle commençait à y exciter des disputes. Il n'en fit pas à deux fois. Il manda les supérieurs des jésuites de Turin et des maisons les plus proches. Il leur dit ce qu'il apprenait, qu'il ne voulait point se laisser mener comme la France, qu'il leur déclarait que, s'il entendait parler davantage de cette affaire dans ses États, il en chasserait tous les jésuites. Les bons pères lui protestèrent que ce n'étaient point eux qui remuaient ces questions, et qu'ils seraient bien malheureux d'être soupçonnés de ce qui se faisait sans eux et dont ils ne se mêlaient point. Le roi de Sardaigne leur répondit qu'il ne disputerait point avec eux; mais, encore une fois, qu'ils pouvaient compter qu'au premier mot qu'il en entendrait parler, il les chasserait tous de ses États et sans retour; et sans leur laisser l'instant d'ouvrir la bouche, leur tourna le dos et s'en alla. Les révérends pères le savaient homme de parole et de fermeté, et ne s'y jouèrent pas. Oncques depuis il n'a été mention quelconque de la constitution dans tous les États du roi de Sardaigne.

On a vu en son lieu le conseil que j'avais donné à M. le duc d'Orléans sur le traitement à faire au P. Tellier, où je voulais accommoder la reconnaissance des services qu'il en avait reçus avec la tranquillité publique. Il l'approuva fort et en usa tout autrement. La pension fut modérée, et la liberté ne la fut point. Il voulut aller chez l'évêque d'Amiens, son intime confident, et l'obtint. Il en abusa en boute-feu furieux et enragé de n'être plus le maître. Ses commerces en France, ses intrigues aux Pays-Bas, ses cabales partout, ses machinations diverses ne purent demeurer secrètes. Il se déroba, pour aller lui-même animer le parti en Flandre, trop languissant pour son feu. Il en fit tant que l'évêque d'Amiens fut fort réprimandé, et que le P. Tellier fut confiné à la Flèche. Ce tyran de l'Église, indigné de ne pouvoir plus remuer, ce qui était la seule consolation de la fin de son règne et de sa terrible domination, se trouva dans une réduction à la Flèche également nouvelle et insupportable.

Les jésuites, espions les uns des autres, et jaloux et envieux de ceux qui ont le secret, l'autorité et la considération qu'elle leur donne bien au-dessus des provinciaux et des autres supérieurs, sont encore merveilleusement ingrats envers ceux mêmes qui, ayant été dans les premières places ou qui ayant servi leur compagnie avec le plus grand travail et le plus de succès, lui deviennent inutiles par leur âge ou par leurs infirmités. Ils les regardent alors avec mépris et bien loin des égards pour leur âge, leurs services et leur mérite, ils les laissent dans la plus triste solitude et leur plaignent tout jusqu'à la nourriture. J'en ai vu trois exemples de mes yeux dans trois jésuites, gens d'honneur et de grande piété, qui avaient eu les emplois de talents et de confiance, et à qui j'étais lié successivement d'une grande amitié. Le premier avait été recteur de leur maison professe [11] à Paris, provincial de la même province, distingué par d'excellents livres de piété, plusieurs années assistant du général à Rome, à la mort duquel il revint à Paris, parce que leur usage est que le nouveau général a aussi de nouveaux assistants. De retour à la maison professe à Paris à quatre-vingts ans et plus, ils le logèrent sous les tuiles au plus haut étage, dans la solitude, le mépris et le manquement. La direction avait été la principale occupation des deux autres, dont l'un fut même proposé pour être confesseur de Mme la Dauphine, lui troisième, par les jésuites, quand le P. le Comte fut renvoyé. Celui-là fut longtemps malade, dont il mourut. Il n'était pas nourri, et je lui envoyai plus de cinq mois, tous les jours, à dîner, parce que j'avais vu sa pitance, et jusqu'à des remèdes, et qu'il ne put s'empêcher de m'avouer ce qu'il souffrait du traitement qu'on lui faisait. Le dernier, fort vieux et fort infirme, n'eut pas un meilleur sort. À la fin, n'y pouvant plus résister, et me le laissant entendre, il me demanda retraite dans ma maison de Versailles, sous prétexte chez eux d'aller prendre l'air. Il y demeura plusieurs mois, et mourut au noviciat, à Paris, quinze jours après qu'il y fut revenu. Tel est le sort de tous les jésuites sans exception des plus fameux, si on en excepte quelques-uns qui, ayant brillé à la cour et dans le monde par leurs sermons et leur mérite, et s'y étant fait beaucoup d'amis, comme les PP. Bourdaloue, La Rue, Gaillard, ont été garantis de la disgrâce générale, parce que, étant visités souvent par des personnes principales de la cour et de la ville, la politique ne permettait pas de les traiter à l'ordinaire, de peur de faire crier tant de gens considérables qui s'en seraient bientôt aperçus, et qui ne l'auraient pas souffert sans bruit et sans scandale.

C'est donc cet abandon, ce mépris et ce reproche tacite de tout soulagement qu'éprouva le P. Tellier à la Flèche quoiqu'il eût quatre mille livres de pension. Il avait maltraité jusqu'aux jésuites. Aucun d'eux n'approchait de lui qu'en tremblant du temps qu'il était confesseur; encore n'y avait-il que quelques gros bonnets et en très petit nombre. Les premiers supérieurs, qu'il gouvernait à baguette, éprouvaient ses duretés, et tous sa domination, sans la moindre ouverture. Le général même fut réduit à ployer devant lui ce despotisme absolu qu'il exerce sur toute la compagnie et sur tous les jésuites en particulier. Tous, et ils me l'ont dit dans ces temps-là bien des fois, désapprouvaient la violence de sa conduite et en étaient fort alarmés pour la société; tous le haïssaient comme on déteste un maître grossier, dur, inaccessible, plein de soi-même, qui se plaît à faire sentir son pouvoir et son mépris. Son exil et la conduite qui le lui attira leur fut un nouveau motif de dépit par le dévoilement des intrigues secrètes où ils avaient grande part et qu'ils avaient grand intérêt à cacher. Tout cela ensemble ne rendit pas au P. Tellier la retraite forcée de la Flèche agréable. Il y trouva des supérieurs et des confrères aigris qui, au lieu de la terreur générale qu'il avait imposée aux jésuites mêmes, n'eurent plus que du mépris pour lui, et se plurent à le lui faire sentir. Ce roi de l'Église et en partie de l'État, en particulier de sa société, redevint un jésuite comme les autres, et sous ses supérieurs on peut juger quel enfer ce fut à un homme aussi impétueux et aussi accoutumé à une domination sans réplique et sans bornes et à en abuser en toutes façons. Aussi ne la fit-il pas longue. On n'entendit plus parler de lui depuis, et il mourut au bout de six mois qu'il fut à la Flèche.

Il parut une promotion de six lieutenants généraux et d'un grand nombre de maréchaux de camp et de brigadiers; ce qui fit aussi de nouveaux colonels.

Le duc de Mortemart, piqué de ce que la lieutenance de roi vacante du Havre de Grâce ne fût pas donnée à celui pour qui il la demandait, vendit ce gouvernement au duc de Saint-Aignan. M. le duc d'Orléans donna l'abbaye de Bourgueil à l'abbé Dubois; dix mille livres de pension, en attendant un gouvernement, au vicomte de Beaune, à la sollicitation pressante de M. le Duc et de Mme sa mère, et une de vingt mille livres au duc de Tresmes. Comme gouverneur de Paris, il avait un jeu public dans une maison qu'il louait pour cela, et dont il tirait fort gros. Il l'avait prétendu comme un droit depuis qu'il en avait vu s'établir d'autres par licence, et quelques-uns, depuis la régence, par permission. Ces jeux étaient devenus des coupe-gorges qui excitèrent tant de cris publics, qu'ils furent tous défendus, et celui du duc de Tresmes comme les autres. Ce fut en dédommagement de ce jeu que la pension lui fut donnée. Il ne laissa pas de s'en introduire de temps en temps, mais plus modestement. Tout ayant changé de face sous le gouvernement de M. le Duc, premier ministre, Mme de Carignan, arrivée, ancrée, et point du tout oisive pour son intérêt, obtint un jeu à l'hôtel de Soissons, qui lui valut extrêmement. Sur cet exemple, le duc de Tresmes prétendit et obtint le rétablissement du sien. Le rare fut qu'il ne laissa pas de conserver la pension de vingt mille livres qu'il n'avait eue que pour le lui ôter.

Le jeune Bournonville, petit-fils, par sa mère, du duc de Luynes et d'une soeur de M. de Soubise, et fils du cousin germain paternel de la maréchale de Noailles, et frère de la duchesse de Duras, épousa la seconde fille du duc de Guiche, mort maréchal duc de Grammont; c'est celle qui épousa depuis mon fils aîné.

Le grand prieur attrapa de M. le duc d'Orléans un don sur les loteries de Paris de plus de vingt-cinq mille écus de rente.

Le mariage du prince électoral de Saxe fut arrêté et déclaré avec une des archiduchesses.

Le roi Jacques partit assez publiquement de Rome, s'embarqua à Nettuno, 8 février, et aborda en Espagne, d'où il se rendit à Madrid.

Prie revint avec sa femme de son ambassade de Turin. Je ne remarque ce retour que par le bruit et le mal que fit cette femme, qui fut maîtresse publique de M. le Duc, et de la cour, et de l'État, quand et tant qu'il fut premier ministre. Prie eut douze mille livres de pension et quatre-vingt-dix mille livres de gratification.

Rémond, dont il a été parlé ailleurs, fut introducteur des ambassadeurs. Comme il devint une espèce de petit personnage, et, quoique subalterne, fort dangereux, il est à propos de le faire encore mieux connaître. Il était fils de Rémond, fermier général, connu sous le nom de Rémond le Diable. Ce fils était un petit homme qui n'était pas achevé de faire, et comme un biscuit manqué, avec un gros nez, de gros yeux ronds sortants, de gros vilains traits, et une voix enrouée comme un homme réveillé en pleine nuit en sursaut.

Il avait beaucoup d'esprit, il avait aussi de la lecture et des lettres, et faisait des vers. Il avait encore plus d'effronterie, d'opinion de soi et de mépris des autres. Il se piquait de tout savoir, prose, poésie, philosophie, histoire, même galanterie; ce qui lui procura force ridicules aventures et brocards. Ce qu'il sut le mieux, fut de tacher de faire fortune, pour quoi tous moyens lui furent bons. Il fut le savant des uns, le confident et le commode des autres, et de plus d'une façon, et ne se cachait pas de la détestable; le rapporteur quand on le voulut et que cela lui parut utile. Il s'attacha à Canillac, à Nocé, aux ducs de Brancas, puis de Noailles, surtout à l'abbé Dubois, dont il allait disant pis que pendre, pour faire parler les gens et le lui aller redire; enfin à Stairs, dont il devint le panégyriste et l'homme à tout faire. Sa souplesse, l'ornement de son esprit, son aisance à parler et à frapper, sa facilité à adopter le goût de chacun, une sorte d'agrément qu'on trouvait dans sa singularité, le mirent quelque temps fort à la mode, dont il sut tirer un grand parti pécuniaire. Il en avait espéré d'autres qui s'évanouirent avec son cardinal Dubois. Tel qu'il était, il ne laissa pas de trouver et de conserver des entrées et de la familiarité dans plusieurs maisons distinguées. Il a fini par épouser une fille du joaillier Rondé, en quoi il n'y a eu ni disparité ni mésalliance, et par donner souvent des soupers à bonne et honorable compagnie. Il avait eu la charge de Magny. Il ne la garda pas longtemps, voyant ses espérances trompées et qu'elle ne le menait à rien.

Mimeur mourut officier général, dont je crois avoir parlé ailleurs. Il était fils d'un président du parlement de Dijon. Je ne sais par quelle protection il avait été attaché à Monseigneur dès sa jeunesse, chez qui il avait les entrées; mais il n'alla jamais dans aucun lieu où on mangeât avec lui. Son esprit souvent plaisant sans songer à l'être, et l'ornement de son esprit joint ‘à beaucoup de modestie et de savoir-vivre, l'avait mêlé avec le grand monde et fait désirer dans les meilleures compagnies. Il était aimé et estimé sur un pied agréable, et le méritait; il était honnête homme et fort brave, sans se piquer de rien, et fort doux, aimable et sûr dans le commerce; il servit toute sa vie, presque toujours dans la gendarmerie, avec réputation; il se maria à la fin de sa vie et fut regretté de beaucoup d'amis.

Térat, chancelier et surintendant des affaires et finances de M. le duc d'Orléans, mourut en même temps. Il avait un râpé de l'ordre. Il était fort vieux et fort riche, fort homme d'honneur et fort désintéressé. Il était chancelier de Monsieur quand, à la mort de Bechameil, qui était surintendant, il eut sa charge, dont il refusa absolument les appointements. Ce fut une perte pour M. le duc d'Orléans, dont il gouvernait très bien les affaires. Il vivait fort honorablement et n'était déplacé en rien; il était généralement aimé et estimé, et ne laissa point d'enfants. Je n'ai point su qui il était; je crois que c'était peu de chose; aussi était-il fort éloigné de s'en faire accroire. Houssaye, conseiller d'État, eut les deux charges de Térat chez M. le duc d'Orléans, qui le conduisirent à être enfin contrôleur général des finances.

Un fils de l'électeur de Bavière fut élu évêque de Munster. Il était allé se promener en Italie, et mourut à Rome sans avoir su son élection.

La mort de Puysieux, duquel on a déjà parlé lorsque son esprit et son adresse le firent si singulièrement chevalier de l'ordre, devint le commencement et la base de la prodigieuse fortune de Belle-Ile. Les chartreux, qui sont accoutumés à donner quelquefois de grands repas, en donnèrent un à beaucoup de gens distingués de la cour et des conseils. J'en fus prié, et Puysieux, que tout le monde aimait, et qui était bon et joyeux convive, en fut aussi. Le repas fut également grand et bon, et la compagnie, quoique fort nombreuse, de très bonne humeur. Puysieux en fit la joie; mais pour un homme fort près de quatre-vingts ans, gros et court, il y mangea beaucoup, et tant que, la nuit même, il se sentit d'une indigestion et de fièvre qui l'emporta en fort peu de jours. Ce fut grand dommage pour sa probité, sa valeur, sa modestie, l'ornement de son esprit, qui avait également l'agréable et le solide, et qui en faisait tout à la fois un homme de guerre, un homme capable de bien manier les affaires les plus délicates et un homme de la meilleure compagnie, qui était estimé partout et recherché de ce qui était le plus distingué. Son père s'était ruiné à ne rien faire; il était resté bien peu de bien à Puysieux, et son frère, qui n'avait presque rien, avait été trop heureux d'être écuyer de M. le prince de Conti, qui le traita toujours avec distinction. Puysieux était conseiller d'État d'épée, dont Cheverny eut la place; il avait aussi le gouvernement d'Huningue. Sa famille le voyant moribond, et n'ayant que des filles, songea promptement à profiter de la facilité du temps pour en faire une pièce d'argent, et Belle-Ile, fort à l'affût de tout ce qui pouvait l'avancer, conclut bientôt ce marché. Il était ami intime de Le Blanc, qui l'avait mis dans quelque privance avec l'abbé Dubois et Law. Il ne faisait qu'être maréchal de camp, par conséquent fort loin d'un gouvernement, bien plus d'un de cette importance. Ces trois protecteurs, avec le maréchal de Besons, frère de la mère de Le Blanc, qui entraîna d'Effiat, joints avec la famille de Puysieux, emportèrent d'emblée l'agrément du régent, et toute l'affaire fut menée si brusquement et si secrètement, qu'on ne la sut que lorsqu'elle fut consommée, la veille de la mort de Puysieux.

Une grâce si singulière excita les cris de tout ce qui se proposait de demander cette récompense dès qu'elle serait vacante. L'adresse de Belle-Ile excita ceux des moins à portée et le blâme des importants, parmi lesquels les maréchaux de Villeroy, Villars, Huxelles, se signalèrent autant que leur frayeur de toute la suite de l'affaire du duc du Maine le leur permit, c'est-à-dire qu'ils ne se contraignirent pas avec leurs familiers; qu'ils encouragèrent secrètement les plaintes, et qu'ils se contentèrent d'ailleurs d'un silence de désapprobation. Tant de bruit, et la réflexion tardive sur sa matière, fit assez repentir le régent pour être tenté de révoquer la permission; mais le marché était signé et l'argent compté; il ne se trouvait d'autre moyen que l'autorité, par un changement subit de volonté qui ne pouvait se couvrir de surprise. Ceux qui avaient obtenu cette permission du régent lui firent honte de reculer, et Belle-Ile demeura paisible gouverneur d'Huningue; mais il en resta une dent contre lui à M. le duc d'Orléans, qu'il lui a toujours, mais assez inutilement gardée.

Suite
[9]
Voy. Mémoires de Louis XIV (t. Ier, p. 47 et suiv. des Oeuvres de Louis XIV). Il dit à son fils : « Il fallait par mille raisons, même pour se préparer à la réformation de la justice qui en avait tant de besoin, diminuer l'autorité excessive des principales compagnies qui, sous prétexte que leurs jugements étaient sans appel, et, comme on parle, souverains et en dernier ressort, ayant pris peu à peu le nom de cours souveraines, se regardaient comme autant de souverainetés séparées et indépendantes. Je fis connaître que je ne souffrirais plus leurs entreprises. »
[10]
Le petit collet était une espèce de rabat, qui indiquait qu'on avait embrassé l'état ecclésiastique. Quitter le petit collet, c'était renoncer à cet état.
[11]
La maison professe des jésuites était située rue Saint-Antoine; c'est aujourd'hui le lycée Charlemagne. On distinguait les maisons professes, des collèges et des noviciats. Les premières étaient habitées par les jésuites profès. Ces religieux faisaient, outre les trois voeux ordinaires de chasteté, de pauvreté, d'obéissance, un voeu particulier d'obéir au pape en tout ce qui regarde le bien des âmes et la propagation de la foi chrétienne.